Walter Supersaxo frisait un peu le burn-out. Le quinquagénaire avait été choisi comme évêque de Sion en 1457, confirmé en 1458 et ordonné en 1459. La tuile, c’est qu’il avait expérimenté les premiers symptômes de l’effondrement psychologique dès le premier trimestre de 1460. Ainsi en va-t-il parfois des ambitions. Elles vous terrassent dès lors qu’elles se réalisent. Toutes ces querelles de succession, ces rachats de seigneurie assommants, ces renouvellements d’alliance avec les Waldstätten, l’abstinence de façade qu’exigeaient ses fonctions (et même ses visites aux puterelles onéreuses de la province), tout cela commençait à l’emmerder.
« Y’a plus rien qui me fasse kiffer, mec, c’est terrible… », confiait-il parfois à son meilleur ami, Nikolaus Uff der Flüe, un homme mourant qui n’était plus en mesure de lui répondre, et dont Walter appréciait par conséquent la compagnie. « Ah, si, quand même… Juste un truc. Les procès en sorcellerie. Là, on se tape de bonnes barres ».
Ainsi, Walter Supersaxo sillonnait le Canton du Valais, faisant étape dans les villages pour arder le cul flétri des abjectes putains démoniaques, autrement dit brûler vives des vieilles femmes dont le seul tort était de pratiquer l’avortement, ou d’appliquer de la pommade maison à leurs enfants.
***
Quelques jours plus tôt, Marie Étienne Caseul, lingère de son état, guérisseuse éclairée sur son temps libre, soixante-quinze ans, se penchait au-dessus d’une marmite en fonte et incorporait distraitement les ingrédients nécessaires à la réalisation d’une potion d’impuissance, recette toute bête qu’elle avait exécutée des centaines de fois. Cependant, elle commit une erreur d’inattention, confondit deux plantes, et s’aperçut que la marmite grésillait d’une manière tout à fait inhabituelle. Deux secondes plus tard, la mansarde insalubre fut éclairée d’une lueur aveuglante et brève. Marie Étienne, quant à elle, fut projetée contre un mur. Elle reprit connaissance quelques minutes plus tard, privée de ses sourcils et de sa mémoire immédiate.
Le jour suivant, au village, la vieille femme était aux prises avec un maraîcher, ce dernier tentant de l’escroquer au-dessus d’une botte de navets. Les jurons fusaient, rien de particulièrement préjudiciable jusqu’ici, avant que Marie Étienne ne prononce une phrase ambiguë, qui allait causer son arrestation immédiate et sa mise aux fers, en attendant procès. En effet, elle hurla au marchand, qui venait, il est vrai, de la traiter de catin : « Espèce de sale con, sais-tu seulement que la sexualité hétéronormée procréatrice est un mécanisme de pouvoir hérité du patriarcat ? ». Sur la place du village, tout le monde se figea. Incontestablement, il y eut gros malaise. Marie Étienne Caseul fut elle-même choquée par les propos énigmatiques qu’elle venait d’éructer. On la fit immédiatement prisonnière.
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L’audience se tint dans une grange paysanne, particulièrement décrépite. Walter Supersaxo, installé sur une estrade de fortune, faisait face à une assemblée constituée d’une cinquantaine de villageois. Une lumière divine se déversait paisiblement sur le visage blasé de l’évêque, ou peut-être s’agissait-il d’un simple trou dans la toiture. Walter avait distraitement parcouru le dossier relatif à cette folle du marché, qui semblait présentement mourir de vieillesse sur une chaise en contrebas. Ses conclusions ne se firent pas attendre : il n’aurait qu’un plaisir modéré à voir brûler cette horreur. Il s’agissait d’une affaire mineure, tout à fait étrangère à la sorcellerie, impliquant un maraîcher malhonnête et une déséquilibrée mentale.
En attendant que le procès ne s’ouvre, Walter Supersaxo apportait donc quelques corrections à son projet du moment, un essai sobrement intitulé : « Ces femmes qui sentent mauvais », une œuvre dont il espérait beaucoup.
Ligotée sur sa chaise, Marie Étienne Caseul était assaillie, depuis son accident de marmite, par des pensées dont elle ne comprenait pas le sens. L’erreur qu’elle avait commise lors de la préparation de sa potion d’impuissance semblait avoir des effets regrettables sur son raisonnement et son lexique. Bref, elle ne se maîtrisait plus et racontait des bêtises chaque fois qu’elle ouvrait la bouche. Elle avait donc fait tout son possible jusqu’ici pour se taire, une position qu’il serait difficile de tenir sous la question de l’évêque.
Quand tout le monde fut enfin installé, et à peu près silencieux, Walter Supersaxo débuta son interrogatoire, conformément aux prérogatives en vigueur :
- Marie Etienne Caseul, confessez-vous pratiquer la lycanthropie, et participer ainsi à la ruine des récoltes, en prenant l’apparence d’un loup ?
L’accusée ne fut pas prise au dépourvu par cette question d’usage. Elle estima pouvoir y répondre simplement, mais ne put cependant s’empêcher de rétorquer :
- Tout d’abord, je pense qu’il convient de mettre l’accent sur la diversité des identités et des parcours. Si l’on souhaite être le plus inclusif possible, j’aimerais qu’on redéfinisse ensemble le concept de transidentités. Sinon, on ne va nulle part.
Walter Supersaxo considéra que cette tirade compilait tant d’idioties manifestes qu’il devait immédiatement la retranscrire dans son registre. Il fit donc une longue pause, avant de poursuivre :
- Etes-vous métamorphe, oui ou merde ?
- Disons que je suis Genderfluid, et passons à la suivante, si vous le voulez bien.
- Confessez-vous participer au Sabbat ?
- Je préfère parler de réunion en non mixité choisie.
L’évêque passa de la sidération à l’énervement en un quart de seconde. Il y avait des limites à la connerie. Il explosa :
- Taisez-vous, chiurle de merle ! Je sais quand même ce qu’est un Sabbat, figurez-vous ! Le Sabbat est une assemblée nocturne de sorcières, souvent associée à des rit…
- MANSPLANNING !! hurla à son tour Marie Étienne Caseul.
Walter Supersaxo était écœuré. On se trouvait devant un véritable cul-de-sac intellectuel. Et puis ça devenait chiant, comme tout le reste. Il décida de poser une dernière question, avant crémation. Il en piocha donc une au hasard :
- Bon. Heu… Confessez-vous connaître la recette de l’invisibilité ?
Marie Étienne Caseul prit le temps d’une courte réflexion, avant de répondre :
- Je dirais un jean mal coupé, un emploi de caissière chez Lidl et un monosourcil.
Des rires fusèrent dans l’assemblée. Ce procès était tout à fait réjouissant, même si l’on n’y comprenait rien.
Walter Saxo ferma son grand registre, sur le pupitre, avec un haussement d’épaules qui exprimait une lassitude infinie. Il dit enfin :
« Vous savez quoi ? J’en ai vraiment plein le cul. Qu’on l’étrangle, avant de la conduire au bûcher. Qu’au moins elle ne souffre pas les flammes. Mais qu’on l’étrangle bien ! (et il montra comment, avec ses mains). Qu’ensuite seulement, on brûle ses chairs altérées et fétides. J’ai clairement d’autres choses à foutre. Il ne sera pas dit que je suis incapable de distinguer une créature décrépite, souffrant d’une forme de démence rigolote (mais pénible), d’une authentique manifestation démonia…. »
On entendit d’abord un craquement sinistre venu d’en haut, avant que la toiture de la grange ne s’effondre brusquement. Le destin voulut qu’aucune victime ne fût à compter parmi les villageois. En revanche, l’imposant madrier supportant l’ensemble de la structure vint percuter de plein fouet l’illustre évêque de Sion.
Une fois le choc absorbé, Marie Étienne Caseul déclara, avec un geste du menton vers l’ecclésiaste enseveli sous les gravats : « Eh bien… Il semblerait que la Doxa paternaliste vienne d’être brutalement confrontée au principe de réalité »
Soyons francs, personne n’eut vraiment à cœur de pleurer Walter Supersaxo, ni de respecter la sentence qu’il n’avait d’ailleurs pas eu le temps de conclure. Aussi, la seule chose qui fut brûlée, ce jour-là, fut le manuscrit de son essai au titre impardonnable.
Marie Étienne Caseul, quant à elle, fut pleinement rétablie dans son statut de simple folle du village, et continua à proférer de temps à autre des formules amusantes, à jamais incomprises. Elle apaisa encore de nombreux malades et, il faut bien le dire, concocta aussi bien des philtres vengeurs, sous la commande d’épouses malheureuses.
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Jimmy Jimmereeno, tu suces ? t'avales ?
Attention Jimmy, méfie-toi, le sperme de Lapinchien est nutriscore D !
D comme débile. Il fait des chatouilles.
Quoi qu'il en soit, ce texte est super drôle.
Le texte est super mais il y a pas de crémation, c'est quoi ce bordel ?
Si le texte s'autocrame à la fin.
C'est la Zone. Ça parlait de bûcher alors on a recyclé.
Enfin l'essai de Supersaxo
L'auteur était-il au moins conscient du principe de la Saint-Con ?
Sur un autre sujet, je trouve que ce texte est un très bon matériel promotionnel si on veut faire de la pub pour la zone. Il est bon, court, zonard. (il manque vraiment juste un mort cramé)
"L'auteur était-il au moins conscient du principe de la Saint-Con ?"
Le texte a été posté en septembre, donc l'auteur ne pensait a priori pas du tout à la Saint-Con en l'écrivant. Ceci dit, je pense être en mesure d'affirmer que l'auteur connaît le principe de la Saint-Con, bien que je ne sois pas autorisé à en dire davantage, si ce n'est préciser qu'il ne s'agit pas de moi.
Et vu le pseudo imbitable et impossible à orthographier correctement du premier coup qu'est Jimmy Jimmereeno, je sens que je vais vite le surnommer JJ ou Gigi (ça nous mettra du Dalida dans la tête, tant pis, la faute à Gigi).
Franchement je ne vois pas ce qu'il y a de pas assumable dans le texte à moins que je fasse l'impasse sur un truc.
COUCOU !!
Ce texte est la plus beau texte de Saint Con jamais écrit, depuis ma dernière participation, et la crémation, tout en subtilité, révèle un grand talent
Mais tu as fait coucou. C'est scandaleux.
Je peux te faire cocu, si tu préfères
Mais je préfère : ces derniers temps, si je suis marié, c'est à la Zone et je t'invite volontiers à lui faire un enfant pour la Saint-Con.
(en moins de neuf mois ?)
Y aurait-il ici une allusion perfide au temps qu'il me fallut pour retrouver le chemin du lit conjugal ?
Dourak, t'es un bon. J'ai presque envie de me reproduire à nouveau
Cela dit, je ne voudrais pas te couper l'appétit mais, la Zone, même Pascal Dandois lui est passé dessus.
Je ne saurais dire si le texte m'a demandé de resserrer ou desserrer mes jambes dans les transports urbains, la lecture fut plus confortable que cette position d'entre-deux d'où je crains de ne plus jamais pouvoir sortir.
J'ai fait partie de l'assemblée dont le rire a fusé. Bêtement (mais abondamment durant tout le procès). Mais cette recette d'invisibilité est véridique et éprouvée, il faut bien l'avouer.
Et sinon, une crémation de manuscrit, c'est tout de même hardcore. Surtout ici. Encore que ça manque de détails croustillants, on aurait voulu des cendres et des larmes, pour le moins.
Bien sûr, c'est très bon, comme texte, mais je l'ai déjà lu sur un site peu recommandable.
Donc voilà, le plaisir est un peu éventé, mais présent, malgré tout. Comme une deuxième branlette après une première branlette.
L'auteur a eu la bonne idée de s'emparer d'un ensemble de sujets de société absurdes par essence et d'en faire un texte qui a du sens, tout en caressant les cons dans le sens du poil. J'ai envie de dire banco, vous êtes mûr pour faire un super journaliste chez Vice.
Par contre, c'est "mansplaining", avec un I, comme ichtyose lamellaire, et un seul N, comme le contraire de l'amour. Faut bosser, un peu, quand même, et arrêter de se reposer sur ses lauriers, saloperie d'auteur génialissime.
Je confesse quand même que j'ai cru que c'était toi, Delavigne (pour contrebalancer cet afflux de dopamine qui paralyse tout bon sens quand on reçoit un compliment sur son nombril d'artiste maudit et contrarié au niveau du transit).
Merde, ça fait deux N au lieu de trois, en fait. Comme quelqu'un de vraiment très méchant, mais juste aux deux tiers. Putain, l'alphabet, quel bordel.
Ah ben non, trois en fait, au lieu de quatre.
Non mais c'est parce que j'ai séché les cours de maths à peu près toute ma vie. Et puis je suis dislaixic, et protéiforme au niveau du cerveau.
Je viens de voir qu'il y a deux I, aussi. Comme ignare irrattrapable.
Bon, j'arrête la discipline qui consiste à commenter des textes et dire des trucs, ça me fout dedans à tous les coups.
Puissance 4.
(◠‿◕)
à mort
Chaise à roulettes.
Chaise électrique à roulettes, même.
22:22:22
cmb:cmb:cmb
Ça me fait penser à du CTRL + X, le bouseux, le paysan, le serf qui avait disparu.
Ou pas.
Le texte est trop court.
J'ai ri à Mansplanning, pas pour l'orthographe mais pour la qualité du placement de l'interjection.
Merci de respecter le débat intersectionnel, c'est un sujet important dont je sens qu'il a été un brin tourné en ridicule dans ce texte, même si l'auteur reste suffisamment subtil pour pouvoir le nier si on l'accuse.
Je propose de le soumettre à la question.
Aux gens qui éditent leurs commentaires : vous êtes la lie.
Ah là là, la lie. L'est laid le loulou à lulu. L'est haut le lolo à Lili.
Je le savais, que Dourak était en réalité Vincent Lagaf' déguisé en Belge.