La porte du club s'ouvrit en grand pour laisser entrer un homme essoufflé, et se referma aussitôt derrière lui dans un courant d'air frais. V. l'observait de l'autre côté du bar, avant de lui offrir un sobre sourire. L'homme semblait rassembler ses esprits après la tempête qu'il venait d'essuyer, dehors. Pourtant, entre les murs de l'établissement, les seuls sons qui emplissaient l'air étaient les notes mielleuses du piano toujours inoccupé. Scrutant la pièce vide, puis V., l'homme s'avança enfin vers le bar. Il était habillé d'un costume gris, une cravate rayée plaquée sous sa veste, une montre hors de prix au poignet. D'une voix rauque, il marmonna sa commande en attrapant l'un des tabourets.
Braxton était un homme vertueux au sens libéral du terme. il était blanc, conservateur, riche et pratiquait la plus noble des professions judiciaires : chef du département de la police. Il était la classe américaine incarnée ; alors ce bar, ces fauteuils en cuir, cette collection de bouteilles prisées exposées derrière le comptoir, toute cette ambiance appelait inévitablement un classique.
À l'image de Braxton - un Old Fashioned.
« Passé de date », parce que les valeurs se perdent, peut-être. De son temps, on connaissait le respect, le travail bien fait ; mais désormais il lui suffisait de plonger le regard dans le reflet ambré de son verre pour se rendre compte des affres du temps. Un visage carré aux joues tombantes, des yeux perçants enfoncés sous quelques rides, une épaisse chevelure en bataille mais blanche jusqu'aux racines, un embonpoint qu'il n'avait pas il y a quarante ans malgré une carrure ferme. En somme, Braxton restait un bel homme ; il avait juste mal vieillit.
Ses doigts calleux saisirent le tumbler et instinctivement, il put tâter la texture si familière des motifs élégants taillés à même le verre. Les effluves sombres du whisky teintaient son visage d'un orange profond, souligné par les lumières chaudes du club. Dans le verre, un unique glaçon parfaitement cubique trônait au centre, cœur doré de la boisson. Une simple pelure d'orange tenait en équilibre sur le rebord, trempant dans la liqueur. Sous l'atmosphère lourde du club, une légère buée semblait s'échapper du verre. Un cocktail à la composition simple, solide mais raffinée.
Son ascension au pouvoir avait été rapide. Si Braxton avait une qualité, c'était son cynisme. Il avait rapidement compris que « la fierté de servir et protéger la ville » ne payait ni le loyer ni les putes, et qu'avec des contacts et de l'argent bien placé il pouvait facilement doubler les autres et rafler les postes à responsabilité. Ainsi il s'était hissé à la tête du département, avait épousé une femme aimante, engendré une adorable fille, il fréquentait une magnifique maîtresse, avait installé sa famille dans un luxueux appartement dans un gratte-ciel du centre-ville. Il était riche, puissant, respecté. Cette ville était dans le creux de sa main.
La première gorgée laisse un goût fort sur la langue, avant de se disperser. Le liquide coule alors dans la gorge en une rivière froide, libérant son goût orangé. Une émanation latente, puissante, traîne en bouche après chaque gorgée, les relents du regrets, de la culpabilité, des valeurs, immédiatement écartés en une déglutition au profit de l'influence. Le pêché a un goût doux-amer, qui s'installe dans l'estomac en une nappe de fraîcheur. Le contrecoup final remonte à la tête dans un ultime soubresaut, effluves alcoolisées et pétillantes. De là-haut, les étoiles brillent plus fort.
Les rares fois où il daignait baisser les yeux, c'était dans le cadre de ses opérations. Accompagner les équipes pour répondre aux journalistes, démanteler des groupuscules de narcotrafiquants, enquêter sur des scènes de crime... ou parfois pour des missions plus simples. Dégager des sdf, contrôler au faciès chaque type dont la sale gueule pourrait mettre en péril le quotidien de ses braves concitoyens, arrêter des délinquants coupables de dégradation des biens publics... C'est à cette occasion qu'il avait rencontré Caz. Il s'était rendu dans le commissariat du coin pour une visite de routine, et était tombé sur la jeune cubaine en garde-à-vue. Puis, tout s'était passé très vite. Il lui avait fait une proposition. Intimidée, elle l'avait suivie ; elle ne voulait pas d'emmerdes, alors elle s'était laissée faire. Ils avaient passé la nuit dans son bureau à l’hôtel de police. Tant mieux ; il aimait quand elles étaient dociles.
Ce n'était pas la première fois que Braxton jouait de son autorité pour profiter de quelques délinquantes rattrapées par la loi. Cependant, il y avait un truc chez cette femme. Elle n'était pas comme les autres que le chef du département avait l'habitude de prendre sous son aile ; son regard perdu, sa gêne innocente, cet air agressif qu'elle se donnait sans être sincère. Cette fille était un agneau égaré ayant croisé la route de Braxton par pur concours de circonstances, un simple graffiti au mauvais endroit, au mauvais moment. Et cela éveillait en Braxton une insatiable soif d'innocence. Naturellement, leur relation s'était prolongée. Elle avait été rappelée au bureau le lendemain, puis le jour d'après. Une semaine plus tard, elle ne quittait plus le commissariat.
C'est à ce moment-là que Teresa a commencé à se montrer un peu trop envahissante. Teresa, la secrétaire de Braxton ; une femme absolument magnifique, de longs cheveux sombres en cascade, robe en satin et dentelle noire, lèvres écarlates, anneau de jade. Une femme intelligente aussi, un peu trop aux yeux du chef du département.
- Tu sais, mon petit, c'est toujours comme ça avec ce genre de femmes. Elles ont un peu de pouvoir, et elles pensent qu'elles peuvent vous tenir par les couilles !
Il reprit une gorgée. Filet d'or glissant sous sa langue.
- Mais elle pense pouvoir me faire marcher. Elle m'a dit « laisse tomber la fille, ou tu peux dire adieu à notre relation ». Et elle pense que je la regretterai ! Au moins, la hija était obéissante...
Il semblait se perdre dans son monologue, ses yeux vaporeux se posant sur le verre. V. l'ignorait. Odeurs musquées, effluves subtiles de sucre dans une mare d'orange. Il porta une dernière fois le verre à ses lèvres. La dernière gorgée est la plus âpre, la plus puissante ; un dernier sacrifice pour réussir. Sortir victorieux du grand jeu de la vie.
À perte.
Peut-être ne regrettait-il pas Teresa si peu que ça.
Tout s'était enchaîné très vite.
Le deal était simple. Caz restait enfermée dans le bureau de Braxton, comme un animal en cage. Teresa restait à son poste de secrétaire, mais elle promettait de ne rien dire concernant Caz. Et les relations entre Teresa et Braxton restaient strictement professionnelles.
- La petite était vraiment pas farouche. C'est vrai qu'au début j'aimais ça... mais ça a commencé à me taper sur le système. Elle était peu bavarde, de plus en plus apathique, semblait toujours ennuyée de me voir. Elle a même commencé à taper des crises, cette grognasse. Il fallait que je la calme régulièrement, à ma manière. Pour être tout à fait honnête ?... Je pouvais pas le lui admettre en face, mais Teresa avait raison. Je regrettai de l'avoir rejeté pour cette femelle tout juste bonne à me vider les couilles.
Une pause. Le bruit des glaçons s'entrechoquant dans le verre vide.
- J'ai fini par aller de moins en moins au bureau. Je voyais moins la gamine. Je voyais moins Teresa, aussi. J'ai commencé à renouer avec ma famille, tu sais ? Profiter de ma femme, de ma fille, partir en week-end dans les montagnes, aller au cinéma ensemble, faire des virées loin de la ville. C'était bien.
Et les joues rougies par l'alcool, il souriait. Sous les ampoules incandescentes du bar, dans la brume mauve qui planait sur les tables, Braxton rayonnait. Il était heureux ; heureux d'avoir accompli le rêve américain, d'être aimé par sa famille, de s'en sortir sans conséquences. Il avait décidé de renoncer à ses relations extra-maritale et tel le pécheur absout, il n'avait plus rien à se reprocher. Son esprit était clair, son âme sauve.
Ainsi la vie suivait son cours. Lui, profitait de son quotidien paisible ; jusqu'au jour où son travail le rattrapa. La nuit était tombée. À l'autre bout du fil, la voix de Teresa, anormalement paniquée. Une mission d'une grosse envergure, risquée, mais le poste de commissaire à la clé. L'adresse d'un building à l'autre bout de la ville. Enfin, elle avait raccroché. Il ne perdit pas de temps ; se précipitant dans sa voiture, il avait roulé quarante minutes jusqu'au lieu en question.
Braxton filait à travers les rues floues de la ville. Ce soir, la pluie ricochait paresseusement contre le pare-brise de la Cadillac. Les lumières du district flashaient contre la carrosserie de la caisse, disparaissant dans les ténèbres l'instant suivant. Un éclat éphémère dans l'immensité de la mégapole. Gloire, richesse, pouvoir, autant de valeurs qui occupaient l'esprit de Braxton dans sa course vers le lieu de l'opération. Il ne serait pas qu'une poussière d'étoile. Il se voyait déjà chef du comté de police, arrachant le titre de commissaire à son supérieur. Juste assez d'argent pour sécuriser un avenir radieux à sa famille. Et qui sait ? Peut-être que Teresa reviendrait sur ses paroles, en le voyant à un tel poste. Qu'elle le supplierait de la reprendre. Et dans sa grande bonté, il accepterait de coucher à nouveau avec cette succube.
Ses rêves se dissipèrent avec sa destination. Il s'était arrêté en bas de l'immeuble, un vieux HLM délabré juste bon à loger des junkies, mais pas une voiture de flic, pas un uniforme bleu à l'horizon. S'était-il trompé d'adresse ? Il téléphona à son bureau, mais Teresa ne répondit pas. Sur son perso ? Éteint. Il appela le commissariat le plus proche et beugla sa colère au réserviste en fonction, à l'autre bout du fil. Il bredouillait, mais sa réponse était formelle : aucune affaire de la sorte n'avait été signalée.
Le chef du département fulmina en éclatant son téléphone contre l'asphalte trempée, soufflant bruyamment dans le silence de la rue. En jetant un dernier coup d’œil vers le bâtiment, son regard fut attirée par une peinture jaune étalée contre l'un des murs. Il s'avança lentement en reprenant son souffle pour découvrir alors, en lettres cursives, la délicate écriture de Teresa.
« Va te faire foutre, Braxton. »
Rouge de colère, le corpo retourna dans sa voiture, désireux de rentrer chez lui. Il s'occuperait de cette chienne demain, il ferait en sorte que plus jamais elle ne puisse exercer. Il la briserait, la soumettrai, la ferait gémir comme jamais auparavant. Il en avait assez de jouer le gentil flic avec elle. Mais pour le moment, il souhaitait simplement retrouver son foyer, sa famille, son lit.
Pour une ville qui ne dort jamais, la résidence de Braxton était d'un calme oppressant. Le gratte-ciel était plongé dans le noir. Les bruits de la circulation, dans le centre, étaient étouffés par par le paysage de béton. La pluie s'était atténuée, crachant ses fines gouttes aux lumières des lampadaires. De lourds nuages poisseux obscurcissaient la nuit. Baissant la tête, Braxton entra dans le bâtiment. Dans le hall, puis dans l'ascenseur, Le jazz insipide joué par la sono grésillante ne faisait qu'agacer davantage son esprit fatigué. Au dessus de lui, le décompte des étages ressemblait à une étrange pendule ; jamais la longue aiguille en laiton ne lui avait semblé si aiguisée. Enfin, les portes de la cage métallique s'ouvrirent pour le laisser face au palier de son appartement.
La porte d'entrée était ouverte. Légèrement, certes, mais ce n'était pas normal. Le flic avait-il oublié de la refermer, dans la précipitation de son départ ? Sa femme ne l'avait-elle pas remarqué, avant d'aller se coucher ? À l'intérieur, pas une lueur, pas un son. Un frisson lui parcouru l'échine. En déglutissant, il entra dans l'appartement et referma la porte derrière lui avant d'allumer la lumière.
Braxton avait toujours été un homme matérialiste, empirique. Cynique. Il avait l'habitude des scènes de crime les plus abjectes, d'innocents démembrés après avoir croisé la route des pires malades mentaux, des meurtres si violents qu'on peinait à en reconnaître les victimes. Ce dont il n'avait pas l'habitude, en revanche, était d'y retrouver sa famille parmi les pièces à conviction.
Guidant le regard du hall jusqu'au salon, une traînée de sang serpentait le sol, s'arrêtant sur une main pâle. Un bras, une épaule ; c'est le corps de sa femme qui trempait dans une flaque pourpre, comme si elle s'était effondrée sur une bouteille de vin. Mais surplombant son buste, c'est de son cou que s'était échappée la liqueur rouge. La gorge était lacérée d'une entaille béante où quelques bulles moussaient encore, la carotide et la trachée exposées en deux tubes purulents. Le visage de sa dulcinée était figé en un masque de surprise et d'effroi, écrasé contre le sol, le nez brisé.
Poursuivant sa sinueuse course sur le sol, encerclant la tête de la victime, le filet pourpre trouva sa source dans un deuxième cadavre, plus petit. Le tueur n'avait pas été aussi méthodique qu'avec la précédente : c'est la dépouille éventrée de sa fille que croisa le regard de Braxton. Son pyjama en velours bleu était gorgé de fluides s'échappant encore de ses entrailles. Les larmes venaient à peine de sécher sur son visage blême, simulacre de vie dans ses yeux inertes.
C'était un paysage baroque, une composition sinistre, un cocktail de lymphe et de sang se déversant sur le parquet ciré. Sa famille était dépeinte en une parodie liturgique, martyrs d'un châtiment divin pour ses propres pêchés.
Lentement, il s'avança dans son appartement, enjambant les restes et faisant attention de ne pas marcher dans le sang. Il se plaça devant la fenêtre, ses yeux las épousant la nuit mouvementée, l'air de la tempête, la constellation des lueurs urbaines. Un profond soupir embua la vitre.
Braxton fit glisser le verre vide devant lui. La musique venait de s'arrêter, laissant place à une ambiance maussade. Le club allait bientôt fermer. Les épaules voûtées, il se leva et se dirigea vers la porte quand V. l'interpella. En se retournant, il la vit debout, de l'autre côté du comptoir, une arme à la main. Une arme pointée sur lui. Cinq mots sortirent de sa bouche.
« Vous êtes un porc, Braxton. »
Une détonation retentit et son corps bascula à travers la porte du bar, tandis qu'il tombait du haut de son building, dans le vent et les ténèbres, pour s'écraser 160 mètres plus bas.
« Mon chéri, tu sais que le sort à tendance à s'acharner sur les hommes les plus vertueux ? C'est parce que chaque catastrophe est une épreuve à surmonter, pour Lui prouver qu'Il n'est pas mort pour nos pêchés en vain. » C'est ce que la mère de Braxton lui répétait à chaque fois qu'il se plaignait. Bien heureusement, ce dernier n'était pratiquant que par affirmation sociale. Ainsi, il ne croyait pas vraiment en Dieu, au destin, ou au reste. Et de surcroît, il n'avait jamais aimé sa mère.
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J'ai hésité à publier d'abord le texte de Clacker, mais comme c'est plutôt pas mal de conserver une sorte de cadence entre les auteurs régulièrement actifs, j'ai choisi de mettre celui-ci en ligne. Je dois avouer que j'ai été légèrement déçu à ma première lecture. En relisant toutefois, j'ai trouvé qu'il y avait dans ce volet davantage d'effort dans la construction de l'intrigue. Le problème, c'est les quelques maniérismes qui finissent par me rappeler que je suis en train de lire un texte. On en est tous perclus, bon, disons en général, et c'est pas si simple de s'en débarrasser parce que, passez-moi l'expression, y a un côté à la fois cool et sympa de se dire "ha! J'adore ce truc, ça marche à tous les coups." Mais en fait pas forcément. A quel moment on en fait trop ? Pas facile d'être sûr. En ce qui concerne ce texte-ci, ce qui m'a frappé, c'est l'ambre, les tons orangés, le "goût" orangé (qui ne correspond à rien de concret, bien entendu, et du coup, ça peut nous sortir de la lecture). Je pense qu'il eût été intéressant de laisser reposer le texte une semaine ou deux avant de le finaliser. Après, je m'avance un peu. Peut-être que ça a été fait et je présume. Autre défaut à mes yeux, le flashback dans le bar. C'est peut-être un passage obligé pour faire le lien avec "Moscow Mule", mais je me suis dit merde, j'ai déjà vu ça quelque part. Ceci dit, les personnages, certes un brin cliché, sont bien brossés et relativement crédibles. En définitive, c'est une lecture qui m'a plutôt caressé dans le bon sens du poil. Le personnage mystérieux de V. (comme vengeance ? comme vendetta ? comme Véronique Sanson ?) me plaît bien aussi et m'a pratiquement convaincu qu'il s'agissait d'une référence à #balancetonporc. Mais bon, j'aime mieux l'idée du mystère pas encore résolu.
Avec Mill, on s'échange les rôles de bon cop bad cop sans même se concerter. Genre catch impro.
J'ai nettement préféré cet épisode au premier, mais je reviens tantôt pour détailler mon opinion à moi personnelle.
Comme Clacker, j'ai décidé de regarder les 12 coups de midi avant de donner mon opinion sur ce texte. La diarrhée verbale de Jean Luc Reichmann, le savoir incommensurable de l’indétrônable émilien, les interventions pertinentes de Zette et la déconne de Maboule, j'adore, c'est mon émission préférée. Bref j'ai le sens des priorités.
J'ai encore plus aimé que le premier, je ne vois pas le lien avec la première histoire si ce n'est l'alcool. ça constitue une histoire à part entière. Tu devrais faire tout un bouquin où à chaque chapitre tu associe un personnage à un cocktail, très bonne idée.
Quand même, les liens se font. On retrouve V, on en apprend plus sur Teresa et Caz. Le puzzle se met en place. J'imagine que tout va se dénouer au troisième épisode (enfin, je l'espère).
J'aime aussi ce fil conducteur du cocktail qui nous dévoile la mémoire des personnages, en lien avec les différentes saveur. Un concept original. Tu devrais faire breveter.
Je reviens, partez pas.
Si j'ai bien compris ce qu'entend Mill par maniérismes, avec la définition qu'il en donne j'appellerais plutôt ça des lourdeurs. Effectivement, les lourdeurs, quand on sent que l'auteur essaie beaucoup trop de nous faire comprendre quelque chose, ça casse l'immersion. Elles se matérialisent sous forme de multiplication d'adverbes et d'adjectifs, et parfois de phrases bancales, où l'auteur cherche à caser à tout prix une description très précise ou une expression qui lui tient à coeur, mais qui finalement embrouille le lecteur plus qu'autre chose.
C'est délicat, les descriptions, parce qu'il faut savoir mettre le focus sur ce qui est important, ce qui a du sens dans la narration.
"Don't try", disait Bukowski. C'est un truc à se tatouer sur les deux mains, pour l'avoir toujours en vue quand on tape sur son clavier.
Mais "goût orangé" n'est pas une lourdeur, c'est une expression incorrecte. L'auteur peut utiliser son joker "licence poétique" pour le justifier, ça n'en reste pas moins une faute. Ou alors il faut présenter le personnage comme un type atteint de synesthésie, et ça peut éventuellement prendre son sens.
Quoi qu'il en soit, je note une réelle amélioration dans la narration, sur cet opus. Justement, moins de lourdeurs que sur Moscow Mule, ça permet à l'intrigue de se dérouler sans accrocs. C'est efficace (le plus souvent, parce qu'on peut encore faire plus percutant et fluide. Il faudrait sans doute élaguer encore un peu, sur les bords), ça va droit au but. Moins elliptique, les transitions entre présent et flash back passent mieux. On se figure bien le personnage, qui est un archétype archi revu, certes, mais bien croqué. On sent que t'as eu du plaisir à l'écrire, ce salaud.
La scène de la découverte des corps est bien gaulée, c'est très cinématographique. La description est fluide comme un traveling bien huilé. J'ai tiqué sur la liqueur rouge pour qualifier le sang (licence poétique, le retour ?), mais bon, on va pas chier des bulles. Cette scène est top délire méga groove.
Par conséquent, on attend du très lourd pour la suite. Retourne donc au bar, nous pondre une conclusion à base de cocktail qui déchire la tête et le porte-monnaie, camarade.
de fait, je suis assez d'accord avec Clacker. Je pense que si j'avais lu cet épisode avant le premier, j'aurais préféré celui-ci. Le principe du cocktail associé à un personnage ne me déplaît pas mais il induit des similitudes, ou ce me semble, entre les textes (à mon sens hein je prends tout avec des pincettes parce que j'aime beaucoup cette narration, les persos, l'ambiance), similitudes qui, moi, m'ont un peu dérangé.
Après, sérieux, quand je vois le retour de Clacker, je me dis qu'on devrait publier ses commentaires tellement ils sont bien foutus.
Je rejoins également Lapinchien dans l'idée que ça pourrait être des histoires à part entière, quoique reliées par l'alcool et certains personnages dont on ne sait pas encore s'ils sont centraux, périphériques ou autre.
Encore une fois, tout ce qui attise le mystère, je valide.
Quelques remarques non exhaustives, tout de même :
Je doute qu'on puisse qualifier un cadavre, et plus généralement une personne, de pièce à conviction. Mais que les experts en criminologie se manifestent, si je fabule.
Quand je parle de lourdeurs :
"Mais surplombant son buste, c'est de son cou que s'était échappée la liqueur rouge."
On pourrait avoir plutôt : "Mais non, ce n'était pas du vin, et le liquide s'échappait de son cou, tranché jusqu'à l'os." Bon, c'est un exemple, après tu fais ta popote.
Ce qui me gêne surtout, c'est qu'on se sente obligé de me rappeler où se trouve un cou, sans compter qu'un buste en compte déjà un, techniquement.
Autre lourdeur :
"c'est la dépouille éventrée de sa fille que croisa le regard de Braxton"
On pourrait avoir : "C'est la dépouille éventrée de sa fille que vit Braxton". Classique, efficace, pas besoin de croiser quoi que ce soit.
Je sais qu'ils sont mal aimés, les verbes qu'on juge "ternes". Mais parfois (souvent ?), il font parfaitement le taf. Pauvres petits verbes abandonnés.
Autre chose, rapport à la narration. On a l'impression, vu qu'il n'y a pas de transition permettant de se rendre compte du temps qui a pu passer entre la découverte de l'assassinat de sa famille et son tour au bar, que le Braxton a décidé d'aller boire un coup juste après cette scène. Si c'est le cas, le gars est un sacré soiffard, pire que tous les zonards réunis.
Je prendrai un Blue Lagoon, c'est le cocktail des lapinchiens.
Y a un jeu de mot qui m'échappe ?
Non, pas de jeu de mots. Le blue lagoon c'est juste très bon. J'en faisais la promotion.