Intérim à Ikéa

Le 25/04/2025
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par Gimini Khrouchtchev
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Thèmes / Saint-Con / 2025
Bonjour, ceci n'est pas une critique de texte mais un numéro spécial de 'Cache Cache Investigation' le magazine de grand reportage de la Zone. Aujourd'hui on s'est infiltré dans les coulisses de la restauration Ikea, une marque fétiche car 1 européen sur 10 serait conçu dans un de ses lits. Rappelons que la cantine représente 5% du chiffre d'affaire du groupe suédois au noms de meubles imprononçables. On ne parlera pas du scandale de la viande de cheval présente dans ses fameuses boulettes, début 2013, ni des 6 000 Chokladkrokant vendu en France, des fondants au chocolat, possiblement contaminées par des bactéries coliformes fécaux, retirées dans les cantines de 23 pays dans le monde, les fameuses tartes au caca. Les consommateurs risquaient juste une bonne chiasse mais l'incident aurait pu être plus grave avec la détection d'Escherichia coli, la bactérie 0157 : H7, ou la O104 : H4, causes d'épidémies de gastro-entérite et, plus grave, de syndrome hémorragique et urémique. On ne parlera pas, non plus, de la part d'ombre du fondateur d'Ikea, Ingvar Kamprad et de son passé de nazi. On ne parlera pas des 12 millions de mètres cubes de bois par an, utilisés pour leurs meubles à la con, soit 800 arbres de forêt primaire abattus par jour. On ne parlera pas du fait que ce groupe est leader dans l'embauche de migrants, personnes qui n'ont pas connaissance des arcanes du droit du travail français, pour faire oublier qu'Ikea a été condamné à 1 million d'euros par la justice pour l’espionnage et le harcèlement institutionnalisé à large échelle avec l'utilisation même de détectives privés et d'anciens policiers, avec à la clef, des rapports de cinquantaines de pages pour faire pression sur leurs employés et leurs clients. Non. Mill déguisé en Gimini Khrouchtchev a mené une enquête en sous-marin, en interim à la cafet' et c'est de ça qu'on va parler.
    La Saint-Con tombait mal cette année. Enfin, pour moi, elle tombe mal chaque année. La vie, toujours, avec son quotidien d'emmerdes et son lot de poisse dans laquelle je m'enlise par accoutumance. Pour les néophytes de la Zone et les passants du Net, je précise que la Saint-Con est un événement littéraire confiné à la Zone et dont l'appel à textes, hautement singulier - quoique fort séduisant sur le papier - implique de poster un texte dans lequel finit brûlé un personnage clairement identifié par le narrateur comme appartenant à la communauté des cons.
    Le con peut être un personnage public, historique, ou une connaissance personnelle de l'auteur, qui usera donc de sa plume à des fins cathartiques plutôt que de se convertir en meurtrier. Le con relèvera éventuellement du monde de la fiction, une gageure à mes yeux, tant il m'apparaît parfois compliqué de démontrer par A plus B qu'untel est plus con qu'un autre, surtout lorsque le consensus se laisse désirer. Il reste à la portée de n'importe quel plumitif de prouver la bêtise d'un Trump ou d'un Zemmour, mais créer un individu inexistant, l'installer dans la connerie, lui accoler des caractéristiques irréfutables de con fini, c'est-à-dire le genre de trucs que tu lis sans jamais relever les yeux de ta page parce que tu ne peux qu'être d'accord, ça, la vache, c'est dur. A titre d'exemple, je recommande la lecture du texte de tomatefarcie, « Les souffrances du jeune Yann », publié en ouverture de cette St-Con 2025, soit le 10 avril, retenons cette date, gloria mundi, in excelsis dio, Alléluia. Le personnage de Yann est un con, indubitablement, et si sa crémation n'a jamais lieu, ma foi, ça n'enlève rien au fait que le lecteur ne questionne à aucun moment les références apportées par le narrateur afin de justifier la connerie de son personnage.
    Je dois admettre que la Saint-Con ne m'a jamais complètement amusé. Ma misanthropie galopante m'interdit d'apprécier les fêtes populaires et la Saint-Con ne fait pas exception. Evidemment, la politique du site invite à la déconne, à l'ironie et à la mauvaise foi, mais que se passe-t-il lorsque l'envie nous manque de verser dans l'une ou l'autre de ces catégories. Je ne vois pas l'intérêt de me forcer à embrasser les conventions sociales d'aucune sorte, y compris lorsqu'elles affectent d'appartenir à une forme de sociabilité encourageant la sociopathie, la provocation et une certaine appétence pour le langage ordurier.
    Or chaque année, la Zone est prise en otage à partir du 10 avril par une contrainte littéraire consistant à brûler un con.
    Annonçons d'emblée que je n'oppose nulle objection d'ordre éthique à l'idée de brûler un con à l'issue d'un texte se présentant comme une histoire emprunte de second degré. Cette violence symbolique ne m'effraie nullement et peut même secouer mes zygomatiques dans le bon sens pour peu que l'histoire me plaise et que le style de son auteur ne me provoque aucun fourmillement désagréable au niveau de la rétine. Il est des textes de Saint-Con que j'ai adoré lire mais, autant l'avouer ici sans craindre la vindicte populaire - dont je subodore qu'elle se fout comme de l'an quarante de mes états-d'âme d'auteur raté - j'avais tendance à farfouiller dans les archives de la Zone plutôt que de lire les textes récemment publiés à partir du 10 avril fatidique.
    Parfois, même, puisque j'en suis à me confesser, je levais mon cul de ma chaise de bureau et m'en allais cheminer sur les sentiers du Pic St-Loup avec un bon vieux polar de Dennis Lehane ou une pantalonnade de G.K. Chesterton.
    Un autre souci, je dois dire, au sujet de la consigne donnée pour la Saint-Con : qu'est-ce, au fond, qu'un con ? S'agit-il du con idiot, crétin, à deux neurones, au QI négatif, de la bave dans le cerveau et trois mots de vocabulaire ? Est-ce un con suiveur ou un putain de chef qui plastronne et entraîne tout le monde à sa perte ? Un con méchant, peut-être ? Mauvais, sournois, fourbe et cruel ? Un con de naissance ou qui s'est battu pour le devenir ? Un con par vocation, par accident, bardé de diplômes de con, auréolé de connerie comme un Enthoven ou un Moix ?
    Par la vertu du vieil adage qui prétend qu'on l'est tous un peu d'un autre, j'ai toujours du mal avec la définition du con. Pour paraphraser Gary Cooper, interrogé sous serment devant la commission McCarthy, obsédée par les communistes, « montrez-moi à quoi ressemble un con et je vous dirai si j'en connais. » En ce qui me concerne, je me suis efforcé ces dernières années de me fâcher avec tous les cons de mon entourage et j'ai donc perdu la quasi totalité de mes amis. Autant vous dire que lorsqu'on me rétorque que c'est moi le con de l'histoire, je suis tenté d'y croire.
    Je n'ai pas expliqué pourquoi je n'étais pas prêt, cette année, à consacrer du temps à la Saint-Con. Devenu adminautiste aux côtés de Lapinchien, Dourak, Clacker et une poignée d'autres, j'avais résolu de m'impliquer sur le site afin de remplir le vide de mon existence en lisant des textes bancals à la recherche de la perle perdue, tout en rédigeant mes propres œuvrettes afin de passer de musicien intermittent du spectacle à auteur publié avec un contrat ridicule et des rêves avortés. Je joue les cyniques désabusés mais j'estime, comme Lapinchien avec lequel nous avons échangé sur le sujet, que je rends service à l'humanité en injectant de la littérature, même imparfaite, même bâclée, dans le grand flux permanent de cette gigantesque poubelle que l'on nomme Internet. Je contribue à la publication d'écrits particuliers, des objets littéraires qui, à mon sens, méritent d'exister autant sinon plus que le dernier Marc Lévy ou Bernard Minier, et, même si je ne cracherais pas sur un million de dollars ou une semaine dans les Bermudes, participer à cette drôle d'aventure me rend à la fois fier et heureux.
    Alors ok, je me suis dit je participe à la St-Con cette année, ça va, n'en jetez plus, ta gueule.
    Et j'ai entamé un texte dans lequel je cramais les cons avec lesquels je me suis fâché, des musiciens avec des ego d'artistes au nombril purulent que j'aimais et que j'ai fini par détester pour des raisons que je n'ai pas détaillées dans le texte, puisque j'ai écrit deux pages et tout effacé, ré-écrit trois pages et tout viré, ré-écrit encore une page, pour jeter enfin définitivement le document dans ma corbeille Windows.
    F'chier. C'était encore tellement douloureux que je m'énervais comme un con derrière mon clavier, le front brûlant, les mains moites et les dents serrées.
    J'ai ouvert deux ou trois autres documents vides, les ai appelés « impro 1 », « impro 2 » et « idées », et j'ai commencé à écrire ce qui me passait par la tête. J'ai même étrenné un énième « Lieu commun » que je ne suis pas arrivé à terminer. M'enfin bon, j'avais autre chose à faire et je n'ai pas dit quoi.
    Jeudi 3 avril, soit exactement une semaine avant le lancement de la Saint-Con, je reçois un appel de la boîte d'Intérim.
    « Bonjour, M. Khrouchtchev, êtes-vous disponible pour travailler demain au service restauration d'Ikéa. »
    Putain de merde. Servir des boulettes, des fish and ships, des frites et des hot dogs immangeables. Encore. Entretenir ma tendinite avec les mêmes gestes mécaniques et répétés. Pour un salaire de rêve. Bordel de foutre en gelée, mais qu'est-ce que j'attends ?
    « Je peux vous rappeler dans une demi-heure ? »
    J'étais dans ma voiture. Le gamin venait de réintégrer l'école pour les cours de l'après-midi et moi l'habitacle pour démarrer et me rentrer dans mon demi-étage.
    En tant que musicien intermittent fâché avec le monde de la musique et avec le fait musical, je dois admettre que je ne travaille pas beaucoup. Je n'ai plus envie de pratiquer mes instruments, d'étudier le solfège ou l'harmonie. Je n'ai plus envie de jouer des reprises, le répertoire des bars me sort par les trous de nez et voir un chanteur ou une chanteuse tout donner sur une scène convoque en moi tout un argumentaire à base de vomi, de bile et de déjections diverses tant l'exercice confine selon moi au foutage de gueule narcissique et factice.
    Du coup, faut que je bosse là où je peux.
    « Allô, c'est Gimini Khrouchtchev. C'est bon, j'accepte.
    - Finalement, ce sera demain et après-demain. C'est bon pour vous ? »
    Je marque une hésitation dans la voix puis :
    « Très bien, pas de problème. Vous m'envoyez mes horaires ? »
    Fait chier. Deux jours. Putain, j'ai pas envie.
    Une fois rentré, je me suis battu avec mon fichier « impro 1 » et j'ai avancé le plus possible, imprimé, glissé les pages dans un cahier grand format, rangé le tout dans le sac à dos qui m'accompagne pour mes missions d'intérim, en compagnie de l'uniforme réglementaire, d'une bouteille d'eau et des antivols de mon vélo.
    Le lendemain, je reçois un nouveau coup de fil de la boîte d'intérim.
    « Bonjour, M. Khrouchtchev, vous pourriez éventuellement prolonger d'une semaine ? »
    Avec sa petite voix douce et pimpante de secrétaire qui ne quitte jamais son bureau douillet.
    Quoi qu'il en soit, j'accepte la mission tout en exigeant de poser le jeudi 10 avril comme jour de congé, non pour assister aux cérémonies d'ouverture de la Saint-Con, mais parce que j'ai obtenu, ce jour-là, un cachet de figurant sur le tournage de la série « Demain nous appartient », dont les studios sévissent à Sète, non loin de Montpellier, la ville où Mill et moi-même partageons la même enveloppe charnelle.
    Le lendemain, je décolle en retard sur mon vélo électrique. Je ne cesse de penser à des cons potentiels, des bribes d'histoire, des bouts d'intrigue. Je pédale en tâchant de raccrocher les wagons. Le texte sur Jack Bauer s'écrit tout seul. C'est une pitrerie, un pauvre pastiche mal torché malgré deux ou trois fulgurances. Je poursuis en attendant qu'une meilleure idée prenne le relais mais ça ne satisfait guère le lecteur qui se cache derrière l'écrivaillon.
    Dans ma tête circulent des concepts, des situations potentiellement exploitables tandis que je pédale sur des pistes cyclables qui ne communiquent pas toujours entre elles, me contraignant ainsi à rouler sur les voies du tram, la chaussée ou les trottoirs, et je me dis qu'on pourrait peut-être cramer les urbanistes.
    Une voiture me double et se gare sur la piste cyclable juste devant moi et je freine sec. Sans perdre de temps à gueuler, je contourne et file comme le vent, toujours en quête d'un con à brûler.
    A Ikéa, j'arrive en retard et récupère un badge pour la pointeuse et les portes d'accès. Le mien ouvre même le local à vélos, j'ai négocié avec la boîte d'intérim. Je prends mon service avec dix-huit minutes de retard, au snack Ikéa, celui en face des caisses. Je passe la journée à concocter des mauvais hot dogs et des frites immondes en compagnie d'un autre intérimaire dont les remarques désobligeantes vis-à-vis de certaines catégories de clients m'incitent à penser qu'il a une dent contre les Gitans, les Arabes, les femmes pour lesquelles il n'éprouve pas de désir évident et les végans.
    A ma pause-repas de 40 minutes, je me dis que je n'ai toujours pas déniché de con alors je rédige frénétiquement dans mon cahier la suite des aventures de Jack Bauer.
    Je reprends mon service aux côtés d'un employé-maison, un homosexuel quinquagénaire qui aime bien rappeler à son entourage qu'il lui arrive fréquemment de « bouffer de la bite » et « de manger des culs », pour reprendre mot pour mot ses propres expressions. Je ne lui fais pas remarquer que seule son homosexualité ostensiblement affichée le sauve d'une accusation de vulgarité comme on les réserve habituellement aux gros beaufs à moustache tombante et bob Casanis, pour reprendre une nomenclature certes éculée mais toujours efficace.
    Un peu plus tard, une cliente manifestement accablée d'un handicap psy vient râler au comptoir et je l'accueille avec le sourire. Je suis un vrai gentil, limite naïf, un paillasson pour qui a besoin de s'essuyer les semelles sur du gentillet qui ne viendra pas se plaindre, et j'estime que tout client mérite qu'on le traite décemment, voire avec un minimum d'humanité, sinon de courtoisie.
    Mon collègue à l'humour de beauf s'empresse de me glisser dans l'oreille :
    « Dis donc, elle est chiante, ta femme.
    - Désolé, je n'aime pas ce genre d'humour, » que je réplique du tac au tac.
    Encore un peu plus tard, le beauf me désigne un jeune homme de nos collègues, posté aux caisse automatiques. Il s'agit d'un gars très jeune, les cheveux longs et bouclés qui lui retombent sur les épaules, les traits fins et délicats, les épaules plus étroites qu'un trou du cul.
    « Pour toi, c'est un garçon ou une fille ? »
    Question rhétorique. Il sait très bien que c'est un garçon. Je réponds toutefois que voilà un vrai physique androgyne et que c'est pas tous les jours que...
    Il me coupe, parce qu'en plus de lourd et con, mon collègue est malpoli.
    « Tu dirais quoi, « il » ou « elle » ? »
    Je comprends que c'est là justement là qu'il voulait en venir.
    « Je ne sais pas. C'est l'occasion d'employer « iel ». Tu crois pas ? »
    Son regard chargé de mépris essaie de me foudroyer sur place et échoue lamentablement. Il n'en déclare pas moins que « c'est nul, iel, putain jamais je dirais « iel », putain, ils sont où les hommes ? » et je me dis qu'on est mal barré si même les homos se mettent à parler comme des connards masculinistes.
    A ma pause de vingt minutes, je bois deux cafés et rédige une page.
    Je termine à 18h18, rentre chez moi, prends un bain, regarde un épisode d'un truc que j'ai déjà oublié et m'endors en me répétant qu'il me faut un con et que je ne trouverai jamais la cible idéale.
    La journée du lendemain ressemble énormément à la journée sus-décrite, si ce n'est qu'on est samedi et que le samedi, il y a des clients. Par ailleurs, je suis cette fois posté à l'étage, au restaurant. Celui où l'on sert des boulettes avec la sauce Ikéa et la confiture d'airelles. Mangeable mais tout est ici surgelé, préparé à l'avance, pas spécialement ragoûtant.
    La journée passe plus vite que celle de la veille. Pas de con à l'horizon, pas de conflit, pas d'embrouille, juste du speed et de l'huile de coude, pas de quoi fouetter un chat. J'écris l'équivalent de trois feuillets pendant mes pauses et les journées de la semaine suivante se déroulent à peu près de la même façon.
    Mardi, j'ai droit à un vrai con, le genre qu'on aimerait balancer dans une cabine d'ascenseur enflammée du haut d'un immeuble à douze étages. Un vigile. Les membres du service « sécurité » n'ont rien de particulièrement désagréable, pour la plupart. Sélectionnés pour leurs capacités physiques, voire leur apparence - grands, costauds, les épaules larges et les biceps bombés - certains d'entre eux courent après leurs neurones dès qu'on essaie d'échanger trois mots. D'ailleurs, ils ne parlent pas, ils ânonnent. On dirait qu'ils déchiffrent un texte rédigé à l'avance par un enfant de six ans.
    Je n'ai droit qu'à la fin de l'histoire.
    Un gars que je reconnais pour lui avoir servi un verre de soda à la framboise et une paire de hot dogs aux légumes nous revient, la tronche affligée et un vigile lui aboyant dans le dos. Le vigile, je vous le décris géométriquement : une boule juchée sur deux segments à courte patte, une gueule de losange affaissé, des lunettes rectangulaires sur un pif tracé au gros feutre noir. Je ne comprends pas ce qu'il gueule mais je finis par piger qu'on me demande si ce client en est justement un, de client, ou s'il a attendu, tapi dans l'ombre, que nous lui tournions le dos après lui avoir préparé sa commande, afin de s'emparer des deux petits sandwiches et du grand verre, non sans réclamer une serviette et des dosettes des ketchup, que je lui aurais fourni sous la menace d'un sourire ou d'une formule de politesse.
    « Il a payé. »
    Le vigile n'en démord pas.
    « Tu partais avec un verre ! Où tu croyais aller comme ça ? »
    Sidéré, je ne pense pas à lui signaler qu'il se montre irrespectueux en tutoyant le client.
    En lieu et place, je saisis le verre, en vide le contenu dans un gobelet en carton que je recouvre d'un couvercle pour la route. Lorsque je le rends au client - dont le faciès estampillé « pas d'ici » le rend éminemment suspect aux yeux du vigile, n'en doutons point - celui-ci semble acculé contre le comptoir par la masse imposante du casse-pied.
    « C'est bon ! » dit le client, agacé, « on a fini, là ! »
    Le prétorien, ça lui en bouche un coin, mais surtout ça le regonfle. Alors il fulmine et y va de son :
    « Ce sera fini quand je dirai que c'est fini ! »
    C'est là que je m'empare de la seringue hypodermique que je conserve en permanence sous le comptoir. Dans cette seringue, un puissant narcotique. Je l'enfonce dans le cou du gardien Ikéa tout en signifiant d'un regard au client qu'il est temps pour lui de déguerpir.
    Le surveillant général me regarde avec un air surpris qui le rendrait presque sympathique, tandis qu'il plaque sa main gauche sur son cou et me saisit par le mien de la droite.
    « Qu'est-ce que tu viens de me faire ? »
    Je lui dis rien, n'importeuh quoi, il délire complètement, mais s'il ne se sent pas bien, je peux l'installer derrière, dans la réserve. Il commence à suer abondamment et ses paupières s'alourdissent derrière les verres embués de ses lunettes.
    « Je n'ai pas confiance en toi, je ne te...
    - Ce serait bien de faire quelque chose au sujet de ce tutoiement. Allez, suivez-moi. »
    Je l'attrape par le bras et l'entraîne dans le magasin de stockage. Là, il s'assoie sur un tas de palettes et il ne lui faut pas dix secondes pour basculer en arrière.
    Je le planque derrière un grand frigo, celui où on range les sacs de frites et les briques de Langlur, puis j'attends patiemment ma deuxième pause.
    A ce moment-là, j'ai déjà repéré un gros carton dans lequel l'installer. L'opération me coûte un tour de reins mais j'en ai rien à foutre. Je n'ai toujours pas trouvé mon con pour le texte que j'aimerais écrire alors que faut que je me grouille.
    Le carton, je l'installe sur un transpalette et l'amène dans les profondeurs d'Ikéa, là où une fournaise alimentée vingt-quatre heures sur vingt-quatre consume cartons et papiers d'emballages sans discontinuer. Personne. J'adore ce genre de coïncidences. Si je le racontais dans une fiction, on ne me croirait pas. Mais comme tout ceci est réel, je n'ai pas besoin de jouer la carte du réalisme.
    J'ouvre la porte de la fournaise, pousse le carton à l'intérieur, patiente quelques secondes. Ah, manifestement, la chaleur, ça réveille. Pas pour longtemps, me dis-je en écoutant les hurlements stridents poussés par le vigile.
    Je repars quelques minutes plus tard, non sans me demander ce que je vais bien pouvoir écrire bordel.