Je me suis réveillé dans une chambre étudiante. Je connaissais ces piaules. J'étais passé par là, dans une autre vie. Un espace ridicule avec un lit une place, un bureau en contreplaqué et un lavabo. En me redressant dans le plumard, j'ai vu du sang sur les draps roses, à côté d'un bélier en peluche. Pas beaucoup. Une tache pas plus grande qu'une pièce de deux euros.
Il y avait des posters de groupes de rock aux murs, un nécessaire à maquillage sur la table de chevet et l'intégrale des bouquins de Jim Harrison dans une armoire.
Qu'est-ce que t'as branlé, espèce de sinistre abruti ? j'ai pensé. T'as quand même pas violé une gamine ? Elle est où, d'ailleurs, la propriétaire de ce placard ?
Des questions, j'en avais une pleine remorque, mais la seule réponse qui s'imposait, c'était : tire-toi vite de ce merdier.
Mon palpitant s'est emballé. J'ai tenté de me rassurer en me disant que les nanas passent leur temps à saigner de la chatte, et que cette auréole rouge sur les draps ne signifiait pas forcément que j'avais salement dépucelé une étudiante.
Mon pantalon cargo et ma chemise traînaient au pied du lit, près du poing américain dont P'tit Frère m'avait fait cadeau. Il étincelait sous le soleil matinal donnant par la fenêtre.
La porte s'est ouverte au moment où j'enfilais mon futal.
Mégane est entrée, une serviette nouée autour du corps et une autre sur la tête. Elle a posé savon et shampooing sur le lavabo, puis elle m'a souri.
— Salut, elle a dit, en prenant le temps de bien me regarder.
J'ai fait semblant de mater la déco, pas franchement à l'aise.
— Tu ne te souviens pas, hein ? elle m'a demandé, puis elle s'est assise sur son lit, a attrapé un flacon et commencé à se badigeonner les jambes de crème.
Tout en boutonnant ma chemise, d'une voix enrouée comme un grognement de chien, j'ai lancé :
— Tu vis plus chez Robin ?
— Quentin. On s'est séparés. Longue histoire. Et toi, alors ? T'étais dans un drôle d'état, hier.
— Longue histoire. Je crois que j'ai fait une sorte de... black out.
— Sans blague. Tu m'as appelée à trois heures du mat', tu voulais qu'on se voie. J'ai dit : « Niet, je sors pas en ville à cette heure ». Mais je t'ai proposé de passer à la résidence. Quand t'es arrivé, tu tenais à peine debout, et tu marmonnais à propos d'une Chiquita, d'une polka et de ton petit frère. Il y a de l'aspirine dans l'armoire.
— T'as pas une bière, plutôt ?
Elle a levé les yeux au plafond puis secoué la tête.
J'étais encore assez saoul pour me montrer sociable, alors on a causé.
Mégane était originaire d'un petit village, dans le sud du Finistère. Un coin paumé qui rimait en « ec ». Sa grande passion, c'était la littérature. Toute gamine, à onze ans à peine, elle est tombée raide dingue de Steinbeck. « Pas Les raisins de la colère » a-t-elle précisé. « Je ne suis pas un petit prodige. Mais ses récits jeunesse, je les dévorais ». Elle a grandi en lisant plein de classiques, Hugo, Dostoïevski, Dumas. Puis elle est retournée à ses premières amours, les auteurs américains. Les études de lettres se sont imposées naturellement. Et la seule fac du secteur, c'était Brest. Ville qui ne lui plaisait pas vraiment. Trop grise. Trop « soviétique ». Elle avait envisagé Rennes, mais ça l'éloignait trop de ses parents. Je lui ai demandé si elle comptait enseigner, une fois ses diplômes en poche.
— Oui. Pas que ça me fasse rêver, mais c'est l'option la plus raisonnable.
— Qu'est-ce qui te fait rêver ?
Elle s'est tortillée comme si je l'interrogeais sur sa marque de tampons préférée.
— C'est un peu idiot.
— Tu m'as l'air tout sauf idiote.
Dans la chambre du dessus, une gourdasse piétinait en talons. Les murs étaient en carton pâte. Cette cage à lapin me tapait déjà sur le système.
— Ecrire, a-t-elle finalement lâché en haussant les épaules. Je voudrais pouvoir en vivre.
— Qu'est-ce qu'il y a de bête à ça ?
Croisant bras et jambes, elle a pouffé, puis dit :
— Je devrais essayer d'être astronaute. J'aurais plus de chance d'y arriver.
— T'as toutes tes chances en passant sous le bureau.
Elle s'est bidonnée. Je l'avais prise au dépourvu.
— T'es con.
Elle m'a décoché un coup de poing à l'épaule et sa serviette a glissé. Un petit sein galbé s'est révélé, avec un mamelon marron qui pointait droit sur moi.
Elle n'a pas touché à la serviette, seulement baissé les yeux.
On a dû se montrer créatifs : Mégane avait une scène de crime dans la culotte.
De retour chez moi, j'ai soigné ma gueule de bois à l'aide d'un pack de six, vautré devant des DVD.
Avec Domovoï, on avait convenu d'aller faire un tour au Gobelin dans les prochains jours. En attendant, j'avais besoin de repos. J'ai réglé mon téléphone sur le mode silencieux. Merde aux camés. Qu'ils se trouvent un autre livreur pour la nuit. De toute façon, j'étais à court de matos.
Je me suis endormi au moment où Van Damme balançait un grand coup de pied sauté à un motard, et j'ai cauchemardé. Je rêvais de câbles dénudés qui me filaient des décharges et de perruques blondes tachées de sang.
Vers les quatre heures du matin, j'ai émergé, pas beaucoup plus frais que la veille. Sous la douche, je me suis branlé en pensant à Mégane.
Il fallait que je passe au restaurant d'Eddy pour me recharger. J'ai pris le tramway à Octroi, et j'ai observé la rue Jaurès défiler, encore plongée dans l'ombre des bâtiments délavés. Un de mes clients zonait devant le cinéma des Studios. Un jeune type à queue de cheval, toujours l'air hagard, sauf quand il était sous coke. Dieu sait ce que ce con de junkie fabriquait là de bonne heure, planté devant une affiche de film d'auteur. Je me suis dit que cette ville devenait trop petite pour moi. Pas que j'avais l'ambition d'un Tony Montana, mais quand tous les toxicos vous reconnaissent dans la rue, ça devient difficile d'exercer un job qui, par essence, nécessite de la discrétion.
J'ai poussé la porte du restau et je suis tombé sur Chasseur, installé à une petite table ronde, fumant le cigare, un balèze de chien sagement assis à ses pieds. Un Labrador au pelage complètement noir. Je l'ai salué.
— Tu l'as ramenée de Grenoble, ta bestiole ?
— Non, ça c'est mon gros Cash. Un maître-chien me l'a refilé en échange d'un service, il y a trois ans. J'ai du travail pour lui. Et pour toi aussi. Mais on en parle plus tard, Eddy veut te voir.
Je me suis penché pour caresser Cash. Il m'avait l'air d'une brave bête.
La voix d'Eddy a résonné, depuis les cuisines :
— Ton foutu chien laisse des poils dans les frigos !
— Tu délires, Eddy, a répondu Chasseur. Cash n'a pas bougé d'ici. A mon avis, c'est plutôt le chat du voisin. Si tu lui refilais pas tes restes de brochettes, aussi...
Eddy a débarqué dans la pièce, vêtu de son tablier, et sans un regard ni une parole pour moi, il a manipulé sa caisse-enregistreuse. Le gitan fumait, soudain muet comme une tombe. Le silence devenait pesant.
Je me suis rapproché du comptoir et j'ai lancé :
— J'ai fait de bonnes livraisons, cette semaine. Je suis à sec.
Eddy a continué à faire ses comptes, et sans lever les yeux de son cahier, il a marmonné :
— Bien, bien. C'est très bien.
Le silence nous est retombé dessus. Chasseur m'a jeté un drôle de regard en coin. L'ambiance ne me plaisait pas beaucoup.
— Je dérange ? j'ai dit.
— Non, mon ami. C'est bien que tu sois venu, a répondu Eddy. Il faut que je t'explique quelque chose. Toutes ces assiettes cassées, derrière moi, tu sais pourquoi je les mets là ?
Sur une étagère, il y avait en effet de la vaisselle brisée, exposée comme de la porcelaine.
— Non, Eddy, j'en sais rien.
— Pour me souvenir de mes erreurs. Je les regarde, et je repense à toutes les fois où j'ai été maladroit. Je me dis : voilà, tu as été imprudent. Tu as fait une erreur de jugement, et maintenant l'assiette est cassée. Et sais-tu que là-haut, j'ai un vrai crâne humain sur mon bureau ?
Je me suis calé une cigarette entre les lèvres et je l'ai allumée, la main légèrement tremblante. La gueule de bois ne me quittait pas, mais surtout, la petite histoire d'Eddy me rendait nerveux.
— Maintenant, je le sais.
— Le crâne, c'est pareil que les assiettes. La même symbolique. Tu comprends ?
— Je crois bien.
Eddy a enfin levé les yeux sur moi, et, en souriant, il a lancé :
— Super, mon ami. Super.
— Il paraît que vous passez pas mal de temps ensemble, avec Domovoï, a dit Chasseur. Vous ne pouviez pas vous encadrer, et subitement c'est le grand amour ?
Je me suis installé sur un tabouret, et d'un air détaché, j'ai répondu :
— On ne sait pas où est passé P'tit Frère, alors on le cherche.
— Je m'étonne un peu que ça tracasse le russe à ce point. Il est plutôt du genre à la jouer solo. Vu que vous êtes cul et chemise, tu le sais peut-être déjà, mais il s'est pointé au Gobelin, hier. Chargé jusqu'aux yeux. Un contact d'Eddy l'a vu secouer le serveur comme un putain de cocotier. Il posait des questions, rapport à P'tit Frère, justement, et une came envolée.
Domovoï, t'as merdé, j'ai pensé.
Il avait donc décidé d'y aller sans moi, dès le lendemain de notre petite fête, complètement arraché.
J'ai seulement haussé les épaules.
— Mon ami, a commencé Eddy, tu es un malin. Si, si, ne fais pas le modeste. Tu es un petit malin. Tu t'en sors très bien pour les transactions. Tes clients sont sûrs, ils sont réglos. Ils payent ce qu'ils doivent. Mais tu ne communiques pas assez. C'est moi qui prend les initiatives. Surtout quand il s'agit de la famille.
J'ai écrasé mon mégot dans le cendrier et rétorqué :
— Je t'ai prévenu que P'tit Frère ne répondait plus. Ça me paraissait logique de tenter de le retrouver.
Eddy me regardait fixement, tout sourire, mais ses yeux ne riaient pas.
— Cette histoire de came, d'où elle sort ? m'a demandé Chasseur.
— Jamais entendu parler de ça. Je crois que Domovoï me cache des trucs.
— Et toi, t'es sûr que tu nous caches rien ?
— Putain, ouais. Le ruskof pète les plombs. J'en sais pas plus que vous.
— D'accord, d'accord, détends-toi, petit malin, a lancé Eddy d'un ton mielleux - il y avait aussi un bon paquet d'abeilles dans sa voix. Tu pars avec Chasseur. Il t'expliquera en chemin.
Le gitan a fait grimper le chien dans la benne de son Pick-up, puis il s'est installé derrière le volant. Brest sous un ciel dégagé, c'était rare comme phénomène. J'ai apprécié un instant le bleu infini au-dessus de nos têtes, puis j'ai pris la place du mort.
Je ne savais pas quoi dire, alors j'ai simplement observé par la vitre le décor qui défilait. Je commençais à craindre que notre destination soit un terrain vague de banlieue dans lequel Chasseur allait m'enterrer, après m'avoir logé une balle derrière la nuque. Ou une usine désaffectée où il comptait me découper en morceaux pour me donner à bouffer à son chien. Je sentais monter la parano. Peut-être bien que le patron savait tout. Domovoï qui utilisait son réseau pour refourguer à son compte de la came ukrainienne. Et maintenant mon silence qui me rendait complice. Merde, j'aurais dû le balancer dès le début. Faire ça proprement. Ce cinglé de ruskof allait avoir ma mort sur la conscience. Mais je me suis souvenu qu'il n'en avait pas, de conscience, malgré ses beaux discours sur la morale.
Je n'avais aucune envie de crever. Je me suis dit que si je revenais vivant de cette balade, j'allais proposer à Mégane de s'installer chez moi. C'était pas exactement un palace, mais au moins, elle aurait de l'espace. Elle pourrait écrire, tranquille. Autant qu'elle voudrait, sans entendre des bons Dieu de talons marteler le plafond. On mettrait sa collection de Jim Harrison dans le salon. Et même tous ses bouquins. Je lui poserais des étagères.
Sur les doigts de Chasseur serrant le volant, je voyais le mot LOVE qui brillait sous le soleil. La citation de Schopenhauer m'est revenue. Je me suis dit que ce philosophe de mes deux ne devait pas souvent tirer sa crampe, pour avoir une si piètre opinion du sexe opposé. Puis Nietzsche est venu mettre son grain de sel : « L'amour est l'état dans lequel les hommes ont les plus grandes chances de voir les choses telles qu'elles ne sont pas ». Va au Diable, Friedrich, pianiste raté.
— On va retrouver deux néerlandais, a dit le gitan, en dévissant une flasque tirée de son long manteau. Mad et Kim. Ils ont fait le chemin depuis Rotterdam.
— Sacrée trotte, j'ai répondu, bien content qu'il m'arrache à mes penseurs morts.
J'espérais juste que Mad et Kim ne soient pas des nettoyeurs payés à faire disparaître les taches dans mon genre.
— Eddy raque pour être approvisionné à domicile.
Il a avalé une rasade de gnôle.
— On va récupérer du matos ? j'ai demandé.
— Ben, ouais. Tu croyais que je t'invitais en thalasso ?
Je me suis affalé dans le siège, soudain détendu.
— Et le chien, c'est pour quoi ?
— Cash est un chien renifleur. Un bon. L'héro est planquée dans le camping-car des néerlandais. On ne sait pas où précisément, et eux non plus. Question de sécurité. Surtout que les deux abrutis n'ont pas vraiment le nez propre, si tu vois ce que je veux dire.
— De l'héro ? Je croyais qu'Eddy s'en tenait à la coke.
— Il se diversifie. Il développe son réseau. Tu te sens prêt à écouler du smack, petit ? C'est pas la même clientèle.
On quittait Bellevue. C'était rempli de zonards errants sur les trottoirs. Ils m'ont fait l'effet de zombis tout droit sortis d'un vieux Romero.
— Je peux vendre des lunettes à un aveugle, j'ai répondu.
Le gitan a souri, sans quitter la route des yeux. On a débouché sur la campagne et ses champs de colza, et quelques kilomètres plus loin, l'océan se dévoilait, un peu plus haut que l'horizon.
— T'es armé ? m'a-t-il demandé.
— J'ai un poing américain. Pourquoi ?
— Parce qu'on sait jamais comment ça peut tourner. Je t'ai pas emmené pour tes beaux yeux.
On s'est arrêtés près de la côte, aux alentours du Conquet. Apparemment, on avait de l'avance. On a discuté, face à la mer d'émeraude et Cash qui s'éclatait comme un dingue dans les rouleaux.
— C'est mon quatrième chien, a dit le manouche.
— T'aimes ça, les clébards ?
— Ouais, c'est un peu comme mes gosses. Je peux pas en avoir. Je tire à blanc.
Il s'est envoyé une nouvelle lampée de sa flasque en métal. L'alcool, sans doute, agissait sur lui comme un sérum de vérité. Je me suis contenté de l'écouter, ce type énorme comme un ours. Un gros ours infertile.
— J'ai une nana géniale, il a repris. Elle danse... tu verrais ça. Et puis elle a le feu au cul. Aucun problème pour bander, mais je peux pas lui donner de gosse. Elle dit qu'elle s'en fout. Mais je sais qu'elle ment. Ouais, je sais quand on me ment.
Il m'a regardé droit dans les yeux. La menace était évidente. Ou peut-être pas. J'ai décidé de mettre cette impression sur le compte de ma nervosité.
On a longuement observé l'océan.
Enfin, Chasseur s'est retourné au son d'un moteur approchant.
— Les voilà, a-t-il dit, tandis qu'un Tessoro se garait à côté du Pick-up.
Il a rappelé Cash, et on a remonté les dunes jusqu'au parking.
Deux types sont sortis du camping-car. Ils avaient dans les trente, trente-cinq ans. Un grand au crâne rasé, tatoué sur le visage, sec comme un camé, et un plus petit, rondouillard, avec un début de calvitie et une barbe de clodo. Ils étaient fringués comme des parodies de rapeurs.
— Salut les moches, a lancé le grand, dans un français presque sans accent. Je croyais qu'il faisait que pleuvoir, dans le coin ?
— On dit ça pour décourager les touristes, Mad, a rétorqué Chasseur. Laisse entrer le chien.
Mad a ouvert la porte du camping-car, et Chasseur a fait sauter Cash à l'intérieur.
— Il va tout saloper, ton chien, a grogné Kim.
— Pourquoi, c'est votre nid d'amour ? j'ai demandé.
— C'est qui, le comique ? a aboyé Mad en se plantant face à moi avec une posture de défi.
Je me serais bien passé d'admirer de si près ses tatouages de taulard. C'était pas du Rembrandt.
— Notre meilleur fourgueur, a répondu Chasseur. Vous lui arrivez pas aux chevilles.
C'était peut-être puéril, mais j'ai ressenti une pointe de fierté.
— Il sait pas qui on est, a postillonné Mad, collant presque son front contre le mien. Commence pas à nous traiter de pédés, tarlouze.
J'ai glissé la main dans ma poche et discrètement enfilé le poing américain.
— Ferme ta grande gueule, Mad, a lancé Chasseur. On vous paye pas à jouer les terreurs.
— Tu sais combien d'heures de route on vient de se taper ? est intervenu Kim, le petit barbu. On a besoin de décompresser.
Le gitan lui a refilé un petit carton plié en quatre, avant de retrouver Cash dans le Tessoro.
— Ramène-toi, a lancé Kim à son pote, et ils se sont mis à sniffer, à quelques mètres du véhicule.
Les lascars n'étaient pas les couteaux les plus aiguisés du tiroir. Mais ils avaient leur utilité dans la pyramide du crime organisé. Il fallait du cran pour traverser les frontières avec de telles quantités de came, ou bien une bonne dose d'inconscience - ce qui était probablement le cas de ces deux-là.
Chasseur est ressorti du camping-car avec Cash.
— Il trouve rien. C'est pas à l'intérieur. Cherche, Cash, nom de Dieu, cherche !
Alors le Labrador est allé renifler près du pot d'échappement. Il couinait et baladait sa truffe au-dessus du pare-chocs, la queue balançant de gauche et de droite.
— La roue de secours ? j'ai demandé.
— Peut-être bien.
On a décroché la roue et j'ai éventré le caoutchouc à l'aide du couteau papillon de Chasseur. L'héro se trouvait bien là. Deux gros paquets emballés comme des cadeaux de Noël.
Mad et Kim, remontés à blocs, faisaient semblant de boxer. En fait, c'était surtout Mad qui donnait les coups. Le petit barbu se défendait mollement, un peu amusé, surtout agacé, à l'image d'un souffre douleur dans une cour de récré.
— Au fait, Chasseur, a lancé Mad entre deux crochets, j'ai une info qui pourrait intéresser l'arménien.
Après avoir calé la marchandise entre le filtre à air et le réservoir de lave-glace du Pick-up, le gitan a laissé retomber le capot, puis il s'est retourné vers le tatoué.
— Accouche, on n'a pas que ça à foutre.
Mad s'est fendu d'un sourire à la Mona Lisa. Chasseur a soupiré, puis il m'a demandé :
— T'as du fric sur toi ?
J'ai renaudé, puis tiré un billet de cinquante de mon portefeuille avant de le tendre à Mad. Le crétin a effectué une sorte de pas de danse, et, en plissant les yeux, comme s'il devait se concentrer pour activer le peu de neurones encore fonctionnels sous son crâne luisant de sueur, il a dit :
— J'ai entendu parler d'un bon gros paquet de coke qui aurait transité par Amsterdam, avec votre ville de ploucs comme destination. Et je sais que c'était pas une commande de Grigoryan. Les ukrainiens sont en train d'inonder l'Europe et de rafler la clientèle avec une blanche qui vaut le détour. Vous feriez mieux d'ouvrir l'oeil, les bretons.
Chasseur n'a rien répondu. Il s'est contenté de faire grimper Cash dans la benne, et on a levé l'ancre.
Le trajet de retour s'est déroulé dans le plus grand silence. Chasseur digérait l'information. S'il faisait le lien avec Domovoï et P'tit Frère, toute notre petite famille risquait d'imploser. Le gitan m'apparaissait comme le plus fidèle acolyte d'Eddy, et je savais qu'il se rangerait de son côté quoi qu'il arrive.
Depuis la transaction avec les néerlandais, il se comportait froidement. J'ai senti la parano se repointer, alors je me suis raccroché à une pensée Stoïcienne : « Vivez en harmonie avec les choses que vous ne pouvez pas changer. »
Chasseur n'a rien dit à Eddy, du moins pas en ma présence. On m'a refilé du stock - encore vingt grammes de coke, plus dix de l'héro qu'on venait de récupérer - et j'ai quitté le restau sous le regard ambigu du patron.
Je voulais tuer le temps en attendant le soir et les commandes des clients, mais je n'avais pas envie de traîner en ville. En plus, le temps se gâtait. Un grain se préparait à l'horizon.
J'ai décidé de rentrer chez moi. En consultant mon portable, j'ai découvert un message de Mégane : « Nouvelles du front : les anglais sonnent la retraite », suivi d'un émoji abricot.
J'ai tapé sur mon téléphone : « Demande troupe de reconnaissance sur le terrain ? »
Réponse : « Dès que possible. »
C'est en relevant le nez de mon écran que je l'ai vu.
Domovoï, à cheval sur son solex, planté devant mon immeuble.
Je n'avais pas souvenir de lui avoir donné l'adresse, mais un flash de notre nuit de beuverie m'a traversé l'esprit : je me revoyais l'inviter se taper quelque lignes chez moi.
Espèce d'inconscient, me suis-je sermonné.
— J'ai une piste, a lancé le russe en sortant une bouteille de Zubrowka de son sac.
Je n'étais pas ravi de l'accueillir, mais il valait mieux qu'on cause dans l'appartement plutôt que dans la rue. Depuis l'interrogatoire au restau, je suspectais Eddy d'avoir des yeux et des oreilles partout.
Domovoï était nerveux. Il avait l'air à vif, crevé et surexcité, comme s'il ne dormait plus et qu'il se dopait pour tenir le coup. Il a fouillé dans mes placards, en a sorti deux verres et s'est attablé. Puis, tout en dévissant le bouchon de la vodka, il a dit :
— J'ai fait un tour au Gobelin.
— Sans déconner. Toute la famille est au courant. Un lèche-bottes du patron t'a vu bousculer le serveur. Eddy et Chasseur m'ont cuisiné à ce propos, pas plus tard que ce matin.
— Blyat.
— Je te le fais pas dire. Tu nous fous dans la merde.
Il est resté silencieux un instant. Enfin, d'une voix un peu trop calme, il a demandé :
— T'as balancé ?
— Bien sûr que non. Mais ils se doutent qu'on magouille un truc.
Le ruskof a sondé mon expression, puis il nous a servi un fond de vodka.
— T'en fais pas pour Eddy, il a dit. La priorité, c'est de retrouver la coke. Les types qui me l'ont refilée ne sont pas des amateurs.
— Les ukrainiens.
Il a hoché la tête avec une expression que je ne lui avais encore jamais vue. Une inquiétude manifeste. Peut-être même de la peur.
— C'est le Zaliutynski. La mafia de Kharkiv. Valdemar, un des lieutenants, est en route pour récupérer l'argent du deal. Bientôt, il va frapper à ma porte. Peut-être dans une semaine. Peut-être demain. Tu comprends ?
Même les psychopathes ont un instinct de survie. Et Domovoï, tout croquemitaine qu'il était, avait aussi ses prédateurs. Ce Valdemar semblait un cran au-dessus dans la chaîne alimentaire.
Sans compter que le russe se traînait un boulet au pied. Avec son bracelet électronique, s'il n'était pas chez lui aux horaires définis, c'était l'alerte générale au commissariat.
M'est apparue l'image d'un trappeur, la hache à la main, approchant un alligator pris dans un collet.
Je me suis senti dépassé. C'était pas ma guerre.
— Putain, Domovoï, cette histoire va trop loin. Je risque déjà ma peau vis-à-vis d'Eddy, et maintenant tu me parles de mafia ukrainienne.
Il a braqué sur moi ses yeux injectés de sang.
— Je t'ai dit que j'avais une piste. Il y a une rumeur comme quoi les fils de chiens qui dealent place de la Liberté se mettent à vendre une bien meilleure coke que d'habitude.
De notoriété publique, les marchands de tapis du centre coupaient leur came déjà merdique au lait en poudre et à la caféine, à tel point qu'il valait mieux en faire du chocolat chaud que de se la mettre dans les cônes.
— Tu sais ce que je crois ? a-t-il repris. P'tit Frère est en train d'écouler le paquet, petit peu par petit peu, pour ne pas attirer l'attention.
Je voyais où il en voulait en venir. Mais cette histoire me fatiguait. Passer mon temps dans le plumard de Mégane, voilà ce qui me bottait. Au Diable tous les slaves du monde.
— Vas-y, camarade, je lui ai lancé. Va donc péter les doigts et les orteils de toutes les petites frappes de la ville pour découvrir où se planque P'tit Frère. Mais ne compte pas sur moi pour t'aider.
— Je peux pas me montrer là-bas. C'est juste devant la mairie.
Je me suis levé et j'ai traversé le salon. Le russe m'a suivi du regard. J'ai ouvert la porte et dit :
— Domovoï, démerde-toi tout seul.
Il m'a observé une bonne dizaine de secondes, puis il a récupéré la bouteille et son sac. En passant le seuil, il a murmuré :
— Avant que Valdemar me coupe la langue, peut-être bien que c'est ton nom qui sortira, tovaritch.
J'étais enfin seul chez moi mais je n'arrivais pas à tenir en place. Je ressassais les évènements des derniers jours, et l'angoisse me coupait le souffle, comme un coup bien placé au plexus.
J'avais beau avoir passé du temps avec le russe, je ne savais rien de ses motivations. De toute évidence, il avait des liens avec la mafia ukrainienne, le Zaliut machin. Peut-être qu'il bossait pour eux, et ce depuis le début. D'abord en solo, pour tâter le terrain, et récupérer des contacts dans le milieu de la pègre Brestoise. Puis, une fois son carnet d'adresse bien rempli, il n'avait plus qu'à rameuter sa bande. La revente des trois kilos de coke assurait à ses potes de l'Est qu'un marché était à prendre, et que ça valait le déplacement.
Sa plus grande erreur avait été de faire confiance à P'tit Frère. Domovoï imaginait sûrement qu'il le dominait. Oui, il était sûr de son emprise. Comme une saloperie de croco qui vous chope le bras et vous fait sombrer avec lui dans les profondeurs des eaux troubles.
Sur le papier, ma théorie se tenait. Quoi qu'il ne s'agissait que d'hypothèses. Ce qui ne faisait aucun doute, en revanche, c'est que le russe m'avait menacé. Et c'était ça, la principale cause de mon angoisse.
Pour calmer la machinerie qui se déglinguait dans ma tête, j'ai décidé de me rouler un joint et d'ouvrir une bouteille de rouge. Je ne connaissais rien de plus efficace pour arrêter de penser. Mais la défonce est le pire des usuriers. Elle vous prête la tranquillité quelques heures, puis la reprend sans prévenir, en vous pétant gratuitement le crâne à coup de marteau.
Alors que la nuit tombait en même temps qu'une pluie diluvienne et que je regardais la télé, scotché devant une rediffusion de Twin Peaks, j'ai entendu tinter mon téléphone, à travers le brouillard de mes sens émoussés. J'ai tendu le bras vers mon portable. L' écran affichait un petit cul parfaitement lisse, revêtu d'un string en dentelle rose bonbon. Un message accompagnait la photo : « Assistance requise de toute urgence. »
Je n'étais clairement pas en état de conduire. J'aurais très bien pu me rendre à la cité universitaire en tram, et marcher dix minutes à pied. Mais mon deuxième cerveau avait pris la tête des opérations.
Je descendais une rue parallèle à l'avenue Jaurès sur mon scooter, et comme j'avais négligé d'enfiler mon casque, la pluie me fouettait le visage et me brûlait les yeux. C'est à peine si je pouvais les tenir ouverts. Pour dire les choses simplement : j'y voyais comme dans le cul d'un mort. Je ne roulais pas bien vite, conscient de l'altération de mes réflexes, ce qui ne m'a pas empêché de percuter l'avant d'une Audi qui débouchait sur ma droite. Je plaide coupable ; elle avait la priorité.
Le choc a été assez violent pour me faire décoller de ma selle, et j'ai plané au-dessus du capot de la bagnole avant de me ramasser sur le bitume. Par chance, j'avais tendu les bras et amorti ma chute.
Je me sentais plutôt bien, allongé par terre, et je me serais peut-être endormi si on ne m'avait pas retourné et relevé en me chopant par le col.
— Eh, oh ! Fils de pute ! Tu m'entends ?
— Il est pas mort, pas vrai ?
— Nan, il est bourré.
J'ai secoué la tête, comme un chien qui s'ébroue. Je ne distinguais que des silhouettes encapuchonnées, dans le contre-jour du lampadaire.
On m'a lâché la veste, et ô miracle, je tenais debout.
— Mon pote, tu viens d'esquinter ma caisse.
J'ai tangué d'avant en arrière, et dit :
— Va falloir faire un constat. Vous avez le papelard ?
Ils se sont regardés.
— J'en sais rien. Il faut un papier ? a demandé l'un.
— Tu dois l'avoir dans la boite à gant, a répondu l'autre.
Les deux gars sont retournés dans l'habitacle de l'Audi.
J'ai jeté un oeil aux alentours. Pas de témoins. J'ai jugé que c'était le bon moment pour détaler.
J'abandonnais mon scooter, mais quelque chose me disait que les deux lumières n'allaient pas pousser le vice jusqu'à appeler les flics. Je savais reconnaître des dealers au premier coup d'oeil, même avec deux grammes dans le sang.
— Eh, machin ! Merde, il se barre !
J'ai constaté que j'étais assez en forme pour piquer un sprint. Le petit accrochage m'avait un peu dégrisé, mais je restais suffisamment ivre pour ignorer la douleur. De ce que je voyais, j'avais surtout des contusions et les paumes râpées. Rien de bien méchant.
Les types étaient largués depuis longtemps, pourtant j'ai continué à courir. Il fallait que je me défoule. De galoper comme ça sous la pluie, ça me faisait du bien. J'étais comme un gosse consigné dans sa chambre à qui on levait subitement l'interdiction de sortie. Je me suis dit que je pourrais continuer comme ça jusqu'à Strasbourg ou même Vladivostok. Fuir cette ville infernale qui voulait ma peau, et ne jamais me retourner. Après tout, j'avais amassé assez de thunes pour repartir de zéro dans n'importe quel bled d'ici ou d'ailleurs.
Au lieu de ça, je me suis arrêté sous le porche de la cité universitaire.
Nietzsche avait raison. Ce qu'on peut être con, quand on a la trique.
LA ZONE -
Résumé de l'épisode précédent par personnage :
Eddy Grigoryan : Proprio du resto arménien, le Mont Ararat, amateur de brandy, chef de la pègre brestoise, il traite les membres de son clan comme sa famille.
Chasseur : Homme de main d'Eddy Grigoryan, fumeur de cigare, énorme type jovial aux allures de manouche. Il dépasse le narrateur d'une tête et demie, faisant deux fois sa largeur, et arbore des bagues à tous les doigts, exceptés les pouces, avec une lettre gravée sur chacune, à la main droite, elles forment le mot LOVE, et à la gauche, le mot HATE. Chasseur fournit une bonne partie des dealers qu'on retrouve place de la Liberté, en plein centre-ville. Il s'agit de beuh, et de mauvaise cocaïne à l'occasion.
Le narrateur : Ne peut pas encadrer les cheffaillons. Après avoir été viré de son job de videur de thons à la criée du port pour cause d'absences injustifiées, alcoolique, buveur de café compulsif, gros clopeur, désoeuvré au chômage, fauché le 10 du mois, il fréquente les bars louches du quartier de Recouvrance pour y trouver un taf. Dans l'arrière salle du Mala Vida en offrant une tournée générale aux truands, il rencontre Chasseur qui l'embauche en tant que dealer dans le jardin des Explorateurs, juste après le pont levant de Recouvrance. Il se fait vite de l'argent mais reste discret, en investissant tout au plus dans des fringues lambda et un scooter. Devenu meilleur employé du mois, il a de l'avancement et devient homme de main d'Eddy Grigoryan. Il a l'habitude d'ouvrir des thons toute la journée et ça ne le dérangerait pas de faire la même chose à un humain. En compagnie de P'tit frère, le narrateur commence par démonter un riche Quentin, qui doit du fric à Eddy, à l'aide d'un coup de poing américain. Il prend conscience que la violence le grise. Son quotidien devient ensuite rythmé par les soirées poker au Mont Ararat, les expéditions punitives et refourguer la cocaïne d'Eddy avec P'tit Frère.
P'tit Frère : Jeune homme de main d'Eddy Grigoryan, incapable de rester en place, tué après avoir été torturé (dans un flashforward au début du récit) puis enterré dans un terrain vague du quartier dortoir brestois de Pontanezen par Chasseur et le narrateur. P'Tit Frère conduit une vieille 205 blanche customisée, refourgue la cocaïne d'Eddy avec le narrateur jusqu'à ce qu'il se mette à sérieusement déconner. C'est un amateur de sites pornos de transexuels et de bondage sous le pseudo de "soumisdu29" sur le site "rdvdomina.com" où il fréquente souvent une certaine "ChiquitaDom" pour des séances sadomasochistes IRL. Il lui a promis un truc en grande quantité chez elle. Le prénom de P'Tit Frère serait Aurélien.
Mégane : Serveuse à la cafétéria de la grande librairie généraliste de la rue de Siam, menue étudiante en lettres, draguée par le narrateur sur son lieu de travail où il lit des romans de gare, des polars et un peu de philosophie antique pour l'impressionner en citant des maximes. Elle est la meuf du riche Quentin 'robe de chambre' qui se fait démonter la gueule au coup de poing américain par le narrateur car il doit de l'argent à Eddy (a priori souvent dans le rouge à cause de Mégane). Quelques semaines plus tard, le narrateur alors qu'il deale la drogue de l'arménien à une soirée étudiante, retrouve Mégane par hasard et la saute, vite fait, dans les toilettes.
Domovoï : Homme de main d'Eddy Grigoryan ( le domovoy c'est le croque-mitaine chez les russes). Il a fait l'armée chez les soviets mais n'aime pas trop en parler. Taré de ruskof à moustaches, un bracelet électronique à la cheville, il donne l'impression au narrateur qu'il ne peut pas le saquer. C'est un barge, expert en kidnapping, son truc : rentrer chez les gens, se planquer sous le lit des gosses, et attendre. Il peut rester là pendant des heures. Quand le gamin va se coucher, Domovoï se tortille sans bruit et sort de sa cachette avec un chiffon imbibé de chloroforme. Il saucissonne le môme comme un rosbif, puis va se taper la baby-sitter. Il lâche tout le temps des expressions en russe. P'tit Frère devait le retrouver au Cabaret Vauban mais le jeune homme ne s'y est jamais pointé, restant injoignable au téléphone. Alors que les deux compères devaient faire un deal avec des types de Pontanézen, P'tit Frère a disparu avec trois kilo de cocaïne. Le russe ne sait pas où vit P'tit Frère mais le narrateur le sait alors ce dernier l'accompagne sur son vieux Solex tout pourri jusqu'au numéro dix de la rue de Vannes, un point de deal des quartiers chauds de Brest. Le russe porte un casque à pointe de l'armée prussienne en guise d'équipement de protection. Domovoï entre dans la maison de P'tit Frère en découpant le verrou au couteau de chasse. P'tit Frère n'est pas là et semble s'être fait la malle avec la came, a priori chez une certaine "ChiquitaDom" qui se révèle être un homme. On apprend que Domovoï et P'Tit frère ont monté un coup de leur coté sans en parler à Eddy, un contact ukrainien de Domovoï et de la came pratiquement pure venue par bateau depuis Amsterdam, refilée à P'Tit Frère à cause de la surveillance électronique du russe. Le narrateur prend rendez-vous avec le transexuel mercredi à 21h. Le russe et le narrateur décident de ne dévoiler qu'une seule chose à Eddy, le fait que P'Tit Frère est injoignable sans parler de la drogue des ukrainiens. Ils finissent par se rendre dans le quartier de Saint-Martin et après quelques péripéties avec un travelo à perruque blonde, le russe finit par le torturer salement en lui pétant les doigts, un par un, au point de faire douter le narrateur sur le monstre qu'il est en train de devenir. Le transexuel concède l'adresse d'un bar gay, le Gobelin (P'Tit frère serait très pote avec le patron). En fin de chapitre, le narrateur et Domovoï se murgent salement la gueule dans un pub irlandais tout en s'enquillant la petite partie de la pure coke ukrainienne retrouvée chez le travelo.
Eddy Grigoryan : Proprio du resto arménien, le Mont Ararat, amateur de brandy, chef de la pègre brestoise, il traite les membres de son clan comme sa famille.
Chasseur : Homme de main d'Eddy Grigoryan, fumeur de cigare, énorme type jovial aux allures de manouche. Il dépasse le narrateur d'une tête et demie, faisant deux fois sa largeur, et arbore des bagues à tous les doigts, exceptés les pouces, avec une lettre gravée sur chacune, à la main droite, elles forment le mot LOVE, et à la gauche, le mot HATE. Chasseur fournit une bonne partie des dealers qu'on retrouve place de la Liberté, en plein centre-ville. Il s'agit de beuh, et de mauvaise cocaïne à l'occasion.
Le narrateur : Ne peut pas encadrer les cheffaillons. Après avoir été viré de son job de videur de thons à la criée du port pour cause d'absences injustifiées, alcoolique, buveur de café compulsif, gros clopeur, désoeuvré au chômage, fauché le 10 du mois, il fréquente les bars louches du quartier de Recouvrance pour y trouver un taf. Dans l'arrière salle du Mala Vida en offrant une tournée générale aux truands, il rencontre Chasseur qui l'embauche en tant que dealer dans le jardin des Explorateurs, juste après le pont levant de Recouvrance. Il se fait vite de l'argent mais reste discret, en investissant tout au plus dans des fringues lambda et un scooter. Devenu meilleur employé du mois, il a de l'avancement et devient homme de main d'Eddy Grigoryan. Il a l'habitude d'ouvrir des thons toute la journée et ça ne le dérangerait pas de faire la même chose à un humain. En compagnie de P'tit frère, le narrateur commence par démonter un riche Quentin, qui doit du fric à Eddy, à l'aide d'un coup de poing américain. Il prend conscience que la violence le grise. Son quotidien devient ensuite rythmé par les soirées poker au Mont Ararat, les expéditions punitives et refourguer la cocaïne d'Eddy avec P'tit Frère.
P'tit Frère : Jeune homme de main d'Eddy Grigoryan, incapable de rester en place, tué après avoir été torturé (dans un flashforward au début du récit) puis enterré dans un terrain vague du quartier dortoir brestois de Pontanezen par Chasseur et le narrateur. P'Tit Frère conduit une vieille 205 blanche customisée, refourgue la cocaïne d'Eddy avec le narrateur jusqu'à ce qu'il se mette à sérieusement déconner. C'est un amateur de sites pornos de transexuels et de bondage sous le pseudo de "soumisdu29" sur le site "rdvdomina.com" où il fréquente souvent une certaine "ChiquitaDom" pour des séances sadomasochistes IRL. Il lui a promis un truc en grande quantité chez elle. Le prénom de P'Tit Frère serait Aurélien.
Mégane : Serveuse à la cafétéria de la grande librairie généraliste de la rue de Siam, menue étudiante en lettres, draguée par le narrateur sur son lieu de travail où il lit des romans de gare, des polars et un peu de philosophie antique pour l'impressionner en citant des maximes. Elle est la meuf du riche Quentin 'robe de chambre' qui se fait démonter la gueule au coup de poing américain par le narrateur car il doit de l'argent à Eddy (a priori souvent dans le rouge à cause de Mégane). Quelques semaines plus tard, le narrateur alors qu'il deale la drogue de l'arménien à une soirée étudiante, retrouve Mégane par hasard et la saute, vite fait, dans les toilettes.
Domovoï : Homme de main d'Eddy Grigoryan ( le domovoy c'est le croque-mitaine chez les russes). Il a fait l'armée chez les soviets mais n'aime pas trop en parler. Taré de ruskof à moustaches, un bracelet électronique à la cheville, il donne l'impression au narrateur qu'il ne peut pas le saquer. C'est un barge, expert en kidnapping, son truc : rentrer chez les gens, se planquer sous le lit des gosses, et attendre. Il peut rester là pendant des heures. Quand le gamin va se coucher, Domovoï se tortille sans bruit et sort de sa cachette avec un chiffon imbibé de chloroforme. Il saucissonne le môme comme un rosbif, puis va se taper la baby-sitter. Il lâche tout le temps des expressions en russe. P'tit Frère devait le retrouver au Cabaret Vauban mais le jeune homme ne s'y est jamais pointé, restant injoignable au téléphone. Alors que les deux compères devaient faire un deal avec des types de Pontanézen, P'tit Frère a disparu avec trois kilo de cocaïne. Le russe ne sait pas où vit P'tit Frère mais le narrateur le sait alors ce dernier l'accompagne sur son vieux Solex tout pourri jusqu'au numéro dix de la rue de Vannes, un point de deal des quartiers chauds de Brest. Le russe porte un casque à pointe de l'armée prussienne en guise d'équipement de protection. Domovoï entre dans la maison de P'tit Frère en découpant le verrou au couteau de chasse. P'tit Frère n'est pas là et semble s'être fait la malle avec la came, a priori chez une certaine "ChiquitaDom" qui se révèle être un homme. On apprend que Domovoï et P'Tit frère ont monté un coup de leur coté sans en parler à Eddy, un contact ukrainien de Domovoï et de la came pratiquement pure venue par bateau depuis Amsterdam, refilée à P'Tit Frère à cause de la surveillance électronique du russe. Le narrateur prend rendez-vous avec le transexuel mercredi à 21h. Le russe et le narrateur décident de ne dévoiler qu'une seule chose à Eddy, le fait que P'Tit Frère est injoignable sans parler de la drogue des ukrainiens. Ils finissent par se rendre dans le quartier de Saint-Martin et après quelques péripéties avec un travelo à perruque blonde, le russe finit par le torturer salement en lui pétant les doigts, un par un, au point de faire douter le narrateur sur le monstre qu'il est en train de devenir. Le transexuel concède l'adresse d'un bar gay, le Gobelin (P'Tit frère serait très pote avec le patron). En fin de chapitre, le narrateur et Domovoï se murgent salement la gueule dans un pub irlandais tout en s'enquillant la petite partie de la pure coke ukrainienne retrouvée chez le travelo.
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C'est du Clacker tout craché (un peu moins déconnant et disjoncté que d'habitude mais ça colle très bien à l'ambiance de l'histoire), du Clacker donc en réalité du Maxime Chattam sous couverture s'adonnant à son petit plaisir intime : 2CRIRE DE L4ÜBERLTT2RATURE D G2NIE sur la Zone en loucedé. #TropMarreDÊtreObligéDécrireDeLaSoupe #PetitPlaisirUndergroundLitterature #Bookstagram D'ailleurs tout particulièrement derrière le personnage de Mégane, c'est à peine voilés qu'on reconnait les traits de caractère de sa charmante épouse Faustine Bollaert ( évident par exemple qu'elle aime bien se faire prendre, vite fait, dans les toilettes de soirées étudiantes, ou bien encore ce passage : "On a dû se montrer créatifs : Mégane avait une scène de crime dans la culotte." On ne me la fait pas, typique de la vie de couple entre les deux stars, je suis sûr d'avoir lu ça dans "Voici", ou encore pour finir, ce passage : "L' écran affichait un petit cul parfaitement lisse, revêtu d'un string en dentelle rose bonbon. Un message accompagnait la photo : « Assistance requise de toute urgence. »" C4EST TROP LE LIFESTYLE DE FAUSTINE§§§) Et puis c'est trop grillé qu'il se prend trop pour Ben Affleck dans la scène où il se touche sous la douche en pensant à Mégane. Mais c'est certain que Lunatik Lunatikement va trouver des choses négatives à critiquer dans ce texte, probablement lors de son passage ce samedi pour la nocturnale d'écriture.
TomateFarcie : "se toucher sous la douche, normalement on a tous arrêté après la première fois, en constatant la non miscibilité de l'eau et du sperme, et les efforts à consentir pour faire disparaître toute trace de son forfait. Mais si Clacker a opté pour l'absurde, c'est son choix et je le respecte. Je pense toutefois que Guy Ritchie risque de couper cette scène au montage, tant pis, on se rattrapera sur la BO."
lapinchien : "Tu te trompes, ce n'était certes pas Guy Ritchie mais Sam Mendes, et il n'a pas coupé la scène au montage d'American Beauty qui a très probablement inspiré Clacker https://www.youtube.com/watch?v=blpXcAOKgl8&t=45s "
Très bien mené, ambiance efficace, personnages stéréotypés mais suffisamment fouillés pour qu'on veuille les suivre jusqu'à la toute fin. Il n'empêche que je me suis moins laissé porter que lors du premier volet. L'histoire, au-delà de la menace sourde qui peine à s'installer autour du narrateur, ressemble à une parenthèse. En gros, je m'attends à quelque chose qui ressemblera au premier volet de "Pusher" : une marche irrémédiable vers un destin. Je suppose que le narrateur va laisser passer sa chance d'échapper à cette vie de violence et que tout finira dans un bain de sang.
Peut-être pas, ok, admettons, mais c'est vraiment l'impression que j'en ai et je me sens disons moins concerné. Peut-être que ça manque de suspense.
En tout cas, des formules chocs épatantes et un formidable dernière phrase.
J'attends la suite pour me faire un avis définitif.
Et petit addendum dirigé à LC : bravo pour ta patience et ta passion. Jamais je n'aurais pris le temps de rédiger des fiches perso aussi détaillées. Je ne sais ce qu'en pense Clacker et on fera bien comme il voudra (s'il préfère les virer, pourquoi pas) mais en ce qui me concerne, ça m'a tout bien remis dans le crâne.
C'est très accessoire quand on enchaîne les deux textes même si par moments Clacker fait soudainement référence à des détails, qu'il ne faut pas avoir loupé ou oublié, de l'épisode précédent. Tout le mérite revient à Clacker d'ailleurs, je n'ai fait que des copier-collers honteux sur des post-its que je collais au fur et à mesure de la lecture à mon écran. L'exercice m'a rappelé la vignette automobile. Sur la fin, il fallait que je soutienne mes paupières avec les essuie-glaces pour lire la route au travers du pare-brise.
Ce texte est génial et le découper en morceaux avant de le livrer en pâture à la plèbe, un sacrilège. Clacker ferait mieux d'en faire un roman noir et de remporter collatéralement, les doigts dans le nez, le FIRN édition 2025 de Frontigan.