LA ZONE -

La Griffe Noire

Le 30/12/2024
par HaiKulysse
[illustration] Le ciel était noir, noir comme le plus pessimiste des rats ce soir-là. Je me collais sous les étranges néons, dont le laser lumineux n’était propre qu’à cuivrer un peu plus les visages ocreux de ces gens sortant tout droit d’Orange Mécanique. De drôles de néons qui illuminaient aussi la carte des réseaux souterrains que je tenais devant Desireless avec sa coupe façon balai-brosse…
Les mastodontes nécrovores ne devaient plus être vraiment loin maintenant et nous étions en mesure de connaître ce que leur poche ventrale contenait grâce aux applications natives sur le portable de Desireless. Celles-ci nous indiquaient aussi qu’on pouvait naviguer sans péril sur ce fleuve juste là en dessous sans tomber au fond de ses abysses. Et en m’éloignant des néons et m’approchant de l’un de ces faisceaux au clair de lune, j’essayais de jauger si on pouvait sauter du haut de ce pont.

C’était un pont enjambant le cours d’eau et longeant les bicoques des bidonvilles… mais je commençais à l’entendre, Desireless, bidouiller son iPhone relié à sa caboche par un casque virtuelle… elle devait sûrement envoyer dans toutes les latitudes des messages, des SOS, des bouteilles à la mer destinées à un roi régnant à l’époque où la Griffe Noire sévissait. Les mastodontes nécrovores approchaient ; ils avaient déserté les collines où ils étaient nés et ils n’étaient plus qu’à une centaine de mètres maintenant.

Mais auparavant dans la jungle où l’on avait magouillé pour obtenir des justificatifs bidons - avec nos louis d’or et nos napoléons amassés lors d’une série de ventes aux enchères et aussi grâce à quelques annuités nous revenant - nous trouvâmes refuge dans une hutte de pseudo-poètes, adjacente au pont, avant la ruée de tous ces monstres ; et dans les caboches de ces scribes laborieux les documents qu’on présenta firent tilt. Cependant, leurs idées inexplicables de proses poétiques finirent rapidement par nous lasser et dès que le danger fut écarté, on était déjà dehors, reparti sans même un adieu lapidaire ; et sous la lune notre odyssée, qui était sponsorisée par la société du téléphone de Desireless, redémarrait… Nos chevaux et nos sangliers de trait restés à l’écart pendant l’attaque, s’ébrouant, et la noirceur de cette nuit sans fin étalonnant pour nous l’ivresse incendiaire, malsaine de notre voyage à travers des contrées aussi étranges qu’obscures !

Mais encore plus occulte que le grimoire de ce roi débauché qu’on n’allait pas tarder à rencontrer et qui allait nous faire part d’un secret bien gardé concernant un décret. Et après quelques heures de marche nous vîmes les coupoles illuminées et les lanternes de sa Cité Interdite !


Deuxième partie : le palais impérial

Avant de malheureusement repartir à nouveau sur les sentiers, notre quête d’un État lointain et mystérieux se fourvoyait complètement, et en tout cas c’était ce qu’on entendait le plus de la part de cette foule d’orateurs qu’on croyait inaliénables.

Donc, quelque chose clochait, et avait bigrement semé le doute. Nous devions bientôt abandonner cette patrie gouvernée secrètement par des fondamentalistes soûls. Et nous ne savions toujours pas si nos recherches pour retrouver ce roi qu’on qualifiait de prométhéen allaient nous permettre d’aller jusqu’au bout.

Et puis il y avait tous ces massacres dans la rue et le vent chargé de l’odeur des charniers m’insufflait qu’un tel désastre était orchestré par la jeunesse, par cette Main Noire. Une corporation anarchiste qui se terrait pour l’instant dans les ténèbres de notre terre d’accueil.

Par manque de jugeote, les orateurs du roi qui peut-être voulaient prouver sa divinisation, avaient diminué nos chances de survie en milieu hostile et on devait au monarque une fière chandelle, le souverain nous accordant pour une grande part sa mansuétude. Et pour juguler leur despotisme et pour appuyer mes propos, quand j’étais parmi eux dans les assemblées, j’invoquais cette contrée qui était là-haut dans le ciel laiteux et qui était le creuset de toutes nos civilisations. Une patrie sans doute imaginaire, avec des sacrifices humains que les journalistes étrangers ne pouvaient décrire sans frémir…

Il y avait, parait-il, des combats de sabre qui empruntaient leur scénographie au genre dramatique japonais qu’on appelle kabuki dans votre monde. Les participants ne pouvant blairer les autres concurrents, des fumeurs de joint pour la plupart, inexpérimentés au combat, le dernier round était vite expédié…

Et après maintes cérémonies, d’achats de boucs sacrés, on était passé en défilant fièrement sous l’Arche largement décorée d’un logo alambiqué mêlant à la fois l’art Khmer mais aussi l’esprit intrépide de quelques poètes bel et bien disparus. Puis après bien des orgies et tous ces alcools rances, on regardait dans les cieux ces vautours tournoyants et allant se repaître du dernier massacre…

Cependant les divers cénacles népotistes s’étaient heurtés ces derniers temps à une jacquerie réclamant pour une bonne part la démocratisation des principales institutions. Notamment pour les laissés-pour-compte de ce pays ne voulant plus de ce culte sanglant qu’on leur infligeait…

Troisième partie : l’exil

J’étais parti dans un délire qui, par ordre alphabétique puis par champ lexical, classait les différents groupes de grunge, glanant des infos sur leur label ; avant que notre situation s’inverse en quelque chose de pas poilant du tout. Avant que les médiums, les gourous, les marabouts de haute lignée nous intiment de partir.

Mais sous leurs masques geignards et pleurnicheurs je devinais leurs yeux invitant à la sérénité et surtout réclamant le calme et le retour de l’ordre étant donné qu’on avait troublé les lieux dès notre arrivée…

Donc nous partîmes non sans avoir chargé la carriole de tout un tas de choses, mais en oubliant le plus indispensable : lorsque nous fûmes confrontés au manque de nourriture, notre périple courant déjà sur cent-cinquante kilomètres, on avait invoqué les dieux, de préférence ceux que les jurons ne contrariaient pas, afin que nous ne soyons pas privés de leur soutien…

Et au-dessus de la carriole qui roulait sur une route caillouteuse, le Ciel ne nous souriait pas vraiment, il nous faisait même la grimace, un rictus de dégoût. Peut-être était-ce l’insubordination à tous les commandements divins qui nous avait conduit à notre perte…

Mais avant de prendre la route, le roi nous avait confié que dans un passé lointain il avait récompensé la Griffe Noire, une corporation qui lui avait rendu service. Il s’agissait d’un décret mettant en surveillance tous les galions espagnols et qui avait certes avivé la guerre mais aussi l’âge d’or des voyages au long cours… ainsi, nous dit-il avant un adieu lapidaire, nous n’aurions plus qu’à écluser les cafés où certains voyageurs et vieux marins aguerris trinquaient en l’honneur d’une divinité lapone. Et qui nous raconterait mieux que lui où l’argent des mercenaires de la Griffe Noire avait été caché.

Et quand nous entrâmes dans le premier zinc d’une cité mentionnée sur le décret, nous fûmes surpris de leur accoutrement. Ils avaient de drôles de couvre-chefs cachant leurs cheveux et du charbon noir sur tout le visage descendant jusqu’au menton. Puis après avoir bien bu toute une encyclopédie d’alcool frelaté et prohibé, ils nous raccompagnèrent en titubant jusqu’à notre carriole. Et je commençais à me demander si tout ça valait le coup tandis que la cariole grinçait sur une route assez bien dessinée… avec heureusement dans les malles le mystérieux décret mais aussi le papier du commissaire-priseur Dean Felporgen qu’on avait subtilisé aux serpillières de taverne. Et qui prouvait que nous avions maintenant le monopole commercial d’une île rien qu’à nous… c’était une véritable corne d’abondance et en mesure de matérialiser nos rêves les plus fous.

Étrangement, le premier de l’un de ces nombreux rêves, ce fut un rencard avec une déesse jouant parfaitement son rôle. Et bien qu’elle eût un costume sombre, léger et élégant, mais qui montrait une certaine usure, une chemise gris pâle avec, dans l’encolure, un foulard imprimé aux couleurs sobres, elle avait d’autres accessoires davantage primitifs, contrastant avec ce qu’elle portait… comme cette coiffe en palmier tressé et dont on avait ajouté des plumes ayant blanchies. Et qu’on avait remarqué seulement quand elle s’était baignée dans l’immense jacuzzi de notre château. Tout en l’observant de plus près, je me remémorais ce qu’on avait relevé au départ. On l’estima « haute de quatre-vingt centimètre » sa coiffe, et elle était faite selon nous de feuilles d’argile rouge, de coques de noix de coco et de racines ressemblant à de longues pailles. Ce qui nous rassura quant à sa capacité à préserver nos intérêts financiers et nos privilèges de nouveaux riches. Car c’était une fille descendante d’une génération de mercenaires de la Griffe Noire. On l’avait deviné sans qu’on lui arrache des aveux car cette coiffe était uniquement portée par les membres de la Griffe Noire et leurs enfants.

Et pour nous cela prouvait également qu’elle était la Gardienne Sacrée d’un sanctuaire bien à elle, et dont nous pourrions nous réfugier si on obtenait ses faveurs et si nous perdions tous nos biens.

= commentaires =

Lapinchien

tw
Pute : 6
à mort
    le 30/12/2024 à 14:28:30
Je suis sûr qu'HaiKulysse aura un rôle significatif dans la grande embrouille mentale de l'IA générative se nourrissant de tous les contenus d'internet, ce sera la grande faille hallucinatoire qui permettra à l'Homme de toujours l'emporter sur la machine.
Mill

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Pute : 2
    le 30/12/2024 à 16:23:59
Je tiens à signaler ici, non sans mauvaise foi, que le grand homme qu'est Raphaël Enthoven, a démontré une bonne fois pour toutes que l'homme est supérieur à la machine lorsqu'il s'agit de produire une dissertation de philosophie - ce qui signifierait par conséquent que l'homme peut penser alors que la machine reproduit. Je recommande à tous ceux qui s'intéressent à la question d'aller zieuter ceci https://www.youtube.com/watch?v=dOF9vc5tLJ4&ab_channel=MonsieurPhi

C'est juste hilarant et Enthoven en prend pour son grade, excellente distraction donc.

Pour en revenir au texte ci-dessus, j'ai eu beaucoup de mal à le lire d'une traite. L'action, me semble-t-il, n'est pas toujours claire. On a l'impression d'une suite de péripéties plutôt que d'un continuum logique et fluide. En revanche, il y a des images, des mots intéressants, des tournures de phrase susceptibles d'enflammer mon imagination - ce qui me semble assez précieux. J'adore la première phrase "noir comme le plus pessimiste des rats ce soir-là". J'aime bien aussi la "route assez bien dessinée". Comme souvent, je suis épaté par l'atmosphère et rétif à l'intrigue.
Lapinchien

tw
Pute : 6
à mort
    le 30/12/2024 à 16:45:46
Oui mais la littérature Burroughsienne c'est le cheval de Troie que l'humanité offre à l'IA générative avec plaisir.

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