FRAGMENT - Le père, l'infirmier
(temps : le traitement ; couloir de l'HP)
Le Père - Elle me fatigue. Elle parle. Elle parle tout le temps. Elle parle, pour ne rien dire, pour, pour s'entendre parler.
L'Infirmier - On en est tous là, non ?
Le Père - On en est tous là, oui, peut-être... Mais non ! Pas à son âge ! Pas quand, quand on n'a rien à raconter !
L'Infirmier - Pourtant je trouve qu'elle a beaucoup à dire, moi.
Le Père - Ah ?
Le Père - Elle me fatigue. Moi je voudrais une vie familiale. Une vie calme, construite, quelque chose qu'on puisse, partager, vivre, vraiment vivre. Avec nos corps, nos regards, nos... Ensemble, quoi. Mais elle ! Elle il faut qu'elle PARLE.
L'infirmier - je confirme.
Le Père - Elle parle, oui ; mais qu'est-ce qu'elle dit ?
(un silence)
L'Infirmier - Elle chante.
Le Père - Pardon ?
- - - - -
FRAGMENT - Amélie, le psychiatre
(temps : l'après ; consultation de suivi, cabinet du psy, en ville)
Guérie ? Moi ?
Non. Je ne parle pas. Je ne parle plus. On n'est pas guérie quand on a été détruite.
Et pour parler, plutôt que de parler, c'est vomir qu'il faudrait, je le sais, et je ne peux plus vomir. Ma tête sait, mais plus mon corps. Vomir. Dégueuler. Gueuler. Eructer. Beugler. Me regardez pas comme ça. Racler la gorge et les glaires et tout vous cracher à la face, sur les gens et les choses.
Je ne sais plus. J'ai perdu ça.
Vous n'avez jamais su, vous. Parler. Ou comprendre ce qu'est parler. Vous n'avez jamais saisi le cœur même de votre métier. Le langage. Parler. Me regardez pas avec ces yeux. Fermez-la.
Mais c'est vrai : vous m'avez calmée. Vous m'avez assourdie. Vous m'avez tue.
Désormais les mots sonnent faux sur ma langue. Ils me gênent, ils frottent, ils dépassent, ils trébuchent en sortant. Les mots n'ont plus leur sens - leur sens : mon sens, le sens de moi. Les mots - les mots étaient ma chair - pas les mots, la toile qu'ils tissaient -
regarde ;
vieille image. Vieux cliché.
Je sonne faux. J'ai oublié ma langue. Je parle la vôtre.
Vous m'avez pris ma haine et ma puissance, avec vos médocs, puis avec vos mots à vous, vos mots logiques et vos mots sains. « Il faut que ça fasse sens », « qu'est-ce que tu veux vraiment dire », « explique-moi », « explique-toi ». Et j'ai suivi, par faiblesse et fatigue j'ai obéi. Vos mots clairs et métalliques, siliconés et froids, fixés en moi désormais comme des insectes morts, je les ai ingurgités. Vous me les avez fait avaler, puis fichés dans la gorge à coups d'épingles et de seringues. Piqué les mots de la politesse, du calme, de l'élégance relationnelle, de l'explication psychologique et post-traumatique, à même la glotte. « Voilà ce que tu voulais exprimer ». Vous m'avez démolie, avec méthode, avec cet air satisfait de propriétaire débordant de vos paupières grasses, celui que vous aviez, là, encore, aujourd'hui, à l'instant.
J'avais des mots moi mais - des mots qui font langue. Qui font langue et qui dansent entre les joues et battent et qui font chair, qui excitent, qui caressent. Des mots à faire vibrer les côtes et la poitrine, à faire frémir ma peau. Qui m'érigent et des mots qui s'écrivaient lisses, courbes, fluides, qui faisaient oublier la colonne vertébrale et la déplaçaient au creux du poignet, qui recentraient sur eux-mêmes, sur leur danse en huit allongé, celle des abeilles au sortir de la ruche et juste avant d'y replonger, je sortais seulement pour vous la lancer au visage, ma langue, puis je revenais en moi. J'avais un centre et un sens, et c'était ma langue.
Maintenant même quelques phrases, comme celles-là, me fatiguent. Faire la vaisselle me fatigue moins, travailler me fatigue moins, obéir à l'injonction de ces rendez-vous de suivi me fatigue moins. Alors je fais la vaisselle, je travaille, je viens vous voir et je regarde déborder votre satisfaction comme une chassie hors de vos yeux visqueux de porc engraissé par la bêtise. J'accepte, je subis ; je ferme ma gueule.
Alors vous pouvez bien prétendre que vous m'avez traitée, soignée, guérie, docteur, vous pouvez prétendre. Mais vous m'avez tuée. Vous m'avez fait taire.
LA ZONE -
Le lien vers la "Première litanie" : https://www.lazone.org/articles/1713.html
Le "Premier dialogue", premier texte posté par [222] sur la Zone. Il y en aura neuf en tout. La voix de l'autrice semble se confondre avec celle de la narratrice. On ne sait jamais vraiment. le style oscille entre une forme particulièrement cisaillée de poésie en prose et de magnifiques exhortations à la férocité glauque. https://www.lazone.org/articles/1467.html
Première apparition d'Amélie Vuissin, qui pourrait tout à fait correspondre à la narratrice des Dialogues ET des Litanies : https://www.lazone.org/articles/1725.html
A noter que, suite à un long et houleux débat en commentaire de l'un des textes de [222] (il me semble que c'est "Première litanie"), Glaüx-le-Chouette, agacé au plus haut point par les tendances à la critique comparative de ses petits camarades, finit par cracher à la gueule de ses interlocuteurs que [222] n'était rien d'autre que l'un de ses avatars, démontrant ainsi qu'il faut juger un texte en tant que tel et non par rapport à son auteur supposé.
Le "Premier dialogue", premier texte posté par [222] sur la Zone. Il y en aura neuf en tout. La voix de l'autrice semble se confondre avec celle de la narratrice. On ne sait jamais vraiment. le style oscille entre une forme particulièrement cisaillée de poésie en prose et de magnifiques exhortations à la férocité glauque. https://www.lazone.org/articles/1467.html
Première apparition d'Amélie Vuissin, qui pourrait tout à fait correspondre à la narratrice des Dialogues ET des Litanies : https://www.lazone.org/articles/1725.html
A noter que, suite à un long et houleux débat en commentaire de l'un des textes de [222] (il me semble que c'est "Première litanie"), Glaüx-le-Chouette, agacé au plus haut point par les tendances à la critique comparative de ses petits camarades, finit par cracher à la gueule de ses interlocuteurs que [222] n'était rien d'autre que l'un de ses avatars, démontrant ainsi qu'il faut juger un texte en tant que tel et non par rapport à son auteur supposé.
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Je dois avouer que je n'ai pas relu l'intégralité des oeuvres de [222] avant de publier. Allez, disons en diagonale et en faisant l'impasse sur la majorité des Dialogues. Je tiens toutefois à rappeler que [222] correspondait à une construction littéraire. Glo la faisait commenter en collant au personnage et ses interventions étaient presque aussi perturbantes que ses textes. On en venait à s'imaginer que ces fictions étaient à prendre au premier degré.
Quant à ce texte proprement dit, j'y retrouve une plume relativement familière que j'ai beaucoup aimé suivre il y a presque vingt ans. A la différence près qu'on tente ici de mettre en place une situation de départ. Départ pour quoi? Ma foi, on verra bien. La thématique de la patiente à moitié folle, dévorée par la haine du monde et des autres, qui se confronte au père puis à une figure symbolique à travers le psy n'a rien de nouveau mais le monologue de fin laisse supposer de belles phrases à venir. J'ai été particulièrement touché par les références à cette langue qu'on lui aurait volé. De fait, je suis enthousiaste sur les suites possibles d'un tel texte.
L'intro avec le père et l'infirmier me semble toutefois inutile et très en dessous du reste. Cette chute, là, "elle chante", on dirait du Disney, c'est curieux, non ? Evidemment, ce ne sont ici que fragments, mais il me semble que ça ne colle pas tout à fait.
Première lecture du texte, à sec, sans avoir lu les textes en lien dans la section bleue, sans même essayer de me rappeler les écrits de 222 que j'avais lu et commenté autrefois, sans même essayer de me rappeler la représentation de la pièce en devenir ( https://texteencours.com ) à la Baignoire de Montpellier à laquelle Glaüx m'avait invité il y a une dizaine d'années, en faisant abstraction de tout ça.
Réactions pêle-mêle :
- Oh mais c'est court, CMB. Je m'attendais à un comeback flamboyant et je me retrouve avec une sélection du reader's digest.
- Mais c'est quoi ce picotement étrange ? ça me rappelle vaguement un truc...
- C'est vraiment étrange cette façon de vouloir nous faire rigoler avec du pathos. Glaüx essaie bien de nous faire rire, n'est-ce pas ? Non, parce qu'on vit à l'ère du stand up et de l'entertainment, quand même. On ne convoque pas des gens dans un théâtre si c'est pas pour leur titiller un minimum les zygomatiques.
- Ah mais ouais, j'avais oublié que sur la Zone, on pouvait aussi poster des textes sombres. C'est dans la tagline du site, certes, mais ça fait tellement longtemps que personne ne s'y consacre que j'avais juste complètement oublié les effets secondaires.
-Bon. Maintenant faudrait songer à nous rendre le vrai Glaüx parce que celui-là, le faux, il a un peu trop fréquenté le milieu de la littérature performée scéniquement et il commence à me faire peur. Accessoiriste ? Accessoiriste ? Reprenez votre Glaüx de contrefaçon, s'il vous plait.