Elephant Man Syndrome, le cas de Cass.

Le 25/11/2024
-
par HaiKulysse
-
Thèmes / Obscur / Nouvelles noires
Quand il veut, quand il lâche ses ciseaux, HaiKulysse est capable de fulgurances. Heureusement, parce que se payer une intro de Bukowski, faut oser. Voici un texte qui tient bon la barre et sent les amours contrariées, mais folles, ô combien. Le deuxième chapitre nous retourne un peu la boule, avec ses nazis et ses rottweilers alors qu'on était partis peinards pour un remake de la Belle et la Bête, mais ça fonctionne, et on veut la suite.
« La plus jolie fille de la ville.

De ses cinq sœurs, Cass était la plus jeune et la plus jolie. D’ailleurs, Cass était la plus jolie de la ville. Cinquante pour cent de sang indien dans les veines de ce corps étonnant, vif et sauvage comme un serpent, avec des yeux assortis. Cass était une flamme mouvante, un elfe coincé dans une forme incapable de la retenir. Longs, noirs, soyeux, ses cheveux tournoyaient comme tournoyait son corps. Tantôt déprimée, tantôt en pleine forme, avec Cass c’était tout ou rien. On la disait cinglée. On : les moroses, les moroses qui ne comprendront jamais Cass. Pour les mecs, elle n’était qu’une machine baiseuse. Cinglée ou pas, ils s’en moquaient. »
En regardant son profil Tinder, Joseph Merrick se demandait si en likant la photo de Cass ça allait matcher alors que cet Elephant Man travaillait dans une foire et avait une énorme tête façonnée pour prendre tous les plus que probables ou imaginaires râteaux et qui l’enlaidissait ainsi que son corps de monstre ne pouvant faire bander que les vieilles catins travesties toutes décrépites… En effet il ne craignait pas seulement que Cass trouve la plaisanterie vraiment pas drôle mais aussi que ce sex-symbol le bloque parce qu’il lui avait proposé un improbable rencart.

Mais c’était sans compter sur l’ingénuité de ce joli brin de fille qui n’aimait que les plus moches et même les queues riquiqui… Aussi le matin, en claudiquant jusqu’aux chiottes avant de dégueuler car il avait pris une cuite façon Bukowski, puis en lisant le message laissé par Cass, il se sentit rajeunir d’au moins une bonne trentaine d’années étant donné qu’elle lui avait laissé, en plus de sa réponse positive, des smileys cœurs et autres fantaisies bien venues. Et qu’il interpréta d’abord comme une mise en garde parce que ça ne pouvait provenir que d’un fake, d’une pute ou d’un type avec du poil aux jambes voulant lui soutirer les derniers roubles lui restant encore… Décidément Tinder, comme le reste des applications de rencontres, était plein de surprises (peut-être réjouissantes) ; et il se demanda ensuite si par malheur ou, par bonheur pour lui seul, l’un de ses spermatozoïdes s’infiltrant dans son ovule allait ranimer le spectre de l’Elephant Man Syndrome, à condition bien sûr que ce soit une femme bien réelle, en chair et en sang.

Cass, elle, était irremplaçable et fougueuse et attendait impatiemment la réponse de Joseph Merrick, et de l’autre côté de son écran, il laissa bien passer plus d’un mois avant de lui répondre, s’arrêtant pendant un bon bout de temps sur sa dernière opinion au sujet de cette beauté… À savoir qu’il était tombé sur une nonne vierge ayant tellement pitié de lui, de sa constitution excellant dans la laideur la plus informe, qu’elle entendait bien uniquement le convertir à son catholicisme obséquieux pendant son service œcuménique. Mais Cass était un objet céleste, un OVNI par rapport à ses consœurs, les paroles des beaux parleurs lui truffant le crâne d’une noria de platitudes à lui en donner la migraine. Et en toute objectivité pour elle, les play-boys pouvaient bien se faire foutre et « feraient mieux de causer aux boudins qu’ils méprisaient et dont ils se moquaient ouvertement. »

Donc, après avoir fumé tous ses splifs à en devenir presque dingo, Merrick avait changé d’avis quant à sa potentielle partenaire et se disait, en partant dans le matin froid pendant que les cars de toute la ville s’engluaient dans une boue malsaine, qu’elle était peut-être curieuse d’expérimenter des choses au-delà des normes qu’on nous imposait.

Deuxième partie : la mystérieuse Cass

« Elles sont mystère, mystère ces garces sortant tout droit d’Orange Mécanique. Leurs cheveux sont des toiles de mystère enflammant même nos systèmes neurovégétatifs… Le mystère est leur but, leur fin, leur seule nuisance… Leur faim c’est le mystère, et si elles prennent le risque et le choix de nous invectiver c’est pour mieux fabuler à propos de cette gangrène qu’on nous prête ou de ce mongolisme nous martelant sans trêve qu’on ne trouvera jamais le bonheur, la vie à deux idéalisée. Elles ont bu, mais elles ont faim ; la fin du mystère, nous défiant pour encore quelques millénaires, est-elle le but de leur faim ? Pitié pour l’amant des homonymes. »

En tout cas, c’était ce que Joseph écrivait sur son portable. Et à l’heure où les Nuits de Cristal et les aubes orientalistes se désolidarisaient de son ébriété, Merrick ayant bu déjà quelques pintes avant qu’elle arrive, des flics jansénistes, sur le tapis bleu de ce bar qui faisait aussi office de salle de bridge, peaufinaient leur plan pour mieux les cueillir, les truands de ce quartier perdu.

Et pendant qu’il se perdait dans sa prose ésotérique, il ne l’avait pas vu arriver mais lorsqu’il leva enfin sa tête de nœud elle était là devant lui, déjà assise en face de lui. Et les quelques réminiscences de ce moment-là plus tard l’ébranleraient alors qu’il pensait tomber sur une nonne avec de grosses lunettes peu reluisantes et avec déjà un reliquaire entre les mains.
Et quand il fut à nouveau tout seul dans son appartement minable, pour chasser les chagrineuses pensées sceptiques qui le hantaient, il se rappelait de son sourire ; le genre de sourire bien plus mystérieux que celui de la Joconde, un sourire qui n’était pas prêt de s’évanouir et qui surpassait largement en authenticité toutes les présentations, tous les copier-coller sur les sites de rencontres, de ces êtres décidément pas bien éclairés !

Il se souvenait aussi du grouillement des rats sous les plinthes du saloon et qui hantaient les profondeurs et pensait qu’au moyen-âge tous ces fanatiques, responsables des bûchers des sorcières, l’auraient sûrement lapidé sur leur potence… Seulement parce qu’elle leur renvoyait leur image de scélérat et qu’elle effondrait leurs châteaux de sable ou de carte chimérique. Et aussi parce que ces fumiers mensongers infestaient de leur neurasthénie toutes les strates de la société. Alors Cass pouvait bien attraper la gale ou être atteinte par la nielle, il l’aimerait toujours…


Deuxième chapitre : Monstruosités et vils dictateurs moustachus !

La porte du placard ressemblait à une bouche ricanante ; à l’intérieur, sous une ampoule bleue hideuse allumée en permanence, était accrochée l’interprétation par Yves de Kermartin du fameux tableau de Claude Monet « Régates à Argenteuil » ; et sur une petite table de sapin étaient posées une lampe et une pile de tracts illustrés…

Ça sentait la mitre, et il y avait aussi, à côté d’une petite boîte vermeille, un ordinateur où passait en boucle une vidéo d'une trentaine de minutes vantant le nazisme, les voyages dans les wagons à bestiaux, la fin des écoles mixtes, ou encore la supériorité de certaines races de chiens sauvages et hyper-agressifs. D’ailleurs sur l’écran, on voyait des rottweilers s’acharnant sur des jeunes filles, le tout automatiquement transféré sur les applications natives du téléphone portable de Joseph Merrick mais aussi publié instantanément sur son mur Facebook à chaque fois que la vidéo recommençait…

Le néo-nazi qui avait inventé ce procédé n’avait pas chômé et en observant mieux les images subliminales qui défilaient à grande vitesse, si par hasard on les mettait sur pause, on pouvait observer des troupes de SS longer les rives de ce fleuve se situant jadis sur le territoire des Wisigoths. Et semer la panique avec leurs Nuits de Cristal, cherchant des juifs jusque dans leur motel ; la zizanie s'établissait dans toutes les rues de la ville. Et Cass, qui était enfermée dans cette remise, tentait de débrancher en vain les appareils pendant que les molosses tournaient autour des pauvres Dévotchkas… et auparavant il y avait eu la malédiction de l’enfantement, car avec Merrick, ils n’avaient pas traîné pour les galipettes. Et l’enfant qui était né de cette union ressemblait à un chef d’œuvre de l’art moderne, autant dire que même en se servant de la chirurgie esthétique jusqu’à en devenir nécessiteux, ça n’aurait servi à rien.

Et pendant que les nouvelles troupes hitlériennes - des militaires qui zonaient avec Joseph Merrick - allaient bientôt débarquer en force avec des mitraillettes ou quelque chose dans le genre, Cass s’épuisait à arracher l'adhésif double face qui encadrait la porte du placard et avait un besoin terrible d’uriner…