Stylobille

Le 11/01/2025
-
par Jano
-
Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Etrange texte que celui-ci. Nouvelle autrice, inconnue au bataillon, pourvue d'une plume sobre et efficace. Elle a le bon goût de faire court et installe d'emblée une atmosphère routinière, plongée dans une science-fiction paresseuse mais loin d'être désagréable. Il est permis de supposer qu'il y aura une suite parce que, sinon, la chute est ratée. L'histoire se focalise sur une saynète de drague lourde relativement ordinaire - il est permis de le déplorer - dont le contexte un poil obscur implique des flics, des contrôles et une organisation sociale contraignante. Nous attendons la suite.
Quand un bon vieux bic s'invite dans un futur pas si lointain
Bruno et Cléo font passer le matériel sur le tapis poussif du scanner de l'hôtel de police. Un officier en civil décati les fixe depuis dix bonnes minutes, le costume clair, l’œil de mercure des consommateurs acharnés de sub. Bruno lâche :
-Je crois qu’on a un fan.
-Ouais, ben rends-moi service et fais semblant d'avoir rien remarqué.
-Pourquoi ?
Mais c'est trop tard, l'officier s'avance et se plante devant Cléo, l'empêchant de continuer son travail. Il jette :
-Stella. Neuropsychotropes. On se connaît.
-Je ne crois pas.
-Mais si. Vous travaillez pour Plexus… Les Chaînes de conscience artificielle, tout ça. C'est vous qui venez réparer la petite nouvelle qu'a claqué. Mais vous venez d'ailleurs, en fait. Attendez, attendez… Oui. Voilà. J'y suis. Y’a une quinzaine d'années. L'appartement des frères Galatée. C'est ça. Tu traînais toujours avec ce gamin complètement givré là, Paul. Vous vous êtes fait mettre par la milice de BioGenèse qui m’a doublé sur ce coup. Merde, j'ai vraiment raté l'occasion de faire péter mon score ce jour-là. Bon. On peut pas gagner à tous les coups. Et alors le gosse, il en est où ?
-Mort.
-Ah. Dommage. Il avait du potentiel. C'est comme ça la vie, j'imagine. Et toi, t'as pris combien ?
Contre un capitaine de la police coutumière avec un tel carnet de bal, Cléo, son pedigree étalé comme ça sur le tapis du scanner, ne peut rien faire d'autre que répondre :
-Cinq ans.
-Neurorépressive en prime ?
-Oui.
-Combien.
-Neuf mois.
-C'est raide. T'as dû en faire, de la Restauration après ça.
-Oui.
-Combien.
-Deux ans.
-Cité Probatoire ?
-Cinq.
-Bizarre. L'Arque est pas connu pour faire les poubelles. Comment il t'a ramassée ?
-J'étais encore en Cité. Un pote à moi est passé. Il bossait pour Plexus qui cherchait des cerveaux vacants.
-Aussi simple que ça.
-Oui.
Silence rêveur.
-T'es ici pour combien de temps ?
-Je sais pas, une semaine.
-Ça te dirait qu'on aille prendre un verre un de ces soirs toi et moi ?
-J'ai beaucoup de travail, là.
-Allez, tu bosses pas toute la nuit, si ?
Silence.
-Allez, file ton numéro.
-Non, ça va aller.
-Donne.
-J'en ai pas.
-Sûr.
-J’ai qu'un numéro pro. J'ai pas le droit de le transmettre.
Ricanement :
-Alors c’est vrai ce qu'on dit. L'Arque tient la laisse bien serrée au cou de son petit personnel. Alors donne ton bras.
-Quoi ?
-Donne ton bras. Je vais pas le manger. Allez, donne.
Il saisit Cléo par le bras et lance au garde qui surveille le scanning :
-Stylo.
Ce dernier obéit instantanément et lui remet un stylobille. Le capitaine Stella écrit un numéro en grand sur l'avant-bras de Cléo.
-Voilà. Comme ça c'est toi qui m'appelles. Oublie pas. Je suis libre tous les soirs à partir de 22h. Appelle-moi. Appelle-moi vite si tu veux pas avoir des surprises quand tu passeras ton matériel au scanner la prochaine fois. Faudrait pas pourrir la réputation de Plexus avec tes mauvaises habitudes, hein. Je compte sur toi.
Petite tape sur l'épaule et il s'en va. Bruno s'approche de Cléo qui reste figée, mâchoires serrées.
-C'est qui ce connard ?
-Un cadavre.