La bande-son de vos vacances

Le 16/04/2025
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par Grégory Pierre
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Thèmes / Saint-Con / 2025
Derrière ce titre digne d'une compilation cassette retrouvée par hasard sous la commode d'un bungalow Pierre et Vacances se cache un modeste texte de Saint-Con tout à fait lisible, bien qu'anecdotique et parfaitement prévisible. L'écriture tient la route comme une vieille Mégane II, sans faire d'étincelles. Le cahier des charges est rempli, le con est présent, il crame et... c'est à peu près tout. On aurait sans doute apprécié un con plus solide, un bon gros con qui mérite pleinement sa crémation, mais on s'en contentera jusqu'au prochain texte. Originalité notable, tout de même : il s'agit de la deuxième nouvelle de genre de cette Saint-Con 2025.
Musique à fond, bière tiède, route déserte, et soudain c'est le drame!
En passant sur le dos d’âne, la voiture émit un craquement sinistre qui ne présageait rien de bon quant à l’avenir de ses suspensions. Mais peu importe, car Damien ne l’entendait pas. Il n’était pas sourd, il écoutait seulement la musique très forte, de sorte que l’autoradio couvrait les divers râles d’agonie que lui lançait son véhicule. Il était friand de musique qui tache, si possible avec des paroles obscènes, qu’il se faisait un malin plaisir de hurler par les vitres toujours grandes ouvertes de son véhicule, ne serait-ce que pour voir la tête des passants choqués par son comportement.
Mais Damien n’en avait que faire, il roulait à toutes berzingue vers son lieu de résidence estival, le camping des… Des… Des quoi déjà ?

Arf ! Pas grave, il verrait bien quand il y serait ! Peu importe la destination, pourvu qu’on ait l’ivresse! Ou un truc comme ça, se dit-il en finissant une énième canette de bière, qu’il jeta ensuite par la fenêtre ouverte de son véhicule.
Il faut dire que le siège passager à côté de lui était déjà plein de cadavres (de bouteilles), alors il se dit qu’il était temps de changer de méthode de recyclage, et que de toute façon ça ne ferait pas grosse différence sur la route absolument déserte qu’il parcourait actuellement. En deux heures, il n’avait croisé qu’un seul tracteur, et encore, il était à l’arrêt sur le bord de la route.
Le camping était vraiment paumé. À moins que ce ne soit lui qui soit perdu ?

Arf ! Pas grave, son réservoir était encore à moitié plein ! Il pouvait voir venir.
Pour faire passer le goût douteux de sa mauvaise bière tiède, il s’alluma une cigarette, tout en gardant un œil distrait sur la route. Il se saisit ensuite de son téléphone, car la musique venait de s’arrêter.
« Qu’est-ce c’est que ça ? Putain, y’a pas de réseau dans ce coin paumé ?! »
Sans ralentir l’allure, il maudit le téléphone qu’il jeta dans un coin de l’habitacle, et se mit à fouiller comme un gynécologue hyperactif la boîte à gants de son véhicule, à la recherche d'une cassette quelconque.
Et puisqu’il conduisait et qu’il effectuait sa recherche en même temps, ni l’une ni l’autre de ses tâches ne se passaient bien. Mais par un curieux hasard, les nombreux zigzags provoqués par son inattention derrière le volant finirent par secouer suffisamment le contenu du vide-poche pour que tombe entre ses mains l’objet de tant de recherche.
Tout fier de sa trouvaille, Damien se redressa derrière le volant et reporta toute son attention sur la route, juste à temps pour esquiver un gros blaireau qui traversait la route, le pauvre animal l’ayant certainement pris pour un de ses congénères.
Après avoir lâché une bordée d’injures qui aurait fait couler une larme de fierté à Jean-Marie Bigard, il jeta un œil à la cassette, histoire de voir ce qui l’attendait. L’étiquette était maculée d’un rouge sombre, seule était lisible la mention “Démons” dans une typographie étrange.

Damien fit une drôle de moue. Il essayait de se souvenir d’où pouvait bien venir cette cassette. Dans les vapeurs d’alcool qui commençaient à lui embrumer le cerveau, il lui semblait avoir déjà vu cette cassette, il y a fort longtemps, sur un stand un peu à l’écart, lors d’un festival de musique auquel il avait assisté. Le reste des détails restait obscur pour le moment, sa seule certitude étant qu’il ne l’avait jamais écouté jusqu’à aujourd’hui.

Arf ! Pas grave, Damien en avait vu d’autres. Il enfourna la cassette dans son autoradio.
Et soudain, ce fut le silence. Comme si quelqu’un diffusait du silence, mais à un volume très élevé. Damien n’entendait presque plus le moteur de sa voiture, tant le silence était assourdissant. Bien conscient qu’il y avait un souci, Damien consentit à retirer son pied de l’accélérateur quelques instants, pour traiter le problème à sa façon habituelle.

Quelques coups de saton dans l’autoradio plus tard, alors qu’il remettait le pied au plancher pour arriver au camping le plus vite possible et s’envoyer une bière bien fraîche derrière la cravate, il appuya sur le bouton lecture et monta le volume au maximum, bien décidé à profiter d’un peu de gros son sur son trajet.

Et soudain, un hurlement inhumain retentit de toute la puissance du système sonore de la voiture. Un cri si puissant que la voiture tressauta comme si elle avait roulé à pleine vitesse sur un coussin berlinois. Instantanément, le tympan gauche de Damien explosa, et sous le coup de la surprise et de la douleur, il donna un grand coup de volant et son véhicule fit une embardée, quitta la route et enchaîna une série de tonneaux. Il se retrouva finalement éjecté de son véhicule car Damien ne mettait jamais sa ceinture de sécurité. (“ Je préfère les bretelles !”, disait-il toujours avec son sens de l’humour si particulier).
Il finit par atterrir sur une vieille souche d’arbre, la colonne vertébrale la première, à plus de 17 m de son véhicule; la moitié de ses vertèbres compactée en une bouillie infâme qui allait le laisser paralysé jusqu’à l’imminente fin de ses jours. Le choc de l’atterrissage fut si violent que ses dents sectionnèrent la moitié de sa langue avant de se déchausser sous la pression titanesque engendrée par la force centrifuge du ballet aérien de son véhicule.
Les secours le retrouvèrent sept heures plus tard.
Ou plutôt, ils retrouvèrent ce qu'il en restait. Car si l'autoradio fonctionnait toujours à plein volume, ses hurlements innommables ayant permis de guider les recherches dans la nuit, un autre élément avait marqué la scène de son sceau infernal.
Durant son calvaire immobile, alors que les cris démoniaques torturaient son esprit déjà vacillant, Damien avait perçu autre chose. Une odeur âcre, puis une chaleur grandissante. Paralysé, dans l’incapacité de détourner le regard, il avait vu naître les premières flammes près du moteur éventré de sa voiture. Peut-être une étincelle de la batterie, peut-être l'ultime provocation de la cassette maudite ? Ou simplement la conséquence logique de sa propre négligence - une cigarette mal éteinte roulée sous un siège lors des tonneaux ?
Nourri par l'essence qui fuyait et les flaques de bière répandues dans l'herbe sèche, le feu avait gagné du terrain. Inexorablement, tandis qu’à chaque fin de bande, la fonction autoreverse venait remettre un clou dans son cercueil, les flammes avaient léché la carcasse tordue avant de ramper lentement vers lui. Durant tout son calvaire, il avait entendu et subi, sans pouvoir faire le moindre geste, les cris démoniaques venant de l’épave. Les hurlements glaçant auxquels se rajoutaient par moments des cris de terreur, qui eux semblaient bien humains, avaient fini par avoir raison de sa santé mentale
Mais bien avant ça, il avait senti la chaleur lui mordre la peau et faire fondre ses chairs, vu les lueurs dansantes se rapprocher, entendu le crépitement sinistre se mêler aux hurlements de la cassette. Son dernier éclair de lucidité - la vision de l'homme en noir lui tendant la cassette maudite et le mettant en garde contre le "chant des démons" - s'était achevé dans une bouffée de chaleur insoutenable, la chaleur finissant de liquéfier son cerveau en ébullition.
Quand les secours arrivèrent enfin, ils trouvèrent une épave de voiture encore fumante, l'autoradio silencieux, enfin consumé. Et à quelques mètres de là, les restes calcinés de Damien. Sa dernière bande-son avait été celle de sa propre crémation.