"Your body. My choice"

Le 22/04/2025
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par Cuddle
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Thèmes / Saint-Con / 2025
Cuddle est une élève sage, son texte respecte les règles, les bons usages, suit toutes les procédures et ne tente jamais rien d'affolant. On serre un peu les dents pour cette jeune femme agressée par un troupeau de boeufs humains enragés par l'effet de meute, juste ce qu'il faut, pas trop non plus. On apprécie l'inévitable nettoyage par le feu, juste assez. C'est sans prétention et lisible, ça glisse tout seul jusqu'au fond du cul sans même qu'on le remarque. Bon, moi j'aime bien quand ça fait un peu mal quand même, ça laisse plus de traces dans la mémoire traumatique et peut-être que ce texte est un peu oubliable. Ca m'en touche une sans faire bouger les trois autres. Disons qu'après la sieste et avant l'apéro, ça passe bien.
La manifestation

Des panaches de fumée.

Des étincelles rouges dans l’air.

Des cris. Des explosions de joie.

La ville devient vivante, grouillante. La foule se masse dans les ruelles, remonte la Pennsylvania avenue. De loin, les formes s’amalgament. Les silhouettes disparaissent. La chose humaine se prolonge dans les artères de la ville, pulsante, bruyante. Les gratte-ciels encadrent l’afflux sanguin qui se déverse en direction du Capitole. Les bâtiments argentés reflètent les rayons aveuglants du soleil. Il fait beau aujourd’hui.
Il faut se rapprocher pour mieux voir.
Des fumigènes éclatent dans une pluie d’étoiles, colorent un instant des visages sans formes, sans reliefs. Au cœur de la manifestation, des hommes soulèvent des drapeaux, des écriteaux bariolés. L’un d’eux est au-devant du cortège : N.F, casquette « America First » vissée sur la tête. Il n’y a rien à dire sur cet homme insipide. Un masque anonyme, sans contour, sans éclat.

Et pourtant, l’homme insignifiant harangue la populace, les yeux fous : « Your body. My Choice ! ». Les rires gras fusent sous les acclamations en délire. La chose humaine lève les bras au ciel dans un concert de slogans misogyne et cliché : « Les mecs ont gagné ! Bande de Salopes ! », « Retourne dans ta cuisine, pouffiasse ! », « La bague à la bite ! Non merci ! », « Domi-NATION ! »…

Jubilation triviale. Les insultes deviennent des hymnes. La haine se déverse dans une gerbe nauséabonde, infectant les membres malades et fragiles jusqu’à l’agonie. On parade fièrement, gangréné par l’agressivité.

Les drapeaux ondulent au gré du vent. Les vagues colorées laissent une empreinte rouge et bleu dans les airs. Des confettis explosent dans le ciel, ajoutent un brin de légèreté dans ce tableau confus, ponctué de traits bruns, noirs et kaki.

Je me penche en avant, regarde d’un peu plus près.

Ils n’ont pas de visage. Ce sont juste des êtres de chair à l’odeur aigre et acide. Les corps gras embaument l’atmosphère d’une puanteur abominable : fromage, urine, poisson rance se mêlent aux effluves de transpiration et de testostérone. Les immondices charrient leurs effluves toxiques dans les ruelles. Un ruban grisâtre aux relents d’égouts flotte au-dessus de la masse.

Cette agression olfactive est brutale. Elle me rebute, me pique les yeux. Des larmes roulent sur mes joues.

Ils paradent toujours. Casquette. Treillis. Barbe. Lunettes. Les torse-nus affichent des slogans masculinistes sur leurs pectoraux luisants. Ils appartiennent à un groupe. À plusieurs, ils sont plus forts.
N.F est toujours au-devant du troupeau, se tortillant comme un diable. L’homme sans visage est possédé. Euphorique, il sautille de manière frénétique, hurlant et riant à gorge déployée : « Quatorze mots » ! Et la plèbe reprend en cœur : « 14 ! », « 14 ! », « 14 ! ».


La blondinette

Il est 14h. On s’impatiente. La foule a faim.

Exacerbée par l’alcool, la masse humaine s’électrise. Des vibrations secouent la nuée infernale. Les esprits s’échauffent. La tension est palpable. Des perturbations alimentent un grondement sonore. Des huées remontent d’outre-tombe. Un groupe de femmes s’immisce dans le cortège, crachant sur les êtres de chair. Insultes cinglantes. Propos haineux. Les corps se tordent, se contorsionnent, se déforment.

On se bouscule. On crie. On hurle.

Affrontements violents.

Coups qui fusent.

Deux hommes attrapent une blondinette au passage. Ils la jettent au sol. Elle tombe. Sa tête cogne le goudron. Sa tempe s’ouvre sous le choc. Le sol est râpeux, brûlant, collant. Le sang voile son regard.

Rouge.

L’image devient rouge.

À quatre pattes, elle tâtonne, cherche une échappatoire à cet enfer. Une forêt de jambes l’encercle, se resserre. Elle est prise au piège. Les insultes déferlent. Quelqu’un filme. La folie s’empare du groupe. Des yeux globuleux se forment sur les visages plats. L’image est saisissante, impossible.

Moment de flottement.

Quelqu’un la saisit par les cheveux. « Salope ». Elle frappe au hasard. Son poing rencontre le vide. Quelqu’un rit. Un coup sournois dans le dos. Des mains s’enroulent autour de ses chevilles. Elle glisse. La foule s’écarte avant de se refermer sur elle. Les coups de pieds fracassent son dos, son torse.
Craquements. Bruits sourds. Hurlement. Douleur éclatée. Elle rampe, cherche à échapper à la vague furieuse. Elle ne sait pas qu’elle va être avalée par la meute. La rage provoque un dernier sursaut. La blondinette se redresse, vomit une salve d’insultes qui cinglent les hommes de plein fouet. Les représailles sont immédiates.
Un corps disparait sous les coups. Il est dévoré par la meute. Ne laisse qu’une trace rouge sur le goudron.

Il ne reste rien. Le spectacle est fini.

Le troupeau enragé continue d’avancer. Au fil des heures, la haine est palpable, contagieuse. Elle parasite la masse, rampe sous la peau.
Les nerfs se tendent. Le sang brûle.


Apocalypse selon Saint-Jean

Je me dois d’agir.

Ma colère se mue en vengeance divine.

Une tache d’encre obscurcit la voûte céleste, dégouline dans une pluie ténébreuse. Les drapeaux aux couleurs vivides s’estompent dans un dégradé pâle. Le paysage délavé s’essouffle. Une marée grise colore le monde.

Dans les ruelles, un front s’élève lentement. Les paupières sont closes, colossales, irréelles. Un nez s’arrache des entrailles de la terre. La chair grouillante tremblote, tangue sous l’effet des vibrations. Le séisme fracture la croûte terrestre avec une brutalité inouïe. Des failles abyssales, d’une géométrie aberrante, se forment dans le vide.

Les cris de joie deviennent des cris de terreur.

Une bouche s’ouvre dans la largeur. Béante. Cosmique. Divine. Elle déchire la ruelle pour engloutir le monde. L’onde de choc provoque une explosion de poussière. Les maisons de poupées tressautent de surprise, dégringolent avant d’être avalées par le néant.

Les yeux s’ouvrent doucement.

Deux noyaux solaires irradient l’atmosphère d’une lueur incandescente. Les rayons dévastateurs éclatent aux quatre coins de la ville, brûlent tout sur leur passage.

En proie au supplice, les silhouettes noires s’éparpillent comme des nuisibles. Les araignées se carapatent dans les ombres, s’agglutinent en grappe sur des rochers salvateurs. La terre danse sur une mer de lave.

Rien n’échappe à mon regard.

Sur mes yeux, ils brûlent.

Certains bondissent en l’air, tentent d’échapper à mon courroux vengeur.
Le temps se fige.

Ils sont en apesanteur, maintenant. Une expression grotesque déforme leurs traits insipides. Une onde de chaleur glisse sur les marionnettes disloquées. Elles rayonnent, louvoient dans l’air vibrant. Luisants de sueur, les corps crépitent, puis rougissent. Absurdes, les boules sanglantes s’élèvent dans le ciel, se teintent de rivières sombres. Les soleils noirs dansent dans l’air saturé de soufre. L’image est saisissante. Impossible.

Ma colère s’embrase.

Une tempête de feu se déchaîne. Le raz-de-marée se fracasse sur les restes d’un monde à l’agonie. Une pluie de flammes explose. Des filaments incandescents forment des lignes rougeoyantes sur ce fond gris.

Dans les airs, les marionnettes en feu implorent Miséricorde.

Futile.

Leurs visages couturés de cloques se fendent sous la chaleur. Les globes frétillent avant d’exploser sous la puissance du feu. Les bombes incendiaires tombent à genoux dans un panache de fumée rougeâtre.

Les ventres gonflent.

Déchirement humide.

Claquement sec.

Les entrailles éclaboussent mon visage dans une déflagration sanglante. Une cascade chaude me douche de rouge. Les silhouettes s’effilochent dans un amalgame de chairs brûlées.

Le brasier infernal redouble d’intensité. C’est l’asphyxie.

Je suis la fin.

J’apporte la mort.

J’apporte la paix.