Pas trop vite, le métal est très froid.

Le 22/05/2020
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par PhScar
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Thèmes / Obscur / Autres
Si vous trouviez la participation de St-Con de PhScar mystérieuse, laissez moi vous dire que vous n'étiez pas au bout de vos surprises. Voici un texte bizarre, exclusivement conçu d'un dialogue entre deux personnages anonymes qui causent paysagisme, autopsie, philosophie et ta maman. Alors oui, c'est pas mal torché, on y sent comme une morale qui plane tout du long, sans comprendre jamais clairement de quoi il s'agit. L'auteur est bien entendu invité à venir s'exprimer sur son immonde progéniture dans les commentaires. J'ai pensé un instant au poème Bluebird de Bukowski, j'y ai trouvé une sorte de connivence, mais mon cerveau n'est plus ce qu'il était.
C'est quoi tous ces tubes sur la gauche, là, près du truc, le brancard ? Comment ça s'appelle ? Là où on étend le patient ?

- La table d'opération. Un brancard ça bouge, ça sert à transporter un corps, vivant ou pas d'ailleurs. Une table c'est fixe. C'est pourtant pas compliqué. Bref. Les tubes servent à évacuer les matières non essentielles, le surplus, tout ce dont on n'aura pas besoin.

- D'accord. Et après on les remet ? On les lui rend au gars, ses matières non essentielles ?

- Mais non. Quand on a extrait la fleur, c'est la fête, on est tellement content qu'on oublie le reste. Je peux te dire que le gars, il va pas réclamer sa viande. Il est bien content qu'on lui ait trouvé de quoi sauver son misérable parcours.

- Je comprends pas. La fleur, c'est tout ce qu'il reste du patient ?

- Bien sûr.

- Donc, pas d'os, pas de muscle, pas d'yeux, pas de visage, pas de cerveau... il est complètement anéanti le patient ? Il ne lui reste rien ! Rien qui permette de penser, de bouger, de parler... c'est ça ?

- Absolument, sauf la fleur justement.

- Alors comment veux-tu qu'il soit content ? Qu'il profite de la chose ? Ou qu'il émette quelque réserve quant au résultat de la procédure, qui l'a privé irrémédiablement des divers outils qui lui auraient permis d'exprimer ladite réserve, comme sa langue, ou le majeur de sa main droite ?

- Tu chipotes. Tu passes à côté de l'essentiel. Le patient... et merde tu me fais dire des conneries. C'est pas un patient, arrête de dire ça, c'est un sujet. Un sale type. Une ordure. Un criminel la plupart du temps. Bref, le sujet... n'existe plus que dans la fleur. Sa conscience est sublimée, essentialisée, infiniment concentrée dans la source pure et belle de son inadéquation. Les experts estiment qu'il devient une extase en tant que telle, que sa conscience devient la perception pure de l'immanence de ce qui fut beau en lui, de ce qui fut le centre de son être avant qu'il ne se déploie dans...

- Pitié ! Tu crois ces conneries ? Mais regarde ce qu'ils sont en train de lui faire! Le gars est dépecé, éventré, on lui arrache ses graisses et ses chairs, on lui broie les os, on lui écrase les organes, on rince, on filtre, on cuit, on atomise, le gars est transformé en jus avec pulpe, et voilà, une petite olive bleue qui brille, et tout le monde rigole, c'est la fête, on chante, on danse, on boit un coup, on lève les bras pour remercier le Très Saint, et on passe au suivant. Tout va bien, le mec il n'est plus qu'un délire conceptuel dans une bille d'un demi-centimètre. Personne ne voit rien, hein ? On est d'accord ? Personne ne sait ce qui se passe dans cette petite perle bleue ? Alors on conjecture, on suppose, on pense que, les experts estiment... et toi tu achètes ?

- C'est facile de critiquer quand on n'y connaît rien. Ca fait des années qu'on fait ça, on a traité des milliers de sujets. Les pires, les plus immondes saloperies. Des violeurs d'enfants, des tueurs de vieilles dames, des tortionnaires d'animaux. Eh bien figure-toi qu'à chaque fois on a trouvé. On a trouvé la fleur. Parfois, elle était minuscule. Mais elle était là. Brillante. Magnifique. Et quand elle apparaissait enfin, chacun de nous lisait quelque chose dans sa sublime clarté. Une enfance piétinée. Un père absent. Une mère sadique. Parfois presque rien : une gifle, un mot un peu dur, une intonation légèrement méprisante. Souvent, une compagne qui devient indifférente. Un compagnon qui tombe gravement malade. Les poches vides, la honte, la main tendue, les appels au secours, le rire des passants.

- Attends. Très bien. On a prouvé que ça existe. OK. Et ça sert à quoi ?

- A rien. C'est là. C'est bien de savoir que c'est là, en chacun de nous.

- Ah bon, parce que toi aussi, par exemple, tu l'as ta myrtille ?

- Oui, j'en suis persuadé.

- Et elle explique quoi chez toi ? De quel crime ignoble éclaircit-elle la genèse ? La crédulité peut-être ?

- Très drôle, très malin. C'est simple pourtant. Elle explique tout ce que j'ai pu faire de mal, ou de pas très bien...

- De pas très bien ? Tout ce que tu as pu faire de pas très bien ? C'est ignoble. Mieux vaut avoir une fleur, sinon c'est dur de vivre avec ça.

- Tu fais semblant de ne pas comprendre. Regarde ! Ca y est, ils ont fini, là, regarde, tu vois ?

- Je vois un petit machin bleu qui brille. Et des litres de bouillasse sanguinolente. Magnifique.

- Mais tu ne te rends pas compte, c'est formidable ! Un monstre de plus, dont l'humanité, la terrible humanité est révélée ! N'est-ce pas merveilleux ?

- Oui, oui, génial. Et on fait quoi maintenant ?

- Ah, si tu pouvais voir cela comme je le vois... Enfin, je ne désespère pas de te convaincre. Bon, tu te sens prêt ?

- Oui, j'en ai marre d'attendre pour tout te dire.

- Bien. Alors, tu avances jusqu'à la première marche. Les deux assistants, ceux qui ont un bonnet vert, vont d'abord prendre tes vêtements. Après tu t'allonges sur la table, un conseil : pas trop vite, le métal est très froid. Ensuite c'est l'équipe habillée de blanc qui va s'occuper de toi.

- Eh bien allons-y. Alors... écoute, je te dis bonne continuation, porte-toi bien, tout ça.

- Merci c'est gentil. De même. Ah, au fait, je voudrais quand même te dire...

- Oui ?

- Au sujet de Maman. Je te pardonne.