Il entra sur scène, habillé de sa chaquetilla dorée et son chaleco, et tout son costume scintillait sous la lumière crue des projecteurs. D'abord épars, les applaudissements se muèrent rapidement en acclamations fièvreuses.
Il attendit que le silence se fasse puis salua la foule d'une large courbette, mais, avant de se redresser, fixa son regard sur un point précis dans le public : le décolleté particulièrement désarmant d'une jeune spectactrice. Il resta penché ainsi un moment, obnubilé par cette chair affriolante, et déjà quelques rires fusèrent dans l'assemblée.
- Elle est à vous ? demanda-t-il au voisin direct de la jeune fille.
La silhouette concernée opina du chef, hilare.
- Et vous l'emmenez partout avec vous ? enchaîna-t-il, stupéfait.
Pour toute réponse, le mari présumé se mit à se marrer franchement, à l'instar de la foule. La fille, elle, se cacha la moitié du visage dans les mains pour rire à loisir, conséquence d'un probable manque de confiance envers ses incisives.
- Si j'en avais une comme ça, je peux vous dire qu'elle sortirait pas de la maison. Ah, ça ! Pendant vingt-ans, je la garde attachée au lit, les bras en croix. Passé quarante, je la boucle à la cuisine.
Les spectateurs se gondolèrent sur leur sièges, et El Matador envoya un baiser volant à la fille à forte poitrine avant de se mettre à arpenter d'un bout à l'autre la scène d'une démarche assurée, presque militaire.
- Vous savez, la mienne, de femme, lança-t-il en se retournant brutalement, elle n'a jamais quitté le salon. Pas que je l'en empêche, oh non. Au contraire. Ça lui ferait pas de mal de faire un peu d'exercice, ne serait-ce que de se baisser pour ramasser le journal à deux pas de la porte d'entrée. Mais figurez-vous qu'elle est agoraphobe, et il prit un air grave, dramatique.
Le silence se fit dans la salle.
-J'ai appris que sa pathologie l'oblige à faire corps avec le canapé et à engloutir d'un air bovin tout ce qui lui semble vaguement comestible.
A ce moment du spectacle, l'on entendit plusieurs sifflements et des commentaires indistincts, parmi les rires et les gloussements. Gustav, imperturbable, continua sur sa lancée :
- Eh oui, ma femme est agoraphobe, et personne ne m'avait prévenu que l'obésité morbide était une conséquence logique de cette pathologie. J'avais pas fait le lien tout de suite, vous comprenez. Un jour je l'ai surprise à tâter le petit ventre du chien comme s'il s'agissait d'un veau dans un concours d'élevage. Elle l'enserrrait fermement entre ses biceps larges comme mes cuisses et j'ai dû ruser pour récupérer la bestiole saine et sauve. Je l'ai substitué à un poulet entier pendant que mon épouse profitait d'une sieste bien méritée après avoir vidé quatre sachets format familial de crackers aromatisés au bacon.
Cette fois, des spectateurs en fond de salle se levèrent de leur fauteuils et se mirent à huer l'humoriste. Ils n'étaient que cinq ou six mais faisaient un tel raffut qu'on n'entendait et ne voyait qu'eux.
L'avocat d'El Matador en personne, Roberto Quiñones, assis au premier rang, jeta un regard par-dessus son épaule pour détailler les fauteurs de troubles.
Ils ressemblaient à de jeunes gens cools et branchés au style androgyne : cheveux teints de couleurs fantaisistes, peaux acnéiques et grasses, maquillage outrageux.
- A bas El Matador ! hurla l'un d'eux d'une voix cassante, brisée par la mue adolescente.
- A BAS EL MATADOR ! Entonnèrent ses comparses à l'unisson.
Il y eut un mouvement dans la foule, comme parcourue d'une vague, car tout le monde se retournait pour observer la bande de gamins.
Gustav se contentait de les fixer depuis la scène, un rictus au coin des lèvres.
- Voilà l'incarnation de la jeunesse d'aujourd'hui, dit-il en esquissant un geste vague dans leur direction.
- Espèce de fachiste ! dit l'un des gosses.
- Homophobe ! fit un autre.
- Grossophobe !
- Misogyne !
- Transphobe !
- RACISTE !
L'humoriste ferma les yeux, prit un air douloureux, puis annonça :
- Mes aïeux se sont battus pour empêcher aux petits merdaillons de nazis de la bienpensance dans votre genre de piétiner la liberté d'expression.
- C'est celui qui dit qui y est ! dit celui à la voix cassée.
Un autre s'avança entre deux couloirs de gradins :
- Vous êtes payés à entretenir et entériner les stéréotypes de genre, vous êtes discriminant envers les minorités racisées et supportez le racisme systémique, vous êtes ouvertement sexiste et machiste, vous soutenez le partriarcat et rien de ce que vous dites n'est DROLE ! A BAS EL MATADOR !
Une rumeur parcourut le public. Les gens débattaient de la situation, et semblaient prendre position :
Pour El Matador
ou
Contre El Matador
Roberto Quiñones, le brillant avocat, se ratatinait lentement sur son fauteuil. Gustav Bueno, quant à lui, s'était assis sur le bord de la scène et semblait attendre une accalmie qui ne venait pas. Il cherchait du regard le producteur du spectacle pour déterminer si le show devait s'arrêter là, mais impossible de le retrouver tant l'agitation était grande. Les gens se levaient, changeaient de place, s'agglutinaient pour débattre mollement, et finalement très vite se mettre d'accord sur une idée commune : à bas El Matador.
Il paraît qu'un agglomérat important d'êtres humains finit toujours par agir comme un seul corps et qu'il possède des caractères nouveaux très différents de celui de chaque individu qui la compose. Face à une situation problématique qui impose un raisonnement collectif, les individus disparaissent pour laisser place à une foule psychologique, un être unique et animé, dont la capacité intellectuelle ne dépasse pas celle d'un enfant de quatre ans.
Cet enfant-là ressemblait à s'y méprendre à une hydre affamée de justice sociale.
Une marée humaine, un agrégat de peaux, de cheveux, d'yeux aux regards furieux rampait vers la scène, comme une étrange et menaçante vague prête à recouvrir le rivage et tout emporter en son reflux.
Gustav Bueno reculait sur les planches tandis que la masse l'encerclait progressivement. Il leva les bras bien haut, en espérant inspirer de la pitié à la foule, mais déjà deux solides gaillards lui attrapèrent les mains et les plaquèrent dans son dos. Ils le forcèrent à se mettre à genoux, puis, le prenant par les cheveux, lui collèrent brutalement le front contre le parquet ciré du théâtre. Des poings et des pieds vinrent le percuter de tous les côtés, et son corps se secouait à chaque bourrasques. Les coups redoublaient, il était à deux doigts de perdre connaissance, quand tout s'arrêta.
Il releva douloureusement le visage et vit le jeune type aux cheveux bleus et à la voix cassée, qui lui dit :
- Le tribunal a statué. Nous avons pris la décision de vous annuler.
A ces mots, plusieurs membres de la foule attrapèrent les bras et les jambes de Gustav et se mirent à tirer de toute leur force décuplée par la rage. D'autres se joignirent à l'effort. L'humoriste fut soulevé à un mètre du sol, les bras en croix, les jambes écartées jusqu'aux limites des articulations du bassin, et ils tiraient encore, toujours plus fort. La foule jubilait. L'épaule gauche, d'abord, se déboita. Puis ils réussirent à lui retourner une cuisse sur son axe, puis à la déloger de sa cavité osseuse. Un bras fut arraché, puis le deuxième. Il ne restait qu'un tronc et des jambes, et certains tentèrent de séparer la tête du corps, en vain. Il n'y avait pas suffisamment de prises possibles. Ils s'acharnèrent encore sur le corps inerte, et réussirent finalement à éclater la boite crânienne à coups de bottes, dans une ambiance de liesse, joviale et festive.
Gustav Bueno avait la détermination d'un torero prêt à en découdre jusqu'à la mort. Il était d'ailleurs toujours vêtu lors de ses apparitions sur scène de cet habit qu'on dit "de lumière" - bien douce expression pour un uniforme de bourreau -, et dans le milieu du one-man-show tout le monde le connaissait sous le nom d'El Matador. Au lieu de ridiculiser à mort les bêtes à cornes, il s'employait à faire mourir de rire son auditoire.
C'est bien simple : il flinguait à tout va, ne craignant rien ni personne, associations antiracistes comme groupuscules féministes, péquin moyen comme premier ministre.
Selon la rumeur, il s'était paré d'un avocat particulièrement redoutable et intégré aux plus hautes instances de la société qui lui garantissait des audiences à huis clos et la victoire systématique sur tous ses opposants. On trouvait, tout au plus, deux lignes dans un journal, de temps en temps, annonçant qu'El Matador avait encore remporté un procés, sans plus de précisions.
Ainsi pouvait-il se permettre de dire tout ce qui lui plaisait, avec le plus grand sérieux (et donc le plus drôle des tons), sans jamais être inquiété de graves représailles.
Gustav Bueno était invincible.
C'est bien simple : il flinguait à tout va, ne craignant rien ni personne, associations antiracistes comme groupuscules féministes, péquin moyen comme premier ministre.
Selon la rumeur, il s'était paré d'un avocat particulièrement redoutable et intégré aux plus hautes instances de la société qui lui garantissait des audiences à huis clos et la victoire systématique sur tous ses opposants. On trouvait, tout au plus, deux lignes dans un journal, de temps en temps, annonçant qu'El Matador avait encore remporté un procés, sans plus de précisions.
Ainsi pouvait-il se permettre de dire tout ce qui lui plaisait, avec le plus grand sérieux (et donc le plus drôle des tons), sans jamais être inquiété de graves représailles.
Gustav Bueno était invincible.
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le matador matamore maté à mort.
Très bon texte.
ça m'a fait un peu penser au texte de Pascal Dandois avec le politiquement correct qui gagne à la fin. On se demande quelle est la position de Clacker au final.
@ Lapinchien : moi je le voyais bien en levrette, avec son gode ceinture sur le front, les oreilles dans une main et la queue dans l'autre, mais c'est vrai que la question méritait d'être posée.
Les zonards sont tous de fichus juillettistes
Il parait qu'ils se sont tous ramenés en Bretagne pour une obscure raison...
Bah oui bien sûr, El matador est et reste, malgré le texte de Clacker, un film porno où les nymphettes se font copieusement enculées, même le correcteur orthographique les veut pas
tu veux dire qu'elles se font "enculées" comme on se fait "bonne sœur" ou tu voulais dire "enculer" ?
Je pense qu'il voulait parler de fées des dents avec des gode-ceintures qui parlent tchèque.
Quelque chose comme ça.
tu veux dire que les gode-ceintures parlent tchèque ?
Non, je voulais dire que les tchèques portent souvent des gode-ceintures. Testé et approuvé.
c'est probablement un geste barrière local
On peut dire que c'est comme une profession de fois la sodomie dans la série Matador donc oui comme elles se font bonnes soeurs on peut dire
tu veux dire que les nymphettes ont plus d'une foi ?
Et puis la sodomie c'est un geste barrière qui évite qu'on se postillonne de face
Me concernant, la raison n'avait rien d'obscure : on m'avait promis d'excellentes galettes. Des complètes, avec supplément de chèvre, d'oeuf, et d'amour.
D'autres, aux centres d'intérêt moins primaires, s'y seront probablement précipités pour le prix modique du café en terrasse (Clacker est donc directement responsable de la brutale hausse du tourisme en Bretagne, et de la désertification de La Zone en période estivale), ou dans l’espoir de se faire sodomiser par quelques malicieux korrigans en Brocéliande (j’ignore toutefois si Clacker est pour quelque chose dans cette affaire (mais ça ne m’étonnerait qu’à moitié)), ou pour parfaire leur culture (à défaut de leur bronzage), et compléter leur collection de cailloux. Le Breton est très fier de ses cailloux, et je vous mets au défi de trouver le moindre site touristique dénué de tout rocher, menhir, dolmen, chapelle, galet, côte déchiquetée, granit (rose ou pas), chaos, staurolite.
https://i.skyrock.net/6456/10966456/pics/930616036.jpg
Personnellement, j’ai ramené une pomme de pin, pour pas faire comme tout le monde ; à noter tout de même qu’elle est magique (comme à peu près tout en Bretagne)
Je n’ai pas ramené de gode en pierre, ce sera pour une prochaine fois.
Et pour rendre hommage à ce fier peuple d’irréductibles, un peu d’histoire : https://youtu.be/lYIo6SKwKec
C'est pas un peu fini avec les gode-ceintures, là ?
Moi je m'en fous, je me suis arrêté au décolleté de la jeune fille.