Tout avait en fait commencé ainsi : sur l’écran de l’ordinateur, s’était arrêtée l’image surnaturelle d’une femme agenouillée. Je venais juste de me réveiller ; dix minutes auparavant, je rêvais d’une mémoire qui ne m’appartenait pas, oscillant entre des ramifications de communauté alien et des nébuleuses sectaires d’illuminés ; du sang s’infiltrait par-dessous la porte de la chambre et emplissait la pièce où d’autres associations d’idées étaient en attente. Pour en saisir le sens, j’orientais, lorsqu'elle tournait la tête, le faisceau de la lampe sur son corps nu.
Je lui lisais Demande à la poussière, moi-aussi entièrement nu… on avait commencé ce jeu qui en fait n’en était pas un. On avait fait la bringue jusqu’à une heure du matin et le récit singulier de John Fante semblait harcelé de composants chimiques, de gnomes sauvages. Sa lecture était censée nous transformer en plomb.
Quand elle me demandait de répéter un paragraphe, ou juste un mot, j’imaginais pour elle des éléments perturbateurs manquants, des scènes de Kama-Sutra dans le lit de John Fante. Ses yeux alors s'apaisaient.
J’observais minutieusement ses seins et sa peau ; elle jetait des coups d’œil suspicieux à cette bulle en forme de nuage qui s’était formé au-dessus de ma tête. Je lisais doucement, comme pour faire s'éterniser les heures, bercé par des idées gentiment sentimentales.
La lune était extravagante, ses rayons explosaient sur le corps de Constance ; ses seins resplendissaient et se gonflaient comme si des merveilles allaient s'en échapper.
Il y avait aussi, éparpillées sur le parquet de la chambre, quelques coupures de presse qui faisaient allusion à sa folie, à son excentricité. Et, tandis que les enquêteurs s’égaraient dans des détails inutiles au sujet d’un meutre passé, elle roulait ses yeux blancs et vitreux, cette nuit qu’on aimait pour l’amour de la nuit. Elle se matérialisait aussi en goule criarde et malfaisante lors de cette lecture.
La lune tombait juste à travers la vitre de la chambre ; nous savions qu’elle allait se perdre vers la fin du mois de mars du côté d’Haïti où des orgies vaudou se multipliaient à cette heure avancée.
Il y avait encore le contenu presque organique des notes de John Fante et d’autres histoires bien troublantes dans ma voix ; en réalité j’avais du mal à me concentrer sur le texte, ses seins m'accaparaient, mais il fallait poursuivre, continuer à inventer ces scènes délirantes en obéissant à Constance. Sinon elle allait se rhabiller et réanimer ce fantôme de John Fante qui - je le savais trop bien - était d’une humeur exécrable ; je savais aussi qu’il pouvait me sabler comme du champagne et décorer les Portes de l’Enfer avec mes tripes.
Je poursuivais donc la lecture et Constance marmonnait quelques jurons quand j’osais m’arrêter pour reprendre mon souffle. Demande à la poussière était un de ces livres qui commençait par une vue plongeante et sensuelle je-ne-sais-où, un de ces romans qui battaient nos têtes fiévreuses sans jamais l’avoir lu véritablement ; le bouquin pris au hasard dans la grande bibliothèque du salon, j’avais fait semblant de le lire en le détournant pour Constance à ma façon.
Une célébration presque érotique pour cette beauté qui échappait aux canons et qui, pensais-je en la ramenant chez moi, n’allait pas tenir le coup longtemps : un simple courant d’air aurait suffit à la faire disparaitre ou à la condenser en petits nuages oniriques. En fermant soigneusement les fenêtres, je m’interdisais de voir s’approcher l’apparition décapitée de cette bulle de rêve mais nous savions bien que le temps nous manquerait un jour…
J’avais essayé une fois de revenir en arrière, lui lire ce que j’avais déjà lu mais elle se souvenait parfaitement de ces passages, elle me disait timidement de reprendre où on en était.
Je voulais lui dire que la dernière page m'effrayait, que cette lecture en fin de compte n’était pas qu’une sorte de jeu, un puzzle, un genre de mise à l’épreuve ; c’était bien plus que ça.
Après tout, j’avais cette chance folle d’être avec elle ; allongé sur le lit, avec la lune qui nous illuminait, je ne lui disais rien, je continuais de lire.
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Il n’avait ni tête, ni torse, ni membres en dessous des cuisses, le gnome qui était entré dans le système informatique de notre ordinateur et qui avait fait apparaitre malicieusement l’image du postérieur d’une femme agenouillée. En se greffant, un peu comme le disque dur externe d'un hacker, à l’esprit supérieur du Macintosh, il saccageait son architecture spirituelle.
Plongé au grand hasard dans la brume, la cigarette à la bouche, il sécrétait dans son repaire les pensées des survivants qui avaient réussi à lui échapper ; de fantomatiques pensées morbides qui imitaient les messages laissés sur le répondeur de mon téléphone.
En croyant abolir le temps, j’avais conclu jadis un pacte avec ce gnome à la fois geek et magicien occulte. Mais l’espace-temps était aussi détraqué que le cerveau du gnome ; le temps et cette monstrueuse créature aimaient bien chipoter entre eux avec des instruments exosomatiques méchamment calamiteux : des batailles aux sabres lasers répondant aux canons du genre en veux-tu en voilà, des kyrielles de bastons avec des massues tirées des forges d’En Bas ou encore une pléthore de pouvoirs menés par deux Super Saïyen incroyablement costauds.
Entre deux chapitres, je pensais à ces pièces de monnaie napoléonienne qu’on avait dépensé pour prendre le train et retrouver notre chez-nous.
C’était une drôle de monnaie à notre époque : comment était-elle arrivée dans nos poches ? Et pourquoi était-elle acceptée dans ce pays aussi absurde qu'imaginaire ? Mais qui avait pu me refiler enfin pareils deniers ?
Le gnome de cette caverne noire et menaçante que j’avais brûlé vif la nuit de la Saint-Jean ? Ce type qui brossait tranquillement son cheval dans son ranch en pensant secrètement être John Fante lui-même, quand nous étions revenu de bringue ? Ou cette paire de fous qui s’était évadée de l’aile méridionale et capitonnée d’un asile d’aliénés et qui nous avait poursuivis sur la route en side-car ?
Reprenons depuis le début.
C’était une drôle de monnaie à notre époque : comment était-elle arrivée dans nos poches ? Et pourquoi était-elle acceptée dans ce pays aussi absurde qu'imaginaire ? Mais qui avait pu me refiler enfin pareils deniers ?
Le gnome de cette caverne noire et menaçante que j’avais brûlé vif la nuit de la Saint-Jean ? Ce type qui brossait tranquillement son cheval dans son ranch en pensant secrètement être John Fante lui-même, quand nous étions revenu de bringue ? Ou cette paire de fous qui s’était évadée de l’aile méridionale et capitonnée d’un asile d’aliénés et qui nous avait poursuivis sur la route en side-car ?
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et bien si tous ces code monkeys ici https://www.gnome.org/about/ décident de s'attaquer à la Zone, suite à l'illustration, je propose que Lourdes Phalanges soit en première ligne dans les Thermopyles.
comme je ne connais pas trop "Demande à la poussière" de John Fante, je me suis documenté, j'ai lu la page wikipedia dédiée pui maté intégrallement le trailer du film avec Salma Hayek et Colin Farrell. https://www.youtube.com/watch?v=3DMlEtBfprk Me voilà fin prêt pour lire toute le remix burroughsien d'HaiKulysse donc si j'ai bien compris ça va parler de faim, de catholicisme, d'écrivain cherchant la notoriété et de coucheries en vue de promotion sociale. Avec ces quelques billes en poche, je sais déjà que ce qui était semi-biographique pour l'auteur originel, ne le sera pas pour HaiKulysse.
cette première partie est donc toute aussi onirique et ouverte qu'à l’accoutumée, j'imagine qu'on attaque un marathon où la dopamine-récompense doit être remplacée pour le lecteur par le style HaiKulyssien. Pour l'instant ça semble me le faire. On va voir si je vais tenir sur la durée des épisodes à venir.