C'est l'entreprise qui s'appelait Bérénice. C'était une entreprise de fabrication de savon. Et lui il faisait partie de la partie marketing et communication de l'entreprise. Mais comme c'était une entreprise avec peu de moyens, les locaux où Aurélien travaillait avaient été aménagés juste au dessus des entrepôts. Sauf que dans leurs locaux, ça sentait le plastique.
L'entreprise était un bloc de ciment autrefois blanc avec un logo à moitié délavé exhibé sur la partie supérieure du bâtiment. L'entreprise se trouvait en Bretagne, plus particulièrement aux alentours de Quimper. De fait, si l'allure morne, sale et faussement moderne du bâtiment ne suffisait pas à le rendre sinistre, le mauvais temps achevait le tableau.
Aurélien monta donc dans ses locaux. Le bourdonnement des machines et l'odeur artificielle si caractéristique de son lieu de travail l'enveloppaient et lui donnaient envie de vomir. Le lino était collant. L'ambiance était grise. Il y avait deux ordinateurs, toujours en veille. Le sien, et celui de son supérieur et collègue. Ce dernier avait sûrement encore une fois prétexté être malade, et n'était donc pas venu. Ainsi commençait sa journée, et se déroulait-elle, assis devant un écran de résolution médiocre, travaillant sur des affiches publicitaires bariolées, exhibant le nom de l'entreprise en gros et en contraste avec son environnement de travail.
Les heures passaient ainsi. De longues heures, et Aurélien travaillait dans cette ambiance stérile et morne. Maintenant, il pleuvait dehors. À chaque fois qu'il tournait la tête vers l'horloge posée sur son bureau, il se souvenait que cette dernière ne fonctionnait plus, puis regardait l'heure sur son ordinateur. Chaque minute qui passait, les secondes lui semblaient plus longues. Mais, dès qu'il pensait en avoir eu assez de ce boulot, il se tournait vers la caméra de surveillance qui, elle, fonctionnait certainement. Alors il se concentrait à nouveau sur son écran. La lumière artificielle lui brûlait les yeux, le grondement des machines lui perçaient le crâne. Mais quand on s'appelle Aurélien, on ne peut pas se laisser aller au risque de perdre son travail. Il regarda son œuvre avec un regard vitreux. Il fallait décaler un filtre ici, affiner ces lignes là, rajouter de la profondeur entre ces deux espaces. Trouver un slogan adéquat. « Bérénice, le savon tout lisse ». C'est le slogan le plus intelligent qu'il ait trouvé, après deux semaines de réflexion.
Son bureau était assez propre, à cela près qu'il était collant et couvert de poussière. Au moins il n'était pas dans un désordre monstre comme celui de son collègue. Ce cher Titus. C'est un nom nul, en plus. Lui avait toujours eu de la chance, dans l'entreprise. À croire que c'était le fils du patron, ou quelque chose. Aurélien aurait volontiers nettoyé l'endroit, mais il n'en avait pas le temps. Il devait travailler sur son projet. Des mouches volaient autours de sa tête, maintenant. Leur bourdonnement s'ajoutait à celui des machines. « Bérénice, le savon tout lisse ». Ce même savon qui se trouvait dans les toilettes des locaux. « Bérénice, le savon tout lisse ». Ce même savon qui lui avaient été donnés un jour un tant que paiement pour ses heures supplémentaires. Depuis, même chez lui, cette odeur de pétrole ne le quittait plus. Il se tourna vers l'horloge de son ordinateur. Dix minutes avaient passées depuis qu'il avait jeté un coup d’œil à ces chiffres blancs.
Puis c'était la même routine, à dix minutes d'intervalle. Tout le temps. Tous les jours. Les mêmes gestes, les mêmes réflexions, les mêmes idées noires, le même environnement insalubre. Les mêmes yeux qui se creusaient de plus en plus. « Bérénice sent bon, sent bon, bon le savon ». « Avec Bérénice, vous êtes la plus chic de toutes les miss ». « Bérénice, le savon bio et bon, des pauvres et des riches ». Celui-là ne rimait même pas. Aurélien ne fermait pas l’œil de la nuit. Dans sa tête tournaient et se retournaient ces images colorées, ces blocs de savon vendus à perte, cette mousse brune et malodorante qui sentait si fort.
Le jour suivant, Aurélien ne vint pas au travail. Il avait été viré.
La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide.
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"Bérénice, pour un cul tout lisse"
Voilà, c'était pas compliqué.
Si j'étais un savon
J'sentirais drôlement bon
Je m'glisserais partout
Je sauterais comme un toutou
J'maigrirais à vue d'oeil
Je serais mince comme une feuille
Et je laverai mon père, ma mère, mes frères et mes soeurs
Woh oh
Ce serait le bonheur !
un texte subtilement merdique.
Bordel, on a reçu un message du CNC qui tient absolument que ce texte soit adapté en film intimiste français. Grosse possibilité de financement.
Si il ne faut que ça pour financer l'hébergement de la zone pour quelques années de plus, je suis chaud pour voir Aurélien arriver sur grand écran.
C'est plutôt cool, Titus, comme nom, moipersonnellementjetrouve. Surtout pour un chien.