« Ernest Mac Manus avait raison… », Un doute nouveau prend soudain la parole, « La science et la religion ne sont que des prismes mal taillés, aux parois grossières emplies d’aspérités, des lentilles rugueuses à la densité hétérogène et fluctuante. L’une est convexe, l’autre est concave mais au final toutes deux ne nous donnent accès qu’à une vision altérée de la réalité… »
« La réalité ? », Un reste d’a priori empoigne le doute par le cou, le serre jusqu'à le faire suffoquer, « Mais il n’y a pas de réalité absolue à cerner… Des réalités multiples à jamais dissociées les unes des autres se forgent au sein d’individualités, de trous noirs consensuels à l’ego surdimensionné absorbant la substance qui les façonne… Il n’y a rien à décortiquer, rien à analyser et révéler en dehors d’elles… Les points de vue n’existent pas. Il n’y a que des altérités baignant dans le non-sens… Le reste est illusoire, le reste n’est qu’hallucination collective, mirage matérialisé accepté de tous…»
Je ne dois pas perdre pied… Je ne dois pas m’enfoncer volontairement dans la folie… Je dois cesser d’écouter toutes ces voix intérieures qui bataillent dans ma tête. Mais je manque de repères, je nage dans un black-out mental total. Mes sens ne me restituent plus le réel, seulement ses échos dans mon esprit. Ils vont finir par me faire perdre la raison si je ne cesse de leur prêter crédit et attention…
L’a priori est de suite cerclé par deux pensées conservatrices : « Tais-toi, traître ! Ne vois tu pas qu’au travers de ta négation, de ton prêche, tu enfantes un mort-né, une doctrine bancale, un avorton difforme que tu rejettes par ton discours même, que tu tues en lui donnant la vie ? » Effectivement, une scission s’opère et une théorie nouvelle émerge de l’a priori, elle se tord de douleur et s’étouffe… « Il sera ton unique héritier… », Reprennent les idées conservatrices se faisant plus menaçantes, « Il te consume déjà car tu lui fais la béquée de tes entrailles… » Les deux pensées plongent simultanément leur dague dans le cœur de l’a priori et de son fils qui s’effondrent et s’embrasent. Le doute, au secours duquel elles sont venues, se relève et se présente devant elles mais ne les remercie aucunement… Elles viennent pour le convertir, le rappeler à l’ordre… « Mac Manus avait raison… », Reprend le doute, « A quoi bon théoriser, façonner des tréteaux, des étais à notre existence ? Seule l’Inspiration nous nourrit… J’aspire tout comme vous à un semblant de sécurité, à un semblant de sens mais il faut nous rendre à l’évidence : Nous n’étions pas et nous ne seront plus… Nous-mêmes ne sommes que des serviteurs éphémères permettant à l’Inspiration de s’exprimer à nos meilleurs moments lorsqu’elle nous dicte les intuitions géniales de nos hôtes. Le reste du temps, nous ressassons ses préceptes, nous les déclinons en fait, avec une telle maladresse, que nous en déformons indubitablement le sens primal… »
Malgré toute la force que j’emploie à les ignorer mes idées s’incarnent dans mon esprit. Je les vois lutter pour prendre le pouvoir, imposer la vision d’un réel auquel j’aurais foi, ordonnant mes actions et mes gestes à venir.
« Sacrilège ! », Les deux idées conservatrices coupent, d’une seule voix, la parole au doute : « Les êtres concrets sont ces serviteurs dont tu parles ! Ils sont vides sans nous, émanations directes de l’Inspiration… Le réel est au service de l’abstraction alors ne nous compare jamais plus à lui… Le réel ne nous enfante pas ! Nous l’investissons, nous existons en son antre, nous prospérons et nous propageons au travers de sa fêlure, de sa fragmentation, de toutes ces entités, tous ces êtres qui en sont l’expression. Par ces canaux qu’ils créent au travers de leurs échanges ridicules, de leur communication grotesque, ils pensent pouvoir solutionner leurs déséquilibres ponctuels, et ces choses y arrivent même parfois, mais çà n’est pas le plus important… Ce qui est primordial pour nous, c’est l’existence de ces canaux… qu’ils continuent indéfiniment à exister… Les êtres concrets sont loin de se douter que cette propension naturelle qu’ils ont à se diriger les uns vers les autres, à ouvrir ces précieux chenaux de communication et à prendre du plaisir à nous échanger, ne trouve son sens, son explication, que dans cette fêlure du réel dont ils ne sont même pas conscients… Ces abrutis, qu’ils appellent çà de la haine, de l’amour ou de l’intérêt, nous servent depuis des millénaires en se rapprochant les uns des autres, en tentant bien malgré eux de recoller les morceaux de ce qui a définitivement éclaté et qui restera irréparable pour l’éternité. Ne nous compare plus jamais à nos hôtes, et rejoins nous, jeune entité, cesse donc de t’embourber sur le chemin du blasphème… »
« Silverside est la clef de tout ! », Une angoisse nouvelle émerge du néant et tend sa dague en direction des deux idées conservatrices, « Grâce à la technologie d’Evercom, il a su analyser nos modes de fonctionnement pour mieux nous apprivoiser. Par le biais des media, et de l’influence de l’Oriflamme, il a su nous récupérer pour manipuler ses semblables… Cessez de sous-estimer la portée du concret ! Nous sommes à l’aube d’une ère nouvelle, à l’aube d’une révolution… »
Le doute dégaine et se rallie à l’angoisse : « Le concret est l’espace dual à l’abstrait et inversement. Nous nous parasitons mutuellement et en même temps sans cela nous ne pourrions survivre… Nous ne sommes en aucun cas supérieur au réel. Votre comportement hautain ne pourra conduire qu’à votre perte…» Doute et angoisse se jettent alors sur les conservatrices gardiennes de ma stabilité mentale. Une lutte sans pitié s’engage pour faire basculer ma conception des choses.
J’ai longtemps cherché à me soustraire au monde des Hommes. Bien sûr toute mon enfance durant je ne le remarquais pas comme mes parents vivaient reclus dans une ferme perdue en pleine campagne du Norfolk et que je suivais des cours par correspondance. Puis un jour, mon père est décédé, ma mère, qui en a beaucoup souffert, est tombée gravement malade. Mes pouvoirs médiumniques se sont alors déclarés à l’instant où j’ai apposé mes pouces sur les tempes de ma mère pour la réconforter alors qu’elle était alitée en proie à de violentes fièvres. Pour la première fois, le néant m’a happé. A mon réveil, elle était morte dans mes bras. J’étais bien trop petit ou peut être bien trop pur pour le comprendre.
Alors que les idées conservatrices prennent avantage en blessant gravement leurs assaillants, un souvenir désagréable émerge venant perturber le combat : « Cessez de vous quereller ! Nous sommes prisonnières ici ! », Clame-t-il, « A quoi bon manigancer ? Jamais plus nous ne quitterons cet hôte, jamais plus nous ne seront irradiées par l’Inspiration… » Une vision d’horreur m’apparaît alors : Je suis allongé sur un brancard, le crâne rasé…Je somnole, j’inhale un gaz anesthésiant et je ne peux me défendre… Autour de moi, il y a des chirurgiens en tenue, épaulés par des infirmiers planqués derrière leurs masques. « Ne le touchez pas ! Ne lui faites pas de mal ! Il ne peut rien faire pour lutter… », Une frayeur réminiscente argumente aux cotés du souvenir… Au dessus du bloc opératoire, j’aperçois par delà un puissant éclairage, un dôme fenêtré… Plusieurs vieillards s’y bousculent pour assister à ce qui semble être une intervention chirurgicale. Parmi eux, en première loge, il y a indubitablement Silverside. « La charogne n’a pas pris une ride ! », Me souffle une remarque aussi volatile que futile… S’en suivent des flashs étourdissants entrecoupés de longues bandes sombres.
Toutes les idées en querelle ont déposé les armes. Elles se sont assises près du souvenir qui vient d’absorber la frayeur, et écoutent avidement ce qu’il rapporte. « Il y a ce laser au bruit insupportable qui émerge d’un canon… Un opérateur le pilote vers l’avant bras droit de notre hôte qui reste crucifié sur son brancard, à peine conscient, me nourrissant bien pauvrement. Son corps est engouffré dans un scanner qui cartographie les parcours de traceurs qui lui ont été administrés par injection un peu plus tôt. Ils restituent fidèlement l’intégrité des systèmes sanguins et nerveux à un ordinateur corrigeant les mouvements et la puissance du laser. Les membres de notre hôte sont pris dans de grandes tenailles reliées par d’oblongues chaînes à des poulies, elles mêmes sont solidarisées à de petites navettes qui peuvent potentiellement glisser dans tout un réseau de rails tapissant le dôme surplombant les lieux… Le laser soudain pénètre l’épiderme qui se cautérise à chaque entaille. Une découpe en T est réalisée de la plissure du coude jusqu’au bout de l’index en traversant précautionneusement l’avant bras et la paume. Aucune douleur n’est à rapporter. Deux infirmiers approchent alors et écartent deux grands lambeaux de viande sur leur plan de travail. Le cubitus et le radius sont mis à nus, dégainés comme de vulgaires câbles électriques puis broyés à l’aide de petits maillets et de burins. Chaque morceau d’os éclaté est ensuite retiré à l’aide de pincettes avant d’être collecté dans de grands sacs plastiques bleus… Un des manipulateurs nettoie à l’aide d’un petit tube aspirant tous les résidus trop petits pour les tenailles. D’autres intervenants se sont attroupés autour du bras droit alors que l’opération précédente est répétée sur le membre de gauche puis les jambes. Comme d’habiles couturières, les derniers venus retirent les veines céphalique et basilique plus que jamais palpitantes. Ils les clampent à de nombreux fils qui pendent au plafond et tissent en un instant un maillage de veines externes ondulant à chaque battement de cœur. Les navettes se mettent en marche sur les rails et emportent toute l’arcade palmaire. Le laser décharne à présent chacun des doigts de chaque extrémité. Notre hôte est soulagé de ses carpes, métacarpes et phalanges avant que le nerf cubital et le nerf radial ne viennent compléter la collection des extrusions organiques valdinguant dans les airs. S’en suivent des flots de découpes programmées sectionnant des lambeaux de chair entiers qui tombent sur le sol carrelé comme les multiples copeaux d’un morceau de bois raboté.»
Je sais maintenant avec certitude que je n’ai pas vraiment voulu me soustraire au cercle des Hommes … C’est à leur frénésie d’idées idiotes que j’ai souhaité échapper… Les idées sont mauvaises, elles poussent immanquablement leurs hôtes à la confrontation parce c’est leur raison d’être. Elles déclanchent des guerres en se propageant, de grandes vagues de folie en se dispersant, en réalité des combats intestins, des luttes de pouvoir en leurs rangs, qui au final ne profitent qu’à elles seules… J’ai passé les mois qui suivirent la disparition de mes parents, à déambuler dans les pièces de notre maison éloignée de tout. J’ai vu le corps de ma mère lentement se décomposer, le réel la dévorer de l’intérieur et la répandre dans toute la chambre avant de l’effacer. Je croyais que personne ne viendrait me chercher. « Comment a-t-il pu survivre ? », Se sont-ils demandé. J’ai longtemps tenté de le refouler mais il y avait assez de nourriture en mon fort intérieur. J’ai sacrifié des idées à la chaîne pour que leur essence me redonne force et vitalité. L’Inspiration ma sauvé, tout du moins pendant un temps… Certaines écluses étaient cependant ouvertes depuis toujours et il m’était bien évidement impossible de poursuivre cette fugue immobile ad vitam aeternam. Les idées avaient eu vent de l’existence d’une enveloppe pratiquement vierge à leurs assauts, irradiée de manière quasi-continue par l’Inspiration… J’étais une source intarissable pour elles, il fallait absolument qu’elles me colonisent. Elles se présentèrent finalement sous les traits de policiers envoyés par l’institut qui me donnait des cours par correspondance et avec qui j’avais coupé les ponts du jour au lendemain. Quand ils défoncèrent la porte, ils n’en crurent pas leurs yeux : ils me découvrirent prostré à rêver au milieu des restes de ma mère. L’odeur de la mort me teint au corps plusieurs semaines après mon admission à l’orphelinat de King’s Lynn. Une salle réputation allait elle aussi me coller auprès des autres gamins, une réputation qui allait me suivre toute mon adolescence durant, une réputation qu’une rumeur allait colporter jusqu’aux oreilles des chasseurs de tête de l’Oriflamme.
Le souvenir extrapole à présent. Je ne l’ai pas assez nourri au moment des faits mais il comble les vides en devinant et poursuit : « La peau sur la calotte du crâne de l’hôte a été sectionnée à la façon de méridiens sur une hémisphère. Elle a ensuite été tendue pour offrir le crâne au laser. Il craquelle comme la coquille d’un œuf et le cerveau est à présent à portée de main des chirurgiens. On ampute le maxillaire inférieur comme une pièce de boucherie inutile. Les poumons sont percés par des foreuses et ventilés artificiellement. Ce qu’il reste de la tête est alors plongé dans une sorte de bocal cylindrique. Un joint étanche est vissé à même le cou avant qu’un liquide transparent et visqueux ne soit versé dans le tube et qu’il n’inonde le cerveau. Notre hôte est toujours en vie, même si une partie de son appareil digestif vient d’être désolidarisée du reste de son corps. L’intestin grêle et le côlon sont jetés aux rebus. Le foie et les reins suivent remplacés dans le système sanguin aérien par des branchements sur des organes synthétiques provisoires servant de déversoirs et de filtres. S’en suivent l’ablation de l’estomac et la suture de nombreuses tubulures au système exo sanguin, elles y drainent des nutriments. La cage thoracique est défoncée, des écarteurs séparent les cotes. Une multitude de chirurgiens s’affairent alors autour de l’hôte. »
« La plupart de nos contemporains se complaisent à baigner dans la médiocrité ambiante… », Une voix familière résonne soudain dans mes pensées qui se troublent et bouillonnent. Souvenirs, doutes et angoisses s’évanouissent comme pris de panique. « …Ils aiment à se sentir éduqués, cultivés… Ils font de brillantes études, se tiennent informés de l’actualité, se passionnent pour la lecture, les films et la musique…», Quelqu’un s’adresse à mon intégrité, j’avais presque oublié à quel point cela pouvait être perturbant. Je tente de m’isoler à nouveau dans la dilution de mes contradictions mais c’est un échec, je n’y parviens pas. «... Ils n’ont qu’une seule hâte, retrouver leurs amis pour s’échanger, les uns les autres, les monumentales inepties qui ont sédimenté en eux, ces idées qu’ils pensent être les leurs mais qui résultent en réalité de la digestion collective de l’Inspiration… » Je ne peux le croire, c’est Mac Manus… Il s’incarne dans mes songes et continue son monologue. « …Ils sont heureux de se livrer à de gigantesques batailles de merde qu’ils se balancent en travers de la gueule et se sentent plus vivant que jamais après s’en être délecté… Bien sûr je ne renie pas l’aspect pratique de la chose, c’est si simple de se laisser sombrer car après tout on vit très confortablement dans la fange… » J’ai peur un instant puis je me résigne. Après tout, cet homme a investi mon être pendant deux décades… Il est tout à fait concevable qu’une partie de lui ait survécu dans ce semblant pathétique de moi-même que je suis devenu. Lorsqu’on admire une personne, qu’on l’admette ou non d’ailleurs, au point qu’elle en devient un model spirituel, inconsciemment, on se met à la singer, à prendre ses tics, son intonation de voix, ses mimiques… Bien plus que d’influence, il s’agit alors d’intrusion, d’une forme de coagulation des idées de l’être admiré en soi… çà peut presque parfois s’apparenter à une forme de possession… J’avoue avoir expérimenté la chose. J’écoute donc celui qui m’a toujours impressionné mais en restant méfiant, sur mes gardes. «…Je n’ai jamais considéré la culture que comme une pollution de l’âme. J’exècre la vie en société. Lire les textes des autres, être sensibilisé à leur conception des choses est une véritable torture. A dire vrai, j’ai toujours aspiré à l’ermitage, j’ai toujours souhaité me retirer loin de tout et de tous. Combien de fois ai-je failli sauter le pas et trouver refuge dans un monastère ? Vous n’avez jamais pensé à larguer tous ces autres qui vous asservissent pour partir en quête de tous ces autres qui vous habitent, Van Derglück ? » Van Derglück… C’est vrai que c’est le nom qu’on donne à l’ensemble de ces incertitudes et croyances packagées qui forment mon ego… « Van Derglück ! », Reprend le spectre, « Cessez de m’ignorer ! Cessez de rejeter mon aide en refoulant les pensées que je vous ai transmises pendant tout le temps qu’a duré notre connexion… »
L’être influent obtient ce qu’il veut, je le considère, je lui réponds et du coup çà le revigore, il revit en moi. « Votre aide, Mac Manus ? », L’irritation a raison de ma réserve et je l’interpelle, « Vous voulez rire ? Vous m’avez manipulé, vous avez profité de mon don et de ma crédulité pour me voler mon corps… Et vous voulez maintenant que je vous écoute ? Est-ce que la mort même n’aura pas eu raison de vous ? C’est assez… je ne vous prête plus attention… Vous manigancez, je le sais… Il est hors de question que je vous laisse encore me priver de liberté ! »
« Laissez-moi rire, Van Derglück ! », Se gausse Mac Manus, « De quelle liberté parlez vous ? Mais avez-vous conscience au moins de ce que Silverside a fait de vous ? Des horreurs qu’il a infligées à votre organisme ? J’ai eu des visions avant de partir… Oh, vous êtes vivant, en tous cas plus que je ne le suis… Mais vous n’êtes plus, mon cher ami, qu’un cerveau relié à un tronc cérébral baignant dans un gel nutritif, un réseau de neurones filé, un peu de moelle épinière flottant dans une poignée de vertèbres sur lesquelles sont fichées une flopée de nerfs intercostaux reliés à toute une batterie de cartes électroniques, de tests de laboratoire et d’expériences… Vous trouvez que vous avez de l’avenir ? »
« Taisez-vous ! », Je suis hors de moi paradoxalement pour ne pas céder à la panique, « Vous voulez me faire peur, me faire plier pour prendre le dessus… C’est votre méthode, il faut toujours que vous cherchiez à prendre le dessus… Vous avez peut-être toujours eu ce que vous vouliez avec moi, mais je peux vous assurer qu’aujourd’hui vous n’aurez pas le dernier mot… Taisez-vous Mac Manus !»
« Je n’ai rien à prendre que je n’aie déjà… », Se pavane la concrétion d’idées du vieillard, « Ne vous souvenez vous pas que par votre biais, je suis celui qui ai mis fin à nos deux calvaires ? Il fallait que je m’évade… Mon enveloppe concrète ne m’était plus utile. J’ai dû puiser dans mes maigres ressources de courage, faire preuve d’une foi inébranlable, pour percer mes tempes à l’aide de vos pouces… Il fallait que je mette un plan à exécution… Et immobile, je ne le pouvais pas… Ne vous braquez pas comme çà, Van Derglück ! »
« De quel plan parlez-vous ? », Je l’interromps interloqué, « Pourquoi Silverside se livrerait-il à ces expériences ignobles sur ma personne ? Je ne l’intéresse pas… Il n’y a qu’une raison pour laquelle il m’a capturé… Mais vous le savez bien, vous êtes le commanditaire de mon rapt ! »
« En effet », Reprend Mac Manus, « Mais Silverside est un idiot… Je le manipule, c’est un pion depuis toujours … S’il vous a enlevé, c’est bien sûr parce que je le lui ai demandé … mais comme vous le savez, il a attendu plusieurs mois après mon malencontreux accident avant d’exécuter mes dernières volontés et s’il s’est résigné à le faire, c’est bien parce qu’il a compris qu’il était infichu de mener les rênes d’Evercom et de l’Oriflamme… Il n’avait pas la carrure, pas le talent et je sais bien qu’il m’aurait laissé végéter s’il n’avait eu un besoin vital de mes précieux conseils… mais voilà, maintenant je ne suis plus… »
« Ne me dites pas qu’il mène toutes ces expériences barbares sur ma personne pour vous retrouver en moi ? », Me voilà perplexe, « Je n’en croirais pas un mot… »
« Vous avez raison, Van Derglück », Acquiesce Mac Manus, « Je ne suis que partiellement en vous, faible et bien loin de vous avoir transmis toutes mes facultés divinatoires… Vous le sauriez déjà si çà avait été le cas… Mais ne craignez rien… Je suis tout autant dans les pensées de Silverside que dans les vôtres… J’ai déteins radicalement sur bien des personnes, savez-vous ? J’en ai charmé plus d’un… et je contrôle tout ce qui se déroule implacablement…» Mac Manus éclate de rire puis reprend : « Van Derglück, vous avez cerné la nature de Silverside, n’est ce pas ? C’est un de ces abrutis méticuleux qu’on appelle scientifiques… et s’il vous dissèque et s’il vous analyse en ce moment, c’est bien entendu parce que vos dons ont deux fâcheuses propriétés qui le titillent et qu’il cherche à cerner par tous les moyens : D’une, ils échappent à toute logique empirique et rationnelle, et de deux, il sait exactement à quoi ils pourraient lui servir s’il les maîtrisait… J’espère que vous ne le prendrez pas mal, mais Silverside est fasciné par votre manque de personnalité, par cette aptitude hors du commun que vous avez de vous laisser influencer… Vous appelez çà un don ? J’appelle cela une tare. Il nomme cela une manne… Imaginez que tous les hommes aient vos ‘facultés’, imaginez que Silverside mette en place tout un système de chenaux qui les interconnecte entre eux, qui serve à distiller toutes ses idées de manière totalitaire et absolue… Imaginez qu’il réussisse à supprimer le libre arbitre de tous les Humains, tout comme vous perdiez le votre lorsque vous étiez sous l’emprise d’un malade… Il règnerait en maître, en grand marionnettiste du Tout.»
« Il faut intervenir ! », Je reste bouche bée, « Empêcher çà ! Qu’est ce qu’on peut faire ? Quel est ce plan dont vous parliez ?»
« Mon plan ? Mais laisser faire Silverside, bien sûr ! », S’époumone Mac Manus au milieu d’un rire tonitruant, « C’est ce vers quoi je l’ai poussé… Et il a presque réussi cet abruti… Il a percé tous les secrets de votre cerveau… Il est maintenant sur le point de répandre un virus d’apparence inoffensive qui se propagera en un rien de temps dans tous les règnes du vivant… Il y a certains de vos gènes dans ce virus… Toutes les cellules nerveuses colonisées verront leur patrimoine génétique reconfiguré… Elles sécrèteront les protéines qui font que votre système nerveux est tel qu’il est. Tout à chacun s’en trouvera irrémédiablement modifié, réglé comme une horloge à vos pensées, des pensées qui ne seront plus vôtres bien entendu. Vous servirez alors de relais vers tous ces êtres ayant reçu le virus. Silverside s’apprête à brancher vos nerfs radiaux, qui autrefois irriguaient vos pouces, directement sur ces propres lobes temporaux. Il souhaite tout simplement inonder les Hommes de sa volonté absolue… »
« C’est votre finalité ? …», Je ne comprends pas un traître mot, « … Qu’est ce que vous y gagnez ? … Quel est votre intérêt ? … Où êtes vous ? … Mais répondez !»
Ce furent les dernières pensées concédées par Mac Manus, peut-être voulait-il me réserver une surprise ? Car je n’allais pas tarder à comprendre son plan. Je le savais plus ou moins auparavant, mais suite à cette discussion, une pitoyable opinion de ma personne m’investit. Je fus happé dans un tourbillon d’apitoiement, de solitude et de désespoir qui n’allait pas durer indéfiniment. J’ai toujours été sous le joug de manipulateurs, qu’ils fussent concrets ou abstraits, j’ai toujours servi les intérêts d’autres entités, d’autres consensus, en croyant batailler pour les miens…Que ceux qui se sont crus plus malins se repentent ! Ils n’étaient rien… Rien de plus, rien de moins que ceux qu’ils pensaient intentionnellement flouer… Nous n’étions tous que des médiums, des vecteurs et des moyens… les particules élémentaires primordiales et sans importance d’une gigantesque réaction en chaîne…
Silverside trônait, fier, entouré des dizaines de cadavres de chirurgiens et assistants qu’il avait froidement et consciencieusement abattu…À l’instant où il inséra les jacks prolongeant mes nerfs radiaux dans les prises creusées à même ses tempes, l’Inspiration irradiant partiellement chaque individu, canalisée dans le réseau viral se propagea jusqu’à mon être annihilant la médiocrité des idées bâtardes qui s’étaient déclinées en chacun de nous. La dernière parcelle d’Inspiration vînt se souder à toutes celles charriées par le réseau, dans le corps même de Silverside. Son existence, la mienne comme toutes les autres n’avaient plus de raison d’être.
(O______O) LAPINCHIEN
LA ZONE -
Je crois bien que je suis de nouveau conscient. Çà ne peut pas être un rêve. Je ne rêve pas lorsque mon corps est sous l’emprise d’une âme en peine, celle d’un être affaibli ou au seuil de la mort. Çà voudrait donc dire que j’ai réussi, que j’ai arraché ma liberté à ces oppresseurs qui m’ont retenu pendant si longtemps ? A dire vrai, je n’en suis pas sûr… Je suis là, mais je n’y vois rien pourtant, j’erre dans des pensées brumeuses. J’y divague sûrement mais comment en être certain ? Il y a une éternité que je suis dans le noir complet… Je pourrais pourtant parier que de bruyantes cohortes de bons petits soldats s’affairent autour de moi, que je suis à leur merci, qu’elles me travaillent au corps…
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On ne peut pas enlever à LC qu'il suit sa voie et qu'il le suivra contre vents et marées, quoi qu'il arrive. Son style reste reconnaissable entre mille, quelques phrases suffisent à l'identifier formellement. On aime ou pas, perso j'aime à partir du moment où c'est accessible (ce qui fait de moi un putain de consommateur qui se branle des démarches artistiques et ne recherche que de l'émotion préfabriquée, confortable).
Là on a un bon compromis. Ca donne l'impression que LC n'a en aucun cas cherché à faire de concessions au confort de lecture, à faciliter la tâche au lecteur, mais que tout, du style au raisonnement se fluidifie et passe très bien malgré tout. Faut quand même s'accrocher à ses dents pour bien suivre certains passages du début mais l'ensemble se lit bien, on voit de quoi il est question tout du long. Ca donne pas envie de décrocher comme les digressions fractales donnaient envie de décrocher par exemple (j'encourage ceux qui seraient tentés de décrocher aux premiers paragraphes à insister un peu).
C'est d'autant meilleur que l'ensemble est hanté par la colère (les interractions entre les pensées tiennent du combat permanent), et parasité d'images malsaines qui font de Mediums une série amplement zonarde (esprit zonard un peu plus difficile à discerner dans les digressions par exemple, si ce n'est par la volonté de remise en question tous azimuths). L'opération chirurgicale (autopsie ?) pour ne citer que ça. Le mec se faire reconstruire de A à Z, c'est impressionnant. Le passé lointain du héros également. Si la Zone existe, ce n'est pas pour la métaphysique (encore que ce ne soit en rien exclu) mais pour des passages comme ceux-là.
Le passage où Mac Manus parle également, LC en profite sournoisement pour envoyer quelques claques dans la gueule du citoyen de base voire du zonard de base, celui qui courre derrière l'illusion d'une culture, ce remplissage artificiel qui ne fait que cacher (mal) un grand vide interne. On est pas caractérisé par ce qu'on écoute ou par ce qu'on lit, mais par ce qu'on est profondément. Le monde extérieur n'est qu'une pollution qui recouvre notre vraie personnalité de faux-semblants.
Ce qu'on supposait être une bonne idée amusante, le fait qu'un médium puisse transmettre la pensée des fous au lieu de celle des morts, se change en véritable parabole sur l'incarnation, la mort, la perpétuation de l'être et autres conneries hindouistes, mais c'est intéressant si on s'y penche de près. Finalement, on retombe sur un médium old school, habité par un mort...
J'aime beaucoup moins l'idée du savant fou qui cherche à asservir le monde par ses manipulations démoniaques, ça a éveillé tout un tas de souvenirs de séries Z déplaisantes en moins. Certes ce n'est qu'esquissé, mais ça fait son petit effet. Point négatif, mais qui introduit doucement la conclusion (voire la morale de l'histoire) : nous ne sommes par essence que des marionettes qui ne vivent que pour être manipulées.
"Souvenirs, doutes et angoisses s’évanouissent comme pris de panique." C'est cool ça, une angoisse prise de panique.
déjà que le texte est long si en plus faut se taper des longs commentaires...
Après les programmes doués de personnalité dans matrix 2 on a droit aux idées anthropomorphisées (waah le mot)... le concept est intéressant et avait déjà été mentionné dans l'épisode 1 : "Les idées viennent à eux et les investissent même s’ils pensent par orgueil en être à l’origine, les avoir accouchées… Elles se propagent comme des virus et parfois mutent inopinément et se reproduisent en eux sans qu’ils y soient pour grand-chose…".
Juste, c'est dommage que leurs interactions n'aient pas un caractère plus visuel avec des descriptions plus fouillées que le coup des dagues... On aurait pu imaginer l'univers dans lequel elles évoluent. Y'avait de bons trucs à exploiter dans ce domaine.
Sinon, je sais pas s'il y a lien de cause à effet, mais j'avais mentionné à lc une idée que je développerai dans une série de textes ("le flot des âmes", dont le premier épisode sera bientôt posté sur le forum) et qui rejoint un peu le coup du virus final... heureusement, ce sera traité de manière très différente et y'aura pas vraiment redondance.
et euh la même image (ou presque) a été utilisée pour les chiens jaunes 2...
hein nihil tu feras ma nécro quand mon heure sera venue hein ?
tyler> c'est marrant mais dans le joueur de sitar, tu developpe aussi l'idee des êtres qui nous habitent... çà va dans le sens de l'histoire en tout cas, on ne crée rien, on est mediocre, çà circule en nous...
çà tombe bien aussi qu'il y ait pas mal de ressemblances entre mon histoire, kill bill, neo inquisition le flot des ames, lassie chien fidele, Rocco chez les bonnes soeurs... pasque c'est un peu le theme developpé
sinon je tiens à me plaindre aucune des images que j'avais posté n'a passé le comité de censure, celle qui illustrait ce texte etait une photo d'une boite de Docteur Maboul que j'avais par soucis d'intégration passé en noir et blanc
C'est dommage, il est sex docteur Maboul.
Ouais ça aurait bien ça une trilogie illustrée par Mecano, Playmobil et Dr Maboul... Hin hin hin... Retourne au diable, putain de VRP de Toys R Us !
Ouais mais en même temps çà tombe bien que mon texte ne touche que les grands garçons parce qu'on aurait pu me taxer de pedophile sinon
l'idée de personnifier nos idées, angoisses et autres souvenir et de les faire se rencontrer est excellente. Ce texte demande d'assez importantes capacités d'abstraction pour être bien compris, mais le principe directeur est fascinant.
Les flashbacks sur l'enfance du personnage sont très bien intégrées du point de vue narratif et démêlent un peu un noeud de concepts qui pourrait parfois sembler inextricable.
Je m'incline bien bas, et reste bouche bée devant le monument.
C'est... troublant comme du K.Dick.
bravo.
merci merci.. mon prochain texte sera en latin et algèbre sumérienne... on va bien voir qui va se la jouer
putain mais où va le monde si les zonards commencent à comprendre les textes de lc?
pas la peine de comprendre... je me serais volontier contenté de pauvre vannes du genre : "Pour un texte qui s'appelle mediums, ben je trouve çà super moyen..."
c'est pas le texte que j'ai compris, ce sont les commentaires, j'avoue.
Moi je crois que j'ai compris la fin. Je veux dire : l'espèce de smiley horizontal, j'ai compris que c'était sensé être un genre de lapin moche vu de face. Je progresse de jour en jour dans la compréhension de l'univers de Lapinchien. Ses textes ? On verra une prochaine fois.
il écrit des textes, aussi ?
Un peu déçue par ce dernier volet. Je vois pas trop l'intérêt de la description méticuleuse de l'arrachage des os (si y a un truc qu'on pouvait lui laisser, c'était bien ses os...).
La fin fait un peu trop "je recontre les Anciens de Stargate". Tu explique des choses et donne des raisons dont on a pas besoin.
Mais dans l'ensemble, j'aime bien cette nouvelle.
kirunaa>l'arrachage des os c'etait pour le fun...
Je n'ai pas la chance de connaitre la fabuleuse serie Stargate mais çà tombe super bien que çà donne l'impression que je m'en soit inspiré. çà va dans le sens de l'histoire, des idees qui nous investissent et qu'on decline mediocrement.
Tyler>c'est vrai que j'ai pas trop decris ce à quoi pouvaient ressembler les idees incarnees... Je te conseille de regarder la dernière pub TV de la SNCF... en gros les idees ressemblent à des bittes attrophiées...
Pas de vanne autour du nom du personnage Mac Manus non plus ? Je sais pas un truc avec "Mac Donald" et "anus" par exemple...
ce qui faut pas faire pour vendre sa daube...
Mac Manix ç'aurait pu être marrant...
j'imagine que tu parles de la serie TV et pas des capotes.
Disney donne l'argent pour l'idée de Vice Versa ! DONNE L4ARGENT §