LA ZONE -

La loi du Talion - La chute du Prince (3)

Le 03/05/2017
par Cuddle
[illustration] Il regardait son père tourner en rond dans la bibliothèque, fulminer contre son oncle qui avait osé se rendre. Dans un accès de rage folle, Azaël balaya d’un geste les cartes et les nombreux feuillets sur le bureau qui s’envolèrent un peu partout dans la pièce. Mikhaël s’approcha doucement et lui toucha l’épaule comme pour le calmer. Ce dernier lui jeta un regard noir et s’effondra dans un fauteuil, à bout de nerfs. Ses cheveux grisonnants encadraient une mine à la fois rongée par le temps et la tristesse, il semblait si vieux, si épuisé…Et pourtant ce n’était que le commencement de la guerre. Mikhaël jeta un œil à la carte de Luveïs et constata avec déchirement que les armées anubéenes avaient déjà conquis une bonne partie de leur territoire. La mort de son oncle, Hesediel, avait d’ores et déjà scellé le sort des anges de sang. En effet, la position de Néphilim à l’Est était stratégique, dirigée vers la capitale commerciale de la sphère et donc plaque tournante des Terres du Silence. Sa chute avait déjà rendu les cités alentours exsangues, désormais, leur peuple mourait à petit feu. Néanmoins, il avait espoir que Samyaza ne tombe pas aux mains ennemies. Il ramassa les cartes au sol et les étala devant son père, pointa du doigt le royaume de Karthel-Ianus, déterminé.
-    Père, il nous faut demander l’appui de la Cité Karthelienne, avec elle, nous avons encore une chance de leur résister.
-    Il n’y a plus rien à faire.
-    Mais père…
-    Assez...Verchiel a la dent dure…et son comploteur de frère doit déjà avoir l’appui du Roi de Seheirah. Nous sommes dans une impasse…
Azaël se rapprocha des fenêtres, pensif, les yeux dans le vague, une pluie battante tombait au-dehors, éclaboussant les vitres violemment. Après un long moment de silence, Mikhaël tenta une autre approche.
-    Peut-être pouvons-nous faire appel à Lucifer…
Le corps d’Azaël se raidit brusquement avant de laisser sa rage exploser.
-    ASSEZ ! J’ai dit assez ! Je ne veux pas entendre parler de lui, tu m’entends ?! Il ne nous sera d’aucune aide ! Ce sale arrogant ! Où était-il quand ta sœur est morte ?! Quand ces charognards l’ont conduite au bûcher ?! Où était-il quand le territoire a été envahi ? Quand Néphilim est tombée ?! Je ne veux jamais plus revoir ton bâtard de frère à Samyaza, tu m’entends ?!
-    Alors demandons au moins l’appui de Karthel-Ianus ! Nous ne pouvons rester sans rien faire !
-    TAIS-TOI ! Que connais-tu de la guerre ? Tu n’es qu’un incapable, un bon à rien ! Tu as toujours été dans les jupes de ta mère à pleurnicher ! Et maintenant tu viens me faire la morale ?! SORS D’ICI !
-    Vous n’êtes qu’un lâche ! Vous conduisez Samyaza à sa perte !
Azaël lui retourna une gifle magistrale et l’empoigna par le col. Il pouvait sentir la colère qui envahissait le corps de son père jusqu’à l’enivrer complètement. Les Anges de Sang étaient régis par des émotions extrêmes qui les condamnaient à être sauvages, cadeau empoisonné de l’Eternel. Après un long moment, il réussit à se maîtriser et le relâcha dans un geste de dédain.
-    Hors de ma vue.
Mikhaël quitta Samyaza le soir même avec l’intime conviction qu’il devait demander secours à la cité voisine. Sa détermination à sauver son peuple était inébranlable car il ne pouvait se résoudre à suivre la décision de son père. Karthel-Ianus était le bastion des anges infidèles, celle de la Révolution engendrée par l’ange Lelahel qui avait révélé le secret de leur création. Ils n’étaient en réalité que de faux anges, façonnés à l’image des hommes, sexués, imparfaits et surtout mortels. Dès l’origine, les territoires avaient été partagés inégalement en faveur des Anges et des Hophélias, les autres races étant considérées comme mineures. Cette révélation n’avait fait qu’embraser la haine de certains rois qui, depuis toujours, se sentaient spoliés par l’Eternel. La guerre avait éclaté un peu partout sur Luveïs. Karthel-Ianus était donc un soutien de choix.
Son voyage dura près de cinq jours, il dormit peu et galopa beaucoup, déterminé à en découdre avec Zasylba, la reine autoritaire de Karthel-Ianus. Elle était vue par ses fidèles comme une divinité car selon les dires de certains, celui qui la vénérait était libéré de la peur de la destruction. Négocier avec elle n’allait pas être aisé.
Alors qu’il touchait bientôt au but, quelque chose l’interpella brusquement. Depuis des lieues il n’avait croisé personne. Les nombreux villages qu’il avait traversé étaient désertiques, dépourvus du moindre de signe de vie, ce qui accru son inquiétude. Une fois aux pieds de la cité, il constata curieusement que les portes de la ville étaient grandes ouvertes. Un silence étrange régnait en ces lieux si bien qu’il pressa le pas de sa monture et serra plus fort la poignée de son épée. Il prit le chemin du temple, érigé sur une acropole, quand une odeur pestilentielle s’infiltra dans ses narines. Son cheval s’arrêta net et se mit à s’agiter nerveusement. L’odeur de mort qui flottait autour de lui le contraint à se couvrir la bouche lorsqu’il aperçut les premiers chariots.
Des nuages de mouches voletaient au-dessus de cadavres désarticulés. Des corps squelettiques avaient été entassés les uns sur les autres à la va-vite, certains gisaient à même le sol dans un état de décomposition avancé. Il constata qu’une multitude de chariots à viande avaient été abandonné un peu partout dans la cité et fut écœuré par ce spectacle macabre. Soudain, une main décharnée se posa sur son épaule. Il se retourna brusquement en poussant un cri de surprise, un vieil homme hideux se tenait devant lui, hagard et le regard vide. L’homme avait un corps difforme, sa peau était grisâtre et ses bras étrangement longs. Complètement désorienté, il s’approchait dangereusement de lui avec de grands gestes. Le vieil homme broncha malencontreusement sur une pierre et dans sa chute s’accrocha à la cape de Mikhaël. Les yeux fous, il se mit à bafouiller des propos incompréhensibles :
-    Les monstres ailés ! Les monstres ailés ! S’écriait-il en tirant sur son manteau.
-    Lâchez-moi pauvre fou !
D’un geste violent il repoussa l’inconnu et dégaina son épée par protection.
-    Que s’est-il passé ici ? Qui êtes-vous ?
Le vieux fou continuait de déblatérer des propos délirants :
-    Ils sont tombés du ciel dans une pluie de sang, ravageant tout sur leur passage et abreuvant la terre de leur colère ! Ils ont purgés la ville et nous ont marqué ! Ils nous ont MARQUÉ !
-    Mais de qui diable parlez-vous donc ?!
-    Les Dominations ! Les serviteurs de l’Eternel ! Ils ont purgés la ville et nous ont marqué ! Punition divine pour avoir osé se rebeller contre le pouvoir de l’Eternel ! La ville est tombée, ils nous ont maudits ! Se sont abreuvés de notre sang ! Ceux qui n’étaient pas casqués avaient des flammes qui leurs sortaient des yeux, des FLAMMES !
-    Reculez ! Ne vous approchez pas de moi !
Il brandit son arme pour le faire reculer. L’homme voulut ajouter un mot mais sa mâchoire se déforma étrangement et se mit à glisser sur son cou. Horrifié, Mikhaël serra de plus belle la poignée de son épée. Le vieil homme se trainait sur le sol à quatre pattes, pleurant des larmes noires qui obscurcissaient plus encore son visage crasseux. À reculons, le jeune seigneur s’éloigna de l’inconnu et se mit à courir en direction de l’acropole. La peur lui glaçait le sang, il n’avait jamais vu pareil spectacle et se demandait quelle malédiction avait bien pu s’abattre sur la ville.

Lorsqu’il arriva au pied de l’acropole, il monta précipitamment les nombreuses marches qui menaient au cœur de la cité. Au terme d’une longue ascension, il put enfin voir le temple de Ianus. Le bâtiment était colossal, encadré de colonnade dorique, il présentait une façade majestueuse faite de marbre et de dorure. Mikhaël s’approcha de l’édifice et constata que les portes étaient ouvertes, symbole bien connu des temps de guerre. Quand il pénétra dans le vestibule, il fut accueilli par des soldats qui s’empressèrent de le désarmer et fut conduit directement à Zasylba où on lui ordonna de s’agenouiller sans ménagement. Vêtue d’une robe pourpre et d’un sceptre en or, la reine, dont le visage était masqué, se redressa du haut de son trône.
-    Qui es-tu, jeune homme, et que viens-tu faire à Karthel-Ianus ?
-    Je suis le fils d’Azaël de Samyaza, le frère du roi Hesediel et je viens demander votre aide.
-    Du roi feu Hesediel de Néphilim…Relève-toi.
Elle révoqua les soldats d’un geste de la main et sembla s’adoucir, il fut soulagé durant un instant mais les mots qui suivirent le firent déchanter aussitôt.
-    Ta demande est louable, fils d’Azaël, mais je ne peux y accéder.
-    Pourquoi ? Dit-il de but en blanc.
-    Regarde autour de toi, jeune homme. La cité est tombée, il y a déjà plusieurs semaines de cela. Nous révolter contre l’Eternel était une erreur et nous l’avons durement payé.
-    Que s’est-il passé ici ?
-    Le fléau nous a consumé par deux fois. Notre rébellion a coupé court. Dès les premiers jours, l’Eternel nous a envoyé son armée « la plus qualifiée », si je puis dire. Les Dominations ont envahi la cité et condamné son peuple à une mort certaine. Prêts à tout pour renverser l’ordre établi, nous avons malgré tout poursuivi notre quête avec acharnement, ralliant les Cités non-angéliques à notre cause. Mais, un autre fléau s’est abattu sur Karthel-Ianus : la peste. Mais par n’importe quelle peste, une peste dévastatrice, incontrôlable, irrationnelle même…Elle n’a jamais quitté la cité depuis…J’ai ouïe dire qu’un homme serait à l’origine de ce terrible malheur, mais j’en doute...
-    Une alliance entre nos deux royaumes n’est-elle donc pas envisageable ? Réfléchissez un instant, nous pouvons nous aider mutuellement. Si vous aidez mon père à repousser l’envahisseur anubéen nous nous engageons à reconstruire votre cité, nous pourrions…
Elle le coupa brusquement avec un air de désolation.
-    Jeune seigneur, vous ne semblez pas comprendre la situation. Votre quête est vouée à l’échec car vous êtes entré dans une cité dont vous ne pouvez sortir.
Interloqué par ces propos, il resta silencieux et regarda autour de lui. Les lieux étaient désertiques, aucun soldats n’entouraient la salle du trône et les portes du temple étaient grandes ouvertes. Zasylba secoua la tête, navrée :
-    Désormais, Khartel-Ianus est sous l’égide de l’Eternel. « Tant que la guerre perdurera, tous ceux qui fouleront le sol de la cité seront prisonnier de la ville ». Vous ne pouvez partir.
Elle retira son masque et dévoila un visage putréfié, rongé par la maladie et la mort. Les yeux révulsés, les chairs à vifs, elle fit claquer sa mâchoire sans peau et lâcha dans un grognement animal :
-    Si vous partez, les Dominations descendront une fois de plus et vous en subirez le courroux !

Sans attendre une minute de plus, il quitta le temple précipitamment et une fois sorti, fut frappé par une pluie diluvienne. Glacé jusqu’aux os, terrorisé par cet endroit maudit, il se mit à déambuler dans la cité à la recherche de son cheval. Au bout de quelques minutes, ne le trouvant toujours pas, Mikhaël prit la décision de partir à pied. Et alors qu’il franchissait le pas hors de l’enceinte de la cité, son cœur rata un battement et ses yeux s’ouvrirent grands comme des soucoupes. Ils étaient là, sur la route, à le regarder avec curiosité. Les Dominations.

Démesurément grands et longilignes, ils tournèrent vers lui leur visage identique. Ils portaient tous un masque d’acier blanc qui laissait apparaître autour de leurs yeux ronds et sans paupières, une peau sombre. Ils s’avancèrent vers lui en glissant sur le sol dans un silence de mort. La pluie avait cessé de tomber et le temps semblait s’être figé. L’un d’eux le pointa du doigt et son corps fut attiré vers les Dominations. La créature se pencha sur lui, dessina un trait vertical sur son front et ouvrit la bouche. La scène était irréelle, suspendu dans les airs comme par enchantement, il sentit petit à petit son corps se vider de son sang. De minuscules bulles rouges flottaient en apesanteur autour de lui formant des rivières pourpres que les Dominations aspiraient. Et alors que ces monstres se nourrissaient de son être, son cœur se mit à ralentir et son teint prit une coloration grisâtre. Tout serait différent désormais, il le savait, son destin était scellé.

= commentaires =

Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 03/05/2017 à 10:37:27
d'ailleurs je me demande si cette histoire d'anges déchus occupant la terre des Hommes n'a pas un rapport avec le conflit israélo-palestinien (sans vouloir jeter de l'huile sur le feu)
Cuddle

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Pute : -3
    le 03/05/2017 à 11:01:07
LOL effectivement tu jettes carrément un sceau d'huile sur le feu ! OU alors, si devais évoquer l'actu, je ne sais pas si j'utiliserais l'arme chimique sur la population anubéenne mais ça pourrait se réfléchir. On serait dans un monde inversé à la "stranger things" ou des cinglés comme Kin Jong Un serait au pouvoir d'un grand empire. Ah merde mais ça c'est la réalité. Quoi qu'il en soit, je préfère me plonger vers le passé et m'en inspirer. Ici ça pue trop la merde.
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 03/05/2017 à 11:08:20
mais c'est pas de leur faute si l'Eternel les a banni, il faut bien qu'ils se posent quelque part. Bon, en fait, les anges ce sont des migrants clandestins et Karthel-Ianus c'est la jungle de Calais ?
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 03/05/2017 à 11:11:59
si je crois bien avoir identifié les deux des Sept invoqués dans l'épisode deux et trois, j'avoue complètement sécher à celui hypothétiquement invoqué dans l'épisode un. Déjà dis moi si je fais fausse route pour m'éviter un anévrisme.
Cuddle

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Pute : -3
    le 03/05/2017 à 13:18:25
Nope aucun invoqué dans le premier chapitre de la Loi du Talion, ça explique plutôt l'origine du conflit entre les deux familles et le pourquoi du comment Lucifer va péter les plombs et partir réveiller les 7.
Clacker

Pute : 4
    le 03/05/2017 à 14:01:48
Et Karthel-Lanus ?

(bon je lirais le texte quand j'aurais décuité. Bisous Cuddle)

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