Je suis fatiguée de ce corps qui n’en fini pas de mourir. Mon docteur me félicite et me trouve en excellente santé. Cela me fait doucement rire. Mes jambes ont perdu leur galbe magnifique et sont maintenant deux cannes desséchées, couvertes de varices. Les bas de contention ont remplacé la fine résille de ma jeunesse. Mes bras sont décharnés et la chair pend ridiculement sous mon menton. Mes ongles sont jaunis, secs et cassants, et je ne vois plus assez bien pour les manucurer et les vernir moi même. C’était ma petite coquetterie personnelle : avoir toujours des ongles impeccables. Ma mémoire et ma parole sont encore fort aiguisées, mais ma langue me trahit en refusant de se mouvoir suffisamment lestement pour que mes réparties soient aussi cinglantes que je le souhaiterais. Il me faut un temps infini pour accomplir la moindre tâche, et mes articulations sont comme pleines de sable.
Lucienne, la seule vraie amie que j’avais ici, m’a quittée le mois dernier. Elle aurait pu être ma fille, mais nous partagions une grande complicité. Je me souviens de mes quinze ans… la guerre et la peur. Je me souviens de mes vingt ans, années folles, robes à paillettes et fanfreluches, des zazous qui traînaient avec leur air bizarre. L’un d’entre eux a su voler mon cœur. Nous avons continué notre chemin ensemble, et je me souviens de mes trente ans, de nos cinq beaux enfants. Nous partions en vacances sur les bords de la Dordogne, j’avais le bébé sur les genoux. Je me souviens de mes quarante ans, de cette guerre honteuse et de la peur de voir mon grand fils y partir. Y rester. Je me souviens de mes cinquante ans. Je pensais déjà que bientôt je mourrais, mais c’est mon unique fille qui m’a précédée. Je me souviens de mes soixante ans, du rock and roll et des jeunes qui dansaient dans les rues au son du transistor. Je me souviens de mes soixante dix ans, lorsque mon pays s’est soudain soulevé contre lui même, avant de se colorer de teintes étranges, oranges et vertes, et de fumées qui rendaient malade. Je me souviens de mes quatre-vingt ans, de la mort de mon mari adoré et de mon jeune fils, emporté par le cancer. Sa femme s’est remariée et je ne vois plus ma petite fille depuis des années. Je me souviens de mes quatre-vingt-dix ans, des enterrements successifs de tous mes amis. Je me souviens de mes cent ans…
Aujourd’hui je suis toute seule, et je n’aspire qu’à rejoindre tous ceux qui m’ont quittée depuis si longtemps. Qu’ai je donc oublié d’accomplir qui me retiens encore sur terre ? Dois-je aussi voir mourir mes petits enfants ?
Je suis fatiguée de la répétition des jours qui n’en finissent pas d’être tous semblables. Je suis fatiguée des nouvelles du journal télévisé qui sont toujours les mêmes, toujours aussi mauvaises.
J’ai vu trois siècles et deux millénaires, j’ai eu une vie bien remplie, j’ai été heureuse. Si je n’ai pas eu de métier, j’ai élevé mes enfants pour qu’ils soient de bons humains et qu’ils aient le discernement de comprendre où était leur bonheur. Depuis des années j’appelle la mort qui ne veut pas venir à moi.
Dehors il neige et je suis à l’hiver de ma vie. Quand aurai-je donc le droit de me reposer ?
LA ZONE -
Je suis vieille et fatiguée. J’ai fêté mon cent sixième anniversaire hier. Enfin, célébré serait plus exact. « Ils » ont célébré mon cent sixième anniversaire hier. Le directeur, les infirmières, et quelques autres pensionnaires qui sont toujours présents lorsqu’une raison se présente de manger des gâteaux tout l’après midi. Des jeunes.
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« Sitôt que votre souffle a rempli le berger,
Les hommes se sont dit : « Il nous est étranger » ;
Et les yeux se baissaient devant mes yeux de flamme,
Car ils venaient, hélas ! d'y voir plus que mon âme.
J'ai vu l'amour s'éteindre et l'amitié tarir;
Les vierges se voilaient et craignaient de mourir.
M'enveloppant alors de la colonne noire,
J'ai marché devant tous, triste et seul dans ma gloire,
Et j'ai dit dans mon cœur : « Que vouloir à présent ? »
Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant,
Ma main laisse l'effroi sur la main qu'elle touche,
L'orage est dans ma voix, l'éclair est sur ma bouche;
Aussi, loin de m'aimer, voilà qu'ils tremblent tous,
Et, quand j'ouvre les bras, on tombe à mes genoux.
Ô Seigneur ! j'ai vécu puissant et solitaire,
Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre ! »
« Maintenant, mon regard ne s'ouvre qu'à demi ;
Je ne me tourne plus même quand on me nomme ;
Je suis plein de stupeur et d'ennui, comme un homme
Qui se lève avant l'aube et qui n'a pas dormi.
Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse,
Répondre à l'envieux dont la bouche me nuit.
O Seigneur ! ouvrez-moi les portes de la nuit,
Afin que je m'en aille et que je disparaisse ! »
si tous les viocs etaient comme ca j'aurais certainement eu moins de remords a les laisser crever cet hiver...
Cet été tu veux dire ?
nan nan ils vont aussi crever cet hiver comme ceux de cet été
une belle histoire, bravo.
Ah parce qu'en plus ils vont recycler les vieux de cet été pour les retuer cet hiver ? Y a de l'abus là.
tu voudrais k'ils fassent comment ?
je te rapelle k'il reste plus beaucoup de vieilards en france alors la reserve va vite s'épuiser....
le vieux qui sont encore dans les morgues et que personne a réclamé, tu crois k'ils les gardent pour faire des glacons dans ton sky ?
pas du tou, c'est les viocs qui ont le plus résisté a l'été comme ca il vont les reutiliser cet hiver en espérant qu'ils aillent le plus loin possible.....
L'interet, c'est qu'un vieux de morgue etant deja congelé, tu peux facilement le laisser dehors à un coin de rue et dire avec une larme dans l'oeil qu'il est mort de froid... (de froid la larme dans l'oeil, pas de pitié, s'entend)
commentaire édité par Kirunaa le 2003-11-20 13:25:11
Merci pour ce texte qui m'a conforté dans l'idée que je ne devais absolument pas arreter de fumer... parce que FUMER TUE © !
Le jeu des vieux qui doivent survivre à l'été puis à l'hiver c'est un nouveau concept d'Endemol ?
Sinon peut être qu'a rupture de stock de vieux ben pour que les tits n'enfants puissent sauter sur les genous de quelqu'un, que leurs parents puissent se faire chiez à faire un tit tour à l'hospice tous les 30 fevrier, ben ptete qu'on va inventer un medicament pour vieillir plus vite en 24H ?
Dourak, au lieu de citer des sottises, y avait un sonnet du tonnerre à sortir, là. Tu me déçois, père.
Je n'ai plus que les os, un schelette je semble,
Décharné, dénervé, démusclé, dépoulpé,
Que le traict de la Mort sans pardon a frappé ;
Je n'ose voir mes bras que de peur je ne tremble.
Apollon et son filz, deux grands maistres ensemble,
Ne me sauroient guérir : leur mestier m'a trompé.
Adieu plaisant soleil, mon oeil est estoupé ;
Mon corps s'en va descendre où tout se désassemble.
Quel ami me voyant en ce poinct despouillé
Ne remporte au logis un oeil triste et mouillé,
Me consolant au lict et me baisant la face,
En essuyant mes yeux par la mort endormis ?
Adieu mes compagnons, adieu mes chers amis,
Je m'en vais le premier vous préparer la place.
Message précédent le 24/11/2003 à 12h36min43s
Message suivant le 11/01/2006 à 15h46min20s
Ressusitons les morts... les textes morts.
Ouaiiiis t'as raison, brûlons toutes les conneries qui ont plus de deux semaines, les Rabelais, les Michaux, les Homère, les Lautréamont, les tout ce que tu veux, du moment que c'est pas sorti cette année, aux chiottes. C'est mort, au purin.
Goret, je suis au regret de te demander instamment, une fois de plus, de fermer ta gueule.
je lui dirai...promis
Les sonnets, c'est de la merde. Je ne m'occupe que des miens.