LA ZONE -

Le Cœur fou

Le 18/10/2024
par HaiKulysse
[illustration] Quelque chose s’éveille en moi quand je me remémore cette première fois en HP où j’ai connu Clo ; ce moment où le temps semble se languir de ne pas pouvoir allumer la mèche.
Ses cheveux, qu’elle dégageait d’un air lascif, tombaient en cascades sur ses épaules. Depuis la cour, on pouvait voir une étroite trouée juchée à cent cinquante mètres de hauteur entre les deux bâtisses de l’hôpital psychiatrique, tellement proches l’une de l’autre que la couleur ambrée du crépuscule passant par cette trouée ne parvenait qu’à peine à se refléter sur sa robe. Et pour ses autres vêtements, ils se rapprochaient par leur aspect aux habits qu’un rêveur interrogatif et souffrant, divin et débauché, aurait pu abandonner le long des rives d’une rivière folle lors de son aventure onirique…

Puis les cieux se violacèrent, comme ses yeux (ses yeux, frémissant d’une lueur aussi arrogante que crépusculaire, semblaient se demander qui était le mystérieux démiurge de son naufrage) et en rejoignant les quelques pommiers desséchés encadrant le parking, je m’interrogeais si les effets sournois de la marijuana avaient provoqué toutes ces apparitions dont je pensais ou croyais avoir été le seul témoin. Comme ces ossements qu’elle avait aperçu brièvement quand j’avais ouvert le coffre de la voiture avant de monter à bord avec moi, en l’aidant à s’enfuir de l’établissement, et de mettre le contact en cette fin de journée pluvieuse ; et comme j’étais très fort pour inventer des trucs et les détailler minutieusement, je lui décrivais notre future odyssée sous un tonnerre à écheveler même les nimbes des saints les plus sages.

Elle se saoulait sur le siège passager jusqu’à ce qu’on arrive à une vieille maison au fond d’un jardin ; et c’est alors que j’ai compris ce qu’elle voulait dire par feu purificateur. Et nous étions entrés dans la maison sans nous parler. En haut de l’escalier, je m’étais arrêté, troublé, parce qu’une porte de l’une des pièces était ouverte et laissait entrevoir un poêle. Il y avait des tisonniers et une vigne folle encadrant la fenêtre s’était lancé à l’aveugle pour tout couvrir… Et uniquement pour donner la tournure et l’éclat nécessaires au récit de mon reportage, je décidai de privilégier quelques détails et d’en occulter d’autres, moins mystérieux : la ruine que le feu purificateur, la mère des prodiges comme Clo aimait le dire, allait dynamiter. Un peu plus en haut, la chambre du deuxième étage était occupée : un spectre affligeant, priant dans le brouillard, s’adonnant sans doute à la plus puissante des médiumnités et peut-être que ses derniers psaumes seraient l’œuvre de cryptogrammes fantasmagoriques ou runiques…

On admirait les premières braises, tous les deux couchés sur le lit contre le mur adjacent au placard, à la fois pleinement satisfaits et inquiets ; ce fut dans cet état que je m’étais réveillé au matin (quand on ouvre les yeux sur un jour neuf, un matin que quelque chose s’évertue à faire flipper n’importe quel rêveur à moitié éveillé) alors je me remémorai tous ces moments, tous ces jours de ma vie où la violence incendiaire des flambées s’était pointée sans prévenir, avant de me rendormir sur des tessons.


Clo s’était sûrement barré, pour mettre le feu à d’autres choses, d’autres créatures pour les guérir de la douleur de vivre, à d’autres Êtres et Esprits qu’on croyait trop stériles à s’en méprendre, à d’autres bâtiments manquant d’aplomb et de superbe, à d’autres films se terminant par la scène où j’étais dans la chambre de mon fils, un bidon d’essence et des allumettes à la main. À moins qu’il ne s’agisse que de son désir d’indépendance m’ayant grugé quand ces visions surnaturelles à prendre très au sérieux, étaient nées dans mon cerveau pour la première fois…

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