Je crois qu’il ne me restait plus qu’à sortir en peignoir cette nuit, à me tremper comme un rat sous les pluies diluviennes et à courir jusqu’à l’épuisement, jusqu’à ce qu’on m’interne car je courais torse nu et en caleçon dans les rues où je n’attendais pas que les bagnoles stoppent devant moi… pendant un bref instant, il m’a semblé que je n’avais même pas dépassé l’arrêt de bus à côté de chez moi mais quand elle s’était arrêté à mi-hauteur des marches menant à la criée du faubourg George Dawson, la décapotable attirant mon attention, et quand j’avais vu le panneau qui indiquait l’endroit où je me trouvais, je compris que j’étais arrivé finalement pas à la bourre du tout ; en me penchant en deux après l'effort de l’exercice intense, je voyais par une petite lucarne donnant sur la rue le visage des deux passagers à l’intérieur se refléter. Mal garé sur le boulevard que seules des présences fantomatiques descendaient ou remontaient avant de s’évanouir, Hunter S. Thomson m’interpella.
Je finissais de cracher mes poumons, mes muscles produisaient plus d’acides lactiques que de sang. Comment avait-il pu conduire dans ce brouillard à couper aux couteaux sous l’effet de toute cette chnouf qu’il s’était injecté peu de temps avant, en arrivant indemne ? Et surtout avant même que je reprenne mon souffle, ce salopard de merde qui en savait pourtant plus long que moi sur le zeppelin allant se crasher ce soir, me demandait si au pilote, Walton, ou à Larsen, le copilote, je leur avais dit où, quand et comment leur mort arriverait.
— Non, pas du tout, dis-je fermement. Je ne leur aurais même pas parlé de tout ça, mais l’avènement de la saison rouge qui a échauffé tous les esprits ces derniers temps les inquiétait et ils n’arrêtaient pas de poser des questions, et ils en chiaient presque dans leur froc, délirant tous les deux sur cette recrudescence de gangrène qui n’a pas fléchi depuis le commencement de cette Saison Rouge. Mais tu dois en savoir plus que moi, à vrai dire.
— J’en sais long comme le bras, oui ! poursuivit-il, d’un air aussi énigmatique que fier. Tout ce que nous avons prémédité, et tous ces racontars, ces fausses rumeurs et les fakes news ainsi que les attentats que nous avons déjà revendiqué ont déjà fait flipper plus d’un, et est parfaitement limpide dans la logistique du grand Maître.
Et le Docteur en journalisme me montra un calepin, tournant les pages pendant de longues minutes, l’esprit instantanément polarisé, comme s’il était maintenant tout seul à exister sur cette route obscure dont la démarcation finissait par un pont funeste d’où seuls les corbillards passaient à présent. Puis me tendit le carnet et me lança, avant de repartir et de faire vrombir le moteur de sa Cadillac blanche décapotable :
— Étudie et lis ça quand tu seras rentré chez toi, tu trouveras plein d’informations utiles sur ce que l’on prépare, à condition que les flics ne te ramassent pas.
De retour dans mon appartement, un classeur métallique pour jeunes cadres avec des murs épais pour se prémunir du bruit quand votre voisine a égaré ses prothèses auditives et regarde les jeux télévisés à plein volume, je mis un temps considérable à lire ce qui semblait être ses dernières notes. Elles couvraient un peu plus de trois pages : sur la première de ce carnet était représenté, avec un luxe de détail presque choquant, le logo alambiqué de l’application d'AngelOfDeath. Était également reproduit avec son plan de bord au fusain un zeppelin en feu, sans doute piloté par Walton et Larsen. Était dessiné, enfin, avec le même souci toujours de précision un peu inquiétant, le portrait de deux quadragénaires, le pilote et le copilote du zeppelin qui devait décoller dans les prochaines heures.
Je jetais un regard désapprobateur sur la page suivante du cahier où ne figuraient que des mots, décrivant, avec une sorte d’insistance maniaque bien faite pour déranger, les dessins sommaires portés sur la première page dudit cahier : le logo d’AngelOfDeath®, un zeppelin, un pilote et un copilote…
Ces mots s’attachaient par ailleurs à détailler un autre dessin - fictif sans doute, celui là -, représentant un couple, déguisé (on relevait entre autres les termes de « coiffe bigouden » et de « lavallière second empire »), dans un cadre de bon goût….
Pour faire une pause avec cette écriture plus qu’ardue, presque illisible, je descendais les escaliers menant à la cave et en cherchant une bouteille de vin blanc quasiment dans l’obscurité, je remarquai qu’un chien galeux avait trouvé refuge ici, s’étant posé à côté des fûts sur de vieux cartons dégueulasses. Il lâchait des pets immondes, des odeurs de fumier, il crevait d’une longue et douloureuse agonie, d’un mal lancinant et quelque temps plus tard en me renseignant j’appris que ses maîtres n’étaient autre que Walton et Larsen ; et le jour même j’abandonnais les anges en me désabonnant d'AngelOfDeath® dégoûté à l’idée d’être payé pour ça, même si à l’heure de la Saison Rouge, les multiples krachs boursiers avaient mis presque tout le monde sur la paille, notamment les laissés-pour-compte dont les yeux dans la nuit dehors luisaient d’une lueur bien trop cireuse, à garrotter tout ce monde semblant être parti ou mort.
Le tableau des arrivées indiquait la même heure que celle qu’on m’avait donné par téléphone, je me suis donc dirigé vers le hangar désaffecté où étaient encore cloués au sol d’autres majestueux zeppelins. Le temps d’un festival, les compagnies aériennes avaient gagé leurs comptoirs d’ivoire et sur l’un d’eux du sang avait coagulé ; sûrement celui des deux pilotes ou du grand Maître dont Hunter m’avait parlé. Une foule de Coréens attendaient des êtres chers en bavardant et en riant sans même avoir fait attention au drame qui s’était peut-être passé.
Je croisais des majordomes portant des cartons à un couple breton vêtu façon XVIIe siècle, me confirmant que le calepin de Thompson était aussi angoissant que prémonitoire et visionnaire.
Alors, sans savoir pourquoi, m’est revenu à l’esprit un vieux documentaire sur les junkies causant du grabuge sur un archipel, envahi de touristes, qui se termine par la mort de leur quotidien. Un journal qu’ils se sont efforcé au début de maintenir à jour et à flots mais qui se transforme rapidement en canard d’obsédés accros au kirsch. Après le démontage des rotatives, et l’enterrement de la plupart des drogués, l’un de leur compagnon retourne sur la plage et la jetée où ils avaient l’habitude de se défoncer, et se met à les appeler. D’abord il joue une mélodie sur un xylophone, mais voyant qu’ils n’arrivent pas, il crie, pensant que personne ne peut disparaître de cette façon. Je revoyais la scène en tenant l’urne funéraire contenant les cendres du chien galeux et les laquais de l’aéroport ont failli déféquer dans leur slip quand j’ai hurlé Walton et Larsen. J’ai vu apparaître tout au fond, au milieu d’une marée humaine, deux hommes tout maigres, revenant des cieux lactescents par zeppelin. Ils regardaient autour d’eux et avançaient avec appréhension, comme si le sol risquait de se dérober sous leurs pieds. J’ai levé plus haut l’urne, les deux pilotes ont fait un geste et se sont rapprochés. J’ai eu l’impression que les cendres s’agitaient et je lui ai dit du calme, détends-toi vieux chien, ils sont là. Et j’ai pensé que la prophétie avait peut-être été lasse de toujours se réaliser. Ou qu’elle était encore à l’état latent tant il n’y avait pas ou peu de lumière dans cet aéroport désolé et que les ténèbres grignotaient déjà l’autre bout du couloir où une petite nana aux cheveux bleus et au T-Shirt Greenpeace avançait vers nous.
« Écoute, je vais te raconter mon rêve : nous partions à l’aventure sur les ailes d’un couple de jars. Le ciel se violaçait d’une lueur crépusculaire, sûrement un trucage pour nous initier à la plus puissante des médiumnités. Nous avions en notre possession les œufs du monstre dans nos sacs et nous connaissions parfaitement tous les événements à venir dans un futur proche ou lointain. Ces œufs qui avaient tant sommeillé et qu’on avait ingéré en attendant patiemment qu’ils nous insufflent ce don et qui donnerait naissance à la morbide Saison Rouge. Comme les deux seules et uniques personnes qui savaient que ça devait finir par ça, et comme ça, et que même nos visions fulgurantes de tous les trépas futurs n’avaient été créé que dans ce sens. »
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franchement, avec le style que t'as, tu ferais bien d'écrire des textes compréhensibles sans cut up.
Personnellement, dans le déluge de scénarios stéréotypés qu'on nous vend et revend partout et qui recouvre tout le reste, un type pas câblé storytelling, je trouve ça frais et reposant. À dose limitée, certes, mais c'est vrai pour à peu près tout.
Et je dis ça alors que je viens de commencer avec grand plaisir la lecture d'un Stephen King, roi du storytelling (mais pas que).
Comme quoi il y a de la place pour plein de choses dans nos cerveaux, ma bonne dame,