LA ZONE -

Schuessler cuit

Le 18/06/2023
par Carc
[illustration] Le flyer était prometteur : « Ce soir ! Grande réunion avec le docteur Jean Fourne ! Débat - table ronde sur l’utilité des sels Schuessler dans le traitement des hernies discales ».
Je connaissais déjà assez bien le docteur Fourne de par ses vidéos sur rutube. Une mine de savoir ce type : grand spécialiste des méthodes de médecine postmodernistes, de la résonnance énergétique prénataliste et des agents moléculaires que ces enflures du gouvernement nous projettent sur la tête à longueur de journée pour nous asservir. C’est lui qui avait alerté, en premier, sur les microparticules de saucisson savoyard dans les vaccins, que l’agence de tourisme de Chignin (AOP) voulait nous implanter pour que l’on daigne acheter leur vinasse. C’est lui aussi qui avait découvert le premier le lien entre terre plate, grand remplacement et cancer colorectal. En bref : une autorité. Je n’avais pas encore entendu parler de ses co-débattants par contre : une journaliste américaine d’investigation s’étant fait un nom par ses vidéos choc sur les pratiques satanistes du parti démocrate, et un célèbre médium prenant sa place autour de la table afin que les grands noms de la science (Pasteur, Einstein, Arthur de Gobineau) puissent contribuer au débat, en direct de l’au-delà sans passer par ces médias qui nous mentent. Beau programme, y’avait seulement un problème : à l’entrée de la MJC, il y avait Lola.

Lola, c’est mon ex. On avait été à l’école de naturopathes ensemble, on avait commencé ensemble notre recherche de vérité, ensemble on avait compris, dans une séance tantrique qui avait finie d’exploser nos chakras déjà bien ouverts, qu’il fallait lire entre les lignes, regarder entre les âges et ne jamais, jamais, prendre pour acquis ce que l’on nous avait appris enfants. C’était aussi elle que j’avais retrouvée à quatre pattes devant Maurice Achéron III, une de nos connaissances de Bretagne venu nous enseigner son savoir. J’avais beau comprendre qu’il fallait bien ça pour en apprendre encore un peu plus, ça m’avait fait mal et j’avais pas digéré. On s’était séparé à cause de cela, et aussi parce que Maurice avait pressenti que Lola était bloquée, qu’il y avait comme une paroi, un plafond de verre, au plus profond d’elle-même qui l’empêchait de révéler son potentiel. Et que la paroi, c’était pas son stérilet, c’était moi. Enfin, mes émanations. Mes idées négatives et gluantes, il appelait ça.

J’en suis là : à me demander comment je peux entrer dans la salle sans qu’elle me voie ; sans que Maurice me voie aussi. J’ai bien mon veston énergétique changeforme qui m’aide à brouiller les caméras de surveillance, mais Lola n’est pas une caméra, et Maurice non plus. Et le veston ne marche pas sur les humains, éclairés ou non : pas plus tard qu’hier, un ado un peu con s’est foutu de moi, me disant que mon veston me donnait un air de débile. C’est donc bien la preuve qu’il me voyait.

Tant pis. Je n’aurai qu’à affronter leur regard et leurs commentaires désobligeants sur toutes mes idées négatives et gluantes. Je ferai en sorte de m’asseoir loin.

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« Tout est prêt docteur ». Jean ne me regarde même pas. Il est perdu dans ses pensées, comme souvent quand quelque chose le tracasse. Et, en ce moment, beaucoup de choses le tracassent : la guerre, la paix, les vers de terre, les messages de l’au-delà. Des fois, je suis assez contente de ne pas avoir sa sensibilité. Je répète, un peu plus fort : « Tout est prêt, docteur ». Il sursaute un peu. « Merci Justine », il me dit. « Tu as bien lavé l’eau dans la carafe de toute impureté cosmique ? ». Je lui souris en guise de réponse. Il sait bien qu’il peut compter sur moi. Il continue : « J’ai lu un truc ce matin, et je crois bien qu’il va falloir que je m’y penche. Il paraît que le gouvernement veut faire passer une loi sur les déchets radioactifs. Il veut les pulvériser et les étaler dans des champs. Parce que ça fait pousser les légumes. Ce serait une nouvelle agression, et, peut-être, cette fois, une de trop. Enfin bon, nous verrons. » Le docteur ferme les boutons de son col, rajuste ses lunettes, et sort de sa loge. Pour l’instant, les déchets, radioactifs ou pas, sont mis en pause. Il est là pour éveiller des consciences. Le reste attendra.

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Lola me prend la main. Elle commence un peu à me faire chier, elle, avec son besoin permanent d’exister. Enfin, elle me loge. C’est mieux que ma voiture. J’avais été bien content quand elle et l’autre crétin m’avaient invité. Des mois que j’avais du mal à me faire payer à bouffer et que mon découvert était la seule véritable constante. Mais va falloir bientôt changer de coin. Si on commence à devoir se farcir des discussions en plateau avec ces trous du cul qui, pour certains, ont carrément l’air de croire à ce qu’ils racontent, c’est qu’il est temps. Il parle de quoi le schnok là ? ah, il explique ce qu’est un sel Schuessler. Enfin je crois. Jamais bien compris ces trucs là moi. Moi je préfère parler de karma. Moins technique, plus vague. Tout le monde s’en fait sa propre idée, ça m’évite d’en avoir. Tiens, le con est là aussi. Bah, au moins il nous évite, c’est déjà ça de pris. Bon, faisons mine de nous intéresser. Après il va falloir pouvoir en parler un peu.

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« Il faut bien dire, et redire, et redire encore, que le sel numéro sept n’est pas le seul à jouer un rôle dans le traitement des hernies discales » dit le docteur. « Non, il ne faut pas faire l’erreur que nous pousse à faire la médecine prépostmoderniste, et se laisser cheminer trop vite du symptôme au traitement. Il faut voir l’humain dans son en-tiè-re-té ! ». Le médium intervient : « Louis Pasteur dit que vous avez entièrement raison. D’ailleurs, quand il a découvert les corticoïdes, ce fut un peu son but : tout traiter d’un coup. Enfin, après son idée a été pervertie, et au lieu de travailler avec le corps, les grandes industries alimentées en sous-main par les globalistes en ont fait une mécanique d’asservissement digne des temps les plus noirs de notre histoire ». Bien envoyé, Louis ! Tu m’étonnes, que t’es pas content de voir ce qui advient de tes idées ! heureusement qu’il y a encore des gens comme le docteur Fourne, du coup !

Le débat est passionnant. Tout le monde est pendu aux lèvres des intervenants. Du coin de l’œil, je vois Lola, penchée en avant, écoutant avec assiduité, prenant quelques notes dans son calepin. Merde putain, te déconcentre pas ! Laisse la tranquille, c’est quand même pas ton problème si elle est trop réceptive aux idées négatives et gluantes que tu sèmes ! Y’a pas quelqu’un d’autre que tu connais dans la salle que tu peux regarder ? Tiens, ce type en soutane là-bas par exemple ! Tu l’aurais pas déjà vu ? En tous cas, lui, il semble pas conquis. Il doit être de ceux qui croient à des trucs un peu fous. Y’en a beaucoup chez les cathos.

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Jean a bien parlé : Schuessler 11 et 7, et puis faut voir dans la vie des personnes s’il y a pas des ondes négatives ; un nouveau voisin peut-être, ou des parents un peu trop endormis. C’est au tour de l’amerloque à parler. Elle se fait traduire bien sûr. Pour une journaliste d’investigation, elle ne dit que des trucs déjà bien trop connus : il faut faire attention à la source des sels utilisés aussi, parce que l’industrie pharmaceutique en produit des factices pour nous empêcher de nous soigner correctement. C’est élémentaire ! Enfin, je suppose qu’une redite ne fait pas trop de mal. Moi, je suis déjà à l’après : j’ai inspecté le feng shui de la chambre d’hôtel, elle a été bien choisie. Je n’ai eu qu’une plante verte à déplacer pour créer un espace serein à même de revigorer mon bon docteur quand la discussion sera finie.

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Pff, c’est long. Enfin, on approche de la fin, c’est l’heure des questions. Connaissant les crétins présents, il ne peut s’agir de plus d’une ou deux heures. Au moins, pendant les questions, on se marre un peu. « Si je prends, en plus des sels 7 et 11, un onguent de camomille et du rutabaga D421, est-ce que je peux atténuer l’effet de dégradation initial temporaire ? » Ah ben sûr, mec. Et si tu te retiens de pisser de sept heures trente à huit heures vingt, ça va faire des miracles !

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La soutane réclame le micro. Merde, je suis sûr qu’il va raconter des bêtises. Que lui aussi il va mettre des idées négatives et gluantes de partout.
« Bonsoir. Je voudrais amener un peu de discours alternatif, dit la soutane. En effet, vous oubliez, à mon sens, le point essentiel : Notre seigneur Jésus Christ ! Monsieur le médium pourra peut-être, s’il le souhaite, demander à Rudolf Steiner si ce n’est pas là un point clé. »

Le docteur esquisse un sourire narquois. Quelque chose me dit que Jésus Christ, il s’en fout un peu. Après tout, c’est un homme de science.
« Ecoutez, nous sommes ici pour parler de choses tangibles et prouvées. Laissons les hypothèses ésotériques aux bonnes femmes ! » Bien dit, docteur. La salle glousse, tu les as conquis.

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Le religieux n’a pas l’air content. Il se lève et se dirige vers la sortie, sans lâcher le micro. Il passe la porte, puis revient sur ses pas. « Messieurs », dit-il. « Messieurs, vous me voyez bien désolé de votre manque d’érudition. J’étais venu ici pour vous tendre la main. Pour vous ramener avec moi, loin de vos idoles minéraux, et vers la lumière. Je vois que j’ai échoué. C’est donc que rien ne vous sauvera du châtiment divin. Une dernière fois je vous implore : repentez-vous ! ». La salle rit. Le docteur rit. Le religieux est ridicule. Seulement, cela ne semble pas l’atteindre. Au contraire, il s’en ragaillardit : « Ah, mécréants ! Recevez-donc, vôtre âme défendante, ma bénédiction ! »

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Il faut leur laisser ça : les curés, ça a le sens du verbe. Par contre, je goûte assez peu qu’il vient nous asperger avec son eau bénite. En plus, elle a une drôle d’odeur. D’encens, certes. Mais derrière, ça rappelle un peu la station à essence. Mais… putain… il serait pas en train de nous asperger de sans plomb le bigot ? Je vais lui montrer moi de quel bois je me chauffe bordel !

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Maurice s’est levé. Il a dû sentir un truc. Certainement négatif et carrément gluant. Il a ce don, Maurice. Par contre, la force physique, c’est pas son truc : la soutane lui assène un coup sous le menton, et Maurice en tombe raide. Et puis le prêtre continue sa bénédiction. Il marmonne des psaumes en passant dans les rangs à toute vitesse, et les gens détournent le regard et se tiennent le nez. Faut dire que ça cocotte, sa potion. Un mélange d’encens et de Simca 1000. Le docteur le regarde d’un air narquois, façon de dire « allez-y, bénissez-moi, je n’ai pas peur de vous », alors que la soutane finit son tour. De nouveau à la porte, il lance : « Mes amis, puissiez-vous ressortir purifié de cette soirée ». Puis, il passe la porte, non sans allumer un briquet. Dieu sait pourquAH PUTAIN 9A BRÛLE MAIS QU’EST-CE QUI SE PASSE BORDEL CE CON IL A FOUTU LE FEU LOLA LOLA FAUT QUE TU PARTES D4ICI VIENS JE VAIS TE PROTEGER LOLARGH LOLAREUUUUUH LOLAAFFFFFFGUZWLASLNFLKJKASJLMF

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JEAAAANFWZKDLSOG

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Isidore retroussa ses manches, et alla se laver les mains. Il enleva ensuite sa soutane, et la fit glisser dans un sac plastique qu’il extirpa de sa voiture. Et puis il roula vers le soleil couchant, entendant, au lointain, les sirènes des pompiers. « Ce qui est quand même dommage », se dit-il alors qu’il s'engouffra sur l'autoroute déserte, « c’est qu’on ne peut jamais admirer trop longtemps le résultat quand on fait une brochette d’allumés. »

= commentaires =

Clacker

Pute : 0
L'humour avec un grand H    le 18/06/2023 à 22:48:50
Ce qui aurait été vraiment rigolo à s'en faire péter les mandibules, c'est que le flyer promette une table ronde sur la Terre plate.
Lapinchien

tw
Pute : 6
à mort
    le 19/06/2023 à 10:28:57
Un beau pool d'illuminés. JACKPOT§ ça fleure bon la Zone d'antan.
Poupouille
Catharism is dead    le 20/06/2023 à 10:17:51
Pas mal. Ça reste du texte de Saint-Con classique mais avec tout les codes qui vont bien. J'aime bien l'idée qu'un mec qui se fait passer pour un curé "old school" brûle des sectaires du mouvement "New age" et développement personnel qui représentent un bon contingent de cons et d'escrocs. Ça fait comme une boucle sémantique.

(D'ailleurs il y avait pas un excellent texte de CTRLX qui brûlait aussi du bouffeur de quinoa naturopsychopathe ?)
Carque
    le 21/06/2023 à 02:20:21
C'est même très classique, tu sens la check-list. Y'a des trucs que j'aime dedans , mais c'est pas franchement fou-fou. C'est le premier texte que j'écris depuis mon texte gagnant y'a pile dix ans (je crois du moins, Bitengranit est sorti après mais il me semble que je l'avais écrit avant) et ça se sent.

Enfin bon, c'est comme le vélo: à la fin tu crames tout et ça marche à peu près. Le curé aurait gagné à être tout aussi cramé du bulbe, ç'aurait été bien plus réaliste.
Un Dégueulis

Pute : -141
chiquée pas chère
    le 28/06/2023 à 03:27:50
Je finirai par lire ce texte. Un jour, je le lirai. P'têt demain.
Un Dégueulis

Pute : -141
chiquée pas chère
    le 29/06/2023 à 02:06:18
"Mais… putain… il serait pas en train de nous asperger de sans plomb le bigot ?"

Cette phrase m'a fait rire.

Je trouve le texte relativement anecdotique, toutefois.

Ce qui est probablement lié au fait qu'il raconte une anecdote.

Haha.

Ha.

Bon non en vrai ça aurait pu être beaucoup mieux les persos sont pas assez développés y a pas d'intrigue on sait pas ce que le prêtre fout là on n'a pas assez d'infos sur la narratrice, peurkoiha qu'il y a sa copine et son copaing là-bas avec elle dedans la réunion, bref.

Un texte écrit en vitesse pour ne pas rater la Saint-Con ?
Un Dégueulis

Pute : -141
chiquée pas chère
    le 29/06/2023 à 02:07:20
Je rate un truc ?
Un Dégueulis

Pute : -141
chiquée pas chère
    le 04/07/2023 à 20:30:22
J'aime jouer au bilboquet avec mes couilles.
Dourak Smerdiakov

site yt
Pute : 0
ma non troppo
    le 04/07/2023 à 20:52:38
C'est comme ça qu'elles atterrissent dans le potage, j'imagine.
Lunatik

Pute : 1
    le 11/07/2023 à 21:32:50
Je n'avais jamais lu Carc, il écrit bien, le bougre, et il a le sens des tournurs réjouissantes. L'histoire n'est pas ouf (c'est en effet anecdotique, comme dirait la flaque de vomi) mais n'empêche que c'est bien foutu.
L'intro m'a fait marrer, l'idée d'inviter les défunts scientifiques est cool et ça, c'est collector : "afin que les grands noms de la science (Pasteur, Einstein, Arthur de Gobineau) puissent contribuer au débat, en direct de l’au-delà sans passer par ces médias qui nous mentent"
J'ai beaucoup aimé le personnage de l'ex de Lola, avec sa bonne tête de benêt et ses idées négatives et gluantes ; le cynisme de Maurice est rafraîchissant, aussi (et la preuve que le Bretagne est le berceau du vice)


à Dégueulis : un texte lu en vitesse ?

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