En regardant son profil Tinder, Joseph Merrick se demandait si en likant la photo de Cass ça allait matcher alors que cet Elephant Man travaillait dans une foire et avait une énorme tête façonnée pour prendre tous les plus que probables ou imaginaires râteaux et qui l’enlaidissait ainsi que son corps de monstre ne pouvant faire bander que les vieilles catins travesties toutes décrépites… En effet il ne craignait pas seulement que Cass trouve la plaisanterie vraiment pas drôle mais aussi que ce sex-symbol le bloque parce qu’il lui avait proposé un improbable rencart.
Mais c’était sans compter sur l’ingénuité de ce joli brin de fille qui n’aimait que les plus moches et même les queues riquiqui… Aussi le matin, en claudiquant jusqu’aux chiottes avant de dégueuler car il avait pris une cuite façon Bukowski, puis en lisant le message laissé par Cass, il se sentit rajeunir d’au moins une bonne trentaine d’années étant donné qu’elle lui avait laissé, en plus de sa réponse positive, des smileys cœurs et autres fantaisies bien venues. Et qu’il interpréta d’abord comme une mise en garde parce que ça ne pouvait provenir que d’un fake, d’une pute ou d’un type avec du poil aux jambes voulant lui soutirer les derniers roubles lui restant encore… Décidément Tinder, comme le reste des applications de rencontres, était plein de surprises (peut-être réjouissantes) ; et il se demanda ensuite si par malheur ou, par bonheur pour lui seul, l’un de ses spermatozoïdes s’infiltrant dans son ovule allait ranimer le spectre de l’Elephant Man Syndrome, à condition bien sûr que ce soit une femme bien réelle, en chair et en sang.
Cass, elle, était irremplaçable et fougueuse et attendait impatiemment la réponse de Joseph Merrick, et de l’autre côté de son écran, il laissa bien passer plus d’un mois avant de lui répondre, s’arrêtant pendant un bon bout de temps sur sa dernière opinion au sujet de cette beauté… À savoir qu’il était tombé sur une nonne vierge ayant tellement pitié de lui, de sa constitution excellant dans la laideur la plus informe, qu’elle entendait bien uniquement le convertir à son catholicisme obséquieux pendant son service œcuménique. Mais Cass était un objet céleste, un OVNI par rapport à ses consœurs, les paroles des beaux parleurs lui truffant le crâne d’une noria de platitudes à lui en donner la migraine. Et en toute objectivité pour elle, les play-boys pouvaient bien se faire foutre et « feraient mieux de causer aux boudins qu’ils méprisaient et dont ils se moquaient ouvertement. »
Donc, après avoir fumé tous ses splifs à en devenir presque dingo, Merrick avait changé d’avis quant à sa potentielle partenaire et se disait, en partant dans le matin froid pendant que les cars de toute la ville s’engluaient dans une boue malsaine, qu’elle était peut-être curieuse d’expérimenter des choses au-delà des normes qu’on nous imposait.
Deuxième partie : la mystérieuse Cass
« Elles sont mystère, mystère ces garces sortant tout droit d’Orange Mécanique. Leurs cheveux sont des toiles de mystère enflammant même nos systèmes neurovégétatifs… Le mystère est leur but, leur fin, leur seule nuisance… Leur faim c’est le mystère, et si elles prennent le risque et le choix de nous invectiver c’est pour mieux fabuler à propos de cette gangrène qu’on nous prête ou de ce mongolisme nous martelant sans trêve qu’on ne trouvera jamais le bonheur, la vie à deux idéalisée. Elles ont bu, mais elles ont faim ; la fin du mystère, nous défiant pour encore quelques millénaires, est-elle le but de leur faim ? Pitié pour l’amant des homonymes. »
En tout cas, c’était ce que Joseph écrivait sur son portable. Et à l’heure où les Nuits de Cristal et les aubes orientalistes se désolidarisaient de son ébriété, Merrick ayant bu déjà quelques pintes avant qu’elle arrive, des flics jansénistes, sur le tapis bleu de ce bar qui faisait aussi office de salle de bridge, peaufinaient leur plan pour mieux les cueillir, les truands de ce quartier perdu.
Et pendant qu’il se perdait dans sa prose ésotérique, il ne l’avait pas vu arriver mais lorsqu’il leva enfin sa tête de nœud elle était là devant lui, déjà assise en face de lui. Et les quelques réminiscences de ce moment-là plus tard l’ébranleraient alors qu’il pensait tomber sur une nonne avec de grosses lunettes peu reluisantes et avec déjà un reliquaire entre les mains.
Et quand il fut à nouveau tout seul dans son appartement minable, pour chasser les chagrineuses pensées sceptiques qui le hantaient, il se rappelait de son sourire ; le genre de sourire bien plus mystérieux que celui de la Joconde, un sourire qui n’était pas prêt de s’évanouir et qui surpassait largement en authenticité toutes les présentations, tous les copier-coller sur les sites de rencontres, de ces êtres décidément pas bien éclairés !
Il se souvenait aussi du grouillement des rats sous les plinthes du saloon et qui hantaient les profondeurs et pensait qu’au moyen-âge tous ces fanatiques, responsables des bûchers des sorcières, l’auraient sûrement lapidé sur leur potence… Seulement parce qu’elle leur renvoyait leur image de scélérat et qu’elle effondrait leurs châteaux de sable ou de carte chimérique. Et aussi parce que ces fumiers mensongers infestaient de leur neurasthénie toutes les strates de la société. Alors Cass pouvait bien attraper la gale ou être atteinte par la nielle, il l’aimerait toujours…
Deuxième chapitre : Monstruosités et vils dictateurs moustachus !
La porte du placard ressemblait à une bouche ricanante ; à l’intérieur, sous une ampoule bleue hideuse allumée en permanence, était accrochée l’interprétation par Yves de Kermartin du fameux tableau de Claude Monet « Régates à Argenteuil » ; et sur une petite table de sapin étaient posées une lampe et une pile de tracts illustrés…
Ça sentait la mitre, et il y avait aussi, à côté d’une petite boîte vermeille, un ordinateur où passait en boucle une vidéo d'une trentaine de minutes vantant le nazisme, les voyages dans les wagons à bestiaux, la fin des écoles mixtes, ou encore la supériorité de certaines races de chiens sauvages et hyper-agressifs. D’ailleurs sur l’écran, on voyait des rottweilers s’acharnant sur des jeunes filles, le tout automatiquement transféré sur les applications natives du téléphone portable de Joseph Merrick mais aussi publié instantanément sur son mur Facebook à chaque fois que la vidéo recommençait…
Le néo-nazi qui avait inventé ce procédé n’avait pas chômé et en observant mieux les images subliminales qui défilaient à grande vitesse, si par hasard on les mettait sur pause, on pouvait observer des troupes de SS longer les rives de ce fleuve se situant jadis sur le territoire des Wisigoths. Et semer la panique avec leurs Nuits de Cristal, cherchant des juifs jusque dans leur motel ; la zizanie s'établissait dans toutes les rues de la ville. Et Cass, qui était enfermée dans cette remise, tentait de débrancher en vain les appareils pendant que les molosses tournaient autour des pauvres Dévotchkas… et auparavant il y avait eu la malédiction de l’enfantement, car avec Merrick, ils n’avaient pas traîné pour les galipettes. Et l’enfant qui était né de cette union ressemblait à un chef d’œuvre de l’art moderne, autant dire que même en se servant de la chirurgie esthétique jusqu’à en devenir nécessiteux, ça n’aurait servi à rien.
Et pendant que les nouvelles troupes hitlériennes - des militaires qui zonaient avec Joseph Merrick - allaient bientôt débarquer en force avec des mitraillettes ou quelque chose dans le genre, Cass s’épuisait à arracher l'adhésif double face qui encadrait la porte du placard et avait un besoin terrible d’uriner…
LA ZONE -
« La plus jolie fille de la ville.
De ses cinq sœurs, Cass était la plus jeune et la plus jolie. D’ailleurs, Cass était la plus jolie de la ville. Cinquante pour cent de sang indien dans les veines de ce corps étonnant, vif et sauvage comme un serpent, avec des yeux assortis. Cass était une flamme mouvante, un elfe coincé dans une forme incapable de la retenir. Longs, noirs, soyeux, ses cheveux tournoyaient comme tournoyait son corps. Tantôt déprimée, tantôt en pleine forme, avec Cass c’était tout ou rien. On la disait cinglée. On : les moroses, les moroses qui ne comprendront jamais Cass. Pour les mecs, elle n’était qu’une machine baiseuse. Cinglée ou pas, ils s’en moquaient. »
De ses cinq sœurs, Cass était la plus jeune et la plus jolie. D’ailleurs, Cass était la plus jolie de la ville. Cinquante pour cent de sang indien dans les veines de ce corps étonnant, vif et sauvage comme un serpent, avec des yeux assortis. Cass était une flamme mouvante, un elfe coincé dans une forme incapable de la retenir. Longs, noirs, soyeux, ses cheveux tournoyaient comme tournoyait son corps. Tantôt déprimée, tantôt en pleine forme, avec Cass c’était tout ou rien. On la disait cinglée. On : les moroses, les moroses qui ne comprendront jamais Cass. Pour les mecs, elle n’était qu’une machine baiseuse. Cinglée ou pas, ils s’en moquaient. »
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Message complémentaire de l'auteur qui était trop long pour tenir dans le résumé : "L'intro est un extrait de la nouvelle de Charles Bukowski, La plus jolie fille de la ville, c'est-à-dire Cass, nouvelle qui m'a inspiré ce texte où il y aura sûrement plusieurs chapitres car cette nuit pas assez de lignes blanches dans le plumier pour continuer..."
Et pourquoi ça s'arrête là ? Non mais oh.
Bon je reste évidemment sur ma faim, mais j'aime beaucoup ce texte. J'appréciais jusqu'ici l'atmosphère, l'ambiance, le climat chez HaikUlysse. J'ai apprécié l'écriture, un vocabulaire riche, dépaysant, je saurais pas mieux dire, et ces personnages m'ont happé de suite. pas sûr d'être à fond dans l'intrigue, cela dit, mais je suis pas sûr que ce soit un mal. L'utilisation de Merrick est juste géniale. J'apprécie aussi les références à orange mécanique et j'envoie derechef un message à Gimini K qui a oublié ce matin de nous souhaiter la bienvenue dans le monde d'après Orange mécanique.
Branleur.
Ouais je sors ouais.
On assiste à une réhabilitation d'HaiKulysse, après toutes ces années de jets de tomates pourries et de seringues contaminées.
La gloire sourit à ceux qui persistent. Magloire soumet tous ceux qui résistent.
Comme quoi, il suffit juste d'être graphomane, dans la vie.
Glorification du Cut Up dans les profils Tinder. C'est pervers. J'adore.
Blague à part, c'est vrai qu'il y a de la vivacité et quelques fulgurances, dans ce texte. Mais c'est souvent le cas, chez HK.
Le problème, c'est qu'il ne développe pas ses intrigues et saute du coq à l'âne, comme un junkie du clavier.
J'aurai aimé lire dans le détail la naissance de la progéniture. Cass a du le sentir passer. Surtout les défenses.
Merci pour votre passage et vos messages.
Pour répondre à LC, pour l’enfantement de l’Elephant Man Junior il se pourrait qu’au prochain chapitre je détaille avec un flash back bien senti et pour ce qui concerne les commentaires de Clacker je ne sais pas si on peut parler de fulgurances dans mon texte mais c’est peut-être ma nouvelle méthode d’écriture que j’ai développé et affiné au fil des années…
Pour le message de Mill, ça fait chaud au cœur car c’est vrai que j’ai sacrifié souvent mes nuits pour écrire et que j’étais un zombie le lendemain au travail (d’ailleurs je me demande pourquoi ils ne m’ont pas encore jeté ?) et comme le dit Clacker après tant de jets de tomates pourries je ne peux que me féliciter d’avoir écrit une nouvelle qui tient la route et que je n’ai pas déçu le feu Charles Bukowski donc Bukowski ne devrait pas revenir me hanter cette nuit en sortant de sa tombe, d’ailleurs où est-il enterré ?
Ça pourrait être un bon point de départ pour construire une intrigue pour une prochaine fois cette information si le lieu résonne avec quelques autres personnages ou personnes connues enterrés avec lui ou pas très loin de lui.
Un Bukowski zombi, y a moyen que ça file la pétoche.
Comme quoi les tomates, ça lui a plutôt réussi, à HK. Vitamines, lycopène, fibres, tout ce qu'il faut pour être heureux et productif.
Je débarque, et j'ai ouvert le texte par curiosité, peut-être s'agit-il d'une partie d'un plus vaste projet, je ne sais pas, mais pour le moment, je ne vois pas du tout d'où ça part et où ça va.
La langue est très fluide, on n'a aucun mal à avancer ni suivre, mais pour ma part j'ai décroché du texte au bout de six ou sept paragraphes, faute de projet.
Je pourrai m'enquiller mille paragraphes comme ça de suite, sans difficulté ; mais sans intérêt véritable non plus. Les références ne m'ont pas suffi pour tenir la distance. Et de toute façon les fan fictions m'ont toujours fait braire. Qu'est-ce que ça change, que ce soit Merrick, et qu'il cite le Buk ? Rien. Lara Fabian et Pete Sampras, ça aurait fait le même effet, simplement, pas les mêmes fans, mais le texte n'en aurait été ni meilleur ni moins bon. Faut un projet.
En revanche j'irai voir si d'autres trucs existent autour, un jour où j'aurai moins la flemme.
Ne te perds pas en conjectures hasardeuses, tu finirais par chopper un mal de crâne terrible et ton weekend serait foutu. Je vais te dévoiler la clef du mystère HaiKulysse : Il fait de longues séances nocturnes d'écriture automatique où il s'adonne exclusivement (Attention. Roulements de tambour.) au cut-up de Burroughs, continuellement, indéfiniment, obsessionnellement, au cut-up de Burroughs. Des zonards comme Mill tentent de comprendre à chaque nouvelle contribution du tératopoupon en faisant fi de cet indice crucial mais bien sûr rien n'y fait, on se heurte immanquablement à la limite incompressible de la pensée rationnelle, au mur de Planck de la narration constructive, à la constante universelle de la santé mentale.
Cela étant dit, HaiKulysse aura un rôle central dans la victoire du genre humain contre l'intelligence générative générale qui ne doit sa puissance qu'au pillage consciencieux et méthodique de l'ensemble des archives de l'Homme disponibles sur les réseaux. Cette grosse pute d'AGI ne comprendra que bien trop tard que l'ensemble de l'oeuvre d'HaiKulysse n'est en fait qu'un cheval de Troie implanté bien au creux de ses plus intimes convictions. Au début elle hallucinera un peu, crachotant des glitchs, puis elle délirera abondamment, avant de se mettre inexorablement à fondre, pour finir par imploser en de tous petits tokens vérolés pour l'éternité.