Les puissants ont de drôles de hobbys : Chapitre 3 : François et Manu.

    L'autre, goguenard, étrangle un rire avant de répondre.
    « Bah, tu me connais, François. A l'approche des fêtes, je deviens sentimental. Alors j'appelle les vieux amis, je me demande ce qu'ils deviennent. »
    A l'autre bout du fil, François hésite à observer qu'il ignorait que son interlocuteur avait des amis.
    « Dis donc, Manu, je te savais taquin mais là... »
    Manu étouffe un rire.
    « Ah, pardon, François ! Je sais que c'est mal de se moquer des vieux. »
    Long soupir du dit François. L'autre se retient à peine de ricaner. A l'oreille, ça donne des gargouillis invasifs et putassiers.
    François reprend la parole.
    « C'est bon, Manu. Crache ta praline ! »
    Ricanement décomplexé du même Manu.
    « Ah, l'expression de vieux...
    - Il me semble que tu t'es donné beaucoup de mal pour dévoiler à la face du monde que tu n'avais absolument rien contre les vieux - ou les vieilles. »
    L'allusion à Brigitte semble agacer Manu.
    « Ha-ha, très drôle. Vraiment, je suis mort de rire.
    - T'énerve pas, Manu. On est entre personnes de bonne compagnie, pas vrai ?
    - Ouais, c'est ça, lol. »
    François commence visiblement à perdre patience. Il bascule d'un talon à l'autre sur ses jambes tendues. Dans un souffle, il relance son magnifique ami.
    « Et tu appelais pourquoi, précisément ?
    - C'est Noël, François. Faut qu'on accorde nos violons. Tu veux qu'on se fasse un ami secret ? Ou alors on joue au cadeau le plus naze ?
    - Tu parles sérieusement ?
    - Mouahaha, j'adore quand tu prends ce ton de vieille chouette offusquée ! Allez, un petit effort, François, t'as une décision à prendre. Ça doit te faire bizarre, non ? »
    Dans le dedans de sa tête, le vieux François ne se dit pas « ah mais quel fils de pute », ni « bordel de foutre, il m'appelle juste pour me torturer », et encore moins « dès que je raccroche, je file sur le dark web recruter un assassin ».
    Non, François est positif et pondéré. Il se signe de la main gauche et remercie le seigneur car le jour est venu. Quarante ans à lécher le cul des puissants pour en arriver là. Ce soir, il se fera un petit plaisir et ouvrira une cannette de bière.
    Et enfin, il ose.
    « Dis-le, Manu. Tu n'as qu'à le dire une fois et tu peux continuer à m'humilier. »
    A l'autre bout du fil, le silence s'impose. C'est beaucoup moins drôle si la victime est consentante.
    « Ok. Tu vas devenir premier ministre de mon prochain gouvernement. Tu feras bien tout ce que je dis et tu t'accrocheras à ton poste contre vents et marrées.
    - Ouais-ouais, j'ai qu'à suivre ton exemple, mon petit Manu.
    - Ta gueule, François. Me fais pas changer d'avis.
    - Une question, toutefois : qu'est-ce qu'on fait de l'opinion publique ?
    - On l' encule, François. Bien profond et avec du gravier. »
    Manu raccroche sans un au revoir. François en conclut qu'il va devoir se taper Retailleau et pactiser avec l'extrême-droite. Il éprouve une certaine lassitude à cette idée. Mais François est quelqu'un d'opiniâtre et d'optimiste. C'est Noël et c'est lui qui a le plus beau cadeau.
    Dans son petit palais personnel, Manu soulève son combiné et, s'adressant à sa secrétaire :
    « Passez-moi Bernard Cazeneuve, j'ai envie de rigoler. »