« O Waka-tanka, notre peuple mourra de faim et de froid cet hiver, accepte ce sacrifice ! ». Les yeux perdus dans le vide, le vieil indien leva ses bras décharnés et tremblants pour invoquer les esprits des Grands Ancêtres. Des gouttes de sang perlaient à son front livide. Le sifflement des haches s’éleva dans la pénombre. « Le sang des innocents fertilisera la terre, promesse d’abondance et de prospérité. Le Grand Temps reviendra pour ne plus repartir, le sang appelle le sang. Les corneilles au bec rouge, les corneilles….». Epuisé et en transes, le vieil indien s’abattit d’un bloc sur le tapis, face contre terre. Le sifflement des haches, assourdissant, envahit la nuit et se dispersa en résonances aiguës au contour des immeubles de verre. Le froid régnait sur la mégalopole.
Claquements de bottes en cadence sur le pavé mouillé. Les robots en uniformes noirs patrouillaient dans les rues désertes. Les bombardiers aux ailes jaspées d’argent glissaient silencieux sur les nuages d’altitude, dans un ronronnement langoureux et apaisant. La fin du monde n’était pas pour ce soir. Les prêtres du Dieu vert, vieilles poupées fardées aux masques de cire, se prosternaient en prières devant l’étoile blanche à cinq branches, scintillante de milles gemmes au firmament du monde nouveau, et paradaient en robes longues dans des limousines blindées. Mais la mort frappe aussi à la tête, souviens-toi de Dallas ! Des rizières aux déserts, des steppes aux pampas, le monstre froid étendait ses tentacules venimeux, comme autant de crevasses d’où sourdait l’immonde pourriture verte et le pus blanchâtre. Mais les chiens jaunes viendront, qui déchireront la pieuvre avide de leurs crocs acérés. Tapis depuis toujours dans les catacombes de la pensée dirigée, le temps était proche où ils bondiraient de leur retraite obscure pour perpétrer le grand carnage des finalités. Mais pas encore… Dans un bouge des quartiers nord, le goémonier manchot et casqué roulait des yeux glauques au fond de son verre de bière tiède. Sur la scène du minable cabaret, un improbable pianiste de bar, famélique et loqueteux, tirait sur son mégot éteint en massacrant Thelonious Monk d’un seul doigt de sa main gauche. Le froid régnait sur la mégalopole.
La vieille corneille au bec rouge planait au-dessus des chantiers en perpétuelle déconstruction où somnolaient les bulldozers impavides. D’un coup d’aile sec et précis, elle se posa sur le rebord d’une fenêtre de l’hôpital. Dans le vestiaire éclairé, l’infirmière nue aux jambes livides gainées de bas résille se caressait lascivement l’entrecuisse devant un miroir sans tain. La corneille reprit son vol urbain en direction du jardin public, pour y chercher viande plus fraîche. Là, les arbres vénérables et centenaires croulaient sous le poids de leur fruits d’hiver : squelettes aux os blanchis de givre, claquant des mâchoires dans le vent glacial. Noël approchait. Dans l’arrière-cour du cimetière, de petits enfants blonds jouaient aux gendarmes et aux voleurs avec des Kalashnikov. Les balles ricochaient sur le marbre des tombes. Au sommet de la cathédrale toute proche, l’antenne maléfique et gigantesque diffusait sa dose quotidienne de lavage cérébral et cathodique. La corneille poussa un cri et se posa sur la première croix, guettant le couperet de la hache. L’avenir est un enfant blond déchiqueté, dépecé, gisant dans son sang sur le gravier du cimetière.
Au cœur de la nuit froide et fétide, le vieil indien se balançait au bout d’une corde au rythme chaloupé d’une danse rituelle oubliée qui ne voulait plus rien dire. Le froid régnait sur la mégalopole.
« L’hiver sera froid et rigoureux » répéta le vieil indien. Il s’assit en tailleur sur le tapis, au centre de la pièce vide de meubles. Un bourdon sourd et sombre monta de sa poitrine cave, lamentation pathétique et monocorde. Les coyotes couleur de sable fuient quand se lève la lune noire. Les torrents de neige impure se déversent sur la vieille terre et noient le feu sacré, colonisant les cendres d’un continent. Le serpent d’acier sillonne la plaine. A son front brille l’étoile blanche à cinq branches, il crache un venin de feu et de flammes. De ses flancs jaillit la mort qui laisse des bosses brunes auréolées de vermillon frais sur l’herbe verte des prairies.
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ah un artwork de tool
...
je crois qu'il y a un film sur les indiens qui commence exactement pareil mais je sais plus lequel
j'aime beaucoup le style de l'écriture mais là l'intrigue, si y'en a une, est trop obscure pour moi. relirai quand toute la série sera pondue
Je sais pas si une suite est prévue... Quand à l'artwork... Bah quand t'as un texte de camé mystique / psychédélique, tu mets du Tool, c'est un réflexe naturel...
Ouais bon, je sens qu'il va falloir que je trouve un sens à cette histoire de clebs, puisque même Nihil pense qu'il y en a un.
Y a bien une suite, mais c'est pas plus clair.
J'ai préféré au premier. Peut être parce qu'on commence à repérer des images qui reviennent et que j'aime bien les trucs obsessionnels ?
Ces textes annoncent mon adouvement prochain c'est çà ? hein ? chien jaune c'est moi pas vrai ? y a qu'a voir l'image de l'edito pour se rendre compte que le but final de ma vie est de changer le titre de "la Zone" en "la Jone"...
çà me fait penser au film Blueberry que je n'ai justement pas vu pour les mêmes raisons qui me poussent à penser que ce texte ressemble à Blueberry....
Très cohérent avec le début, (si ici on peut parler de cohérence au sens propre), peut être moins confus. Onirique, toujours, j'ai même pensé à certains passages de Blueberry, à l'instar du commentaire du dessus (les seuls passages intéressants du film par ailleurs).
J'aime beaucoup cette manière d'écrire, et ces images plutôt belles qui ont un sens bien précis à mes yeux (ici j'y ai vu comme un discours plus ou moins implicite sur la modernisation).
Agréable et très léger, mais je me demande bien quel est le rapport avec le motard du début de cette rubrique.