La banquise était un peu incertaine par ici, et il n’était pas rare de deviner les remous de l’eau sous la glace provoqués par quelque bestiole impatiente. J’avais sorti mon harpon et m’y cramponnais de mes dix doigts gelés. Tout devant moi, tout derrière moi, tout partout autour était désespérément blanc, et si je n’avais eu l’œil exercé du professionnel, jamais je n’aurais su deviner les subtiles nuances dans ce désert déprimant, les camaïeux discrets qui trahissaient autant de cachettes et de replis. Il était là, je le sentais, je le voyais presque, et j’avançais, mû par la passion dévorante du chasseur pour sa proie, si belle, si fragile, si furtive, invisible graal. Il y eut une légère bourrasque qui souleva mes cheveux et m’apporta l’odeur de sa sueur et de sa peur. Je sentis alors, dans cette effluve, qu’il s’était résigné, qu’il m’attendait, impassible. Je m’arrêtai pour savourer l’instant. J’en profitai pour réajuster mes vêtements, refermer mon manteau pour m’assurer un confort nécessaire, je tapais les semelles de mes bottes pour en enlever le gros de la neige accumulée, puis je repartis tranquillement. Dans le silence de la plaine, j’entendais presque son souffle gras, et enfin je vis. Un igloo, c’était presque trop stupide, trop facile. Il s’était réfugié là où il n’avait aucune chance de m’échapper. Dans la pâleur du crépuscule qui durait depuis des jours maintenant, j’entrevoyais même les lueurs d’un feu de bois à travers l’ouverture ronde qui servait de porte.
Je m’avançais prudemment, ce n’était pas le moment de me laisser piéger, trop nombreux étaient ceux qui s’étaient avancés vers la victoire d’un pas confiant pour se faire avoir au dernier moment. Je fis un détour pour arriver par l’arrière de l’igloo et en faire patiemment le tour. Un tas de brindilles était posé sur la neige, une réserve toute disponible pour assurer le chauffage. Je scrutai ensuite les alentours. Rien, désespérément rien. Après un rapide calcul et une courte hésitation, je rangeai mon harpon et me penchai pour jeter un coup d’œil par la porte. Il était là, plutôt calme, en train de souffler pour attiser les braises. Quand il me vit, il se recula et s’assit contre la paroi de glace. J’entrai et m’installai en face de lui. Je le tenais enfin, le grand, l’illustre Père-Noël ! Il avait sur le visage un rictus étrange et dans ses yeux semblait danser la folie.
- C’était marrant, cette petite chasse à l’homme, me dit-il.
- On peut dire ça.
- Tu vas me laisser repartir maintenant.
- Je ne crois pas non.
- Mais ! protesta-t-il. J’ai encore du boulot moi, c’est bientôt No…
- Ça va, arrête de me casser les couilles ! Cette année, le monde se démerdera sans toi, et je pense que ça n’arrangera pas que moi.
- Mais tu as pensé à tous ces enfants ?
- Bien sûr que j’y ai pensé, je crois bien que c’est toi qui as oublié de penser à eux, tu vieillis mon pauvre garçon, au départ je sais bien que ça partait d’une bonne intention, mais aujourd’hui, tout ce qui t’intéresse, c’est le fric. Tu ne vaux pas mieux que tous ces politiciens à la mors-moi le nœud..
Il se mit à geindre :
- C’est pas ma faute à moi, c’est le monde qui veut ça, l’argent dirige tout, on ne peut plus rien avoir sans lui.
- Ouais arrête ton char, me prends pas pour un con, capitaliste de merde ! Tu crois que j’ai pas vu ton p’tit manège ? Non content d’être sponsorisé par Coca-Cola, il a fallu que tu ailles polluer tous les foyers, même les athées tu viens les faire chier avec ta fête à la con.
- Mais si tu…
- Me coupe pas la parole ! Et puis tu crois quoi ? Que je suis pas au courant pour les autres fêtes débiles ? Pâques, la fête des mères, la fête des grand-mères, la Saint Con, la Saint Glinglin, je sais que c’est toi qui es derrière tout ça ! Ah elle doit être belle ta maison ! Tu dois pas craindre les rigueurs de l’hiver avec ta piscine chauffée et ta climatisation. Il est temps que tu payes, Père-Noël.
Il n’a même pas bronché, je crois qu’il s’attendait ce qu’un jour ou l’autre, quelqu’un comprenne et vienne le châtier. Il m’a jeté un regard par en-dessous, avec un œil coupable qui ne m’émouvait pas plus que ça, et puis il a soufflé :
- Vas-y, frappe, de toutes façons tu ne gagneras pas, on se rappellera de moi, ma mémoire sera perpétuée à travers les siècles.
- C’est ce que tu crois Papi, la masse populaire a la mémoire courte tu sais. On te pleurera pendant une ou deux générations, et puis on te zappera, comme on zappe sur un peu tout et n’importe quoi aujourd’hui. Et finalement c’est bien fait pour ta gueule, c’est un peu ta faute. Et puis y’a pas que des gens heureux de ton existence hein, faut pas croire. Tu penses à tous ceux que ça fait chier de passer les fêtes de fin d’année en famille, à tous ceux que ça fait chier de les passer seuls, à tous ceux que ça fait chier tout court, les enfants de pauvres, les enfants blasés, des milliers et des milliers de personnes qui doivent faire bonne figure parce que tu as décrété que le bonheur était obligatoire à cette saison ?
Une larme coula sur sa joue, puis roula sur son menton. Je m’en foutais, j’avais de toutes façons été formé par les meilleurs, j’étais un incorruptible du sentiment, un dur de dur, une machine à tuer. Je jetai un coup d’œil à ma montre, minuit était passé de quelques minutes, on était enfin le 10 avril. J’attrapais un tison qui dépassait du feu, le Père-Noël tressaillit. Comme un dernier adieu, je commençai à chantonner avec un air sardonique :
« Petit Papa Noël,
Quand tu descendras du ciel
Avec des jouets par milliers… »
Je continuai à chanter tandis que j’approchais le tison de ses frusques écarlates. La fourrure blanche d’abord noircissait en se tordant, puis le costume synthétique se consumait avec une odeur de plastique brûlé. Il commençait à crier, aussi je me mis à brailler l’air débile tout en sortant et en jetant avec frénésie les brindilles amassées devant l’igloo vers l’intérieur. Puis, j’ouvrai mon sac et en sortis un bidon d’essence que je lançai carrément par la petite ouverture. Je crois bien que le Père-Noël a dû se prendre le bidon sur la gueule, parce qu’il a à ce moment-là arrêté de hurler. Dommage, il n'aura même pas profité de sa fin. Je m’éloignai un peu pour admirer le feu de joie sans être à portée des flammes.
C’était tout simplement magnifique…
Ça faisait bientôt un mois que je le traquais, sans relâche, avec la précision du chasseur qui court après une bête féroce, humant le sillage d’odeurs putrides, observant avec attention les empreintes laissées par les pas balourds et maladroits. Je sentais qu’on arrivait au but, non seulement parce que les indices étaient de plus en plus frais, mais surtout, parce qu’on était le 9 avril, et que la prophétie ne me laissait plus que quelques heures avant de commencer à s’imposer inéluctablement.
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J'ai adoré, c'était génial, certainement mon texte préféré de la Saint-Con !
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J'aurais adoré ce texte si la personne que poursuivait Arka c'etait moi. çà reste quant meme mon texte préféré de la St-Con... même si çà sent la magouille marketing à plein nez.
tiens on se loggue exactement à la meme heure et à la meme minute... encore un signe du destin... ah moins que çà ne soit un colibri
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Pareil ! et quand j'aurais le temps, je le lirais
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Je l'ai bien aimé celui là même si le dialogue aurait gagné à être un peu plus long.
(je vous emmerde putain de conformistes)
je suis sûre que c'est bien, et en plus c'est utile
même sans le lire j'ai compris qui a cramé
sinon, c'est vrai que la victime est bien choisie en effet, et moi j'aurais plutot mis l'accent sur la mise a mort par immolation, donné plus de détails quelque chose comme ça
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Je le lis et je reviens
C'est lu
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Euh...bon ben faut bien d'intégrer :
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mieux vaut désintégrer pour la saint con...
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Faudrait écrire en avances ses phrases au Duc, avec les cc il arrive à pas faire de fautes.
test
avance*