Tout était prêt, elle était fébrile. Il ne manquait plus que ses invités. Ca allait être le Grand Soir, son Soir. Vingt-cinq années. Elles commençaient à défiler sous ses yeux, illustrées par tous ces visages qu’elle verrait d’ici quelques minutes ici-même, dans son salon. Certains de ses proches actuels n’avaient pas été invité et ils étaient déçus. Ils lui en voulaient. Elle avait essayé de leur expliquer qu’à ce stade de sa vie, elle avait besoin de revoir certaines têtes, de régler quelques anciens conflits aussi, bref, de faire une petite mise au point avec elle comme avec eux. Ils comprendraient avec le temps. La sonnette retentit à ses oreilles. C’était eux. Ils étaient là.
Avec un sourire ému, elle dévisageait chaque personne qui sirotait un verre autour de la table. Son père. Sa mère. Des amis perdus de vue depuis longtemps, certains qu’elle avait même appelés ses « frères ». Des ex petits amis aussi. Beaucoup de souvenirs, de nostalgie, de promesses depuis longtemps avortées par le temps. Une larme coulait le long de sa joue. Elle se souvenait de chaque seconde malgré les années passées. Son cœur se gonflait en percevant des éclats de rire fantomatiques, des chuchotement complices altérés, des regards sous-entendus presque effacés maintenant. Eux la regardaient aussi. Un regard empli de respect, celui qu’on a pour les personnes avec qui on a pu vivre quelque chose de fort. Rien de plus. Ils comblaient les blancs, posant tous à leur tour les mêmes questions sur ce qui avait pu se passer pendant toutes ces années, ce qu’elle était devenue. Anéantie par l’émotion, elle laissait ses parents répondre à sa place. Ils racontaient son parcours scolaire, son parcours sentimental, les anecdotes humoristiques, non sans oublier de souligner à chaque interlude à quel point ils étaient fiers de leur grande fille. L’émotion continuait de la submerger et elle ne put s’empêcher de parler à haute voix :
« - Mon Dieu mais c’est vraiment trop beau ! »
« - De nous voir tous réunis ici au bout de tant d’années ? » demanda l’un des convives.
« - Non, c’est juste magnifique de pouvoir vous détester à ce point. »
Ils étaient tous assis sur le sofa face à elle. Leurs regards avaient changé. Certains étaient inquiets, d’autres étaient profondément en colère. Ca devait être la vue du fusil qui les avaient métamorphosés comme ça. C’est marrant, les phrases bateau à la con sortent beaucoup moins facilement quand sa vie est en jeu apparemment.
« Bon voilà ce qu’il se passe. Vous me connaissez tous depuis suffisamment longtemps pour connaître beaucoup de choses de moi, mes défauts comme mes qualités. Vous vous souvenez donc que je suis rancunière, et la rancune ne va pas sans la patience. Il est donc venu le temps de régler nos comptes. Et comme je ne suis pas une garce comme vous l’êtes pour la plupart, je ne vous ferai pas souffrir. Je vais donc vous tuer. »
Murmures dans l’assemblée.
« - Bon maintenant tu arrêtes, tu as trop bu. Tu es fatiguée et tu dois avoir des soucis. On peut le comprendre. Mais je te jure que si tu continues à me mettre en joue avec ce fusil, ça va vraiment chier pour toi »
Ca c’était son père. Essayant d’être fidèle à lui-même. Il puait la peur.
« Tu devrais être le mieux placé pour savoir que d’une part je ne suis pas ivre et que, d’autre part, je ne bluffe pas. C’est bien toi qui m’a tout appris non ? Sur l’alcool et sur le reste… C’est maintenant que tu dois être fier de ta grande fille, fier de l’éducation que tu lui as donné… »
Tiens, sa mère se mettait à pleurer :
« On est désolé, on n’a pas toujours été des bons parents c’est vrai. Mais là c’est vraiment démesuré. Il faut… tu as besoin d’aide…il faut que tu vois un médecin… »
Un grand éclat de rire coupa court aux sanglots.
« Et toi ? Ca t’a amené où de voir un psy hein ! Je vais peut-être commencer par toi… »
Le fusil se leva mais fut coupé dans son élan par une troisième voix. Sa sonorité lui donna des frissons. Elle savait qui lui parlait et elle fut soudain prise de nausée.
« Avec tout ce qu’on a vécu ensemble, tu ne vas tout de même pas… »
La moitié de sa tête était sur le mur. Son visage n’était plus qu’un magma informe. Il était au moins conforme à ce qu’il était intérieurement maintenant. Cette réflexion la fit rire à haute voix ce qui entraîna de l’agitation au milieu de ses invités. Mais elle ne pouvait détacher son regard de ce visage. Ce visage qu’elle avait vu maintes et maintes fois en se réveillant. Ce visage qu’elle avait eu envie de déchiqueter de ses ongles quand il…
« Oula où tu vas toi ? Reviens t’asseoir s’il te plait » Le fugueur retourna à sa place, en pleine crise de nerf.
« Ah oui j’oubliais que c’était aussi un ami à toi. Désolée » Détonation. Pleine tête, comme le premier.
« Merci Papa. Je tire vraiment comme une chef. Bon, on en était où ? Ah oui : ma santé mentale. Elle va bien merci. Bon d’accord je viens de tuer deux personnes et ? Cette notion de Bien et de Mal est totalement subjective à mon avis. Tuer c’est mal. Trahir c’est bien ? Faire preuve d’indifférence c’est bien ? Gâcher des vies c’est bien ? TORTURER C’EST BIEN BORDEL ? Réponse : non. Différence entre vous et moi : moi je n’ai pas saboté vos vies, je choisis juste le jour de votre mort. Vous y seriez peut-être passé demain, qui sait ? Et puis j’abrège sûrement les souffrances d’autres personnes subissant vos multiples erreurs. Bref je m’égare… Maman ? Maman regarde moi s’il te plait ».
Sa voix était devenue calme. Un sourire doux illuminait son visage.
« Voilà. Comme ça…Au revoir Maman »
Ils étaient tous partis dans des plaidoiries, personne n’écoutant plus personne que lui-même. Ils essayaient tous d’expliquer à quel point ils l’aimaient, à quel point ils étaient désolés de ce qu’ils avaient fait. Certains disaient même ne pas se rappeler leurs erreurs. Seul son père était silencieux.
« Am stram gram pic et pic et colé gram bouré bouré ratatam am… stram… GRAM »
Le silence était enfin revenu.
Le petit jeu ne l’amusait plus. Elle avait l’impression de devoir abattre des chevaux aux pattes cassées. Il fallait faire vite et bien.
Il ne restait que son père. La contenance dont elle avait fait preuve jusque là, la rage qui l’animait, tout ça s’était envolé. Elle pleurait à chaudes larmes. Il la regardait dans les yeux, calmement. Elle épaula pour la neuvième fois son fusil et passa son regard à travers le viseur. Tout était embué, irréel.
Sa voix se cassa lorsqu’elle dit : « Je t’aime Papa ». Il eut le temps de répondre « moi aussi je t’aime ».
C’était terminé. Seule dans le salon elle alla se servir un verre. Son regard croisa le miroir et elle esquissa un geste pour lever son verre en murmurant « joyeux anniversaire ».
Même si l’idée était un peu étonnante, ils vinrent tous sans poser trop de questions. Presque même sans rechigner. Ils connaissaient son coté nostalgique et ça ne les étonnait pas qu’elles veuillent faire revivre les fantômes de son passé pour ses 25 ans. Même si certains ne l’avaient pas revue depuis une dizaine d’années, ils avaient estimé que suffisamment d’eau avait coulé sous les ponts. Et puis, ça pouvait être marrant de revoir d’anciennes connaissances.
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C'est marrant, en ce moment me trottent par l'esprit les paroles d'une chanson d'un vieux pote...
"On en a, rien à foutre, rien à braire, rien à branler
On en a rien, à s'couer, rien à cirer, rien à glander,
On en a rien, à foutre, rien à braire, rien à branler
On s'en tape même les glos contre l'émail des éviers."
... ça doit être une espèce de compliment, puisque ce mec, GAURDON, je l'adore !.. en tout cas, je n'arrive pas à m'en nettoyer la tête de ce putain de refrain... "on en a rien à f..."
Non, sérieux... j'aime bien... si ce n'était de p'tain de refrain qui me parasite !..
C'est curieux cette intransigeance vis-à-vis des autres mise en balance avec une auto-complaisance certaine.
Moi ! Moi ! Moi !... Et moi ? Qu'ai-je fait de si bien pour mériter de vivre et m'arroger le droit de supprimer la vie de ceux qui me dérangent ?...
Bon. C'était juste histoire de mettre un commentaire, hein ? Sinon, c'est bien écrit et il y a du rythme.
Ça c'est une vraie Gol du add-on... elle doit deja avoir un sacré paquet de points de confusion.
c'est dommage que tu ne parles pas plus des autres persos. Personnellement j'ai un peu de mal a m'imaginer que personne n'essaie de lui extirper le fusil en se ruant par exemple sur elle et la violant sauvagement par exemple. (son père en particulier me surprend par sa sérénité alors que sa femme vient d'être abatue par sa fille) çà aurait été marrant aussi de décrire un peu plus dans le détail les explosions de cervelles successive et la manière dont elles seraient venu éclabousser les personnes encore vivantes confinées dans son appart petit (j'imagine)
Elle aurait pu s'amuser à shooter à travers sa porte ou au travers des murs des plafonds et planchés (c'est une paumée elle doit vivre dans une espèce d'HLM aux cloisons ridicules) en tentant de buter les voisins qui tapent avec leur balais pour que l'hysterique fasse un peu moins de tapage nocturne...
Une habile allusion au mikado aurait egalement ete de bon ton.. en effet tous ses corps s'effondrant les uns sur les autres auraient du éveiller en elle des pulsions un peu plus ludique... personnellement j'aurais tres rapidement fait part aux convives de ma soudaine envie de les voir s'amuser dans un tel moment au lieu de pathétiquement s'enfermer dans une sorte d'inertie mentale (sublimement restituée par ailleurs)... Tout comme moi elle aurait dû prendre l'initiative de sortir de son coffre à jouets son tapis TWISTER pour que les gens meurent dans des positions plus "fun".
Sinon j'ai adoré la scantion calibrée (gnarf) et les diphtongues hyperboliques.
Putain ça doit être l'un des meilleurs commentaires de LC sur un de mes textes et je l'avais jamais vu. Que d'émotion, un peu comme quand on retrouve des euros disparus en remettant une vieille veste.
L'insmonie ça a du bon.
commentaire édité par Mill le 2008-6-7 15:7:26
C'est fade, on y croit pas comme dit George.
Chui d'accord avec le lapin débile, ça manque de chasse à l'homme, car tant qu'a faire, autant faire ça bien, sans compter que on bute pas sa famille et ses ancien amis. C'est mal, c'est Jésus qui l'a dit.
Mais la photo est bien !