LA ZONE -

LA DISPARITION DU SEL DE GUIRLANDE

Le 14/04/2025
par Latyfa Croft
[illustration] Une Manufacture au centre des querelles politiques, des personnages honnêtes et du feu
— On enlève la braise ! gueule le chef de la cuisson.
Deux ouvriers veillent au grain afin de déblayer la cendre pour qu’il reprenne sa respiration.
On arrive avec les brouettes, les braises chaudes, moites, noirâtres sont déblayées pour que le four reprenne sa respiration. On videra les tas une fois refroidis, peut-être le lendemain, plus tard, lorsqu’on se serra reposé.

La chaleur est piquante. Le bois est consommé. Le four, dont la taille est comparable à un logis pour une famille de lutins, chauffe déjà depuis déjà vingt heures. Comme un marathon, la chaleur grimpe en plus petite foulée, depuis les 1100°c. L’ambiance est foisonnante, entre les ouvriers qui se relaient pour alimenter les quatre alandiers et ceux qui font une pause dans leur travail pour regarder l’évolution du feu. Les bouches du four, réclament, rejettent, digèrent, rejettent réclament et ainsi de suite. Et ça continue. De jour, de nuit, de jour, la bouche s’ouvre, on l’a referme, on lui enfourne des grosses bûches, on ouvre, on ferme.
En plus des briques réfractaires, les ouvriers habillent la fournaise. On remplace régulièrement ceux qui se situent devant les alandiers, c'est un roulement bien chorégraphié.On s’écrit en cœur:
1245°c !
1245°c !
Encore quarante degrés, c’est quoi quarante degrés ? On ne cuit rien à quarante degrés, néanmoins ce sont les degrés les plus importants à ce stade, les plus attendus et surtout les plus difficiles. Nos derniers mètres à atteindre lors d’une excursion montagneuse. Ensemble, pas après pas, les uns derrières les autres, on se hisse, la fatigue remplis chaque expiration, la chaleur hurle et tient les paupières épaisses tendues. On ne peut plus toucher le four brûlant. Le sang fourmille dans les jambes trop proches du feu. La vaste nuit sans repos pèse sur le dos des ouvriers impatients. La rigueur et la patience sont des compétences obligatoires, on est au service d’une cuisson aux prérogatives claires. Pas de brusquerie. La cuisson est un soin qui demande de l’endurance.

Romuald le chef, main sur les hanches, le front et les joues luisantes de sueur, regarde la scène. Ses yeux écarquillés circulent. Il est tendu, il faut tout contrôler, tout maîtriser. Diriger une cuisson pareil est exaltant, certes, mais c'est un poids sur les épaules, une responsabilité à ne pas prendre à la légère. Plus que quelques minutes avant le meilleur moment de la cuisson. Son préféré, le préféré de tous. Les degrés avancent sur l'écran, inscrivant et mettant en mémoire la vie du four de ces deux fabuleux jours. Il est temps. Il saisit son trousseau de clé. Pour le chercher il faut se séparer du feu et traverser la manufacture.

La manufacture orbiculaire enferme en son sein de nombreux corps de métier faisant office de soft power que le gouvernement fait briller dès que l’occasion se présente. Elle fabrique la décoration: des tapis, vases, mobiliers, linge de maison…et la vaisselle dans laquelle l’ensemble des têtes intendantes du pays savourent les mets mis au point également ici.

Enlacé par une forêt sèche, un lac se bat pour rester généreusement humide. Dans l’enceinte du domaine, s’étendent une multitude de bâtiments entourés de jardins féeriques, soigneusement entretenus par une équipe de paysagistes énergiques. A l’est, un bâtiment à été construit en fonction d’un four à bois de cinq mètres de haut destiné aux cuissons particulières.

Romuald prend la direction du local entreposant le fameux sel. Son cœur bat fort, sa tête aussi, la sueur dégouline sur sa nuque lui laissant une brève sensation de fraîcheur. La pièce numéro 201. Celle du coffre. Ses pas résonnent dans les couloirs vides. Il apprécie le silence. Depuis vingt neuf heures il s'occupe de la cuisson. Il descend par les marches du côté sud et traverse le premier jardin pour accéder rapidement à la salle.
Ouvre.
Clic.
Il s'empare de la boîte en verre. Il ne doit pas être conservé dans un autre contenant que du verre.
C'est la règle.
Le bouchon soulevé, il admire ces petites perles nacrées. Le sel de guirlande. Comme hypnotisé, Romuald admire ces grains fins, ronds, avec un petit trou au centre très fin presque indicible. Le nacré rougeoie en fonction de la lumière, on distingue du vert, du rouge, si c'est violet c'est mauvais signe, inutilisable il paraît.
Selon la règle.
— Des minis bagels, se murmure-t-il à lui-même.
Après cette pensée, la faim commence à le tirailler. Plus tard. Les priorités d’abord.

Il dépose l'équivalent d’une poignée dans un récipient en verre, il manipule avec attention le précieux sel. Le retour se fait instinctivement, de telle sorte qu’il ne remarque même pas la jeune femme derrière lui.

Il rejoint l’équipe frémissante. Un peu fébrile, il prend deux minutes pour changer de vêtements qu’il laisse traîner dans le vestiaire de fortune à côté du four. Heureusement que l’odeur de bois est plus prenante que celle de la sueur. Il n’a pas une idée de comment on se souviendra de lui plus tard, mais il aimerait que ce soit autrement que celui à la forte odeur. En rejoignant la troupe, il enfile les gants destinés à cet usage. Il attrape les grains un à un, les insère dans une longue cuillère fabriquée pour cet effet. Il grimpe rejoindre la petite trappe, se saisit de l’outil, le glisse doucement dans l'intérieur du four.
— Fermez les alandiers maintenant !
Il ne sent pas la chaleur, ne voit pas le blanc intense brûlant, place à une extrème concentration: jeter le sel bien au centre et propulse enfin son contenant au feu. Avec méticulosité, il tourne la cuillère de manière à ce que le sel s’évapore sur les pièces. Il retire la cuillère, ferme la trappe et ne prend pas le temps de descendre les marches de l'escabeau, il se lance à terre.
Personne ne bouge, Romuald ne prend pas gare à l’ombre qui sort de son vestiaire, la foule est tendue, les yeux rivés à la fois sur le four et en haut, au niveau de la cheminée. Un léger grognement monte, résonne, le four vrombit dangereusement. L'atmosphère est lourde, quelques ouvriers chuchotent.
— Ça y est ! soupire le chef, soulagé.
La fumée jusque là légèrement grise commence à virer rouge. Instantanément, un joyeux brouhaha et des applaudissements.

On tape sur l’épaule de Romuald:
— C’est bon mon gars, tout s’est bien passé !
La pression descend, il sourit malgré la sueur qui lui descend maintenant dans les yeux. Yeux qu’il va bientôt fermer afin de récupérer de ces heures émotionnellement dense. La température à été atteinte dans les temps prévus. L’impatience et l’excitation laisse place à la déception d’en avoir déjà fini.

Derrière Romuald, Tonie, sa coéquipière de cuisson, affublée de vêtements de protection, remarquable par ses cheveux couleur grenadine attachés en un haut chignon, raconte à grand renfort de gestes les moments forts de la cuisson à sa copine Clarence qui a pu se libérer furtivement des cuisines pour participer à ce moment extraordinaire.

Lorsqu’elle s’échappe pour rejoindre Romuald, la cuisinière est rejointe quand à elle par la femme qu’il a faillit percuté tout à l’heure.
— Tu t’es bien débrouillé, tu es content ? La gestion de la montée en température était bien conduite n'est-ce pas ? lui demande Tonie, tout sourire.

Ce four est la conclusion de plusieurs mois de travail acharnés à remplir le four de céramiques exceptionnelles. Il enferme en son sein un service de table exceptionnel destiné au grand festin qui va permettre les deux extrêmes de se regrouper afin d’assainir un gouvernement de plus en plus régi par l’austérité. Personne ne sait encore ce que cette signature va chambouler.

***

Ce matin, un épais brouillard envahit la ville. On distingue à peine deux silhouettes sur le quai de la gare. On entend le train au loin. Il entre en gare. Il ne s’arrête pas.

Les deux amies traversent l'autre côté. Elles ont découvert ce raccourci qui leur permet de gagner dix minutes par jour sur leur trajet. Heureuse de profiter de leur liberté de mouvement, elles regardent le train passer. Bondé, saturé de leurs collègues qui, bientôt, vont remplir la manufacture. C’est rare qu’elles puissent faire le chemin ensemble. Aujourd'hui est un jour spécial, celui du défournement. Tous les membres de la fabrique sont invités à y assister. Elles ont beau travailler au même endroit, leurs activités et horaires sont si différents que chaque moment ensemble doit être savouré. Elles se confortent à l’idée que ça rend chaque moment plus intense. Pour l’instant.

Le grand jour est arrivé. Au second plan sont relégués les ouvriers qui ont participé au projet. Au premier plan, devant les journalistes on y trouve les directeurs de la structure et quelques personnalités politiques.

Romuald et son équipe depuis hier ont intimement commencé à ouvrir la porte du four scellée par de la terre. Une brique après l’autre, ils ont gratté, bêché, sculpté afin de permettre ce jour la découverte de l'ensemble du service. Ils saisissent les pièces une à une: assiette plate, de présentation, creuses, à pain, à gâteaux, soucoupes… Romuald dans le four est le premier à saisir les pièces, il laisse la main ensuite au groupe destiné à parader avec. Pas son truc. les courbettes. Que dans la chambre à coucher.

Au fur et à mesure que le tas décroît, il distingue la magnificence des parois du four qui ont vécus un bon nombre de cuisson avec ce sel. Les parois brillent, elles sont d’un nacré féérique.
— Romuald alors tu te grouilles ? lui chuchote son équipier.
Il se reprend, saisit cette fois un ravier: un ravier pour les rave. Y aura-t-il vraiment des raves au buffet ? Des sauces pour les sauciers ? Et s’il faisait un poulet, quel plat conviendrait ? Y'a t-il un plat pour les blettes ? On l'appellerait le blettiers.

On ne sait toujours pas en quoi consiste cette rencontre gourmande. Du fait de la situation actuelle, Romuald ne se fait pas d’illusion. La question s’est posée lorsqu’il est venu travailler ici. Travailler pour la mise en valeur des traditions et savoir faire d’une politique qu’il ne comprend pas et qu’il ne respecte pas, comment faire ?

Depuis, il a appris à aimer son métier, il manipule du sel de guirlande, un élément unique au monde, mais en plus il s’en sert et cela détermine la magnificences de céramiques destinées aux plus grands des festins historiques !

Après les gobelets à jus, et ceux à cocktails, il fait dérouler une série de petites tasses décorées finement qui jurent avec ses doigts gonflés. Il se contorsionne de plus en plus, libère l’espace au fur et à mesure.

Romuald de retour à son bureau découvre le récipient vide en verre dans lequel il avait mis le sel. Il retourne au local le ranger immédiatement auprès du sel restant. Tonie toque à la porte.
— Il est là ? Tu crois que tu peux me le montrer ? demande Tonie avec curiosité.
Romuald acquiesce avec plaisir. Vu les coups de main qu’elle lui donne, elle mérite bien cela. Il ouvre le coffre à l’aide de sa clé, prend la boîte qu’il découvre vidée. Tonie ne comprend pas bien, tandis que Romuald voit sa vie défiler sous ses yeux, anéantie, il sue violemment, il vient de donner un motif conséquent pour qu’on le vire. Mais ce n’est pas le pire, le pire c’est la honte. La honte de ne pas avoir su garder ce qui fait le prestige de sa ville et même de son pays.
— Il n’est plus là, chuchote-t-il.
— Oh non c’est pas vrai, que s'est-il passé ? Tu l’as peut-être entièrement vidé ?
— Assurément non. Quelqu’un l’a volé.
— Que serait notre porcelaine sans l’application du sel de guirlande en fin de cuisson ?
— La fabrication de céramique se fait sans sel, cet ingrédient secret fait la valeur des pièces d’ici. La beauté, la féerie. On est happé lorsqu’on les regarde. On est remplis d’un sentiment comme nul autre. Une sorte de soulagement, de waouh, d’envie de regarder longtemps, hypnotisé.
— Tu risques si gros ?
— Tu ne te rends pas compte, dit Romuald, enchainant pas sur pas jusqu’à cent et bien plus.
— Il faut le dire ?
— Je pourrais défendre que j’ai mis l'entièreté du sel dans le four…réfléchit Romuald
— Peut-on s'en procurer à nouveau ? Où est-il fabriqué ? Faut-il aller près de la mer ? insiste Tonie.
— Ce n’est pas un sel commun enfin Tonie ! s'énerve-t-il.
En pleine réflexion, soudainement, Romuald pense à son ancien maître d’apprentissage: Patric est la seule personne qui pourrait l’aider à ce stade…
— Tu as son contact ?
— Non, ce n'est pas le genre de discussion que je veux avoir au téléphone…
Les ouvriers d’ici dissimulent leurs doutes, mais travailler dans un lieu pareil, auprès de tant d’activités politiques, laissent fort à parier qu’ils soient espionnés.
— Très bien, on y va, propose-t-elle d’un ton assuré. Face à la tourmente de Romuald, elle sent qu’il est temps de le soutenir, elle sera son roc.

***

— C’est pas vrai quatre cent euros les deux allers-retour ? C’est du vol ! s’exclame Tonie.
— J’aurais bien aimé vous dire de vous y prendre avant la prochaine fois mais les prix varient tellement que c’est des fois encore plus cher un mois à l’avance ! répond la dame de l’accueil en gare.
Les deux acolytes vont profiter de leurs deux jours de repos commun pour partir en mission. Tonie, levée avec le soleil, s’est hâtée d’aller à la gare se renseigner pour partir au plus vite. Il est de plus en plus difficile de se déplacer: moins de train (toujours plus cher) et des péages (hors de prix). Elle n’y portait pas attention, il est vrai, que son métier l’isole dans une sorte de village hors du monde où en sortir se fait rare. Elle n’est pas plus casanière que cela, son emploi lui pompe simplement toute son énergie. Énergie qu’elle ne peut donc pas mettre à planifier de longues pérégrinations. Le temps de repos qu’on lui accorde est un temps de réel repos physique.

Pendant ce temps-là, concentré sur son téléphone, Romuald ne cède pas à la panique.
— Tu as autant de sur toi?
Romuald lève la tête, rigole et réplique:
— Certainement pas !
Tonie s’assied à côté de lui et regarde son écran:
— Une carte ? Pourquoi tu veux y aller à pied ?
— À vélo ! réponds-t-il, d’humeur joviale.
— C’est pas vrai ?
— T’as une autre solution toi ?
Tonie souffle et réfléchit, la vieille voiture de Clarence n’a pas servi depuis des mois et la dernière fois elle avait menacé d’exploser. Sans parler du péage exorbitant qui les attendait à la sortie de la ville d'à côté.
— Une demi-journée aller, une demi retour. Le dénivelé n’est pas aberrant. Il faudra peut-être un peu tirer son vélo à la fin…
Tonie ouvre grand ses yeux, déstabilisée.
— Ça fait longtemps que t’as pas pris de vacances ?
— Je ne sais pas si suer sur un vieux vélo en quête de quelque chose qu’on ne connaît pas soit vraiment des vacances…

Romuald l'emmène chez lui, pas loin de la gare, ils y accèdent facilement à pied. Une fois dans son garage, il s’affaire à graisser la chaîne de deux vélos de route datant des années quatre-vingt, bien conservés, armés de roues épaisses et de portes bagages. Il rassure Tonie:
— J’ai ce qu’il faut en matière de vélo, on a un souci de moins à se faire.
Pas le temps de réfléchir qu’ils sont déjà en route. Arrivée prévue dans l'après-midi chez Patric et retour le lendemain. Romuald en chef de file (comme à son habitude), Tonie se demande ce qu’elle fait là c'est ridicule, vont-ils vraiment parvenir à enchaîner tous ces kilomètres ? Ils sortent de la ville plus facilement que la longue file de voitures qui fait la queue au péage.
— Eh vous ! les interceptent deux hommes en uniforme. Où allez-vous ?
— Chez ma sœur de l’autre côté de la colline.
— Et vous, vous êtes?
Romuald prend la parole avant Tonie:
— Ma copine, c’est la première fois qu’elles vont se rencontrer.
Aurait-il perdu les pédales quant à leur relation ? Romuald dépote dès qu’on les laisse partir, ne laissant pas le temps à Tonie de lui demander des précisions sur son étrange élucubration. Elle peine à le suivre. Ils s'arrêtent enfin sur un banc entouré de végétation en plein centre d’un petit village ne comprenant qu’une boulangerie fermée, un coiffeur déserté et une quincaillerie qui fait aussi vente de produits locaux.
— C’est quoi ce bordel Romuald ? Pourquoi tu leur à menti ? Je suis avec Clarence on est ami, n’est-ce pas je ne veux pas qu’il y ait de malentendu !
— Ça fait combien de temps que tu n'es pas sortie Tonie ?
— Ce n’est pas la question enfin !
— Je crois que tu ne te rends pas compte de ce qui se trame… Tu n’as pas vu les patrouilles qui se multiplient ? Le devoir de se justifier dès qu’on se déplace ? Le prix exorbitant des trains, des péages ? Insidieusement les contrôles et restrictions de la population s'amplifient, que ce soit le contrôle des déplacements, comme le contrôle des relations.
Romuald fait une pause, attrape sa gourde et boit un grand coup avant de continuer:
— Heureusement pour nous j'ai vraiment une sœur pas loin, elle saura nous couvrir si besoin.
Tonie sent la peur se répandre en elle, et ces accords qui se rapprochent, ne serait-ce pas le point culminant d’une politique macabre ? Elle constate l’étendue de sa naïveté, de son déni peut-être ? Rien qu’en traversant les petites villes, des maisons bricolées donnent une ambiance de pauvreté grandissante, elle constate l'évolution négative d’un monde en décrépitude, par faute de moyen,

Pendant ce temps, au fur et à mesure des kilomètres, Romuald mâchonne des pensées grisâtres, il ne digère pas ce qui lui arrive. Toujours bon élève, il a veillé à faire de sa vie un chemin serein et honnête. Et maintenant on lui vole la chose unique et merveilleuse, la seule chose qu’on lui a transmis avec confiance. Ils se calent sur un banc aux abords d’une mairie boisée, l’arrivée en début d'après-midi risque d'être compromise, le vent n’est pas de leur côté et le faux plat n’a pas l’air de vouloir jouer en leur faveur, ce qui suffit à les ralentir.
— Après tout, tu as toujours vécu et travaillé ici, ça ne te ferait pas du bien de partir ailleurs, pas forcément loin mais prendre l’air quoi ? lui demande Tonie, dans une vaine tentative pour lui remonter le moral.
— Oui, je ne suis pas le genre à aimer l’aventure. J’aime mon confort. J’aime la routine, quand tout se déroule comme prévu.
— Oui je sais. Moi aussi. Et c’est d’ailleurs comme cela que je vie avec des visières et qu’il faut que ce soit avec toi que je découvre l’étendue de ma naïveté.
Romuald l’a rassure, après tout, se confronter à la réalité n’est pas toujours bon pour sa santé mentale.
— Tu veux une compote ?
Romuald la dévisage avec sa gourde goût fraise-pomme.
— Et dire que ta copine est chef cuistot !
— Bah quoi ? Elle est pas spécialisée en bouffe de voyage au cas où tu l’aurais pas remarqué.
Ils sourient en gobant leur goûter.
— Tu crois que Patric va le prendre comment en arrivant comme ça ?
— Je lui ai envoyé un message, il sera là. On ne restera pas longtemps. Et puis c’est un ermite, ça lui fera du bien de voir des gens.
Le soleil tape et le ciel bleu leurs donnent un peu d’optimisme. Ils s'arrêtent devant l’entrée d’une forêt boisée, qui se trouve être la porte de sortie de leur enthousiasme.
— Ce n'est même pas une piste.
— Allons-y !
— Romuald !
— Allez c’est en haut, répond-il, l'air faussement sûr de lui.
— Quoi ?!
— On peut les laisser, dit Romuald en désignant les vélos.
— Non, imagine qu'on nous les chourre !

Ça grimpe et la route est adaptée à des randonneurs bien chaussés et habitués, pas à des cyclistes du dimanche perdu, sans parler du poids de leurs vélos qu’ils doivent traîner.
Tonie aime la randonnée, ce qu'elle apprécie par-dessus tout c'est de prendre les chemins de traverse. Elle commence toujours par suivre les signes indiqués pour faire une jolie boucle bien balisée, la rouge, la verte, la violette, celle qui mène à une jolie mare ou à un point de vue, mais c'est toujours plus fort qu'elle: elle finit par aller à l'opposé de l'indication. Le chemin interdit est toujours plus tentant lorsqu'on a le goût du risque. Bien sûr, sur le coup c’est le meilleur, puis, rapidement on regrette car ça mène nulle part: on le prend quand même alors dis ? hein ? je suis sûr qu'il sera plus beau, plus rapide et moins étroit…

Aujourd'hui c’est différent, on est dans une quête et le temps est compté, on ne peut pas se perdre, on rentre demain pas vrai ? Tonie regarde avec envie, à tous les carrefours le chemin qu'ils ne prendront pas. Ils doivent arriver à bon port avant la nuit. Elle en a marre, elle ne s'était pas préparée à devoir dépenser autant d'énergie physique pour se déplacer. Ils grimpent, sillonnent, grincent.

Au moins il y a du réseau. Le réseau est utile. Uniquement lorsqu’on s’en sert. Apparemment Patric n'est pas très connecté. Romuald essaie de le joindre. Le chemin se confond en herbes folles, de moins en moins confortable, finalement ils l’ont, leur chemin de traverse. Il n’y a pas de sentier de randonnée spécial Maison de Patric.

Soudain, en haut d’une montée qui leur fait tourner la tête, les jambes fébriles, le ventre retourné, les yeux qui piquent, une plaine s’étale à leurs yeux, en plein soleil couchant.
Une petite maison trône au bout. La longue cheminée qui perce le ciel ne laisse aucun doute: c’est celle de son four à céramique construit dans le jardin.

Ne réalise t-il pas le fantasme ultime ? Se perdre sur une bute en solitaire.
***

Un grand bonhomme charpenté se présente devant eux. Il leur serre la main avec une poigne énergique. Ils rentrent s’installer dans le petit salon. Un grand verre d’eau oui merci et une chaise pour s'asseoir et ne plus bouger. La pièce a été refaite récemment, la lumière habille les bibelots disposés sur tous les espaces libres, les étagères, les murs, la table…Une odeur de peinture fraîche et de feux de bois se marient à celui d’un mijoté de légumes et de lentilles qu’il est en train de leur servir activement.
— Alors que me vaut ce plaisir ?
— Tu vas me détester. Romuald, d’habitude incisif, s'arrête pourtant là, brusquement muet
Tonie prend le relais:
— Le sel de guirlande a disparu.

Ils leur expliquent l'événement. Patric, regagne son air grave qu’on lui a connu durant ses années de services.
— Où peut-on s'en procurer ? On ne nous à pas tout dit sur ce sel mais vu comment il fait devenir nos porcelaines;.. J’imagine que c’est précieux, cher… rare…
— C'est le fruit d’un accord entre la Manufacture et deux vieilles dames qui ont vécu à côté du lac, disparues, probablement mortes depuis, c’était avant que la Manufacture prenne ses terres. Je leur avait toujours dit que c’était plus une malédiction, leur affaire.
— On n'écoute pas un ouvrier, complète Romuald regardant ses mains.
— La fabrication de ce sel est bel et bien un mystère. Ce n’est pas un minéral comme les autres, il a quelque chose ce sel. D’ailleurs, on l'appelle comme ça mais c’est une méprise et ça mène à une mécompréhension, ce n’est pas du sel, sa composition est bien particulière et très éloignée de celle du sel commun de table, c’est tout ce que je peux vous en dire les jeunes. Elles en avaient et…
— Avaient-elles vraiment le choix de leur en fournir ? coupe Tonie, suspicieuse.
Tout au long du trajet, elle avait peu à peu pris conscience de l’ampleur d’un déni général, la méfiance envers la direction du pays grandit en elle. Patric pour seule réponse boit une gorgée d’eau..

Les deux apprentis cyclistes acquiescent avec grand plaisir et soulagement lorsque Patric leur propose de dormir ici.

Au petit matin, les yeux collants, courbaturés comme jamais, les deux acolytes savourent d’avoir pu passer une bonne nuit de sommeil dans deux lits moelleux. Ils apprécient l’accueil de Patric d’autant plus, lorsqu’ils atteignent la cuisine et découvrent que leur hôte s’est affairé à leur préparer un copieux petit déjeuner, avec du café à volonté. Une fois un peu plus au clair avec leurs pensées, ils reprennent la discussion qu’ils auraient aimé ne jamais avoir.
— Le tout ce n’est pas le sel en lui-même, ce qui m'inquiète c’est plutôt qui l’a volé et pourquoi…L’intention que nous mettons dedans est primordiale. Toi, Romuald, en le glissant dans le four, tu es déterminé à faire de nos porcelaines les meilleures que nous ayons faites. Mais si l’intention est autre…le sel et sa “magie” si on peut l’appeler comme cela peut être détournée à des fins malveillantes, voire dangereuses. On dit qu’il peut faire dysfonctionner une société entière. Ce n’est que de vagues rumeurs. C’est peut-être des balivernes…
— C’est quoi cette histoire que s'il devient violet … c’est mauvais signes, c’est ça ? interroge Tonie, accrochée aux lèvres du vieil homme.
— C’est mauvais signe, c’est la règle.
Tonie écoute attentivement sans mot dire: mais quelle règle bon sang ? tout le monde parle de “règles” où sont-elles ? que disent-elles ? s'où viennent-elles ? qui les a rédigées ?
— Encore cette fichu règle. Sur le petit cahier. Que personne n’a jamais vu…ronchonne Romuald.

Patric rassure son ancien apprenti. Informer ses supérieurs, il ne voit pas comment faire autrement, et surtout espérer un peu de clémence. De toute façon, la réserve s'amenuisait tellement qu’il aurait fallu trouver une solution annexe. Il a simplement accéléré et révélé le fond du problème.

L’ancien les embarque dans sa voiture, une route secrète (enfin, une piste peu utilisée) permet de rejoindre la route facilement, du moment que vous soyez bien accrochés, et n’ayez pas peur des virages et des cailloux sauteurs.

Le retour en voiture, plus rapide et reposant soulagea les courbatures des deux apprentis explorateurs. Ils ne se le disent pas, mais ils sont bien contents de ne pas passer à nouveau la journée sur une selle de vélo réfractaire à prendre la forme de leurs fessiers respectifs. Avant de les laisser faire les quelques derniers kilomètres pour éviter le péage de leur ville, Patric, dans un élan paternaliste, saisit Romuald dans ses bras.

***
Ce début de semaine commence en fanfare. Les rumeurs filent depuis les annonces d’hier soir. Les motifs de la concertation ont été dévoilés. Ceux qui n'étaient pas encore au courant mais qui se sont risqué à rencontrer un collègue le savent forcément. Dans toute la Manufacture les discussions houleuses fusent. Une âme révolutionnaire est en train de naître dans les murs. Tonie se trouve à la pause café entourée de scandalisés:
— J’ai un oncle qui tient un bar qui m’a dit qu’il devra fermer à vingt-deux heures au plus tard, mais par contre le cinéma sera gratuit une fois par mois.
— Mais on dit que les films à l’affiche seront drastiquement sélectionnés et nous n’avons aucune idée des critères de sélection !
— Les parcs et jardins seront saisis afin d’y faire pousser le plus de nourriture possible.
— Mais qui s’en occupera ?
— On dit que les chômeurs et sans papiers seront réquisitionnés.
— Mais seront-ils payés ou exploités ?
— C’est un carnage ! Et on nous met ça sous le nez !
— Tous des cons ces dirigeants !
— On dit que les deux partis extrêmement opposés se mettent d’accord, ce qui nécessite un tas de concessions.
— Un mélange absurde oui !
— Rien n’est encore certain, sans textes de lois actés, rien est fait.
— Je ne comprends pas comment de telles infamies peuvent se passer !
— Et c’est nous qui nous occuperons de les accueillir pour la signature des traités, c’est pas vrai, on ne va pas accepter ça !
— Nos emplois sont en jeu.
— Ils ont l’air de vouloir s'attaquer à la contraception féminine ?
— C’est pas vrai ? L’ivg est menacé ?
— Et leurs propos sur l’homosexualité, c’est quoi cette folie ?
— On dit que les couples gay n’auront même pas le droit de vivre ensemble, il y aura des contrôles.
— Mais il faut empêcher ça !
— J’ai une amie qui travaille dans un péage: il faudra justifier à grand renfort de motifs prioritaires pour partir de sa ville.

Tonie est si étonnée d’entendre cette avalanche d’informations absurdes, inimaginables qu’elle en reste muette. Sans mot dire, un système oppressif sans précédent s'est installé. Ce sera scellé par un traité qui sera signé dès ce soir, le temps de mettre en place les festivités traditionnelles. festivités qui auront lieu dans cette Manufacture.

Elle réalise, si sidéré qu’elle l’était, que les annonces sont contraires à son mode de vie, elle n’est pas inquière que pour son emploi, mais son futur tout entier, tout concubinage de même sexe serait prohibé, ils vont vraiment loin cette fois. Et on va accepter ça ?

Tonie rentre chez elle ce soir-là accaparée par de multiples pensées frémissantes. Est-ce que Romuald va s’en sortir ? Elle n’a aucune nouvelle ! Qui a volé ce sel ? Pour quoi faire ? On sait ici que le sel à des propriétés différentes selon la personne qui s’en sert, est-ce que c’est une arme dangereuse ? qu’est-ce qu’elle aimerait connaître toutes les règles dont on parle qui sont liées à cet élément. Ce dont elle se rappelle c’est qu’il ne faut pas le toucher, pas le manger et surtout pas le regarder en même temps…est-ce vrai ou de simples rumeurs ? Sans ce sel, la notoriété de la Manufacture va virer à trois cent soixante degrés, aura-t-elle encore un travail ? Comment pouvons-nous cacher le fait que l'ingrédient indispensable pour faire des porcelaines aussi magnifiques nous a été dérobé ?

Avec les dernières annonces, elle songea à l’avenir si l’accord est signé. Les scénarios catastrophes s'enchaînent avec tant de force qu’elle ne se rappelle pas du trajet jusque chez elle.

— Clarence tu es là ? demande-t-elle, en posant son sac de vêtements sales du travail dans l’entrée.
Qu’est-ce qu’elle aimerait tout lui raconter, si seulement elles se voyaient plus souvent. Elle a tellement envie de ses bras. Pas de réponse, elle aurait été surprise du contraire, quel dommage. Elle doit travailler ce soir, aurait-elle accepté de participer à la création du festin liant ces deux partis politiques opposés ? avait-elle le choix ? mais tout de même, accepter de cautionner de tels engagements, si contraire à leur vie ? Ce festin maudit. Ce festin qui ne devrait pas avoir lieu. Faites que ce soit un cauchemar.

Elle retire ses vêtements. Son lourd pantalon de travail glisse sur ses jambes tremblantes. Il ne reste plus que ses cheveux libérés, d’un grenadine encore plus vif, pour l'habiller.

Leur reste-t-il encore un peu de temps pour transformer secrètement leur concubinage en colocation ? on dira qu’elle dort dans la mezzanine, il suffira de virer le bazar, on y mettra un petit matelas, ça ira. A-t-elle vraiment envie de vivre ainsi ? cachée ? Tout ce qu’elle voudrait finalement c’est que l’accord n'ait pas lieu, qu'on puisse au moins rester comme ça. Ses gestes sont de plus en plus tremblants et incertains. Sa vision se floute, elle se prend les pieds dans le tapis, se retient sur la table basse et fait glisser une boîte en verre qui se rompt en six morceaux saillants. Sans ses lunettes, prise de surprise elle essaye de récupérer les brisures à la main, elle ne fait pas attention que parmis les morceaux des cercles nacrés se mélangent, elle répand du sang sur les bouts, du sang sur la nacre, du sang sur le tapis, la table basse, du sang jusque sur sa jambe. Elle sent les nerfs s'écrouler, tomber, s’échouer, demain tout sera différent, demain il faudra se cacher, demain plus de sourire possible, demain plus jamais de liberté. Des larmes silencieuses s'écoulent sur ses joues rougies par la panique. Elle les essuie, ses larmes se mêlent au sang sur ses mains. Les petits bouts nacrés boivent le sang et virent au violet. C’est à ce moment-là que Clarisse entre…

***

Mélissa répartit les minis brochettes et les minis quiches.
— Pas ici Victor, les serviettes symétriques sur toutes les tables. Est-ce que toutes les bouteilles de champagne ont été installées dans les bacs à glaçons?
— Je vais vérifier, dit le jeune serveur qui déguerpit sans demander son reste.
Le temps leur manque, derrière le bar, il aide à aligner les verres à champagne.

Elle s’arrête un instant pour admirer l’espace. Tout s’est passé très vite. Pour cette conciliation historique, l’architecte Raoul Ghyu est venue en express dans les lieux de la Manufacture pour créer un lieu éphémère, rapidement mis en place, mais non moins magnifique pour l’occasion. En une matinée, c’était installé. On parle d’un architecte prodigieux, ce qui est certain c’est sa réactivité ! Il est connu pour ses bulles-royaume qu’il installe sur l’eau. Durant cette journée frénétique pour tous les ouvriers de la Manufacture, il a installé son architecture sur l’eau : une bulle aux finitions proches de l’excellence, tentaculaires, aux nuances de bleu comme le lac n’a jamais été. L'eau est teintée en orange et la bulle sillonne déjà tranquillement les abords du lac. Les serveurs et cuisiniers ont pu s’emparer de l’espace de réception dès le début d’après-midi.
— Tu as les samoussas aux légumes ? demande Mélissa à sa collègue.
— Oui et les tartelettes au boudin.
— Sépare les bien qu’il n’y ait pas d’embrouilles, conseille-t-elle.
Dans un souci de justesse et de tolérance extrême, il a été décidé de mêler mets sans origine animale et mets omnivores. L’un des signataires militant pour la cause animale, l'autre favorisant le développement de toutes industries. L’un ayant le goût de la tradition, du bon mijoté familial, l’autre étant pour le métissage des cuisines. Ainsi les chefs ont dû prendre en charge deux teintes de pensées opposées, deux types de cuisine. Pris très au sérieux, il n’y a pas une seule place destinée au hasard.

On aurait pu faire une fête intime et délicieuse, mais le moindre rendez-vous politique se transforme toujours en excuse pour révéler l'éclat et la richesse du pays.

Mélissa se tient prête, elle admire le grand tapis au sol fabriqué par ses collègues de l’aile ouest. Elle s’émerveille devant la finesse des plats en porcelaine, ils font briller les bouchées apéritives. Dommage que ce soit utilisé pour la signature d’un traité à vomir mis en place par une bande de con qui ne voit pas plus loin que leur profit. Chacun des deux partis arrivent avec leurs confrères, les maires du coin, les ministres et leurs familles… et même à la grande surprise de Mélissa, leurs animaux ! Un chien se balade dans la salle de réception, il faudra prévenir l’équipe qui circule avec les plateaux de hors-d'œuvre qu’une difficulté à quatre pattes vient de faire son entrée. Elle essaie tant bien que mal de cacher son appréhension. Clarence est absente, même si elle s'est occupée de la fabrication des plats, cela ne l'exempt pas de donner un coup de main pour la mise en place. Où peut-elle bien être ?

Il a été décidé qu’elles feraient tout comme prévu. Elle et Melissa. C'était leur projet. Les incidences devant être importantes, les deux alliées, d'un commun accord, ne devaient divulguer leur plan en aucune manière que ce soit. En aucune manière. A personne. C’était trop dangereux.

Quelque chose cloche.

L'apéritif est ouvert, les flûtes vides sont installées en quinconce, les nappes blanches recouvrent les tables, les invités regardent les lieux avec curiosité, les décorations confèrent une féerie affirmée à l’ensemble. La table gigantesque est prête à accueillir les invités. Le sol mou étouffe les bruits de pas des serveurs actifs. Des luminaires somptueux pèsent au-dessus d’une foule de con qui s’agrandit.

Le léger courant manque de déséquilibrer les serveurs qui circulent avec des plateaux débordants de victuailles alléchantes, heureusement ils sont préparés à ce genre de cas..

Assez assez se répète Melissa comme une musique qui reste dans la tête, dans ses pensées elle reprend conscience et se retrouve en train d’écraser une bouchée pour qu’elle rentre sur le présentoir plein, elle souffle un coup et se reprend. On ne doit pas la voir perdre pied.

Avec Clarence, lors d’une réception éreintante, elles avaient pris la décision de ne pas se laisser faire. La manière de diriger des politiciens arrive à un tel non sens, une telle incompétence, une telle inconsidération qu’il fallait faire quelque chose, quitte à se sacrifier. Impossible de se résigner, de faire avec, d’accepter et de continuer à vivre en s’adaptant face à l'oppression qui gonfle sans limite. Bon sang: où est Clarence? Sans elle, sans le sel, la signature du traité ne pourra être neutralisée. Elle a fait tout le reste. N'aurait-elle pas dû garder le sel pour elle ? Clarence voulait faire sa part, mais pour l’instant son absence ne prouve en rien ses motivations dont elle lui a fait part à de nombreuses reprises.

Les festivités commencent, la bulle est remplie de personnalités hauts placés dont on n’a le nom que si on est vraiment intéressé par ce petit monde maléfique. Mélissa en cuisine se réjouit de ne pas être dans la haie d’honneur, à sourire alors qu’on a tous envie de leur gueuler nos désaccords face aux inégalités quotidiennes, inégalités qui sont parties pour s’accroître dangereusement.

On entend de la musique grandiloquente, les signataires font une entrée tonitruante. La signature est censée se faire en milieu de soirée, avant le dessert. Et s’ensuivra, des torrents de minis bouchées sucrées satisferont les plus gourmands ainsi que des choux somptueusement fourrés de crème dont Clarence a le secret, vegan et non vegan. C’est ce qui est prévu sur le papier, mais pas dans la réalité. Cette réalité, ce futur très proche, Mélissa et Clarence ont la main mise dessus. Si les choses se déroulent comme prévu, le personnel peut dès à présent se gaver des pâtisseries car on n’en arrivera pas là. Personne ici, en arrivera là. Les règles ne sont pas claires. Melissa n’a pas l’entière connaissance des répercussions de ce qu’elles ont prévu de faire. Mais s'il faut se sacrifier, elle le fera. Vivre dans l’acceptation d’une telle politique, d’une société si oppressive n’est pas envisageable.

Que ce soit des riches politiques ou des prolétaires, ils se jettent de la même manière sur les plateaux et les boissons, Melissa a su gérer suffisamment de réception mais se questionne à chaque fois : savent-ils qu’il vont encore avoir à manger une fois installés à table ? Le courant semble s’intensifier depuis quelques minutes, l’un des membres de l’équipe vient d'échapper un plateau d’amuses bouches, au sol, se mélange des crevettes et du tempeh dans une purée multicolore. L'inquiétude monte dans l'équipe, que se passe t-il ? Melissa en tant que cheffe de rang tente, non sans mal, de rassurer son équipe.

— C'est qui là-bas ? l’intercepte une de ses acolytes placée proche d’une ouverture.
Mélissa, arrachée à son déplacement, regarde au hublot.
— Ce n’est pas la cuistot ?
Elle voit au loin deux femmes, l’une d'entre elle a la chevelure remarquablement rouge. On sait tous que c'est celle de Tonie, il n'y en a pas beaucoup qui osent se parer d'une telle couleur. On dirait qu'elles rentrent dans l'eau. Serait-ce Clarence qui la soutient ? que se passe-t-il ? Aucun de leur plan n'inclut Tonie. Le courant s’intensifie, l’eau passe du orange au violet. La bulle-royaume fait des soubresauts, tout tombe, se casse, des cris, des bruits macabres. C’est la dernière chose qu’elle aura vu ce jour. La bulle s’envole en milliard de morceaux de cons brûlants et avec ça le contrat et les stylos neufs (définitivement vierge).

= commentaires =

Mill

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Pute : 9
    le 14/04/2025 à 01:38:51
Non.
Non je ne le relirai pas.
Je l'avais lu après impression - parce que les arbres ne vont pas se couper tout seuls - pour valider le texte. Je l'avais lu dans les meilleurs conditions possibles, dans un fauteuil en cuir au fond d'une piscine chauffée, un cigare à portée de mains, du fanta orange on the rocks dans un grand verre à cocktail, et le zizi tout dur enveloppé d'un gant de soie vibrante.

Et rien. Juste des envies de mort. J'ai lu pire mais j'avais fini en HP.
Édition par le commentateur : 2025-04-14 01:53:16
nihil

site
Pute : 4
void
    le 14/04/2025 à 02:04:38
Je lirai ce texte si l'auteur me rémunère pour ça. Et la rémunération incluera une couverture sociale qui devra prendre en compte la potentielle perte de neurones.
tomatefarcie

Pute : 5
    le 14/04/2025 à 08:34:33
Moins long, de disons 95%, j'aurais peut-être fait l'effort d'aller au bout. Mais je salue toutefois l'exploit de réussir à aligner autant de phrases avec aussi peu de mots de vocabulaire. J'ai vérifié : il y en a plus sur l'emballage de la boîte de Smecta.
Mill

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Pute : 9
    le 14/04/2025 à 11:02:33
Ton obsession pour le Smecta m'incite à évoquer le yaourt au Smecta, qui allie l'utile à l'agréable.
Lapinchien

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Pute : 5
à mort
    le 14/04/2025 à 12:16:10
ça existe le Smecta contre la diarrhée verbale ?
tomatefarcie

Pute : 5
    le 14/04/2025 à 12:18:51
On dit "la logorrhée", je crois.
Lapinchien

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Pute : 5
à mort
    le 14/04/2025 à 12:20:35
Et contre le juliendorrhée ?
Lapinchien

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Pute : 5
à mort
    le 14/04/2025 à 12:26:32
C'est dommage parce que l'auteur tenait quelque chose avec son pseudo.

https://www.youtube.com/watch?v=Yh01Tnx_5OY

(Attention, cette vidéo contient des camel toes...)
Mill

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Pute : 9
    le 14/04/2025 à 13:37:08
Mes yeux saignent.
Magicien Pampers

yt
Pute : -2
C’était intéressant    le 14/04/2025 à 14:50:57
D’ailleurs, cela m’a permis de fabriquer un pot de chambre. Très vaste. Afin que notre Grand Inquisiteur puisse y carrer son train arrière.
Mill

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Pute : 9
    le 14/04/2025 à 15:04:09
"Intéressant" est un mot proscrit. Honte! Honte! Je suis sûr que tu pleures des larmes de sang et que tu as perdu connaissance trois fois avant d'arriver à la fin du texte. Avoue, confesse, admets !

Mais j'aime bien l'histoire du pot de chambre. C'est un trône bien plus convaincant qu'un... heu ben qu'un trône.
Édition par le commentateur : 2025-04-14 15:04:20
Magicien Pampers

yt
Pute : -2
@Mill    le 14/04/2025 à 17:59:46
Certes, mon intéressant était ironique. Je voulais pas tirer sur les morts . Mais bon, je ne résiste pas à la tentation d’en rajouter une … couche Pampers. En vrai, j’ai abdiqué rapidement puis survolé ce chef- d’œuvre en diagonale jusqu’à la fin. C’est d’ailleurs le premier texte de la Zone que je n’arrive pas à terminer. J’étais même parvenu à surmonter Cauda- qui m’a empêché de bander pendant trois jours. Pourtant, ce n’est pas horriblement mal écrit. C’est simplement suprêmement chiant.
Magicien Pampers

yt
Pute : -2
Si, si    le 14/04/2025 à 18:02:56
C’est mal écrit aussi. Pardon, j’avais lu trop vite. Stop!
Clacker

Pute : 16
    le 14/04/2025 à 18:42:15
Je me suis fait un devoir d'aller au bout de ce texte. Big up, Mill et LC. On n'a vraiment pas de vie, tous les trois.

Mais je ne suis pas déçu. En fait, c'est un peu une réinterprétation de Sainte Jeanne des abattoirs. Même force évocatrice. Même lutte déchirante entre classes sociales. Un parti pris politique pour le moins osé. On sent tout le déchirement intérieur des protagonistes, tiraillés entre la volonté d'accomplir leur mission ouvrière dans les meilleures conditions et leur irrépressible et humaniste besoin de combattre des forces oppressives gouvernementales mettant en danger leurs libertés fondamentales.

La quête infinie du "sel de Guirlande" devient métaphore d'une sorte de Graal à la fois individuel et collectif, symbole d'une liberté jamais pleinement acquise.
Lapinchien

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Pute : 5
à mort
    le 14/04/2025 à 20:46:45
Tu écriras le discours de Latyfa Croft quand elle aura remporté le Prix de Flore avec ce texte et elle t'offrira en échange chaque jour pendant un an au Café de Flore un pouilly-fumé dans un verre gravé à ton nom.
Clacker

Pute : 16
    le 14/04/2025 à 21:30:54
Si elle insiste pour m'offrir son pouilly-fumé (on est d'accord que c'est une métaphore pour la cyprine ?), qui suis-je pour refuser ?

Ce texte de trollittérature a réussi à me faire hoqueter de temps à autre, n'empêche.
Mill

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Pute : 9
    le 14/04/2025 à 23:29:18
Je crois que je vais le relire en sautant un mot sur deux. Il y a peut-être un message caché.
Lapinchien

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Pute : 5
à mort
    le 15/04/2025 à 12:43:00
même sans Pouilly-fumé offert, elle m'a saoulé.
Arthus Lapicque

Pute : 11
    le 15/04/2025 à 13:08:16
Je n'ai pas achevé ma lecture, plus par lassitude et manque de temps que les larmes de sang qu'il était censé susciter. OK, l'écriture n'est pas top, mais je salue la tentative de créer un univers ouvrier que j'imagine réaliste, du moins, je pense que l'auteur connait un minimum le milieu mis en scène. Peut-être devrait-il tenter de décrire de réelles anecdotes, plus terre à terre, chercher une étincelle dans ce merdier, au lieu de façonner une intrigue improbable et chiante comme la pluie.
Clacker

Pute : 16
    le 15/04/2025 à 15:05:15
Le début est trompeur. Très vite, si on s'accroche un peu, on se rend compte que l'auteur se fout de notre gueule.
Mais c'est plutôt rigolo, par moments.
Lapinchien

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Pute : 5
à mort
    le 15/04/2025 à 15:19:02
Mais sinon quelqu'un peut m'expliquer ce qu'est ce foutu sel de guirlande, introuvable par browsers et par bots ? Et la disparition ça a quelque chose à voir avec Perec ?
Magicien Pampers

yt
Pute : -2
Rien faire    le 15/04/2025 à 17:37:44
Un groupe de rock , à sortie une chanson portant ce nom… c’est chiant… tu peux trouver facilement. L’explication est peut-être dans le texte mais ils ont des têtes, des textes à claques.
Cuddle

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Pute : -12
    le 16/04/2025 à 11:36:04
Alors j'ai arrêté à la première section. Pour le moment, il ne se passe rien et j'en viens à me demander s'il ne serait pas l'heure de faire quelque chose de plus important. Ah oui, j'ai un cake à démouler. +
tomatefarcie

Pute : 5
    le 16/04/2025 à 11:49:13
ça c'est de la critique constructive comme j'aime.

(et c'est même pas ironique)
Mill

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Pute : 9
    le 16/04/2025 à 11:51:15
"Il faut lire en démoulant" (François Delaplace, in "Journal d'un critique", 1922)
tomatefarcie

Pute : 5
    le 16/04/2025 à 11:54:53
C'est certain qu'en démoulant, on fait Delaplace.
Mill

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Pute : 9
    le 16/04/2025 à 17:03:57
Une autre citation, tirée cette fois de l'oeuvre de Jean-Gilbert Desfientes : "Lire aux toilettes pour mieux comprendre Proust, 1924."

Desfientes s'est affirmé en de nombreuses occasions comme brillant polémiste, au même titre qu'un GK Chesterton ou un George Bernard Shaw. Il doit sa relative confidentialité à une appétence quelque peu déconsidérée pour les trivialités de l'existence. Il fut amené à croiser le fer avec François Delaplace et Roger Feuilledesoie, au sein des pages débats de la revue quelque peu passée à la trappe, la bien nommée "Je hume et ça sent bon", lancée par l'expert en coprophilie, chevalier des arts et des lettres, presque académicien mais jamais vraiment, le grand Félix Ledoux de la Porcelaine Brisée.

Ah tant de grands hommes nous ont précédés.
tomatefarcie

Pute : 5
    le 16/04/2025 à 17:22:06
JGF, tu parles si je connais...
On lui doit la phrase, qui est d'ailleurs gravée sur sa tombe, tant elle résume l'oeuvre de l'homme : "Depuis que je lis l'encyclopédie aux cabinets avant d'aller au lit, je peux dire que le soir je me torche moins con"

Repose en paix, grand sage !
Lapinchien

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Pute : 5
à mort
    le 16/04/2025 à 17:27:38
@Cuddle: Quand tu dis : "Alors j'ai arrêté à la première section.", tu parles de tes études ?
Mill

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Pute : 9
    le 16/04/2025 à 19:57:36
@tomatefarcie

Il fut un jour provoqué en duel - c'était une autre époque, comme diraient Depardieu, Darmon, Baffie, Moix, Polanski, etc, etc - par un certain Philippe Digilprouf, auteur d'un précis d'évacuation qui resta dans les annales suite à une longue polémique dans le gotha littéraire gravitant autour des "excrémentalistes", mouvement pictural initié un soir de beuverie relevée de plats mexicains riches en fibres et protéines, dont le crédo se résume à "déféquer la réalité avant qu'elle ne nous défèque". Philippe Digilprouf n'acheva jamais son manifeste dilatoire pour cause de mort prématurée suite au duel sus-mentionné.

Bertold Brecht eut d'ailleurs un bon mot à ce sujet : "La provocation est une façon de remettre la réalité sur ses pieds et Digilprouf dans sa fosse."

Je cite de mémoire alors ça reste à vérifier, bien sûr.
Cuddle

fb
Pute : -12
    le 16/04/2025 à 20:43:33
C'est possible. Toute façon aujourd'hui pour être prof, faut juste passer un jobdating. 30 minutes. La base, ça suffit.

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