Joyeux anniversaire Mémé

Ca fait tellement longtemps que j’ai pas été la voir ou que je l’ai pas appelée que je sais même pas si elle va se souvenir de moi. A vrai dire, ça m’arrangerait comme ça, je pourrais me casser quand elle me demandera qui je suis.
Pas de bol, elle se souvient bien de moi, cette conne a la mémoire sélective mais fallait qu’elle se souvienne de moi… Par contre, elle se souvient pas de ce qu’elle a dit trois minutes plus tôt, ce qui fait qu’elle me pose la même question à intervalles réguliers : « Comment ça se passe avec ton copain ? » à laquelle je suis obligée de répondre à nouveau chaque fois. Première fois : « Ca se passe bien ». Deuxième fois : « Ca se passe bien ». Troisième fois : « Ca se passe bien ». Quatrième fois : « Il me bat à coups de batte de base-ball ». Cinquième fois : « Il vend de la coke et va aux putes tous les soirs avec l’argent qu’il se fait ». Sixième fois : « Je suis enceinte ». Septième fois : « Il me force à coucher avec plusieurs hommes en même temps, filme la scène et expose la vidéo sur Internet ». Huitième fois : « Raaaah mais ta gueule vieille peau ». Une fois rassurée de ce côté-là, elle se décide enfin à passer à autre chose. Elle me raconte donc successivement à quel point mon grand-père était formidable, que la dame dans la chambre à côté de la sienne a un chat siamois qui miaule parfois la nuit, que sa sœur l’a appelé deux fois dans la journée mais qu’elle lui a même pas souhaité son anniversaire, qu’elle a encore des calculs rénaux et que son chien lui manque.
J’aimerais tellement lui dire à quel point j’en ai rien à foutre mais c’est quand même ma grand-mère et on m’a toujours appris à avoir du respect pour ses ancêtres. Je me contente donc de lui faire tomber l’armoire normande sur la gueule et de me casser. En repartant, je traverse la salle principale où tous les autres vieux prennent leur repas. J’imagine alors que tous ces vieux ont eux aussi des petits enfants qu’ils doivent atrocement saouler. Je me sens tout d’un coup la justicière de tout un peuple opprimé et dans un accès de fureur vengeresse, je débranche la télévision qui hurle au milieu de la pièce avant de m’enfuir en courant.
La porte est juste devant moi, il ne me reste qu’une dizaine de mètres à parcourir pour enfin sortir de ce lieu puant mais un infirmier se met au milieu de mon chemin et me bloque en pleine course : « Alors on essaye de traumatiser les personnes âgées et d’assassiner sa grand-mère ?
-    J’aime pas les vieux !
-    C’est pas bien ça mademoiselle. Après la vie qu’ils ont vécu, ils ont le droit à un minimum d’égards et de respect.
-    Ouais ben justement au lieu de les forcer à vivre aussi minablement et à faire chier tout le monde, le plus grand service qu’on pourrait leur rendre et nous rendre en même temps serait de les achever. »
Au moment où je termine ma phrase, je sens qu’on m’agrippe par derrière et qu’on me passe une espèce de manteau avec les bras attachés dans le dos. Un de mes vieux fantasmes semble enfin se réaliser mais au lieu de me violer à tour de rôle, les infirmiers m’enferment dans une pièce toute seule. Au bout de quelques minutes, j’entends la sirène d’une ambulance et d’autres hommes en blanc viennent me chercher et m’emmènent dans l’ambulance. « Où on va ?
-    Vous allez voir mademoiselle, ça va beaucoup vous plaire, on va vous emmener dans une grande pièce toute blanche avec des murs tout moelleux et juste un lit au milieu.
-    Ouais ça a l’air trop bien !!! »