Ceux-là n'étaient pas fous non plus. Ils se piquaient chez eux, sur leur terrain, pas trop loin du lit. Surtout éviter le volant en cas de surdosage.
Putain, pourquoi il pensait à ça ? Il était temps qu'il se reprenne en main. Il n'avait rien consommé depuis plus de six mois. Pas une ligne, pas un joint, pas même une binouze pour faire glisser les soirées trop solitaires. Il avait récupéré un peu de crédit auprès de son ex qui l'avait autorisé à voir le petit une semaine sur deux. Le môme avait même dormi chez lui quelques soirs. Il avait préparé des crêpes comme au bon vieux temps et le petit les avait fait sauter avec ses petits bras fins. Ses poignets de mollusque tremblaient comme du petit bois sur des braises ardentes sous le poids de la poêle et il avait noté « crêpière » sur l'ardoise de la cuisine pour l'ajouter à sa prochaine liste de courses.
Le petit.
A douze ans, il commençait à râler quand il utilisait cet terme pour l'évoquer à la troisième personne. « Je suis avec le petit », « je dois coucher le petit », « j'emmène le petit au ciné ce dimanche »... Ca l'agaçait, le môme, qui réclamait un autre surnom, mais il avait toujours manqué d'imagination, alors il se contentait de l'appeler par son prénom. Axel.
« Papa, c'est maman ou c'est toi qui a eu l'idée de m'appeler Axel ?
- Ah bah, on était d'accord tous les deux, hein, c'est un prénom qui nous plaisait à elle comme à moi mais c'est moi qui l'ai proposé.
- Mais pourquoi Axel ? »
Jean-Ba avait tardé à répondre. Il savait très bien pourquoi il avait choisi ce prénom. Un symbole pour lui, l'éternel paumé, en perte de repères depuis l'enfance. Il avait eu du mal à se construire, à se fixer un cadre, s'était laissé happer par la drogue et les amitiés frauduleuses. S'il n'avait pas rencontré la mère d'Axel, son existence se serait résumée à un amas de miettes éparses. Mais pouvait-il se permettre d'en parler à son fils ? Il n'avait que neuf ans au moment de cette conversation. Il ne cochait même pas la case pré-ado. Et il allait lui mettre dans la tête l'idée que son père appartenait à la race des fragiles, des branleurs, des malades ?
Il s'était promis un jour de ne jamais mentir à son fils alors il avait répondu dans les règles de l'art : sans entrer dans les détails mais sans trop se cacher non plus.
« Tu sais, Axel, il y a des moments dans sa vie où l'on se dit qu'on a besoin d'un axe auquel se référer, quelque chose qui nous aide à tenir droit. Je suppose que devenir papa, c'était ma façon à moi d'arriver à garder les pieds sur terre. »
Alors ouais, c'est sûr. Depuis cet échange père-fils, Jean-Ba s'était lamentablement foiré. Il avait « traversé des épreuves », comme on dit dans les conversations mondaines pour bien montrer qu'on comprend mais qu'on ne juge pas. Des « épreuves », rien que ça. Sa mère avait succombé à un cancer foudroyant, son boulot s'était transformé en un calvaire suite au remplacement d'un collègue par un autre, un vrai tordu, et il s'était laissé rattraper par ses démons. D'abord de façon récréative, puis comme n'importe quel junkie. Sans passion, sans plaisir, juste l'habitude de frôler l'abîme et l'impression de se sentir toujours plus attiré par le vide. « Des épreuves », ouais, sûr. Il s'était montré faible et inconséquent, égoïste et instable. C'est ainsi qu'il s'était vu dans la glace, qu'il se voyait dans l’œil de Jeannette, la mère du petit, et il vivait dans la terreur de se découvrir à l'identique dans le regard d'Axel.
Alors, ma foi, il avait fait ce qu'on fait quand on veut vivre - ou quand on ne veut pas mourir, ce qui ne revient pas forcément au même. Il avait vu des psy, des médecins, s'était ouvert sur les fameuses « épreuves » qu'ils avait « traversées », et on lui avait renvoyé le message habituel : ici on vous comprend, mon vieux, on ne juge pas.
A la maison, c'était la guerre ouverte. Il vivait dans le mépris de Jeannette et la peur du conflit, se montrait irritable et impatient envers le gamin. Il oubliait parfois de se raser pendant de longues semaines, cultivait une apparence de clochard céleste, le cuir pouilleux et l'air perpétuellement égaré. Un oiseau tombé de l'arbre.
Cette expression, il la tenait du vieux Pat', un type plus âgé de vingt ou trente ans, il savait pas trop. Il l'avait croisé dans une institution où il intervenait à la manière des grands frères dans les cités, des coaches de vie, des parrains pour les anciens alcoolos. Le gars exhalait de la fraîcheur, de la bonhomie, une sorte d'ouverture d'esprit qui ne s'embarrassait pas d'idéaux, de théories, de blabla psy ou autre. Il proposait juste des sujets de conversations, des trucs à faire, des endroits où aller. Il posait des questions directes sans attendre de réponse franche, comme s'il se contrefoutait de savoir si on lui montait un bateau, mais l'air de rien, le gars vous poussait placidement à devenir une meilleure version de vous-même.
C'est justement Pat' qui l'avait initié aux cavernes.
Avec sa lourde moustache de Gaulois, de ce blond cendré des sexagénaires qui se refusent à grisonner comme le pékin moyen, ses vêtements de randonnée qu'il portait en permanence, des polaires, des treillis, des chaussettes épaisses sous une trentaine de paire de chaussures de marche - Jean-Ba n'en avait jamais vu autant de sa vie - Pat' se posait en montagnard. Un fervent passionné de trekking, de marche forcée, d'escalade et de spéléo. Il randonnait chaque week-end et tâchait de marcher tous les jours. Sa maison, construite à flanc de colline à l'extérieur de la ville, favorisait ses escapades, et toutes ses vacances étaient dévolues à la découverte de nouveaux sentiers dans les massifs rocheux qu'il ne se lassait pas de fouler. Il partait volontiers randonner dans les Alpes, à l'étranger, s'était fendu de plusieurs séjours dans les Rocheuses ou dans la Cordillère des Andes, mais ce qu'il préférait, c'était fouiller le moindre recoin de terre sous les montagnes environnantes.
« Rien ne vaut la sensation d'affronter l'obscurité, mon petit gars. Tu marches, tu rampes, tu glisses dans une noire fraîcheur et ce que tu ressens, ça va au-delà de l'exaltation. Tu aimes jouer avec les limites et tu crois que l'héro est un sport extrême, pas vrai ? Crois-moi, après quelques heures à te contorsionner dans des chatières pas plus grosses qu'un trou de souris en te demandant si tu vas pas rester coincé pour l'éternité, tu n'auras plus jamais envie de te shooter. Ca te paraîtra fade en comparaison. »
Evidemment, Jean-Ba ne l'avait pas cru. C'était bien le discours d'un mec clean, quelqu'un qui ne savait pas de quoi il parlait. Plus ou moins ce que bavait n'importe quel sportif à la con. Un esprit sain dans un corps sain, bouge-toi le ciel t'aidera, tous ces laïus d'adjudants de la vie saine qui croient qu'il suffit de se montrer courageux et volontaire pour vaincre une addiction.
Non, il ne l'avait pas cru mais il lui avait laissé une chance. Quelque chose dans les yeux rieurs du moustachu l'avait décidé à le suivre un samedi après-midi sur un chemin caillouteux. La pluie l'avait accueilli à chaudes gouttes, poisseuses, comme chargées d'un message qu'il ne parvenait pas à décrypter. Il avait pesté sur la quasi totalité du trajet, jusqu'à l'entrée de la grotte, un simple trou à ras de falaise qui lui avait paru beaucoup trop fin.
« On va se glisser là-dedans ? »
Pour toute réponse, Pat' avait lâché un rire bref et cassant. Comme une branche de bois mort qui se brise sous le poids d'une botte de chasse.
Le tonnerre au-dessus de leurs têtes les avaient pressé d'enfiler leurs combinaisons et leurs casques, et il avait vu disparaître son copain à moustaches tombantes dans les entrailles de la montagne. Il avait jugé l'image angoissante et surréaliste. Cet homme minuscule qui s'enfonçait dans un mur de roche, la tête en avant, un sac hermétique accroché à son pied. Et sans trop savoir pourquoi, peut-être à cause de la pluie, des rafales de plus en plus en fortes, il l'avait suivi dans la douceur froide de cet univers souterrain.
A mesure qu'il avançait dans l'étroit boyau, il entendait la voix de Pat' résonner comme dans un tuyau, à la fois proche et lointaine. Mais il ne l'écoutait qu'à moitié, saisi d'une révélation : les mains dans la terre mouillée, dans la pierre et le schiste, le corps rampant comme un crabe, jouant sur des muscles qu'il n'avait pas sollicités depuis des décennies, l'impression d'être enveloppé par une sorte de cocon froid et immuable... il se sentait à sa place, enfin !
La visite avait duré environ deux heures mais Jean-Ba n'avait pas bien saisi comment le temps défilait une fois sous terre. Il lui avait semblé que les minutes s'allongeaient, que chaque seconde écoulée le menait vers un monde sans montre ni chronomètre, mais ses membres engourdis avaient parlé à sa place. Deux heures ? Une partie de lui pensait plutôt « deux jours qui sont passés vite ». Il s'en était ouvert à Pat' qui s'était fendu du même petit ricanement qu'il avait eu avant d'entamer la descente.
« Tu découvres à peine et ça a l'air de te plaire. Tu m'en vois ravi. Allez, installe-toi, c'est la pause. »
Jean-Ba aurait bien continué mais devant l'insistance de son guide et mentor, il s'adossa à la paroi dans ce qui prenait des allures de chambre pour lilliputien. La fatigue et la faim s'emparèrent de lui à l'instant précis où les muscles dans son dos se relâchaient.
Devant ses grands yeux surpris, Pat' rit de bon cœur. Un rire franc du collier cette fois, qui ne résonna que faiblement dans la cavité où ils se trouvaient.
« On en perd de l'énergie à se traîner comme des mollusques. Et oui, les sons sont vachement étouffés ici. Allez, mange un truc sucré. J'ai des barres de céréales et quelques saloperies chimiques.
- On est où, là ? » demanda Jean-Ba en déchirant l'enveloppe plastique d'un sac de bonbons.
Pat' mordit dans une barre chocolatée. Il souriait.
« Ah, c'est le point le plus bas de la grotte. On va remonter tranquillement et je te préviens, p'tit gars, ton attention va se relâcher avec la fatigue et cette espèce d'étourdissement qui s'empare de nous quand on se promène dans les boyaux de la terre. Alors, tu passeras devant et tu feras tout bien comme je dis, ok ? »
Acquiescement automatique de Jean-Ba. Il se sentait effectivement un peu lourd. Comme s'il avait passé une bonne heure dans un bain brûlant. Ils avaient discuté de choses et d'autres jusqu'à ce que Pat' consulte sa montre.
« Allez, viens, il est temps de rentrer. On se rassemble et tu passes devant. Tu connais le chemin, pas vrai ? »
Jean-Ba avait fait oui de la tête et ils s'étaient mis en route. Leur dos, leurs fesses se tortillant contre les parois brutes, leurs os cognant parfois. « Aïe ! » devenait un leitmotiv aux lèvres de Jean-Ba.
« Putain, j'en peux plus... », soupira-t-il à plusieurs reprises.
« Perds pas le rythme, garçon ! On y est presque. »
Jusqu'au moment où il s'était retrouvé coincé.
C'était un de ces foutus conduits, étriqué au possible, qui tournait selon un angle improbable. Il apprit plus tard qu'on appelait ça une chatière en baïonnette. Il ne se rappelait comment il avait négocié ce passage à l'aller. De toute façon, la descente lui avait paru facile. Là, il peinait. Putain de merde, il en chiait des ronds de chapeau, oui !
La chatière, une galerie creusée on ne sait trop comment, les mouvements du sol, le travail de l'eau, allez savoir, et celle-ci était si étroite que chaque centimètre de son corps lui semblait collé en permanence à la roche autour de lui. Ses joues s'appuyaient fréquemment sur le sol, cherchant le réconfort de cette fraîcheur sale, et il avançait les mains devant, le casque légèrement incliné de côté à cause de l'irrégularité des cailloux au-dessus de lui. Parfois, son épaule le freinait et il devait se contorsionner pour la réduire. D'ailleurs, il essayait constamment de rapetisser, défiant son anatomie, son ossature, sa masse corporelle. Et miracle, il y parvenait !
C'était fantastique mais l'épuisement prenait maintenant le pas sur son enthousiasme. Et lorsqu'il aborda ce virage en angle aigu, il se rendit compte dans une vague de sueur froide qu'il affrontait cette fois une impossibilité physique. Son casque frottait contre les parois de la galerie, son corps allongé selon une courbe descendante manquait de force et de place pour se hisser par-dessus une anfractuosité, ridicule barricade de roche blanche qui lui ôtait tout de même trois centimètres de marge de manœuvre. Ses bras, coincés devant lui, l'empêchaient de se tordre comme il l'espérait et pour couronner le tout, il sentait l'angoisse planter ses crocs venimeux dans le creux de son estomac.
« Pat', putain, merde ! Je suis... », haleta-t-il.
La voix de Pat' se fraya un chemin périlleux à travers la chatière qu'il obstruait de son corps fatigué.
« Bloqué, ouais, je m'en doutais. »
A ces mots, Jean-Ba avait failli exploser. Ah ouais, tu t'en doutais ? Tu t'y attendais aussi, peut-être hein ! Tu savais qu'on allait rester là comme des cons, qu'on finirait par crever de faim et de soif, noyés dans nos propres excréments, deux foutus squelettes digérés par la montagne, bordel de merde !
Mais il n'avait rien dit de tout ça. Ravalant sa colère, il avait essayé de parler calmement puis il s'était interrompu en s'apercevant que sa voix tremblait et que ça ne l'aidait pas.
« La première chose à faire, mon gars, c'est de souffler un bon coup. Respire profondément. Eteins ta lampe si ça peut t'aider. Sinon, ferme juste les yeux et respire. Prends le temps qu'il te faut. Dis-toi juste que si on a réussi à descendre par ce petit couloir de rien du tout, on réussira à remonter. C'est mathématique. »
Quelque chose clochait dans ce raisonnement. Trop simpliste, trop lisse, trop...
Ta gueule, arrête de penser, éteins ta lampe, ferme les yeux, fais ce qu'il dit !
Il n'osa pas éteindre sa frontale. D'abord, sa position lui ôtait toute liberté de mouvement. Il ne pouvait compter que sur l'amplitude de ses coudes, de ses poignets, de ses doigts. Engoncé jusqu'aux épaules dans ce qui ressemblait à une immense gaine, il se voyait contraint à des mouvements courts et malhabiles.
« On devrait s'entraîner chez soi en prévision de ce genre de situations », se dit-il sans y croire.
Toujours est-il qu'il était obligé de forcer un peu le passage de sa main droite pour atteindre le bouton de sa lampe frontale, qu'il craignait de ne pouvoir la rallumer, qu'il était hors de question de se retrouver momentanément aveuglé et...
Il ferma les yeux et chercha un endroit dans sa tête où se réfugier. Il ne chercha pas longtemps. Il s'agissait d'une grotte. Semblable à la salle où Pat' et lui avaient devisé en mangeant des cochonneries, elle présentait la particularité de jouir d'une sorte de chauffage central. Il sentait ses membres se réchauffer lentement à cette idée. Il souffla longuement, inspira doublement et procéda ainsi aux exercices respiratoires que lui avaient enseigné les thérapeutes quand il avait voulu décrocher. Inspiration, looooongue expiration, profonde inspiration, encore plus loooongue expiration, se concentrer sur ses organes internes, écouter son ventre, entendre son souffle pénétrer dans ses poumons, l'entendre ressortir, ne pas se soucier du reste...
Quelque chose lui soufflait sur le visage. Il faillit crier, sursauta, se cogna au plafond, ses muscles se soudèrent un instant au rocher, il ressentit la douleur l'agresser simultanément en plusieurs points de son corps. Les yeux grand ouverts, il ne voyait rien devant lui. La lumière éclairait toujours la pierre, si proche de son visage, et la position de sa tête, légèrement tournée de côté lui imposait un hors-champ pour le moins anxiogène. Et s'il y avait une bête, là, à moins d'un mètre ?
« Ca va, garçon ? »
Manifestement, Pat' avait le nez creux. Il avait dû voir ses jambes s'agiter dans l'étroit carcan de la chatière.
« C'est rien », répondit Jean-Ba. « J'ai cru un instant... »
Nouveau rire bref de Pat'. Il commençait à le trouver légèrement agaçant, ce rire.
« T'as raison, garçon. C'est rien. Parfois, quand on est là-dessous, on a l'impression que quelqu'un ou quelque chose nous observe, je sais pas, comme un fantôme, ou la dame blanche ou ce que tu veux qui t'as toujours flanqué la frousse. C'est totalement irrationnel. Nous sommes des êtres impressionnables, tu le sais, n'est-ce pas ? »
Oh oui, il le savait. Il l'avait toujours su. Alors il reprit sa routine respiratoire, ignorant cette sensation désagréable qu'il avait d'être scruté sous toutes les coutures par un être invisible et malfaisant. Il respira encore de longues minutes avant d'entendre distinctement une sorte de déclic au fond de lui, comme s'il avait brusquement pressé un bouton ou activé un interrupteur. Alors il avait dégrafé son casque, penché sa tête nue dans le sens contraire, dégagé une épaule et le reste avait suivi. Sans hâte, sans frein, sans questionnement particulier quant à la faisabilité de cette gestuelle qui lui était apparue comme par magie.
Le reste du trajet retour s'était déroulé sans surprise.
Dérouler, c'était d'ailleurs le terme qui convenait. Dérouler ses membres, sa musculature, sa chair pour mieux avancer en rampant, s'efforçant de réduire l'espace qu'occupait sa carcasse, tâcher de s'amaigrir pour franchir les orifices les plus serrés, se tordre encore et toujours, se retourner sur le dos, prendre appui sur ses talons, pousser sur les parois des galeries pour ménager ses cuisses, son torse et ses bras affaiblis. Le tout dans un état second, l'esprit vaporeux. Les sensations tactiles, il les ressentait de front, comme si elles occupaient toute sa pensée, comme si sa conscience n'avait été que toucher, la pierre, l'argile, la moiteur crasse de cette terre à l'odeur caractéristique. Mais la douleur de son corps malmené, la lassitude croissante, les menues blessures qu'il s'était infligées aux mains et aux articulations, tout cela lui semblait sourdre loin de lui.
Son retour à l'air libre s'était effectué presque sans transition. De la douceur en toute chose, faillit-il dire à voix haute dans la nuit tombée. Bien sûr, il avait perçu le changement d'atmosphère. L'air se réchauffait au contact de la surface. Mais il déboulait dans la nuit, comme régurgité par la montagne qui, en définitive, n'avait pas voulu de lui, et la brise froide lui avait glacé les os.
Prenant appui sur le sol, les mains dans l'herbe sèche et les gravillons, il avait poussé sur ses paumes pour s'extraire de ce tunnel relativement large par rapport aux canalisations inférieures. Il n'avait pu se résoudre à se dresser sur ses jambes flageolantes, goûtant encore un peu la position couchée, tourné vers les étoiles au-dessus des silhouettes d'arbres comme tracées au fusain sur un fond noir brossé à l'aquarelle. C'était là toute la différence avec la nuit éternelle qui régnait sous la terre : les ténèbres souterraines évoquaient plutôt des nappes infinies d'encre de Chine renversées sur un drap noir.
« Alors, heureux ? »
Pat' venait d'émerger à son tour, le visage embué de crasse et la combinaison couverte de boue. Etonné, Jean-Ba avait regardé ses propres manches et son pantalon. La même couche de matière oscillant entre l'ocre et le brun, accompagnée de ce parfum tellurique qu'il associait à la nature sauvage et à la vie en tant que concept. Puis il avait relevé le nez vers Pat', le regard à la fois hagard et satisfait.
« C'était super cool ! »
Le rire de Pat', encore. Pas le ricanement qui ressemblait au hoquet d'un fumeur. Non, l'autre. Celui qui secouait les fondations du réel et remontait les horloges. Un rire qui se réverbérait encore sur la falaise lorsqu'ils se laissèrent engloutir par l'obscurité direction la voiture.
La grotte était sûre. Il avait vérifié l'info auprès des associations locales et d'un club de spéléo situé dans la ville à côté. Il s'était même renseigné auprès des paysans du coin. Des poivrots, des vieux de la vieille, des pas finis, peut-être. Mais ça s'appelle croiser les sources et elles s'étaient montrées unanimes. Cette grotte ne présentait pas de difficulté majeure. Aucun risque d'effondrement ou d'inondation en cas de fortes pluies, elle n'abritait pas de grosses bestioles qu'un bâton n'aurait su gérer, ne servait pas de salle de shots aux toxicos du coin.
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Super cool ! Vivement la suite.
Super bien écrit. Un régal à lire.
J'ai déjà de quoi poster deux épisodes mais je relis et j'épure. je suis moins content de l'écriture après. Et je continue la suite, bien sûr, mais j'ai un peu moins de temps.
Mais ça va venir.
"Jean-ba" ça me déplait beaucoup. Mais vraiment beaucoup. On va continuer à lire, mais quand même. "Jean-ba", putain de merde.
Il va falloir que je le relise pour être un peu plus pertinent dans mon commentaire, mais pour l'instant, ma lecture de ce texte fut assez laborieuse.
Cela dit, ça se lit jusqu'au bout. Donc la narration n'est pas mauvaise. Mais je pense qu'on y gagnerait grandement à sabrer. Sabrer tout ce qui n'est pas essentiel à la narration, et donc reformuler de façon plus efficace ce qui est, à mon avis, souvent alambiqué.
Pour comparer (de façon abusive, peut-être ?), la narration du texte de Gimini Khrouchtchev me semble beaucoup plus efficace. Alors, le style n'a rien à voir, on est d'accord, mais tout est plus direct, franc du collier, on ne sent pas l'effort, le labeur, derrière la rédaction. C'est plus détendu du slip, plus naturel, et donc beaucoup plus digeste.
A côté de ça, ce début de nouvelle ne me semble pas très zonard, ni dans le ton, ni dans ce que ça raconte, mais après tout, ça, on s'en bat. On ne sait plus trop ce qui est zonard, depuis le temps.
Arf, ça manque surtout de saveur. Les dialogues ne me font pas grimper aux rideaux, la narration semble hésitante, partagée entre le noir et la littérature blanche plan-plan.
L'angoisse du type qui s'est camé longtemps, et qui se retrouve plongé dans l'obscurité et la claustrophobie, ce qui devrait donner lieu à tout un tas de terreurs surgissantes, ne me touche pas du tout. On a seulement des descriptions de corps qui coince dans des anfractuosités. Bon, c'est peut-être un parti pris artistique, après tout.
On attend la suite, tout de même.
C'est vrai qu'il y a un côté vraiment passe-partout là-dedans. Je ne suis pas sûr de souscrire à "sans saveur" ou "plan-plan". Il y a surtout l'effort de ne pas marquer le style pour que l'histoire passe avant l'écrit mais le fait d'écrire dans le but de publier sur la Zone le plus vite possible m'interdit de relire dans l'idée de sabrer. C'est-à-dire que ceci, en définitive, est la première mouture d'un texte qui devrait justement en accoucher d'une deuxième, voire d'une troisième. "Sabrer", oui, il le faudra bien. Plus tard, toutefois. je crois que je tiens une histoire tout à fait digeste, à défaut d'être hors-normes ou géniale, et sans ton craquage de l'autre fois, je n'aurais peut-être pas ressenti l'urgence de la mener à son terme. Ce premier épisode, c'est à peu près sept pages sur mon traitement de texte. Or, je viens de dépasser les 28 pages et ça continue. Je suppose que si je me démerde bien, j'arrive à torcher ce qu'on appelle en France un roman court et aux US une novella. Je t'avoue que c'est un peu mon objectif. Quand j'en serai, là, je prendrai toutes tes remarques en considération pour tout revoir parce qu'elles me semblent précieuses (et je le dis sans ironie). Cette idée de faire surgir des terreurs liées à la toxicomanie quand le gars est coincé me paraît à la fois séduisante et contraire à la démarche imposée par son mentor. Il faudra que je creuse la question. En tout cas, tenir le rythme de ce récit rend tout ça difficile. Je ne suis pas content de mes tournures de phrases, de mon lexique, de la façon que j'ai d'amener certaines péripéties. Alors, merci pour tout ça, je prends note.
Petit ajout, vu que je suis précisément sur la suite (donc je m'interromps pour te répondre puisque ton intervention influe sur ma manière d'appréhender la continuation du récit). Je crois que je considère ce récit comme un roman potentiel, d'où une économie différente de celle que l'on trouve dans les nouvelles. J'espère que la suite saura faire monter la sauce, mais en douceur, toujours, selon une certaine progression.
Sans garantie, hélas, de résultat final.
Effectivement, les attentes en tant que lecteur sont différentes quand on aborde un roman ou une nouvelle. Bon, ben, la suite, la suite, bordel.
(Je reviendrai sur ce texte plus en détail, à une heure plus chrétienne. Là, j'ai des pustules sur le dos, et je m'apprête à accoucher comme un crapaud d'une légion de monstruosités remplies autant de pus que de mauvaise foi nocturne)
Les dialogues sont moisis, le moustachu est pénible à glousser comme une donzelle, mais sinon, j'ai bien accroché.
J'ai pas trouvé ça longuet, peut être parce que le sport, c'est ma came.
Le tout aura besoin d'un bon coup de nettoyage, tailler les pointes, pas forcément trop élaguer, mais rafraîchir, oui, assurément.
Et béni soit Clacker d'avoir découragé Mill de continuer à nous inonder de post facebook à la gomme.
Une vraie bonne histoire, sur un site littéraire, ça a quand même plus d'allure (et d'intérêt)
J'aime bien l'alternance de textes politiques et de fictions pour ma part. ça donne une ligne éditoriale.
OK, c'est mieux de le reprendre sous l'angle du roman. Les jalons se placent, tranquillement. Le personnage du père est pas mal croqué, dans le genre looser attachant.
Je tique encore sur les dialogues, qui sonnent faux, malgré le ton naturaliste. Paradoxalement, c'est trop oral pour convaincre à l'écrit.
Va falloir que je me penche sérieusement sur la question, parce que j'ai du mal à "l'entendre", ce côté faux. C'est très anodin dans le propos mais faux, j'ai du mal à voir. Je vais les reprendre un par un, j'ai mis ce texte en pause depuis trois semaines et je vais pouvoir l'aborder avec plus de recul.