LA ZONE -

La marchande de rêves

Le 08/01/2003
par Amanite
[illustration] C'était une marchande de rêves.
Elle vendait du rêve aux hommes : les meurtris de la vie qui cherchaient un
brin d'espoir, les oubliés de la nuit qui trompaient avec elle leurs
insomnies, les jeunes curieux du monde, les amateurs de sensations ; tous
ceux qui, un jour ou une nuit, avaient envie de traverser le miroir de leur
ennui.
Sur sa porte, il n'y avait pas de plaque. Elle avait un instant imaginé une
de ces belles plaques, noire et brillante, aux lettres dorées qui
indiqueraient : "Alice Delazone - Marchande de rêves"
"Diplômée de la Faculté de s'évader"
Mais cela ne faisait vraiment pas sérieux. Aucun graveur n'aurait accepté de
lui faire cette plaque, car elle ne pouvait justifier d'aucun certificat en
la matière.
Le rêve était une matière si insaisissable, si fragile...
Si vous le laissez vous envahir, vous prendre de la tête au coeur en passant
par le corps tout entier, vous le sentez peu à peu remplacer le sang dans
vos veines. C'est une sensation imperceptible aux non-initiés des voyages en
ce domaine. Mais lorsque vous y regardez de plus près, vous vous rendez
compte que vos membres ont commencé à devenir transparents. Puis, c'est
votre corps entier qui devient translucide, jusqu'à ce que le dernier
bastion de résistance, votre esprit, soit enfin gagné lui aussi. Lorsque
vous commencez à vous apercevoir que le rêve est devenu plus qu'un rêve, il
est déjà trop tard. Plus personne ne peut voir votre apparence physique.
C'est à cet instant précis que le temps présent est suspendu et que s'opère
la traversée du miroir.

Voilà. Vous êtes de l'autre côté, celui où votre réalité s'est évanouie pour
laisser place à cette autre dimension de votre cerveau...

Alice Delazone était très vite devenue experte dans ces traversées au delà
du tain. Depuis sa tendre enfance, elle avait toujours trouvé que les
miroirs ne lui renvoyaient qu'une pâle vision de sa personnalité.
D'ailleurs, lorsqu'elle passait devant son double, elle campait une série de
grimaces hargneuses, jusqu'à ce que son reflet se trouble.

Un jour, toute absorbée à ce jeu, elle ne vit pas tout de suite que son
visage n'apparaissait déjà plus dans la glace. C'est lorsqu'elle voulu
étirer sa bouche avec ses doigts pour renforcer sa terrible grimace, qu'elle
se sentit perdue. Il n'y avait plus de bouche, là, dans le miroir. Il n'y
avait plus ses yeux non plus, ni son nez, et même plus rien du tout de ce
qui constituait l'image de son minois ! Son reflet s'arrêtait à son cou.

Elle approcha sa tête de la paroi lisse du miroir jusqu'à la toucher de son
front. Il n'y avait soudain plus de résistance. Peu à peu sa tête
s'enfonçait dans la matière devenue molle et passait de l'autre côté.
L'arrivée de sa mère stoppa son jeu. Elle se jura d'y revenir. C'était si
étrange... Si cet autre côté du miroir existait bel et bien, c'est qu'elle
devait certainement s'y retrouver, et cette fois, en entier.
Alice s'essaya plusieurs fois à ce jeu des déformations. Au long de sa
croissance, elle avait atteint la faculté de passer complètement de l'autre
côté du miroir et d'en revenir.

Ce qu'elle trouvait de ce côté obscur du tain, c'était l'absence
d'apparence. Elle s'y retrouvait entière, totalement libre, navigant de
rêves en fantasmes, sans avoir à rougir d'elle-même, ni à justifier de ses
actes affranchis.

Vers ses seize ans, elle y amena son premier amant. Mais ce dernier finit
par être si apeuré de tant de liberté et d'authenticité, qu' un jour, à
l'issue d'une de ces expériences, il s'enfuit en traitant Alice de sorcière.
Elle ne le revit plus jamais.
Déçue de n'avoir pu faire partager pleinement ses rêves, Alice s'installa
seule, au coeur de la ville, dans une petite maison où elle avait pris soin
que chaque pièce posséda son miroir.
Chaque jour, chaque soir, elle voyageait ainsi hors du temps, gagnant à
chacun de ses passages de "l'Autre Côté", une expérience des plaisirs de la
chair et de l'exploration de ses fantasmes, qui auraient satisfait plus d'un
homme expérimenté.
Lasse de voyager seule, elle décida un jour de faire commerce de son
activité préférée. C'étaient surtout des hommes, plus ou moins jeunes, qui
venaient frapper à sa porte à la tombée de la nuit. Bientôt, sa renommée
s'étendit à toute la ville et alentours. On l'appelait "la marchande de
rêves". On connaissait loin à la ronde son aptitude à rendre chaque fantasme
des plus chauds en aventure merveilleuse.
Alice nageait dans un monde où elle évoluait dans la plus parfaite
adéquation avec sa profonde personnalité. L'autre côté du miroir l'avait
enfin réunifiée.

Un soir pourtant, un des jeunes hommes de ses habitués ne trouva pas de
réponse aux trois coups frappés à la porte d'Alice. Il parti faire un tour
dans les rues avoisinantes, pour revenir tenter sa chance quelques instants
plus tard. Il revint, frappant encore les trois petits coups habituels, et
là, toujours pas de réponse. Pourtant, la maison d'Alice brillait de
lumière. Il tendit l'oreille, mais pas un seul bruit. Ce silence était tout
de même étrange.
Il pressentait vraiment un fait inhabituel. Il entrepris alors de forcer la
serrure de la porte.

Il entra. Toujours aucun bruit. Les miroirs étaient bizarrement ternis. Pas
de trace d'Alice, ni dans l'entrée, ni dans le salon. Pas de musique non
plus, contrairement à chaque fois qu'il pénétrait dans cet antre magique. Il
continua de parcourir chaque pièce de la maison jusqu'à atteindre la chambre
pourpre, celle qui servait de point de départ aux aventures des miroirs.

Là, figé sur le seuil, il découvrit enfin Alice...
Elle gisait à terre, le coeur transpercé d'un grand éclat de miroir pointu,
baignant dans une flaque de sang immense que les débris de la psyché
fracassée reflétaient à l'infini sur le plancher. Elle était revêtue d'un de
ses corsets de satin noir aux savants laçages, de bas de soie, et portait
ses grandes bottes de cuir qu'elle ne quittait jamais lors de ses voyages.
Visiblement, elle attendait le jeune homme. Ses cheveux étaient défaits et
emmêlés, elle semblait avoir eu le temps de lutter contre son agresseur.
En travers du miroir brisé, la castratrice main criminelle avait écrit le
mot "PUTAIN" en lettres de sang...

= commentaires =

nihil

Pute : 1
void
void    le 08/01/2003 à 01:50:10
J'aime bien la fin parce qu'elle laisse une bonne sensation de malaise, mais j'avoue que je la comprends pas très bien, comment vous l'interprêtez, les djeunz ?
Gwen

Pute : 0
Sujet Gwen pas mail, sujet...    le 08/01/2003 à 03:32:08
tu veux une interprétation à un univers de rêve ? Est-ce que ce n'est pas justement une fin ouverte personnalisable ? Ca faisait longtemps que je n'avais pris plaisir à lire un texte comme celui-là ! A le lire et à lerelire, on y trouve à chaque fois (ça fait 6 pour moi !) de nouvelles "trappes" à explorer...
Lapinchien

tw
Pute : 8
à mort
    le 08/01/2003 à 12:45:06
ben moi je pense qu'elle avait beaucoup fumé qd elle rêvait qu'elle pouvait traverser le miroir... un jour a jeun elle e tenté réellement le coup et a explosé le miroir.. un éclta s'est fiché dans son coeur et elle est tombé comme une pauv fiente par terre... par contre le mot putain en lettre de sang j'arrive pas trop a comprendre...

ben si çà avait été "pitin" on aurait pu accuser Omar Radad mais là je sèche...
Zorg
Putain d'histoire...    le 08/01/2003 à 13:22:59
A priori et au vu des premiers indices, je dirais que c'est encore un coup des Elohims !
Raël a un alibi en béton fourni par ses propres putes...
Daria

Pute : 0
oui    le 10/01/2003 à 11:45:02
Moi j'aime bien
Mais je suis pas sure que j'aurais partagé mon pouvoir avec d'autres : en egoiste, je l'aurais gardé pour moi toute seule et je me serais pas faite assassiner par un mec tordu (un Elohim tu crois ? moi je pense plutot que tu es complètement intoxiqué : arrète le JT ça te fait du mal)
Mill

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Pute : 2
    le 04/02/2007 à 20:00:17
Des super ambiances un peu glauques-zarbies, mais il manque un vrai fil conducteur. Ca me rappelle une nouvelle de HG Wells, évidemment inspirée, elle aussi de Lewis Caroll. Mais Wells était un puritain. Au moins, y a du cul. Ciao bello.

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