Les souffrances du jeune Yann

Le 10/04/2025
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par tomatefarcie
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Thèmes / Saint-Con / 2025
Premier texte en compétition pour la Saint-Con 2025, qui s'annonce comme un grand cru, et on commence par un prétendant sérieux au titre de Grand Inquisiteur de l'Ordre. Texte rondement mené, drolatique mais avec classe et littéraire dans l'élégance. L'utilisation de longues phrases est un exercice périlleux et souvent casse-gueule, mais ici, c'est maîtrisé car l'auteur joue avec l'effet comique en terminaison et on boit ses paroles en attendant la chute finale. Il y est question d'un mystérieux Yann que tout le monde reconnaîtra. Pour les moins forts en devinettes d'entre nous, je donne un petit indice dans l'illustration sous couvert d'une fausse censure. JOYEUSE SAINT6CON 2025 0 TOUTES ET TOUS §
Le consensus est une denrée rare, il convient donc de lui présenter tous vos hommages lorsque vous avez la chance d’en croiser un auteur. C’est pourquoi les gens soulevaient leur chapeau devant Yann tant il est vrai que famille, connaissances, collègues, ex petites amies, élèves et professeurs qui avaient fréquenté ses écoles, simple quidam qui ne le connaissait pas la seconde juste avant mais qui s’était fié à son apparence physique pour se faire une idée précise du bonhomme, tout le monde s’accordait à considérer que Yann était un sacré connard.
Dans son cas, une telle universalité n’était même pas le travail d’un lobbying acharné ou d’une carrière savamment menée, non, Yann avait été connard dès le début. Spermatozoïde, il avait percé la capote matrimoniale et s’était faufilé comme un gitan jusqu’aux ovaires de sa mère, laquelle était morte quelques instants après la délivrance, terrassée par une septicémie dont on imputera plus tard la cause à un fiel vomit in utero par l’enfant non désiré. Le père de Yann, quoique buraliste depuis sept générations, ne pouvait toutefois être tenu pour responsable d’un atavisme aussi caractérisé : un seul homme n’y aurait pas suffi. Il lui fallut pourtant assumer l’éducation du connard, aucune nourrice, aucune gouvernante n’ayant supporté plus de deux heures la présence du sale gosse. Les occasions de se rendre coupable de violence infantile ne manquaient pas, aussi le père de Yann ne s’en priva-t-il pas, et personne ne lui en voudra. Ce n’était même pas de la maltraitance, plutôt une forme de bénévolat dans une association caritative et humanitaire.

La scolarité du sale bâtard fut un panégyrique à la gloire du sadisme. Si votre enfant se plaint de harcèlement scolaire, riez-lui franchement au nez et rappelez-lui qu’il n’a jamais usé ses culottes sur les mêmes bancs que Yann, il ne sait donc pas de quoi il parle, qu’il ferme plutôt sa gueule, ça lui évitera qu’on lui crache dans la bouche. De l’adolescence de ce fils de rien, on retiendra tout juste la découverte de la littérature et de la poésie, via ses lectures d’auteurs tels que Philippe Djian, Philippe Solers, Nicolas Rey, Sylvain Tesson, et tant d’autres bonnes grosses têtes de nœuds qui écrivent avec leur foutre, persuadés qu’ils sont d’écrire avec leurs couilles, et qui suscitent des vocations littéraires comme on refile une MST. Si votre enfant est concerné, veillez à le tuer à la naissance afin d’éviter d’autres Yann, bien à vous.

Son intrusion dans la vie d’adulte concorda avec son intrusion dans les filles. Que ce soit dans leur sexe, dans leur structuration mentale ou dans leur appartement dont il possédait un double, c’est à la barre à mine qu’il y fit son trou. Sa toquade pour le nouveau roman, la poésie et le marginal, l’installèrent définitivement, et au contact du sexe opposé, dans son image de mec transgressif. Déclamant de la poésie d’une main et humiliant la gourdasse de l’autre, il devait bien souvent faire appel à sa propre bouche pour étancher l’afflux sanguin qui boursouflait son pantacourt, il faut dire que des années de pratique de la gymnastique au sol lui avaient conféré la souplesse du roseau. C’est à cette époque qu’il atteignit l’acmé de sa carrière de fils de pute, et il décida qu’il était donc temps de s’inscrire sur La Zonzon - site littéraire pouvant servir d’antichambre au casting d’un film d’Artus - afin d’y exporter ses talents.

La lecture de quelques textes picorés au hasard confirma son intuition : d’un point de vue strictement littéraire, il était au-dessus du lot. De tous les autres points de vue, il était aussi strictement au-dessus. Il posta son premier texte - « Les souffrances du jeune Yann » - sous le pseudonyme Marquis de Sale. À mi-chemin entre la prose libre et la diarrhée, entre la transgression et le CTRL C/CTRL V, cet essai fut transformé et outrepassa même ses espérances les plus insensées dont quelques traces avaient séché à la commissure de ses lèvres. Aux commentaires outrés répondaient les avis navrés, qu’une telle daube puisse avoir été homologuée par les admins dépassait l’entendement, on invoquait le troll, on riait sous cape, on hurlait au multi, on réclamait un peu de décence dans la débauche. Yann répliqua par le cynisme, arme classée catégorie A par la Convention de Splitz régissant les querelles sur Internet. Puis on passa au texte suivant (proposé par un certain Manu Chaos, une daube aussi, mais un peu moins). Une telle unanimité latente autour de son texte conforta Yann dans l’idée qu’il se faisait de lui-même et décupla son désir d’éclabousser le monde de ses éjaculations littéraires.
Dont acte, comme en témoigne son dépucelage lors de la traditionnelle sauterie de la Saint-Con, sorte de bal des conscrits des auteurs se rêvant d’auto-édition. « À la Saint-Con, brûle un con », disait l’affiche, dont le visuel largement relayé par Lamentinpangolin sur les réseaux sociaux (Myspace à l’époque) figurait un ministre de l’Intérieur en proie aux flammes dans une cave dyonisienne. Yann détestait les cons, c’était là l’une de ses originalités, et il alimentait quotidiennement une liste, longue comme un mardi, de récipiendaires en tous genres, mais plutôt pas du sien, soit environ la population mondiale. Sa participation - il s’en doutait - se heurta au fascisme des autres concurrents qui, pour cons qu’ils étaient, avaient néanmoins la clairvoyance de voir en lui l’Élu, celui qui risquait de les déglinguer pour toutes les éditions à venir. Son texte avait de quoi faire tourner de l’œil tous ces islamogauchistes - ça aussi il le savait -, puisqu’il y cramait « en vers et contre tous » (comme il le déclamera dans l’un de ses commentaires) cette baltringue de Anne Hidalgo. Du fascisme on bascula instantanément au bolchevisme en déclarant Prozac Smirnoff grand inquisiteur de l’exercice, pour un texte dans lequel il réglait son sort à un Tchétchène, comme par hasard. Yann, pour sa part, ne récolta qu’une seule voix : celle d’un dénommé Manche À Cul, un Parisien qui avait récemment pris un PV pour stationnement scandaleux sur une pelouse du parc des Buttes-Chaumont, et qui avait vu dans le texte de Yann une catharsis ou une épiphanie, son argumentaire n’était pas très clair.

Galvanisé par ce nouveau succès, le Marquis de Sale vint régulièrement poser son étron fumant sur le paillasson du site. Les ricanements, puis les insultes, puis l’indifférence accompagnèrent chacun de ses dépôts, un triomphe dont il gava méthodiquement sa revanche à venir. Car si la vengeance est un plat qui se mange dans un pot de Häagen Dazs, Yann est un congélateur. Pour l’édition suivante de la Saint-Con, il fournit même les cuillères ainsi qu’un texte engagé dans lequel Empédocle se jette dans l’Etna, symbolique manifeste du philosophe qui confronte son immortalité morale aux flammes du wokisme, un truc du genre, son argumentaire avait la clarté de l’eau de boudin. Comme il pouvait s’y attendre, ces gros bourrins n’y entendaient rien à la mythologie, pas plus qu’à la métaphore, et l’unique vote qui lui revint fut donné par Scatolique, laquelle avait lu dans les mots du Marquis de Sale un pamphlet antisioniste d’extrême-centre. Un dénommé ALT SHIFT F4, une espèce de petite frappe fumeuse de CBD, remporta la mise avec un texte contenant deux-trois-blagues, une référence à David Lynch et la combustion d’une pervenche.

En artiste maudit, Yann vit dans ce nouveau désaveu la confirmation de son pouvoir de nuisance et donc de son incontestable supériorité (là où une victoire l’aurait désigné comme Dieu sur Terre et aurait confirmé son incontestable supériorité). Opiniâtre, il continua à inonder La Zonzon de ses écoulements littéraires, les zonzoneurs continuèrent à lui vouer les gémonies ou à l’envoyer se faire bien enculer, en fonction de leur humeur. Et bon an, mal an, une nouvelle Saint-Con profila son museau. Cette fois-ci, son texte ne s’embarrassa pas d’allégories imbitables pour tous ces glands, et la scène finale, dans laquelle le pape administre un anulingus sur une Jeanne d’Arc cramant sur le bûcher, n’avait d’autre prétention que de montrer le pape qui administre un anulingus sur une Jeanne d’Arc cramant sur le bûcher. Cette fois-ci, son unique vote fut l’offrande de Black White, un multi créé pour l’occasion. Et cette fois-ci, c’est Lavomatik qui monta sur le trône pour son histoire de chien à trois têtes qui pousse son maître aveugle dans les flammes de l’Enfer, au son de « Sous les sunlights des tropiques ».

D’année en année, Yann persista, convaincu qu’au contact du Soleil ces abrutis congénitaux finiraient par percevoir la lumière. Et trotte-menu, Hémochopine (un nihiliste fan de Feu! Chatterton) lui accorda sa confiance pour le texte « L’incendie est en dérangement », Charapute en fit son champion pour « La petite vendette d’allumeuses », Jean Kultamère plébiscita « Pas de fumée sans feujs », et il eut même droit à deux votes pour « Au royaume des bornes, le pompier est roi » (un par Sniffeur de Couches, et un parce qu’il avait retrouvé le mot de passe de son multi). Mais chaque fois, pour lui barrer l’accès à la victoire, il y eut Vomito (et son haïku de treize pages sur Hitler qui part en combustion spontanée en suçant Jean Moulin), ou une demi-douzaine de fois Claquer-au-sol (un truc compliqué sur un autodafé, un machin incompréhensible sur Quasimodo qui était aux cabinets pendant l’incendie de Notre-Dame, une connerie imbuvable à propos de l’album éponyme de Rage Against The Machine passé au micro-ondes, etc) ; on eut même droit à Courgettecramée qui déboula de nulle part pour passer au napalm sa sœur dans un style qui se voulait, qui se voulait quoi ?, et aussi à l’hologramme de ALT SHIFT F4 qui reposta son texte victorieux de 2007 sans que personne ne goûte à la supercherie tant il pond toujours le même œuf.
Et pendant que ces années se superposaient, Yann rongeait son frein car il n’avait rien perdu de ses années de gymnastique en collants d’inverti. Il avait fini, à défaut d’apprendre, par comprendre ce que semblait réclamer la plèbe. Le style n’y faisait rien, la profondeur restait à la surface, l’originalité était devenue la norme. Seule la bien-pensance paraissait régir l’orientation des goûts des zonzoneurs. Alors Yann relut consciencieusement tous les textes lauréats, afin de chercher à dresser le portrait-robot de cette bien-pensance partagée par cette pléiade de trous du cul patentés. Et en avril de la sainte année 2025, il posta son texte ultime. Un texte résolument phallocratique, puisque c’est ce qu’ils veulent ; il ne fallut pas le pousser beaucoup.

C’est l’histoire d’une meuf qui aime la bite. Dès qu’elle en voit une, elle saute dessus comme la famine sur l’Afrique noire. Surtout comme l’Afrique noire. Un jour, genre la veille de la Saint-Con, elle se fait tromblonner par un mec ayant l’hygiène d’un pédiluve de piscine municipale près d’Ankara. Bim, il lui refile la blenno, gardez la monnaie ! Alors cette salope va chez le médecin dès le lendemain, et elle commence à décrire ses symptômes, ça gratte, ça suinte, ça chauffe. Et là, le doc, ni une ni deux, il lui dit : « Ben oui, normal : blenno à la Saint-Con, ça brûle le con ! »
Seul Courgettecramée vota pour Yann.