Intérieur nuit

Le 20/03/2025
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par Clacker
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Thèmes / Obscur / Triste
Clacker, l'un de nos champions, celui que sur la Zone, discrètement et sur un air entendu, on appelle "Ze Funky One", grand pourfendeur de la non-fiction, ennemi féroce de la branlette intellectuelle, chantre de la phrase qui claque et de la formule-choc, nous revient avec un drôle de texte dont on soupçonne qu'il l'a rédigé sur le pouce en réaction au texte mal fichu publié hier. Ma foi, tout y est : le rythme, le verbe, la délectation, mais l'histoire, foutredieu de bordel de caramel mou qui colle aux dents, où est donc l'histoire ? Résumons succinctement : l'auteur nous gratifie d'un superbe portrait de prostipute tenant du fantasme de mâle assez basique, nous explique que le narrateur est un caméraman puis, puis, puis... Alors, de trois choses l'une, soit j'ai rien compris, soit Clacker se fend de sa version très personnelle de ce que peut être la prose poétique, soit c'est aaaaaaaaah ouiiiiiii, okaaaaaayyy, et je ne peux décemment vous en dire plus. A lire absolument avec des pop corn et un verre de kier.
Persistance rétinienne. Comme ça qu'on dit. Elle m'apparaît partout depuis qu'elle est nulle part.
Avec son roquet galeux, elle écumait les caniveaux, les bars, les artères bouchées du quartier de l'abattoir. La fille bien visible, visitable, la mini-jupe fendue sur une cuisse rose, gainée jusqu'au jarret, comprimée comme un rôti dans son filet.
Toujours suivie par une meute de clébards d'un genre plus collant que son bâtard : des zonards, punks à chiens, soiffards, traîne-savates et crevards d'aucun horizon, tout ce beau monde occupé à tenir les murs, sans quoi la banlieue s'effondre. Pas méchants, pour la plupart.
Sûr qu'un pointeur ou deux étaient passés dessus sans le consentement professionnel, et sans la rétribution qui va de paire, mais son client-type, ça n'était pas le perdant. Elle tapait plutôt dans le costard et la cravate - celle du notaire et pas seulement.
On peut dire qu'elle avait de la classe pour une gagneuse, alors elle se permettait de boxer hors catégorie. Un PDG de Total aurait pu s'enticher d'elle, lui passer une crinoline estampillée Gucci dans sa villa d'été, elle se serait adaptée au décor sans trop forcer.
Elle choisissait de faire le pied de grue. D'arpenter le pavé en cadence, c'était un peu sa façon de respirer. Quitte à marcher en rond, autant rester au frais.
Moi, je tenais le caméscope. Faire tourner la bobine, c'était mon job. Je n'avais pas mon mot à dire sur la réalisation, elle était aux commandes et au scénario, qu'elle couchait sur le trottoir avec les aiguilles de ses talons hauts.

En actrice pas née d'hier, douée pour capter la lumière, elle m'oubliait sans peine. La bonne tragédienne, ça snobe la caméra. Règle numéro un : l'objectif n'existe pas.
C'est ce que je me répétais, comme un mantra, un peu jaloux, planqué derrière ma meurtrière. Conscience ou déformation professionnelle, ça devenait flou. Avec le temps, le cristallin accommode moins bien - trop courte, la focale. Quant à la matière grise, elle focalise plus que dalle.
La réalisatrice de fantasmes se confondait sous mon grand-angle avec des starlettes, des directrices de la photographie, des techniciennes du son, des maquilleuses. Je ne savais plus où je tournais.
Quand on cadre à temps complet, les heures supplémentaires sabotent la mémoire, sans compter le décalage horaire, la valse des lieux de tournage, un jour dans les studios Pathé, l'autre sur un plateau du Tibet, et puis on passe en lumière naturelle, avenue Edouard Leclerc ou rue de la Pitié-Salpétrière.

Changement de décor.
Intérieur nuit. Une chambre d'hosto, le carreau qui donne sur la rue, pas la même rue, et pas de fille à jupe fendue qui démarche comme elle respire. Plus de sujet, ça va de travers, tout est débullé.
Je crois l'apercevoir, juste un instant. Son museau en surimpression. Là, sur un écran géant. Ici, sur un panneau publicitaire. Je retiens mon souffle. Stabiliser l'image. Mise au point.
Mais non. Pas de roquet, pas de rôti dans son filet, pas de lascars pour tenir les murs.
Juste le blanc clinique de la pièce, et cette fenêtre qui pointe sur l'asphalte et l'absence.
Je tourne sans m'arrêter, dans l'espoir qu'elle fasse enfin son entrée, mais je commence à manquer de film ; c'est ma dernière bobine.