Bon en vérité je délirais complètement, mon cerveau fonctionnait sur un trip purement éthylique avec ce que ça compte de comportements excentriques, de cinéma dans la tête et de déshinibition. Aujourd'hui je suis certain que toutes ces femmes cherchaient simplement à profiter d'un fond de jeunesse coincé entre les cils en sirotant des cocktails plus colorés que leur quotidien sur fond de musique exotique, et pas du tout se farcir un ivrogne qui sortait de nulle part. Mais pour l'instant, là, j'étais à bloc, et dans ma saoulerie j'avais repéré une fausse blonde pas trop décrépite, toute seule avec un air de désespoir langoureux et digne, qui faisait tourner son verre entre ses doigts à peine ridés. Je l'observais en coin depuis vingt bonnes minutes, et constatant que personne venait, qu'elle était parfaitement seule et abandonnée, j'me suis dit que c'était la bonne. Le plan c'était d'attendre encore un peu, voir si elle comptait reprendre un verre, ce qui signifiait, selon ma logique d'alors, qu'elle avait vraiment rien de mieux à foutre et qu'elle accepterait probablement ma compagnie et mon charme irrésistible.
Alors je passais le temps à regarder tomber la pluie au dehors, en sirotant de l'ambrée. La condensation sur les carreaux était fascinante à mes yeux vitreux, je me sentais totalement pris dans le flot de la nuit, du risque et de l'imprévu.
J'avais des couilles ! Au moins deux grammes.
Je sentais bien l'air suspicieux et pesant de la tenancière qui s'apprêtait sans doute à me dire de mettre les bouts à mon premier signe d'agitation. Ou peut-être que j'étais vaguement parano. La fausse blonde m'a sorti de ma torpeur lorsqu'elle a commandé du vin avec des yeux tristes. J'me suis dit : c'est le moment. J'me suis levé avec mon verre et j'ai approché. J'lui ai fait un sourire sous la barbe, elle m'a regardé patiemment. J'ai dit :
- Vous êtes très belle.
J'avais la voix agravée par l'alcool et les clopes et je pensais que c'était sexy. Sauf qu'au moment de dire ça un vieux mec en pardessus s'est ramené vers nous et a claqué la bise à la blonde. Elle a eu le temps de me dire merci, un peu décontenancée, mais je crois que ça l'a touchée. Oui, elle avait l'air surprise qu'un gamin puisse la trouver désirable. Moi évidemment je me suis tiré. J'avais honte et il fallait que je pisse. J'me suis retrouvé sous la pluie, et c'était la douche froide. J'ai su que j'étais pas un gigolo finalement, que j'aurais même jamais le courage d'en être un. J'ai su que tout ce qui me motivait à avancer c'était la prochaine cuite, qui viendrait de toutes façons, et un désir très puissant de reconnaissance, ou d'amour, voyez-ça comme vous voulez, qui reviendrait toujours lui aussi mais ne se comblerait probablement jamais. J'en étais là, à nager dans le pathos le plus épais tandis que mes pas me guidaient vers un autre bar que je connaissais bien, style irlandais avec de la guiness et toutes ces merdes. J'me suis assis au comptoir, trempé jusqu'aux os, sûr que je puais le chien des rues, j'en avais l'allure, et j'ai commandé de la bière, encore. Le barman a hésité un instant, jaugeant mon état, puis il a haussé les épaules et m'a servi mon poison. On était en plein mélodrame.
A un moment un type est entré, une espèce de vieille pédale un peu ivre. Il a fait le tour de la pièce en essayant de payer des verres à tous les étudiants qu'il pouvait trouver, mais visiblement personne voulait de lui. Forcément, il est venu s'asseoir juste à côté de moi. Et forcément, il a commencé à ouvrir sa gueule. Il déblatérait au sujet de mes cheveux, ou un truc comme ça, et tenait absolument à m'offrir du vin. J'ai accepté, et je me suis dit que c'était bien ça que devaient ressentir les nanas à qui on paye des coups dans l'optique de les sauter. Et je comptais faire tout comme elles : me tirer avant que cette tapette commence à se montrer trop entreprenante.
J'ai bien dû m'enfiler trois ou quatre verre de pinard à son compte avant de prétexter vouloir sortir fumer une clope. Evidemment il m'a suivi, trop content d'avoir ferré le poisson. Il continuait à me tenir la jambe et tentait même de me toucher l'air de rien. Sauf qu'il était en train de mouliner un brochet de sale humeur. Plein comme j'étais, j'suis vite devenu méchant, et je lui ai craché quelques insultes. Ca l'a pas découragé, maintenant il se répandait en excuses et se montrait encore plus collant, soucieux de savoir où j'allais passer la nuit. Y avait dans ses yeux un mélange de pitié et d'avidité sexuelle parfaitement répugnant. Il s'est un peu trop approché, alors je l'ai bousculé d'un coup sec, et il a pas tout compris. Il s'est relevé, et ce con a encore trouvé le moyen de poser sa paluche sur mon épaule comme pour me calmer. J'lui ai gueulé que j'allais le planter au couteau. Là il a saisit, et son visage s'est refermé d'un coup. Sans doute pour toujours. Le barman avait entendu le grabuge, il est sorti et m'a dit de foutre le camp.
Je marchais sous les porches, complètement fait, et je baragouinais à voix haute que tous les rapports sociaux se résument à de la prostitution, d'une manière ou d'une autre. Je crois que c'était ça, ouais. Mais y avait plus personne dans la rue. Je me suis découragé moi aussi, j'ai assumé mon rôle de pute et j'ai appelé une amie pour loger chez elle.
LA ZONE -
Dans ce rade de quarantenaires bien sonnés j'me faisais l'effet d'un gigolo, et le vague concert de bossa nova en fond de cale n'arrangeait rien à l'affaire. Un jeune type hirsute qui entre tout seul dans un bar rempli de femme mûres pour la confiture, ça pose des questions. L'une des réponses c'est que j'étais encore bourré depuis vingt-quatre heures et j'avais aucune foutue idée d'où poser mon sac à vin pour la nuit. C'était dans la ville maudite, toujours. Alors j'y ai cru, j'ai commandé une pinte et j'ai commencé à reluquer les cageots en me sentant parfaitement naturel dans le rôle : oeillades insistantes, rictus interrogatifs et soupirs de baroudeur mystérieux. J'étais devenu un produit marchand, j'capitalisais mon sex-appeal et j'étais persuadé de finir dans les beaux draps d'une méchante veuve délurée avant la fermeture.
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ça sent le vécu.
On aurait pu le publier dans le dossier #balancetonporc, celui-ci.
Je ne sais pas trop quoi en penser. L'histoire n'a d'autre intérêt que par le phénomène d'immersion qu'elle met en oeuvre - et remarquablement, de fait, puisque le style fonctionne, si l'on excepte quelques effets un peu faciles (les élisions notamment ou certaines expressions orales comme "mettre les bouts") mais c'est des effets que j'utilise également dans certains de mes textes. Je sais donc combien il peut s'avérer ardu de les doser. Au fond, ce qui me gène le plus, je pense, c'est l'absence totale d'empathie que suscite le personnage-narrateur, pas franchement drôle et pas franchement méchant non plus.
Oui, celui-ci est assez pauvre en terme de fond. Comme la vie en général.
Ben moi, je l'ai trouvé plutôt marrant dans le genre désabusé. Pouce vert.
De retour sur La Zone, je viens de me fader les dix derniers textes publiés et j'ai bien failli, de dépit, m'en retourner dans mes limbes.
Merci donc à Clacker pour ce texte qui ne va nulle part mais avec un certain style, et un entrain certes éthylique et hasardeux mais distrayant.