Opération Commando

[nihil]

C'était en 1992, ou 1993 peut-être, je ne suis plus très sûr. Je n'ai pas la mémoire des dates.
J'étais juste un gamin invisible parmi tous les gamins invisibles. J'essayais de me tenir à carreau parce que j'avais déjà compris que tous ceux qui sont pas tout le monde, on leur en fait baver.
Et donc, j'avais peut-être dix ans quand j'ai essayé pour la première fois de passer la main dans le feu. Et que tout a flambé. L'épisode s'est gravé dans ma mémoire. Moi, assis devant le feu de camp alors que les parents étaient déjà endormis dans la tente. Les étincelles qui pètent de partout, la chaleur sur le visage. A dix ans, faut qu'on essaye tout, évidemment, comment on pourrait savoir sinon, ce qui est interdit ou non, ce qui fait mal ou pas ? Et tout est parti en flammes. On m'a soigné pour les brûlures, qui n'étaient finalement que superficielles. Mais au fil des années, j'ai bien dû me faire à l'idée: je transpirais du combustible. Qu'est-ce que j'allais bien pouvoir faire de ça, moi ?

Cerumen, à toi.

[Cerumen]

"Dégage, le rase-bitume !". Jordi. Le plus grand de la classe, la Cinquième B. Une vraie petite terreur ! Du genre à taper des poses devant le miroir de la salle de bains de ses vieux, le dimanche après-midi, en se secouant la bite, façon Buffalo Bill dans Le Silence des Agneaux. Monsieur fume derrière la salle de sports pendant la récré, enfin, je dis 'fume', mais je devrais plutôt dire qu'il crapote...
Aujourd'hui n'est pas son jour de chance : je viens de faire six fois le tour du terrain de foot, et je suis en nage. En moins de temps qu'il faudrait à une mule pour dire "Schnouf", je retire mon t-shirt trempé de respiration et le lui balance à la marlboro light qu'il a au bec. Bon, c'est pas encore trop méchant : il en perd juste ses sourcils - qui repousseront - et ses cheveux longs - qu'il avait de toutes façons troqués contre les deux neurones qu'il lui restait. Depuis l'incident du bec bunsen avec Balochard, alias D. Hochard, le prof de chimie, j'évite autant que possible la mauvaise publicité ; se ramasser des heures de colle, passe encore, être catalogué X-Man, ça serait l'horreur...

[Cerumen]

J'ai écrit au présent, ça fait plus vivant. Des objections, votre honneur ?

[nihil]

Pas d'objection ! Je propose qu'on se fasse une session correction / homogénéisation quand on aura fini, histoire que ça fasse pas trop patchwork, mais on verra plus tard du coup.

Le Pouilleux, à toi ! Bon, j'ai pas vu de réaction récente du Pouilleux, mais on va lui laisser la journée.

[LePouilleux]

Ouais, laissez-moi quelques heures, il y a toujours moyen que j'improvise quelque chose vite fait dans la soirée. Si Sainte Flemme et Sainte Procrastination me laissent tranquille...

[LePouilleux]

Quand on est une torche vivante, comme moi, on redoute la chaleur, la sécheresse qui s'installe pour tout enflammer ; et ces maudites gouttes qui coulent le long du corps, collent à la peau comme un vernis de phosphore rouge... Autre souvenir. Je fais environ quinze heures de sport par semaine : quatre heures d'EPS au collège, deux heures de badminton entre midi et deux, quatre heures de handball en club, une heure de match de handball les week-ends, et de deux à trois heures de football les dimanche après-midi au stade avec les potes. On me décrit comme « sportif ». Je sue abondamment. A l'aide d'une bouteille à large goulot j'ai réussit à récupérer un demi-litre de ce liquide magique en essorant la dizaine de t-shirts que j'utilise la semaine. Les classes sont vides et tout le monde s'en bat les couilles de ce que je peux bien faire dans la classe de Balochard. Il nous donne les clefs de son labo pour mener des expériences en groupe sur les heures d'étude. J'ai apporté la bouteille de sueur/kérosène. Le résultat escompté n'est pas clair dans ma tête car je suis une brêle en chimie. Mais grosso modo ce que je veux faire s'appelle « distillation ». J'ai trouvé une notice assez simple sur internet. La sueur étant un liquide, elle est majoritairement composée d'eau (Captain Obvious, je sais). Le composé mystère qui la rend inflammable, que le commun des mortels ne possède pas, ne devrait pas s'évaporer à la même température. On peut donc le séparer dans un récipient à part, grâce au phénomène de condensation, en le récupérant à l'état de gaz dans une « colonne de Vigreux ». Ça, c'est pour votre culture générale. Il suffit alors de refroidir le gaz récupéré dans la colonne à l'aide d'un « système de réfrigération » pour le récupérer sous forme liquide dans un autre récipient. J'aurais alors à ma disposition, sous sa forme la plus pure, la substance qui me rend si différent du reste du monde. Si vous avez rien comprit au pourquoi du comment de cette expérience, sachez que j'ai que 13 ans et que j'ai bien précisé que j'étais une grosse brêle en chimie. Toujours est-il que j'ai pas réussit à trouver une « colonne de Vigreux », que j'ai essayé de coller au bec bunsen une espèce d'éprouvette à cul plat, sans succès, que dans mon énervement j'ai versé une partie du liquide précieux sur la flamme allumée, que le plan de travail a complètement et immédiatement prit feu, qu'une fumée noire a envahi la pièce en deux secondes et que finalement l'alarme incendie a affolé tout le monde à des kilomètres à la ronde. J'suis trop deuh. Au prochain épisode, je tenterai de remplacer le sans-plomb 95 de la voiture de mon père par ma sueur magique. A vous les studios.

[nihil]

Charogne, c'est ton tour ! Pas de quartier mon garçon.

[nihil]

Est-ce que ça vaudrait le coup de se mettre d'accord sur une histoire, cela dit, ou on s'en branle ?

[Charogne]

Enfin, pourquoi je m'obstine à faire cramer ma sueur dès que j'en ai l'occasion, quand je sais que c'est pertinemment la chose à ne pas faire ? Que c'est pas comme ça que je deviendrais un gosse comme les autres ? Que je devrais simplement me contenter de boire vingt gallons d'eau par jour pour tenter de noyer cette machinerie fossile dans mes entrailles ? Eh bien... voilà : il n'y a rien de plus beau qu'une belle déflagration. Une jolie flamme s'élevant à sept mètres au dessus du sol. À vrai dire, cet incident de 1992 (ou 1993, on s'en fout) restait profondément gravé dans ma mémoire : alors ça avait été traumatisant, oui... mais particulièrement excitant aussi. Ce charme du danger et de l'interdit, sublimé par les rayonnements aveuglants du foyer, voilà ce qui m'a toujours attiré depuis. Alors si je pouvais moi-même déclarer un incendie- un brasier dans une forêt ou un bâtiment entier, quelque chose d'envergure, en utilisant mes propres fluides qui plus est- ce serait simplement merveilleux.

[nihil]

Malgré tout, j'ai bien dû accepter de réprimer mes pulsions de toute-puissance vengeresse. J'évitais déjà les autres au lycée, autant que possible. Serrer la main d'un type qui allumerait une clope une minute plus tard, c'était me mettre en danger, moi. D'expérimentation en frustration, j'ai glissé, au début de l'âge adulte, vers les frontières du monde des hommes. Après avoir accidentellement mis le feu au chat que j'avais reccueilli, j'ai commencé à avoir vraiment peur. Je crois bien que personne ne pourrait jamais m'aider, ma survie ne dépendait que de moi. J'ai commencé à porter des gants en permanence, à tamponner mes tempes avec un mouchoir, tout le temps. Et à rester encloîtré dans ma taule, le plus possible. Mes études ayant, comme on peut l'imaginer, capoté, je me suis dégotté un petit job de comptabilité en télétravail. Survivre, y avait plus que ça comme option. Dans le souvenir de la frénésie de feu qu'avait été mon adolescence, je trouvais une certaine force, celle du survivant. La résilience du type capable de marcher trente kilomètres au travers d'un champ de bataille en évitant les obus. Tout était à peu près clair dans ma tête, je crois. Je devais tenir. Tenir, tenir.
Ca a bien tenu deux ans, quoi.
Après, évidemment, tout a basculé. Quand les messages de Manon, une comptable de la boîte, ont commencé à devenir moins professionnels.

[nihil]

Cerumen, tu te sens de poursuivre un peu ?

[Lunatik]

Manon, c'était une bombe, alors évidemment, je m'en tenais loin, très loin, le plus loin qu'il était humainement possible sans me défenestrer quand elle entrait dans mon bureau. Mais les gonzesses, quand ça a une idée au cul, ça ne l'a pas ailleurs, comme disait ma vieille. Elle disait aussi, après avoir lâché une caisse : "Tu peux l'embrasser, y'a plus de poussière" mais bien que l'expression soit fleurie et fasse son petit effet en société, je n'ai jamais eu les couilles de la sortir ni au boulot ni au plumard.
Bref, revenons à Manon, la fille de la compta qui donnait des suées à tous les mâles du service, et qui avait visiblement jeté son dévolu sur le seul déterminé à ne pas la sauter. La situation devenait intenable, je ne pouvais pas aller pisser sans croiser son sourire à douze mille volts ni faire un pas dans les couloirs sans manquer de m'écraser contre ses airbags. Je commençais à envisager de déménager en Norvège, bien au frais, loin de son petit cul affolant, quand la situation s'est brutalement décantée - d'elle-même, presque, pourrait-on dire, avec une certaine dose de mauvaise foi.

[nihil]

MAIS IL BOSSE EN T2L2TRAVAIL putain de bordel de foutrepoute de merde de argh
Mon idée, si subtilement suggérée, t'as vu, wesh, c'est que justement il ne la voit jamais jusqu'à ce qu'à un moment il craque et accepte de la voir, et là tout part en flammes. Bon, on va voir ce qu'on peut faire. Cerumen, si tu reprends, fais comme tu veux, on retconnera mon paragragraphe ou celui du sous-colonel Lunatik.

[LePouilleux]

On va trouver une solution scénaristique. Comme dans les telenovelas brésiliennes tout peut arriver.

[nihil]

Le chantier de rénovation pour rendre à ce tas branlant une forme présentable va être épique, mais ouais, t'as raison, on va se débrouiller. Tant qu'on a plein de bouts de paragraphe, c'est toujours jouable d'arranger un truc plus tard. Là pour l'instant, l'important c'est de dégueuler des trucs.