C’est incroyable ce qu’un cadavre peut dégager comme présence. Un couloir nous sépare mais tu sembles être là devant moi. Tu sembles être partout. Je me force à regarder dehors, à prêter attention au bruit de la circulation qu’on peut discerner péniblement afin de combler le silence. J’évite de deviner à quel endroit ils ont pu retrouver ton corps pétrifié même si j’en ai une vague idée.
Lui a décidé d’aller te voir, quand il revient de la chambre il est détruit. Apparemment après le passage de l’embaumeur tu étais à peu près présentable, mais le temps a fait son œuvre, la pourriture t’a gagné, les hématomes sont ressortis. Ca ne doit effectivement pas être évident pour un fils de voir son père ainsi. Les bribes de ce qu’il m’a raconté tournent en boucle dans ma tête. Toi allongé sur le sol, face contre terre, mort depuis des jours déjà, pauvre corps malmené par un chauffage trop proche. Il parait que tu étais violet quand il a du te mettre dans la bâche. C’est risible non ? 88 ans d’une vie de chieur, 88 ans de dignité, 88 ans de symboles et de mythes bâchés par ton propre enfant.
C’est risible aussi de les voir défiler, traumatisés par une mort qu’ils ont tous plus d’une fois souhaitée. Ce n’est pas ton corps putride qu’ils enterrent mais tout ce que tu représentes. Ton mythe, les blessures que tu as pu leur laisser. L’atmosphère en est saturée de tout ça, de souvenirs, de mort, de trop, alors je les laisse défiler et je descends.
En bas je croise le cercueil. Il est beau, avec ton nom dessus. Un souvenir, une boîte, on est pas grand-chose hein grand-père. Des voisins aussi vieux que tu devais l’être discutent de toi. Ils ont l’air de savoir à quel point c’est mieux pour toi et pour nous. Ca fait trente ans qu’ils sont tes voisins et l’un d’eux ne se rappellent déjà plus à quoi tu ressemblais. Un défilé de vieillards grouillants se met en place pour venir me présenter de veines condoléances. Ils veulent partager une peine que je n’ai pas. Je n’ai rien à leur donner à part les détails morbides dont ils sont en quête. Je ne peux m’empêcher de penser que bientôt ça sera leur tour et que personne ne se souviendra d’eux plus qu’ils ne se souviennent de toi. Un traumatisme. Une boîte. Un peu d’animation dans un immeuble trop vide, dans des vies trop ennuyeuses. C’est tout.
Thiais. L’usine a morts. Le cimetière que même mes plus grands fantasmes n’auraient pas pu créer. La neige est là pour accentuer le côté irréel de cet endroit. La neige qui nous oblige à escalader les tombes pour accéder à ton trou. Regarde bien, eux ils ne sont même plus des boîtes. On peut marcher impunément sur leur sépulture tout le monde s’en fout. Des croix à perte de vue, autant de larmes versées et pour quoi au final ?
Regarde bien papy, il y avait qui au final pour voir le terme de ta très longue vie de merde ? Combien de roses se sont échouées dans un bruit mat sur le couvercle. Une dizaine tout au plus. Une dizaine de larmes aussi qui seront vite séchées. Elle est passée où ta belle descendance, ce qui fait de nous des humains, tout ce qu’on a essayé de faire perdurer au-delà de nous-même ? Rien ne perdure, ça aussi c’est un mythe. Bientôt plus personne ne viendra vous voir, parce que le temps papy, il efface tout. Personne n’est plus important que le temps qui passe. Alors vous serez là tous les deux à vous dessécher sans que personne ne s’en soucie. C’est notre lot à tous. Et pourtant, tu as quand même réussi à leur tirer des larmes des yeux, au moins quelques unes.
En même temps tu t’en fous toi. Tu voulais juste crever. Mais avoue, qu’on voudrait tous un peu plus d’honneurs. Ca sert à quoi d’avoir vécu la vie d’un caïd pour avoir eu la mort d’un con ?
LA ZONE -
Sortie de l’ascenseur. Dans le couloir se dégage une odeur nauséabonde à laquelle s’ajoute la senteur âcre des bouquets que je tiens à la main. Je n’ai pas envie de franchir la porte de ton appartement mais il le faut. A l’arrivée, les visages sur les multitudes de photos qui ornent la commode m’assaillent. Il y en a même de moi, je ne l’aurais jamais cru. La table est poussée contre le mur. Il y a un grand vide au milieu du salon. Je pense que c’est là qu’ils poseront ton cercueil dans quelques minutes.
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Bientôt le dossier "grand-pères morts" sur la Zone.
Au fait, il étit pas polonais avec une toque blanche par hasard, ton grand-père Aka ?
Ah, mais je l'ai déjà lu çui-là !
tu fais un complexe? t'as pas réussi a te le faire avant sa mort, dur pour une gérontophile! et c'est pas les mêmes sensations un cadavre, c'est plus serré et raide.
Ah bon, tu t'es déjà fait enculer par un cadavre ?
"Thiais. L’usine a morts. Le cimetière que même mes plus grands fantasmes n’auraient pas pu créer."
J'adore
j'ai toujours du mal avec cette narration à la seconde personne. ça me déroute un peu, j'ai du mal à dire si c'est bien écrit ou non ; perso, je trouve cela un peu fade, je ne suis pas parvenu à rentrer dans l'ambiance de cet enterrement ni dans la psychologie de la narratrice.
Un texte difficile à commenter, en fait.
je me sens pas la bienvenue sur cette page alors je clique sur la petite croix en haut à droite
c un peu ça que ça raconte non finalement ? la vie...
Non pas trop en fait, mais c'est pas grave hein tu vas finir par croire que c'est personnel après.
ha bon parc que c'est pas personnel ? bon tu me rassures là!