L’homme se prénommait Jacques, on le surnommait Le Libraire. Il conduisait un vieux break Volvo gris à la carrosserie bosselée et rouillée. L’intérieur n’était guère mieux : housses de sièges déchirées, tâchées, parsemées de déchets comme le sol du véhicule. Il avait jeté son pistolet sur le siège passager et cherchait son briquet pour rallumer son joint. Se rappela et éclata de rire.
Il n’y avait pourtant pas de quoi rire : une heure avant il trouvait les pieds de cannabis de ses parcelles arrachés. Une semaine avant la récolte. Ses petits chéris. Pris d’une rage folle, dans le crépuscule du soir, il avait attrapé tous ses bidons qui traînaient dans le coin, d’essence, de gazole, d’huiles diverses, pris son flingue et s’était embarqué dans sa vendetta.
Il en riait encore. C’était un rire de soulagement, pour avoir réussi l’entreprise. C’était aussi, le réalisait-il, un rire nerveux.
Depuis quelques semaines il apercevait le Macan rôder dans les alentours, vitres noires montées. Il n’avait d’abord pas pris au sérieux l’alerte de Moun, son complice.
Jusqu’à ce soir.
Jacques s’était tapé ce soir-là une bonne côte de bœuf au barbecue. Des semaines qu’il en avait rêvé avant de pouvoir enfin se la payer.
Dommage qu’il avait fait aussi chaud. Putain, trente-six degrés à l’ombre. Ça le faisait pas rêver, Jacques. Il était peut-être du sud mais il n’avait jamais supporté la chaleur. Encore moins quand la nuit ne rafraîchit rien.
La braise incandescente. Le grésillement quand la viande était entrée au contact de la grille brûlante. Les premières odeurs qui s’en détachèrent, montant à ses papilles. Dommage qu’il ait fait aussi chaud au bord de ce barbecue.
Torse nu et en caleçon dans la soirée avancée de septembre, les moustiques s’y étaient mis, tournant autour de Jacques. Il n’en avait pas peur, savait que les moustiques ne lui feraient rien, ou pas grand-chose. Il fumait un joint, ce qui avait parfois pour conséquence d’agir en répulsif. Ça et la chaleur de la braise rougeoyante.
Il était seul dans son jardinet, derrière sa petite maison, sa villa disait-il. Tu parles ! Guère plus qu’une bicoque à étage aux murs de carton-pâte enduits de crépis. Depuis trois ans maintenant. Il s’était saigné les quatre veines pour l’acheter, se saignait davantage chaque jour pour la payer. Mais il avait sa maison, il avait son jardin, de quoi se lancer le ballon avec son fils ou poser une petite piscine boudin, de quoi aussi se faire un barbecue seul.
Le temps de se griller la pièce de viande, Jacques avait comme tous les soirs après le travail, bu un pastis serré avec quatre glaçons et fumé un petit joint. De sa petite weed. Ado, il l’avait d’abord faite pousser au fond du jardin de ses parents. Il la faisait germer dans sa chambre en cachette et la replantait au fond dans les buissons. Ses parents n’y voyaient que du feu. Aujourd’hui, elle mûrissait sous la chaleur de l’été dans la clairière qu’il louait au fond d’un petit bois. Trois-cent mètres carré d’un bon terroir, bien orienté, à quelques kilomètres de chez lui. Il y allait une fois par jour. Il s’était associé avec Moun. Ils y avaient planté autour, pour faire bonne figure, quelques arbres fruitiers, des framboisiers, des pieds de vigne, surtout des ronces à mûres. Les arbres cachaient sous leurs frondaisons les petits chéris. Jacques arrivait à vivre grâce à eux, ça n’était pas la librairie qui le pouvait. Moun et lui étaient à la tête d’un petit empire.
Passait en fond sonore une playlist folk blues, qu’il écoutait d’une oreille distraite. Quand il décida de se rafraîchir un instant dans l’eau de la piscine, il vérifia la cuisson et monta le volume du son. Le verre d'un côté, le pétard de l'autre. L'eau était presque bouillante. Dure journée sous le cagnard. Encore heureux que tout ne se soit pas évaporé. Il aurait pu allonger d'eau froide mais il avait la flemme. La flotte du tuyau devait elle-même être plus chaude encore. Tant pis.
À peine allongé, affalé plutôt, dans le bain, il entendit les premiers accords de la chanson de Neil Young Hey hey my my. La version électrique et énervée. Celle de la jeunesse de Jacques. De ses premiers essais à la Fender à douze ou treize ans. Il avait abandonné le rock pour travailler à trente ans passés. Punk was dead. Sérieusement. Sous la plage, les pavés. Concours d’instit raté, une librairie embauchait ; il y fut embauché. En fut ensuite débauché. Rembauché. Et ainsi de suite. Des longues périodes de chômage. La librairie comme les disques, ça ne payait plus. Il y eut l’arrivée de son fils. Il y eut ensuite la beuh.
Jacques se réveilla brutalement. Il s’était assoupi dans l’eau. La chanson n’était pas terminée, ouf. Il retourna à temps la côte de bœuf.
Son corps gouttait encore. À moins que ce ne fût déjà la sueur. En fait, il n’avait pas cessé de suer. La terrasse en béton renvoie le soir toute la chaleur emmagasinée sous le soleil.
Jacques n’en pouvait plus, il suffoquait.
Toute cette énergie dépensée, toute sa jeunesse dans une chimère.
Il avait trouvé encore le courage de saler et poivrer la viande. Il s’assit dans son fauteuil à bascule, attrapa son téléphone. Il n’avait pas regardé sa boîte mail aujourd’hui, ni les actualités de son fil Facebook. Les vieux clamsaient, tombaient à la pelle. Les écoles avaient déjà refermé. Trop chaud.
La viande avait cramé. Trente secondes de trop. Pas grave mais c’était suffisant pour le mettre en rage, Jacques. Il était en nage, le voilà en rage. Et mieux valait ne pas le mettre en colère. Son ex-femme l’avait appris à ses dépens, son gosse aussi, indirectement. Il dévora sa viande avec hargne puis roula un nouveau joint pour s’apaiser. Assécha son Ricard, enfila short, marcel et tongs et prit la voiture. Arrivé à sa parcelle, il découvrit que tous ses pieds d'herbe avaient été arrachés. Il comprit immédiatement. Fomenta un attentat. Le Macan aux vitres fumées. Il devait faire peur à ces petits branleurs !
C’est alors qu’il s’était figé : un hurlement stria la nuit brûlante autour du véhicule en feu.
Jacques ne comprit pas immédiatement d’où venait ce hurlement. L’arrière du Macan. Quelqu’un était dans le coffre. Enfermé dans le coffre.
Jacques ne pouvait rien faire
et se réveilla en sursaut.
Quelle torpeur !
Il suffoquait encore. La chaleur l'accablait.
La nuit était noire maintenant. Septembre caniculaire. Il n’y avait plus de saison.
Un passage à sa parcelle éclairé à la frontale le rassura ; tout allait bien. Les fleurs seraient à pleine maturité dans quelques jours, il sera alors temps de les récolter. Il les caressa doucement, inspira leurs effluves chargées de ce parfum sirupeux qui l’envoûtait. Il arrêtera tout. C’était sa dernière récolte, il se le promit.
Mais putain, pourquoi ses mains sentaient-elles l’essence ?
Il retournera au turbin, il trouvera bien quelque chose.
Il sursauta lorsque son téléphone vibra.
« T’as entendu ? Un Porsche Macan a été brûlé cette nuit. C’est sûr, c’était celui qui traînait près de notre parcelle. C’est ouf ! »
« Notre Macan ? Y’avait quelqu’un dedans ? »
« Quoi, quelqu’un ? Mais non, il a juste été incendié... »
C’était assez ouf pour Jacques. Ses mains, l’essence. Les pieds de beuh.
Il s’était passé ce soir-là quelque chose qui dépassait son entendement, mais ne comprenait pas quoi.
Il avait trop fumé, il avait fait trop chaud. Les braises l’avaient consumé.
LA ZONE -
![[illustration]](/data/img/images/2025-03-21-steakbarbeuk.jpg)
En quelques secondes, les flammes avaient embrasé tout le véhicule et s’élevèrent deux mètres au-dessus. L’homme recula, sentant la morsure de la chaleur sur la peau de son visage.
Il s’en alla alors nonchalamment vers son véhicule garé en double-file, moteur en route, vingt mètres plus loin. Le premier pneu éclatait sous l’action de la chaleur.
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Non, je ne serai pas le premier à commenter.
Je suis systématiquement le premier depuis quelque temps. Alors non. Voilà. Na.
Idée. Le côté réaliste et social est réaliste et social. Et je trouve ça intéressant. En plus, j’ai fumé de l’herbe pendant longtemps. Ça me parle. J’ai même dû choisir entre fumer ou bander- si ce commentaire possède un quelconque intérêt.
Absolument aucun, mais je te remercie d'avoir commenté.
Il est vrai que l'herbe joue ici un rôle important. Peut-être plus encore que la plume ou le traitement de texte.
J'ai bien aimé la lecture de ce texte. De belles descriptions de la vie pavillonnaire périurbaine. J'avais de sérieux doutes en progressant puis à la conclusion, j'en était presque certain : Ce texte n'est-il pas une participation à la Saint-Con qui serait passée sous les radars ? J'ai pas bien compris qui avait brûlé dans le coffre de la caisse mais statistiquement, au sein d'une population, les statistiques ne mentent pas : il est très fort probabe que le mec dans le coffre soit un con.
Ces réflexions hautement intéressantes concernant la turgescence d’un mage sur le retour sont primordiales, au contraire.
Il est important que les acteurs présents au sein de l’univers observable comprennent qu’en plus de rendre débile mentalement - je sais de quoi je cause- le cannabis amollis le gland et atténue les spasmes orgasmiques, notamment.
Le héros de cette histoire n’est-il pas un bandemou solitaire, largué par sa femelle lassée par le spectacle quotidien de la face blafarde et de la langue chargée de son mâle abruti par le chanvre et accablée par les échecs répétitifs générés par la fatalité et le manque de chance ( et le manque blé)?
La présence d’un con dans la bagnole incendiée étant secondaire, con.
Pampers le mage , dans sa connerie éclatante , vous souhaite une belle crotte chez vous car la production de icelle est primordiale à votre santé.
Non, c'est pas un texte de St-Con dans la mesure où le narrateur semble bien mieux pourvu en connerie que le cadavre dont il ne semble au final qu'il n'y était pas en réalité. Mais s'il y avait été, je suis d'accord avec toi, LC, c'est très probablement un con.
Pour ma part, je me suis laissé gentiment porté par les scènes de la vie de banlieue, si je puis dire, mais l'intrigue m'a un peu cassé les pieds. Enfin, quand je dis "intrigue", c'est vite dit. Mais cette fin en queue de poisson, sérieusement ? Il s'est passé quelque chose mais j'ai trop fumé alors je sais pas. Vraiment dommage. Pour reprendre l'un de tes mots, Magicien Pampers, il n'y a pas ici de turgescence et on essaie de nous faire croire qu'il y a quand même éjaculation. Sauf que, prrrrit, que dalle.
@Mill : Carrie me dit qu'il ne pense pas que son texte en attente soit un texte de Saint-Con suite à la lecture de ton dernier commentaire. J'ai beau te relire et je ne comprends pas. Il me dit qu'à la fin de son texte, il y a bien combustion mais que lui, auteur, ne brûle pas littéralement un con. Règle qu'il aurait donc interprété de ton dernier message.
Je lui ai dit que pourtant ce n'est pas une obligation, que de nombreux textes par le passé ont contourné cette règle pour s'attaquer de manière moins frontale à la connerie, dans la nuance et une approche un poil plus philosophique. C'est même plutôt une stratégie commune chez les très bon textes et même chez beaucoup de ceux qui ont décroché le pompon inquisitorial.
Aussi, je ne sais ni que faire ni que penser.
Je ne sais que dire. Dans ce texte de Jean-Mitch, on ne sait même pas si quelqu'un a été brûlé. je n'ai pas encore lu celui de Carrie mais s'il a vraiment éradication d'un individu par combustion, on peut considérer que ça marche, non ?
Bon, ok ok, je vais le lire.
Bon, réponse plus détaillée dans le forum.
Je ne pensais pas jouer pour la saint con. Mais libre à vous de l’accepter ou non, d’accepter si oui il y a combustion d’un con (moi même je ne sais, est-ce un rêve ?)
Le texte est publié donc c'est trop tard pour la Saint Con. En cas de faux départ, la disqualification est immédiate. Mais n'hésite pas à poster un autre texte pour l'occasion. Tu pourrais y brûler Mill pour l'affront qu'il a fait à ton intellect brumeux. Ou moi, tiens, j'ai une bonne prise aux flammes et tu n'auras même pas à te justifier : il est de notoriété publique que je suis un sacré gros con.