LA ZONE -

Demain les rats. Deuxième chapitre.

Le 15/11/2024
par HaiKulysse
[illustration] En regardant son bas-ventre volumineux, à cette figurine primitive, on sentait le désir sexuel s’étioler et - en rouvrant les yeux pour être mieux possédé par elle, on cherchait sur le mur gris sale qui lui faisait face, comme un dessin macabre capable de la faire pâlir.

On ne pouvait pas dire que c’était une pietà, et de loin, mais plutôt une sorte de Vénus de Laussel mais je ne comprenais pas comment et d’où venait l’idée de son créateur de concevoir son ventre gonflant à un point tel qu’il pouvait exploser d’un moment à l’autre… c’était sûr et certain, elle allait enfanter mais de quoi ? Lorsqu’on s’approchait d’un peu plus près, l’on devinait sa douleur poignante à mettre bas : peut-être des myriades d'enfants médiums et doués de sens extrasensoriels et dont les facultés psychiques et cognitives invitaient à ne jamais entériner la fin d’une guerre entre les divers clans vénérant cette déesse.
Mais elle faisait aussi planer, à trois milles mètres d’altitude dans les nuages et les motifs sous la statuette semblaient indiquer que les indigènes avaient fini par la lapider sur leur potence lorsqu’elle s’était réincarnée en rat d’égout quêtant le début d’une peste noire… d’une Peste Noire à en revendre des cadavres et c’était ce qui arrivait en ce moment dans notre monde contemporain, mais en revenant chez moi et en écoutant le présentateur télé lançant le journal de 20 heures, j’appris qu’Ils fliquaient maintenant les gens suspects, c’est-à-dire les hommes et les femmes potentiellement mordus par des rats, ou au contact avec des malades ; ce qui me donna l’envie de tout tapisser avec son sang et celui de ces politiciens véreux.

De retour du musée où cette Vénus de Laussel m’avait fait flipper, j’avais ressenti l’envie de rejoindre les limbes ou de me calfeutrer dans ma chambre capitonnée au fond de l’asile psychiatrique où j’avais séjourné avant de devenir un dératiseur sans grande conviction. Et oublier que ma mère était encore pucelle quand les rats l’avaient violé et qu’elle était encore à plat depuis cet événement datant pourtant de plus d’une trentaine d’années.

Elle s’était suicidée à coups de cachetons peu de temps après l’invasion récente des rats dans toutes les rues et les avenues de ces bourgeois et de cette clique comme celle des psychiatres qui me gonflaient lourdement. À cause de leur farouche volonté de tous nous anéantir, disait-elle dans sa lettre d’adieu.

Au musée lorsque pour la première fois j’avais vu cette Vénus de Laussel je n’étais pas tout à fait net, j’avais mâché quelques heures auparavant des feuilles de coca et il me semblait à ce moment là que toutes ces choses autour de moi, ainsi que la terre et tous les systèmes neurovégétatifs, se consumaient d’un feu ardent. Et j’avais fini par choper une angoisse à en chier des larmes de sang quand toutes les lames du parquet s’étaient cassées en deux… quelques temps plus tard je m’étais retrouvé comme un con à me faire un garrot pour m’injecter de l’héroïne dans les veines et je me disais que j’avais mal géré la puissance de leur médiumnité (j’hésite à dire « médiumnité » par rapport à ces rats, ces fins limiers auxquels il faudrait inventer un néologisme concernant leur pouvoir psychique) surpassant largement tous les devins et même les prétendants au Nirvana.

Deuxième partie : La bande des rats

À cette époque, la solution optimum aurait été d’arrêter ce club de boxe clandestin avant que les véreux d’en haut se coltinent l’enquête, l’enquête n’étant qu’une ébauche de quelques endroits où l’on avait fureté (nous les dératiseurs) et répertorié quelques nids… car maintenant lors de leur colloque ils n’avaient pas l’objectivité qu’il faut pour gérer un pays en crise. Et proche du coup d’état : dehors sur les barricades, il y avait des affrontements, des hématomes, des comas, des blessés, qui se battaient pour voler la plantureuse Vénus de Laussel ; les portes du musée furent brusquement ouvertes quand les coups répétitifs des renégats frappèrent et commençaient à affoler ces gardes censés cannibaliser les intrus…


Et dans le sanctuaire où l'on se repaissait des cadavres des pestiférés, je tendais l’oreille au cas où les médecins habillés comme au temps de la peste noire au moyen-âge auraient la noblesse d’accompagner les malades dans ce temple. Et me perdant dans ses nombreux culs-de-sac, avec dans ma tête mon incontrôlable utopie à rêver de nouveaux mondes où les rats seraient rois, j’avançais dans une espèce de noirceur opaque et j’étais persuadé que les lingots de la haute caste se trouvaient là et tombai sur John Law en position fœtal, mon coéquipier. Son crâne paraissait recouvert d’une épaisse membrane translucide, comme un extraterrestre, d’une élasticité aussi acide que ce qu’il sortait des rotatives de Tyler Durden dans son usine recyclant aussi la graisse provenant des cliniques de liposuccion pour en faire des savons.


On n’était non loin de là où je travaillais comme projectionniste, comme second boulot, un cinéma à l’ancienne proposant des films pour enfants et qui étaient en noir et blanc et dont il y avait par mes soins des extraits courts, subliminaux…. et terriblement pornographiques de la bobine d’où j’avais permuté les images de Blanche-Neige avec celles d’actrices X du genre pionnières dans leur domaine. Et après le boulot de nuit, après le travail du soir, comme je ne dormais quasiment jamais, quand je ressortais revivifié en regagnant le Lou’s Tavern avant d’être plaqué au sol sur un sol de ciment frais, ma face percutant de nombreuses fois le bitume, enchaînant les doubles crochets, recevant des coups de poings par ci par là, j’avais croisé John Law dans la rue et il me raconta qu’il ne s’était jamais senti aussi bien depuis qu’il était dans un club, un club dont les deux premières règles étaient de n’en parler jamais à personne.


Avant il était mou comme de la mie de pain mais maintenant d’un point de vue tout à fait impartial je pouvais voir sur sa tronche qu’il était un membre actif du Fight Club, ce club de boxe clandestine dans le sous-sol d’un pub, mais il m’apprit aussi que son créateur, un certain Tyler Durden avait mis les voiles depuis quelques jours. Je lui proposais de venir les voir le lendemain après le travail pour m’en parler un peu mieux.


Et ce fut comme ça que tout avait commencé : le Fight Club était devenu le Projet Chaos et quand John Law me fit visiter la maison en ruine sur Paper Street, le QG de Tyler et le sous-sol du Lou’s Tavern je vis de nombreuses cages où l’on avait enfermé des rats, de simples pisteurs mais qui grouillaient avec une hargne indicible et John Law m’apprit qu’ils avaient capturé seulement les femelles et qu’elles allaient engendrer d’autres mutants…

Et cette nuit-là j’avais énormément galéré pour ranimer le souvenir de cette pin-up entièrement nue que j’avais maté sur des pellicules avant de le projeter sur l’écran du ciné et pour dissiper le malaise que cette visite sur Paper Street m’avait insufflée. Pourquoi Tyler recrutait-il une armée dans son squat ? Pourquoi avaient-ils autant de rats en réserve et est-ce que le Projet Chaos consistait à envahir la ville de rats de toute sorte ? Et était-il à l’origine de leur étrange mutation ?


Toutes les réponses, je le savais d’avance, allaient finir par venir mais je pense qu’à ce moment là j’avais en fait déjà toutes les clés pour comprendre… mais tout cela n’avait pas d’importance.

Et pour l’instant je devais sauver John Law avant qu’il soit contaminé, et ce fut à ce moment là que je me remémorais l’œuvre de l'art primitif et je n’avais pas assez observé qu’elle avait de vrais seins de femme, ronds et vibrants. J’hésitais à continuer la route ou à le décoincer de sa gangue mais fonctionnant par paire je coupais les nervures filandreuses au niveau de son abdomen et de son visage de déterré. Il était mort, ses yeux vitreux encore ouverts, alors j’avais crié son nom à tue-tête et vérifié son pouls plusieurs fois mais il avait calanché, tout seul dans le noir…

= commentaires =

Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 16/11/2024 à 10:47:33
super idée de revoir Fight Club à la troisième personne cependant j'ai toujours du mal avec le cut up.
Mill

lien fb
Pute : 2
    le 16/11/2024 à 20:52:11
Ouais mais il se dégage quand même une ambiance. Je trouve qu'HaiKulysse réussit régulièrement à nous plonger dans des atmosphères oppressantes.
Charogne

Pute : 5
    le 17/11/2024 à 17:36:34
En parlant de Fight Club... j'ai la même impression en lisant ce texte. J'ai beaucoup de mal avec Fight Club, j'aime bien l'idée mais je n'aime pas l'exécution. Ces deux chapitres de "Demain, les rats", c'est un peu pareil. Outre le cut-up (qui parfois peut rendre des trucs très bien), (parfois), je trouve qu'on va trop vite. Les images ont pas le temps de s'imprégner, les ambiances sont expliquées plutôt que décrites. Ça ressemble au synopsis d'une histoire plus qu'à une histoire en soit.

"d’une Peste Noire à en revendre des cadavres", "l’envie de tout tapisser avec son sang et celui de ces politiciens véreux", "d’être plaqué au sol sur un sol de ciment frais, ma face percutant de nombreuses fois le bitume", ce sont autant de formules intéressantes, mais pas exploitées. À mon sens.
HaiKulysse

site blog fb yt
Pute : 6
    le 18/11/2024 à 21:30:27
Merci pour votre lecture et vos passages et pour rebondir sur cette phrase de Charogne : Ça ressemble au synopsis d'une histoire plus qu'à une histoire en soit.
J’en suis tout à fait conscient et comme on dit dans le domaine de l’écriture il faut montrer au lecteur, lui faire voir les scènes plutôt que d’expliquer ou de résumer comme un synopsis donc j’accepte plutôt bien cette idée qu’il faudrait que je travaille davantage sur le sujet en question… mais je commence à fatiguer donc cette nuit je ne vais pas faire la java même si j’ai entamé ce soir un nouveau projet et qui sera la suite de mes nouvelles estampillées Elephant Man Syndrome… pour ceux que ça intéresse.
Clacker

Pute : 4
    le 24/11/2024 à 19:22:03
Comme on dit dans le domaine de l'écriture : c'est bien, mais des fois on comprend pas tout.

J'aimais l'histoire avec les rats. Là j'ai l'impression qu'on a fait du curling avec la narration. Le plancher m'appelle.

= ajouter un commentaire =

Les commentaires sont réservés aux utilisateurs connectés.