Vois : je laisse la porte ouverte, je t’ai tourné le dos et je franchis le seuil. Je sens tes yeux cloués quelque part, là, sur ma nuque. Je les sens qui s’agrippent. Je ne m’en vais pas puisque tu me suis déjà. En descendant les marches, dans la cage d’escalier, j’entends les talons de tes bottes cogner le parquet. Ca résonne comme une mélodie de Varèse à mes oreilles d’assoiffé. Car tu me suis, je le sais, tu me suis et je sais : promesses de mille caresses qui, tôt ou tard, me surprendront. Sous un porche, dans le noir, dans une cabine d’essayage, dans un ciné, sous un pont.
Je sais qu’une fois dans la rue, tu ne me lâcheras plus des yeux, mais tu me laisseras de l’avance, et se glisseront entre nous ombres, badauds et passants. Nous marcherons, chacun seul mais ensemble, du même pas, à peine éloignés l’un de l’autre. Je sais qu’une fois dehors, passé quelques trottoirs, j’aurais le dard enflammé et le pantalon érigé au niveau du bas-ventre. Je visualiserai ton corps, tes jambes suaves et longues, et leur gaine de résille - en bon fétichiste. Je t’imaginerai surgir de sous un banc, d’une voiture, de je ne sais quel stratagème ourdi pour me séduire. Mais séduit, je le suis déjà. Il te suffit d’un mot, d’un souffle, d’un murmure, et moi j’explose dans mon calbut, je crache, je jute, je... Nirvana !
Je suis inquiet. D’habitude, tu ne traînes pas autant. Tu aimes attiser mon désir, tout en excitant le tien, mais je commence à éprouver les plus grandes difficultés à penser. Je ne suis plus que sensations exquises, effleurements délicats... Cette fine brise, sur ma peau transpirante, joue les aphrodisiaques. A chacun de mes pas, la toile de mon jean's me malaxe délicieusement le gland. Mes couilles écrasées ne me font guère souffrir. Je pense à toi, mon ange, je te vois en extase, je t’imagine jouir. Gorge tendue et jambes au ciel, le corps vrillé, verrouillé. Saccades, soubresauts, et ta chair qui s’expose et s’ouvre. Je te vois, je te sens, je te touche. Je n’en peux plus, je suis à bout, je brûle d’une passion inassouvie. Si tu étais là, ma pute, je te casserais le cul !
Je me retourne. J’ai craqué. J’ai brisé une de nos règles mais il est vrai que je ne joue plus. Je te cherche. Je balaye la foule de mon regard fiévreux dans l’espoir d’apercevoir ta chevelure animale et ta robe hypothétique. Des chevelures, j’en vois plein, des robes, tout autant, et si toi tu n’es pas là, je me rends compte que, merde, cette salope en skaï me semble bien bonne. Aussi bonne que sa copine à jupette écossaise. Il serait temps que tu surgisses, mon ange. Je ne crois pas pouvoir tenir encore longtemps. Tout m’excite et tout me surexcite. Le moindre signe de vie alentour me transporte au-delà. C’est comme si j’avais envie de tout baiser, comme si je pouvais, d’un coup, prendre chaque personne présente en deux temps, trois mouvements, tous ensemble et simultanément.
Une des salopes court-vêtues a laissé tomber sa paire de lunettes noires. Je me précipite et ramasse, je fais mine de les essayer, j’arrive à les faire rire. Mon désir exacerbe mes talents de courtisan. Bientôt, je le sais, elles s’agenouilleront, avides, et libèreront mon glaive de son douteux fourreau.
Elles résistent pourtant. Ces putains osent me résister en ce moment où, justement, j’aurais tant besoin de leur défoncer le premier orifice qu’elles voudraient bien me prêter. Je me fais pressant, j’insiste. Heureusement, je les charme. Elles semblent hésiter. Je souris, carnassier, lorsqu’elles me proposent de prendre un verre. J’arrive à masquer ma colère. Elles ne voient donc rien ?
Soulagez-moi, par pitié, prenez-moi tout de suite, illico, sur-le-champ ! Mélangeons-nous sans prévenir, sur ce trottoir jonché de merdes. Pourquoi causer ? De toute façon, je mentirai. Je m'inventerai un nom de prince oriental, de glorieux rastaquouère, je pincerai vos gambettes sous la table, je me collerai à vous, me frotterai sans vergogne... J’ai dans la poche des menottes et un rouleau de chatterton. Je sens qu’on va s’amuser, tous les trois. Bien entendu, je vous suis. Je serais fou de marcher ailleurs que derrière vous. Je mate vos petits culs, je les lorgne, les dévore du regard. Mes yeux se soudent à vos jambes, et moi, je me rapproche. Plus ou moins consciemment. Vingt centimètres de plus et nous nagerons ensemble dans vos mignons sous-vêtements.
Dans le bar, je choisis un coin sombre. L’endroit paraît désert. Assises, vous êtes encore plus désirables. Le buste cambré sur vos fesses à l’air - car les jupettes, ça remonte - vos jambes si nues que je pourrais les bouffer, la peau tendue sur vos genoux... Je ne tiens plus. Quelque chose se brise à l’intérieur et je perds le contrôle. J’empoigne la rouquine à jupe écossaise par les cheveux et lui fracasse le nez contre la petite table en formica, pile entre le cendrier et un exemplaire du Figaro oublié par quelque néo-bourge en Armani. L’autre réagit brillamment : elle se couvre la bouche des deux mains - un geste dont la niaiserie d'un autre temps a le don de raffermir mon excitation - et en me fixe de ses yeux bleus, à ce point écarquillés que je pourrais la fourrer par-là, si l’envie m’en prenait. Au lieu de ça, je la chope par le front et lui cogne plusieurs fois l’arrière du crâne contre le crépi, derrière elle.
Je suppose que le serveur n’a rien vu. En tout cas, je m’en fous. Je ne réfléchis plus. Je menotte l’une des filles, scotche les avant-bras de sa copine, et libère enfin Popaul. L’une après l’autre, plusieurs fois de suite, par tous les trous, entre les seins, et si le serveur se pointe, je l’invite à nous rejoindre. Alors, je lime, je fornique, je besogne, je lustre. Dès que l’une des deux putes semble revenir à elle, je lui explose la mâchoire, la menace de la tuer... la routine. Peut-être qu’à force de cogner, j’ai fini par en tuer une, je ne saurais dire. Toujours est-il qu'à mon départ, les deux filles dormaient à poings fermés.
LA ZONE -
Chérie, prends vite ton manteau et saute dans tes deux bas. Enfile donc ta robe noire, nous serons assortis. Je ne promets rien pour la cravate, mais j’aurai noué mon col Mao quelque part entre la gorge et l’œsophage. Cesse donc ces simagrées, ce miroir se fout de toi. Il ne te renvoie qu’un reflet tandis que je t’inonde d’amour. Tu reluis, tes yeux brillent, ta peau me noie de son éclat. Je te suivrai partout, tu le sais, mais cette fois c’est à toi de me suivre.
= ajouter un commentaire =
Les commentaires sont réservés aux utilisateurs connectés.
= commentaires =
Super bien écrit,cet exercice de style. Se mettre dans la peau d'un Weinstein lambda, c'est un peu tous les enculer. sinon j'arrive pas à changer les images dans le backoffice, probablement du vaudou.
Alors oui, c'est bien écrit et ça se lit sans problème. Le contraste entre l'écriture semi poétique et les descriptions brutales des sévices aurait pu être intéressant, si ça sentait pas autant le Coco Mademoiselle. Je ne suis pas dans la tête d'un violeur de rue, mais tout le côté romantico-lyrique me semble peu crédible, même si visiblement le narrateur est un bourge. Mais justement, les bourges n'ont pas besoin de se montrer lyriques, leurs sapes et leurs rolex sont comme des totems qui leur permettent de se comporter comme des gros beaufs à qui tout appartient.
Y a des trucs chouettes hein, notamment dans ce qui est non-dit, hors champ, comme le fait que sa régulière lui fausse compagnie, ou cette courte phrase qui en dit pourtant long "Je suppose que le serveur n'a rien vu."
A côté de ça y a des trucs qui sortent complètement de l'action, comme le "...la routine", juste après le déchaînement de violence. Ca pourrait paraître cru, mais au contraire je trouve que ça minimise la brutalité.
Au début on sent l'obsession véritablement, et à la fin ça vire presque dans le second degré ("je[...] libère enfin Popaul." sérieusement ?), c'est curieux.
Vouais. Mais ça fait quand même plaisir de lire un truc qui entre enfin dans la ligne éditoriale.
si ça me semble crédible, le pervers de ce texte est également un érotomane.
Après avoir consciencieusement checké la page wikipédia traitant de l'érotomanie, OK, je me range à ton avis.
N'empêche que quelque chose me dérange dans l'écriture. Une sorte de lourdeur. Par contre y a quelques trucs sublimes, comme, au hasard : " me fixe de ses yeux bleus, à ce point écarquillés que je pourrais la fourrer par-là, si l’envie m’en prenait." Très cool, ça.
GRAND JEU : toi aussi diagnostique les personnages des textes de la Zone point org