J’adorais le voir se lever en cours de repas, furieux après les mots du présentateur à la télé. Il avait une telle fougue dans la voix et le regard et ce qu’il disait avait l’air tellement intéressant quoique si irréel, comme ses romans. Ma mère le regardait avec un air attendri mais accusateur, lui rappelant pour une énième fois de ne pas tenir ces propos devant moi.
Sa différence m’inquiétait autant qu’elle me fascinait. J’adorais qu’il ne soit pas comme tout le monde même si je déplorais le fait qu’il ne pourrait jamais être heureux dans cette vie avec son système de pensée. Mais il avait l’air de l’être. En dehors de ses crises de rébellion contre ce pauvre présentateur, il avait toujours un sourire mystérieux aux lèvres, comme si il était le seul à connaître un énorme secret, celui d’un bonheur autre que celui auquel on tendait tous.
Ce soir la maison est silencieuse bien que ce soit l’heure des informations. Sa grosse voix ne s’élève pas contre le discours monotone retransmis par la télévision. Ma mère a le regard vide fixé sur un bout de napperon au centre de la table. Moi je me laisse noyer par le flot d’images et j’essaye de comprendre.
Ils tombent tous. Tous comme des mouches, les uns après les autres. 15 000 morts en deux semaines rien que dans notre pays. Dans la rue, dans les cafés, au cinéma, sur leur lieu de travail… ils tombent. Morts. Comme mon père.
Les écrivains, les acteurs, les musiciens, les dessinateurs, les philosophes…tous les uns après les autres. Le présentateur emploie un mot savant pour les désigner afin de gagner du temps : il parle d’ « anarchistes ». Il faudra que je le cherche ce mot. Papa le détestait. Il disait que l’anarchie était déjà une forme d’organisation et que dans le monde dans lequel on était, même ça ne pouvait pas marcher.
« L’être humain est trop corrompu, trop conditionné, trop bête. Il pense ce qu’on lui dit de penser, lit ce qu’on lui dit de lire. Il juge avec des arguments donnés. Le système lui donne la sensation de se rebeller quand ça l’arrange. Comme ça il croit encore à une certaine forme de liberté. Il est heureux ainsi. »
Depuis quelques jours, mon père avait effacé de son visage le sourire que j’aimais tant. Il disait que tout devenait insoutenable, qu’il ne pouvait plus vivre dans un monde factice, que la lutte était vaine. La majorité, éduquée dès son plus jeune age, écraserait toujours une minorité. Même si cette minorité était la seule matière pensante de ce monde.
« Regarde-toi. Je t’ai donné tout mon amour, j’ai tout essayé et tu ne comprends toujours pas un traître mot de ce que je dis. C’est pareil pour maman. Je suis du folklore, un original qui fait bien rire tout le monde, mais je ne peux et ne pourrait jamais rien faire de plus pour ce monde. »
A ces mots je m’étais sentie triste car je percevais bien que la flamme qui l’animait n’était plus là. Mais en même temps j’étais rassurée. Il allait peut-être enfin trouver un vrai boulot, être apprécié, participer à la vie sociale à laquelle il n’avait jamais eu droit.
Il est mort deux jours après ces paroles.
Arrivée au cimetière, je n’en crois pas mes yeux. Ce lieu a la taille d’une petite ville, les croix se dressent à perte de vue. Devant nous, au moins une dizaine de corbillards stationnés, des familles éplorées prostrées à leurs cotés. Des caméras de télévision partout. A gauche du grand portail d’entrée, des chapelles ardentes et des camions frigorifiques gardés par des policiers. C’est là que sont les corps qui n’ont pas encore été réclamés par les familles. Tout s’est passé trop vite, les cadavres s’amoncellent. Les gens meurent alors que la veille tout allait bien. Je m’approche de Jean. C’est un ami de mon père, un peintre je crois. Il a le visage blafard, l’apparence d’un vieillard pour ses 45 ans. Je ne peux m’empêcher en le voyant de me dire que ça sera bientôt son tour. Malgré tout ça, sa présence me rassure et me rappelle papa. Il fixe intensément les dizaines de camion lorsque je m’approche de lui. Suivant son regard j’essaye de le rassurer en lui disant que les familles se manifesteront, que tout ça est juste trop soudain.
« Non. Ils ont honte, ils ont peur. Ils se cacheront derrière ces milliers de cadavres pour faire croire qu’ils n’ont pas retrouvé cet être cher qu’ils ont perdu. Crois-moi, tous ces corps finiront au carré des indigents. »
Aussi incompréhensible que mon père, quelque part ça me rassure même si une sensation de malaise commence à s’insinuer en moi.
Un homme en costume s’approche enfin pour dire que c’est notre tour et nous commençons donc à nous enfoncer dans ce dédale de sépultures. Il nous distribue des roses à jeter sur le cercueil. Il y en a beaucoup trop et il m’en donne quatre. Un rire sarcastique se fait entendre juste derrière moi. Je pense que c’est Jean. Une colère sourde a décidé de s’installer dans mon ventre. Je ne la contrôle pas, je ne comprend pas ce qu’elle me veut. Je souhaite juste pouvoir pleurer de tout mon saoul sur la tombe de l’être que j’aime le plus au monde. Mais l’homme s’approche à nouveau et nous annonce sur un ton solennel qu’ils vont procéder à l’inhumation et que nous pourrons le rejoindre ensuite. Comment ça je n’ai pas le droit de voir mon père partir ? Ma mère me chuchote que c’est pour notre bien, pour ne pas avoir une charge émotionnelle trop forte. La colère me ronge, me brûle les yeux. J’ai des images de puzzles s’auto constituant dans le crane. Un gros éclat de rire me ramène à la réalité. Je me dirige vers Jean et lui demande pourquoi ils veulent me protéger comme ça.
« Te protéger ? Ils gagnent du temps ma chérie. Ils doivent encore avoir cinquante corps à enterrer aujourd’hui. Tu crois qu’ils ont du temps à perdre avec les effusions de larmes d’une veuve et d’une orpheline ? C’est ça les affaires ma puce ! »
Je suis perdue, des rideaux tombent dans mon cerveau. Des mots jusqu’alors incompréhensibles commencent à prendre un sens. Le sourire de mon père en est la clef.
Nous sommes conviés à nous diriger vers le caveau. Mes talons s’enfoncent dans la boue. Le paysage n’est composé que de croix blanches provisoires et de meutes de terre. Il y a des pelles partout. On doit éviter de marcher sur les tombes fraîches pour accéder jusqu’au cercueil de papa. Les personnes devant moi se signent et jettent leurs roses. Mon tour arrive, je fais pareil. Une foule anonyme me presse et je dois continuer à avancer sans pouvoir me retourner. Quand je peux enfin le faire, les fossoyeurs sont déjà en train de recouvrir le cercueil. L’homme en costume s’approche encore pour expliquer qu’il y en a pour une demi heure et qu’il faudrait mieux repasser pour voir la sépulture décorée de ses fleurs et de sa croix.
Quelque chose se brise en moi. Le bruit sourd de la terre frappant le couvercle, le rire tonitruant de Jean, les mottes à perte de vue, tout m’encercle, m’oppresse. Désormais je sais, je comprends, j’analyse et je juge. Je vais mourir comme papa est mort et comme Jean va mourir aussi. Il le sait et c’est cette ironie des choses qui l’amuse tant. Comme eux j’ai compris que c’est ce monde qui nous tue, que c’est chaque personne que je connais, que je croise, que j’aime. Cette aliénation dont le poids est insupportable quand on en prend conscience.
Insupportable. J’étouffe. Je pars. Je suis désormais vivante et ce n’est que dans la mort que je peux l’exprimer.
LA ZONE -
Mon père a toujours été un original. Un écrivain montré du doigt pour son coté fantasque. Ses romans parlaient d’un monde qui n’existe pas, peuplé de créatures inconnues. Je n’ai jamais compris ses accès d’imagination, ni le fait que c’est ce qui le rendait heureux de vivre.
Il faisait de la politique aussi, du moins c’est comme ça qu’il appelait ça. Il se réunissait avec des gens comme lui, des « artistes », et ils restaient des heures à discuter sur la situation actuelle. Ils cherchaient des soi-disant solutions. A quoi ? Je n’ai jamais su. Ils écrivaient, dessinaient, composaient et réussissaient par je ne sais quel moyen à disséminer leurs œuvres vers le grand public.
Il faisait de la politique aussi, du moins c’est comme ça qu’il appelait ça. Il se réunissait avec des gens comme lui, des « artistes », et ils restaient des heures à discuter sur la situation actuelle. Ils cherchaient des soi-disant solutions. A quoi ? Je n’ai jamais su. Ils écrivaient, dessinaient, composaient et réussissaient par je ne sais quel moyen à disséminer leurs œuvres vers le grand public.
= ajouter un commentaire =
Les commentaires sont réservés aux utilisateurs connectés.
= commentaires =
J'aime bien le style.
Par contre on voudrait bien savoir pourquoi ils clamsent tous ? Assassinat ? Suicide collectif désabusé ? Mort naturelle inexpliquée ?
l'angoisse.. çà fé un peu comme si j'assistais à mon propre enterrement... enculé de Jean (alias nihil ?) il me survivra
Bon alors moi j'adore pas.
D'abord le résumé est complètement à coté de la plaque, je vais de ce pas le changer, mais ça c'est pas encore trop de la faute de l'auteur.
Ensuite je trouve pas le texte facilement compréhensible : preuve j'avais pas non plus calé pourquoi ils crèvent tous, comme Kirunaa, et il a fallu que Aka me colle le nez dedans pour que je comprenne.
Y a aussi que toute la diatribe nihiliste du père me paraît pas très utile dans le texte et que du coup le texte est un peu euh bordélique, il traite de plusieurs sujets à la fois, ce qui est relou vous me l'accorderez.
Je demande donc une peine de 20 ans de réclusion à perpétuité assorti de 10 ans d'épingle de sûreté, et encore chuis sympa. Fallait pas me faire chier.
Ouais ok...
On aura quand même eu de la chance d'avoir un réajustement sur le résumé (quoique j'aime pas trop la référence à Farenheit 451) qui permet d'ensuite relire le texte quatre ou cinq fois afin d'y comprendre un semblant de signification, et encore j'ose même pas me prononcer sur ce que j'ai compris (pas passer encore pour une conne non plus hein !) Est-ce qu'il serait possible d'avoir la solution de l'énigme de la plume de l'auteur ?
Je m'en vais donc de ce pas déméler un peu tout ça, et j'avouerai que je m'y perds un peu moi-même...
Tout d'abord la référence à Farenheit te vaut perpet' nihil, pas très bien choisie pour celui-ci et fait très généraliste... A la limite t'aurai pu garder la comparaison pour le prochain article, mais bon.
Pour le reste je m'explique.
Je suis rentrée dans une phase de politique d'anticipation, bien remontée après les évènements de cet été, ce qui se verra encore dans mon prochain texte. Tout à fait d'acc' donc avec le début du résumé de nihil. Mais dans ce contexte, le portrait du père me semblait indispensable comme exemple à cette notion marginalité assez généraliste que j'imposais (putain je comprends deja plus rien). Mais bref j'avouerai que tout ça n'était qu'une excuse à la con pour en arriver à mon dernier paragraphe sur l'enterrement. Il n'est que la suite de "confession d'une meurtrière" puisque tout ce qui est décrit y a été vécu. Mon article sur la canicule déja posté et la journée assez gloque pour mériter un article, j'ai écris celui-là avec l'excuse politicarde histoire de pas vous chier une desription à la con imbuvable et incompréhensible.
Donc ok mea culpa c fouilli et je m'y perds moi-même. Pour preuve les causes des décès: là je laisse libre cours à votre imagination car j'ai ma petite idée, mais vraiment rien de super carré (en gros une sorte de suicide de l'esprit... bref du n'importe quoi).
Bref j'aurai peut-être du faire deux articles, parce que du coup, je termine ma réflexion politique dans le prochain et attaque sur un second thème en même temps.
Au final: vous me flagélerez définitivement à la lecture du prochain. Promis, après je me cherche une autre passion que l'écriture, genre...euh... l'aquariophilie. C'est bien ça.
Je viens de relire mon explication et c'est pire que si il n'y en avait pas eut. Ceux qui l'ont lu jusqu'au bout ont du bien galérer. Bref, moi non plus fallait pas me faire chier.
c'est nul
De quoi meurent les "artistes" je ne me suis même pas posé la question, et l'imagination du lecteur alors ?.
Fallait supprimer la fin quand elle dit qu'elle comprend.
Bon ce que j'en dis
Le système lui donne la sensation de se rebeller quand ça l’arrange. Comme ça il croit encore à une certaine forme de liberté
j'aime bien le reste aussi, froid, lourd, fatal, déprimant.