Des ombres bougent et font des vagues sur le crépis jaune, ces âmes drapées dans des fourrures pourries qui lancent des dances obscènes derrière ton dos. Les poutres craquent de partout, travaillent un bois de cent ans ouvragé par les thermites. La pénombre de mon pénible studio tourbillone dans l'air et me donne le vertige. Ils rient tous en cercle - tu as peur de leur gueules incisives. Je n'ai pas peur, mais si je me lève je ne saurais plus où je me trouve. J'ai déjà fait l'expérience de me faire réveiller en pleine nuit par une envie de pisser, de me lever, et de sentir leurs dents molles suintant l'arsenic, de me trouver dans un tout autre endroit que ma chambre à coucher, avec des morsures plein les membres. Peut-être dans la tour d'un château. Bien sûr, j'étais dans le noir complet, mais en tatonnant, je découvrais que le plâtre que je m'attendais à toucher était en fait du granit et des poutres en bois, et il y avait des piliers de pierres en plein milieu de la pièce ; il y avait un lit à baldaquin recouvert d'une haleine maladive. Aux murs, je sentais des toiles de tableaux à l'huile, et tout empestait l'humidité et la moisissure. Finalement, incapable de trouver une porte de sortie, je me recouchais dans ce lit qui m'était inconnu - au matelas épais et mou, surmonté d'un empilement de lourdes couvertures mitées - et je finissais par m'endormir, au bout de plusieurs heures où se mêlaient en moi incompréhension et crainte, plié comme un veau pour le boucher. Alors, j'hésite toujours longuement avant de sortir de mon lit au milieu de la nuit, même quand je peux encore distinguer mes meubles quotidiens à la lumière de la lune. J'hésite surtout quand j'entends l'animal qui vit dans les murs, celui qui humecte avec bruit ses deux bouches à lécher. Mais l'ameublement, les objets usuels et les accessoires de la vie ne sont pas aussi consistants qu'on le dit, et il m'arrive parfois de les traverser par inadvertance, en plein jour, quand je ne me concentre pas assez sur ce que je suis en train de faire. Il m'est arrivé de tomber dans des trous de gibier et d'en ressortir comme castré, à chaque fois dépossédé d'un nouveau morceau de mon âme.
Il fait jour maintenant, je laisse mes invités dans la chambre à coucher, et évite soigneusement la salle de bain où je sais qu'un chien m'attend. Un rotweiller noir qui vit dans la baignoire. Il est chez lui, et il me le fait savoir tous les matins en sautant contre la porte si je tente de me laver. En fait, la seule fois où j'ai ouvert la porte en sa présence, j'ai juste eu le temps de croiser ses yeux comme des éclats d'émeraudes. Ils étaient beaux, et puis il a tenté de me sauter à la gorge. Alors je ne me lave plus, sinon à l'évier de la cuisine. Mais l'eau est trop froide ce matin, elle me brûle la bouche et je ne sens plus mes dents, et il y a quelqu'un derrière toi. Le ciel n'est pas comme d'habitude, non plus. Le mal y rampe comme un orage annoncé.
Il y avait un matin où le monde avait prévu de s'arrêter. Il régnait un brouillard semblable à ce matin, et des formes se découpaient dans les volutes. J'observais depuis ma fenêtre, au-dessus de l'évier, comme ce matin d'aube. Les formes dansaient en spirale, jetaient des ombres tordues, de plus en plus vite, se striaient de rouge et contrairement à tous les aveugles dont les yeux sont fermés, je sentais très clairement que la flèche du temps s'était inversée. Je pouvais constater que mon sang suintait de mon corps, trempais mon maillot et goûtait de mes doigts, et mon cerveau, compressé dans ma boite cranienne, cherchait à s'échapper par mes orbites pour de là s'étendre jusqu'au plafond. C'était un matin comme chaque matin, comme tous les matins du monde - c'était ce matin.
Et désormais les murs sont recouverts d'enchevêtrements d'abeilles, elles forment une moquette organique, grouillent et donnent l'impression d'un corps palpitant, se gonflent comme des poumons informes, et oeuvrent à la déconstruction du monde. Le téléphone va sonner, une voix semblable à celle de Dieu me priera de rester calme. Et il y aura des meurtres annoncés, visibles partout sur la terre, des tortures encore nouvelles et ingénieuses seront perpétrées à la vue de tous, et les prières candides dédiées à Sa répugnante nature, celle qui Lui sourd des yeux, celle dont tout le monde prendra enfin conscience - ces prières ne prendront plus. Elles se perdront dans le noir spatial, dans le coeur magmatique d'étoiles à l'agonie, et finalement dans le vide le plus pur. L'atome-même se scindera, entrera en fusion, libérera une énergie encore jamais mesurée, dépassant l'entendement et nos lois physiques édifiées sur des chateaux de sables. Mais nous en serons témoins, nous serons les dernières mémoires à observer le retournement de toute chose à l'intérieur d'elle-même, et nous chanterons :
Au deuxième jour de Février
C'que je donnerai à ma mie
Sera
Un foie de sanglier
Que j'donnerai à ma mie
Au deuxième jour de Février
C'que je donnerai à ma mie
Sera
deux predrix exsangues
Et un foie de sanglier
Que j'donnerai à ma mie
Au deuxième jour de Février
C'que je donnerai à ma mie
Sera
Trois carcasses de chiens
Deux predrix exsangues
Et un foie de sanglier
Que j'donnerai à ma mie
Au deuxième jour de Février
C'que je donnerai à ma mie
Sera
Quatre veaux séchés
Trois carcasses de chiens
Deux predrix exsangues
Et un foie de sanglier
Que j'donnerai à ma mie
Au deuxième jour de Février
C'que je donnerai à ma mie
Sera
Cinq sabots de boucs
Quatre veaux séchés
Trois carcasses de chiens
Deux predrix exsangues
Et un foie de sanglier
Que j'donnerai à ma mie
Au deuxième jour de Février
C'que je donnerai à ma mie
Sera
Six serpents vidés
Cinq sabots de boucs
Quatre veaux séchés
Trois carcasses de chiens
Deux predrix exsangues
Et un foie de sanglier
Que j'donnerai à ma mie
Au deuxième jour de Février
C'que je donnerai à ma mie
Sera
Sept museaux de porcs
Six serpents vidés
Cinq sabots de boucs
Quatre veaux séchés
Trois carcasses de chiens
Deux predrix exsangues
Et un foie de sanglier
Que j'donnerai à ma mie
LA ZONE -
/ Dossiers / 02/02/2020
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Au deuxième jour de Février
C'que je donnerai à ma mie
Sera
Huit prostates de capybara
Sept museaux de porcs
Six serpents vidés
Cinq sabots de boucs
Quatre veaux séchés
Trois carcasses de chiens
Deux predrix exsangues
Et un foie de sanglier
Que j'donnerai à ma mie
Bien réussi, en effet. Excellente mise en place d'ambiance. C'est clairement le texte qui s'en tire le mieux à l'arrivée, dans cette initiative pas très réfléchie. Je ne sais pas si le texte a été conçu pour elle, d'ailleurs, on peut se demander si la deuxième partie n'a pas été rajoutée à cette fin.
Maladiets, douratchok.
C'est du recyclage de texte, mais je l'ai fondamentalement changé pour coller au thème, et pas seulement la deuxième partie.
Cette initiative me semblait tellement importante. D'après les spécialistes (des experts reconnus partout sur BFMtv) de la culture mongole, symboliquement, le téton de yak est aussi important que le sabot de bouc dans notre culture.
"S'il ne nourrit pas, il provoque des oedèmes". D'après Frédérique Malgache, un expert en la matière. Je te conseille son ouvrage le plus connu pourvu d'une documentation ciselée et de références impressionnantes : "Quand on regarde sans à priori dans l'étroitesse du trou du cul d'un yak sauvage."
Au deuxième jour de Février
C'que je donnerai à ma mie
Sera
Neuf gencives de pangolins
Huit prostates de capybara
Sept museaux de porcs
Six serpents vidés
Cinq sabots de boucs
Quatre veaux séchés
Trois carcasses de chiens
Deux predrix exsangues
Et un foie de sanglier
Que j'donnerai à ma mie
La lecture du texte, qui est très bien écrit c'est vrai, m'a donné l'idée (sataniste) de mettre du Marilyn Manson à fond en plein confinement, les vieux apprécieront.
https://www.youtube.com/watch?v=QUvVdTlA23w