Carnaval traverse d'un pas vif la place encore endormie de la Fontaine aux Hormones et emprunte la Perspective Lenina Crown jusqu'au Portail Laminoir, l'entrée principale du quartier interlope. Cependant, il bifurque avant le Portail, fait le tour du paté de maison et prend un chemin de traverse. Chacun sait qu'il n'est pas prudent de pénétrer le quartier rouge par la grande porte, même à l'aube. La rue qu'il descend, déjà étroite, se resserre à mesure que l'on approche des bas-fonds, et les bâtiments eux-même changent progressivement d'aspect. Si le centre ville-basse est composé d'immeubles en dur, béton densifié et granit rose, le quartier interlope n'est formé que de taudis en bois fatigué et ferraille oxydée. Les enchevêtrements de poutres, tôles, grillages, vieilles plastiplaques, déchets en tous genres non recyclables s'étendent par couches successives dans une verticalité à donner la nausée, connectant une masure à une autre, une frenêtre à une cave, serpentant par dessus les sentiers embourbés, donnant parfois sur le vide et souvent sur des culs-de-sac. Cette vision ainsi que l'humidité palpable du lieu donnent au corbeau une désagréable impression de suffocation. Il boit une longue rasade de liqueur de prune tout en marchant et, tendu, arpente le chemin du marché.
Sous le dôme de cuir tanné qui surplombe la place serrée, de nombreux étals sont vides, sans propriétaire, et les quelques marchands présents proposent un stock considérablement limité.
L'homme à tête de corbeau s'approche d'un des vendeurs et observe distraitement les quelques pendeloques de chèvres éparpillées sur une serviette en chanvre tressé.
-C'est tout ce que vous avez ? demande-t-il.
-Tout ce que j'ai. Depuis ce foutu accident du pont, on me livre même plus la moitié du matos. C'est que les taxes de passages étaient presque nulles en passant par le pont. Maintenant les sociétés de livraisons font des détours monstres et doivent se plier au bon vouloir des comtés de Slidell et Hammond.
Carnaval hoche la tête, impassible.
-Une idée d'où je peux trouver de quoi me défoncer ?
-Holà, je vends pas ça, moi.
Le marchand désigne néanmoins une ruelle adjacente au marché.
Le corbeau remercie d'un hochement de tête et traverse la place. Il passe devant un étal de charcuterie, juste au coin de la ruelle indiquée, où trônent de gros morceaux noirs de viande de chien et de salamandre. Profitant d'un moment d'inatention du gros boucher à tête de sanglier, il subtilise adroitement l'un des grands hachoirs suspendus aux piquets, le cache dans son imperméable, et s'engouffre dans la venelle. Une odeur acre de fer embaume l'endroit.
Sous un sombre porche, un type tout en cuir de buffle, chauve et malingre, est en train de discuter à voix basse avec un hybride caméléon d'allure tout aussi attristante. Ils semblent négocier quelque chose. Carnaval, mains tremblantes, s'envoie plusieurs gorgées de sa fiole, et prépare mentalement son plan en attendant que la transaction se termine. Une poignée de mains fébrile et l'hybride camé s'en va. Le corbeau s'approche du chauve, qui compte ses billets sans se presser.
-Hé.
Il lève les yeux et toise Carnaval sans rien dire.
-On m'a dit que... tu sais... balbutie l'oiseau, en jetant des regards par dessus son épaule.
-Tu cherches quoi ?
Carnaval inspire un grand coup et se redresse pour se donner bonne contenance.
-J'ai besoin d'infos.
-Ouais ? Je suis pas un cathodique. Tire-toi, le moineau.
Le chauve l'ignore et se remet à compter son argent.
L'image révoltante d'une montagne de cadavres de chiens vient se fixer sur les rétines du corbeau et il sent quelque chose brûler dans son syrinx, il a un besoin irrépressible de croasser. Il dégaine le hachoir de sous son manteau, dans le même temps empoigne brutalement le col du dealer, et vient placer la lame juste au niveau de sa carotide.
Le chauve en lache ses billets. Il n'a le temps de rien dire, mais l'expression de son visage seule exprime la surprise et l'inquiétude.
-Qui tient la passerelle ?! gueule le corbeau.
-Je... j'comprends pas...
-Je vais te saigner comme une salamandre à la con si tu ne réponds pas...
Carnaval, l'écume au bec, augmente la pression de la lame sur la gorge du type, qui se met à gémir.
-Qui. Tient. La passerelle.
-J'ai rien à voir là-dedans..! Mais j'sais qui ! C'est... c'est...
-C'est..?
-Les hommes de Van Dyck. Tout le monde le sait ! J'veux dire, c'est évident, ses usines Propamax sont basées près de la faille de la Nouvelle-Orléan. Le pont faisait le lien direct avec Mandeville. Il... Il avait un arrangement avec le maire... Il payait même pas les taxes de passage rapport à l'investissement de la ville dans les énergies fossiles... Mais c'est pas une compagnie minière qu'il a implanté Van Dyck, ça c'est les conneries des infos ! Il a ses labos, et tout..! dit le chauve, finalement pressé de se mettre à table.
-Où est-ce que je peux le trouver ?
-Van Dyck ? T'es pas clair dans ta tête, toi. De toutes façons j'en sais rien.
Carnaval, les yeux emplis de haine et le cerveau noyé dans la prune macérée, hésite une demie seconde.
-Je crois que personne ne te regrettera, murmure le corbeau entre son bec. Il resserre encore le poing sur le manche du hachoir. Le dealer gémit et tente de se débattre, mais Carnaval le bloque fermement contre le mur. Il prend le temps de bien positionner l'arme et pousse dessus de tout son poids. La lame peu affutée s'enfonce difficilement dans la fine chair, tremble sous la pression et vient buter contre la trachée. Elle est à peine entrée que le sang s'échappe déjà à gros bouillon. Le regard de panique exacerbée que lui lance le chauve encourage Carnaval, qui force comme un dément et broie l'oesophage et le larynx plus qu'il ne les coupe, sur fond de bruits de compression de bouteille en plastique. Il doit s'y reprendre à plusieurs fois, tourne et retourne sur toute la surface du cou. Il en perd ses plumes. Le sang éclate à différents endroits exotiques par giclées pressées et recouvre bientôt complètement la tête du corbeau en proie au délire meurtrier. Ca dure longtemps.
Ils sont plus d'une trentaine, en file indienne, à avancer lentement jusqu'au bureau des admissions, comme le précise une pancarte au néon au-dessus d'un comptoir en bout de salle. L'endroit ressemble plus à un hangar à mégalodons qu'à un quelconque commissariat. Cassandre sent les effets du surrénal s'amenuiser et commence à regretter d'avoir brûlé tant d'énergie en dansant au Filet du Pêcheur. Ses gestes se font plus lents, pleins d'inertie, et son mental lui donne l'impression de se refermer sur lui-même à la manière d'un tatou.
Aucun des séminaux présents ne parle, chacun se contente de marcher en regardant ses pieds. Les agents flexibles qui bordent la file, affublés de masques de dragons asiatiques, restent parfaitement immobiles, anonymes et plantés là comme de simples pylones.
On intime l'ordre à Cassandre, comme à tous ceux passés avant elle, de se déshabiller complètement. On ne lui demande aucune information personnelle : ni nom, ni age, ni rien. Elle s'exécute docilement et pose sur le comptoir sa courte robe de cuir ainsi que sa culotte et ses talons. Les deux séminaux à la suite de la file n'osent même pas jeter un oeil. L'hybride chien en blouse blanche à l'accueil s'occupe de fouiller toutes les poches, de renifler les odeurs, et de noter sur un graphotronc les objets collectés. Il découvre dans une petite cache de la robe une carte sur laquelle est inscrit :
P. Van Dyck
314 159 265 358
L'homme-chien aboie de surprise. Il renifle la carte et aboie de nouveau, puis il pivote sur son fauteuil à roulettes et enfonce la patte dans un commutateur vaginal à proximité. Il aboie sur la machine :
-J'ai là quelque chose qui devrait vous intéresser. C'est important. Je pense que vous devriez vous en occuper personnellement... Je vous transmet l'objet. Ainsi que la propriétaire.
Il retire sa patte, insère la carte dans un transmetteur vaginal, et fait signe à un agent flexible de faire passer Cassandre par une porte spéciale, à l'opposé de celle où les précédents séminaux ont été envoyés.
L'agent prend la fille nue par le bras et tous deux passent par la porte indiquée, puis traversent un long couloir vitré où l'on voit s'activer des dizaines d'hommes et d'hybrides en costume derrière des bureaux ou debout devant des tableaux blancs barbouillés de schémas et de photos en tous genres. Malgré tout ce qu'elle a pu connaître par le passé, Cassandre commence à éprouver de la gêne à se trouver nue dans un environnement si propre et organisé. Ils s'arrêtent face à une porte sur laquelle on peut lire en grosses lettres noires :
SGT. POPPERS
Le masque de dragon frappe brièvement et fait entrer la jeune fille. A l'intérieur, l'hybride morse, le supposé cerveau du coup de filet au Pêcheur. Assis à son grand bureau de bois brut, il s'emploie à annoter des fiches. Il lève un regard franchement étonné sur Cassandre, qui se cache le sexe des deux mains.
-Vous ? demande-t-il d'une voix rendue plus aigue par la surprise.
Cassandre hausse les épaules, confuse. Le morse reprend un air de sévérité professionnelle et enchaîne :
-Hum... Asseyez-vous.
Le masque de dragon sort et ferme la porte derrière lui tandis que la jeune fille prend place sur le siège en aluminium, face au morse. Le contact froid du métal la fait grimacer.
-Je suis le sergent Poppers. C'est un nom de code bien entendu. Je suis l'homme derrière les boutons de commande. Quel est votre nom ?
-Cassandre.
Elle s'exprime d'une petite voix faible et traînante et semble bien en peine de se focaliser sur son interlocuteur.
Malgré tout le mal qu'il se donne pour ne rien montrer de ses émotions, l'extraordinaire sensualité de la jeune fille, ce corps parfaitement formé et douloureusement appétissant, abandonné là, arrachent au morse de brefs regards subjugués.
-Cassandre, bien. Nous avons trouvé dans vos affaires personnelles un numéro de commutateur. Il semblerait que ce numéro permette de joindre l'homme d'affaires Parsifal Van Dyck. Vous confirmez ?
Elle hoche doucement la tête.
-Êtes-vous en relation directe avec cet homme ?
Cassandre croise ses longues jambes bien haut, toujours dans le but de couvrir son sexe, et prend le temps de se frotter le visage des deux mains, puis elle dit :
-Il me baise pour de l'argent et il aime bien m'acheter des trucs...
-Vous arrive-t-il de fixer vous-même les rendez-vous ? Vient-il vous voir quand vous lui demandez ?
-Ca dépend. (Elle soupire et se met à fixer le plafond avec une expression douloureuse). Si je l'appelle pour qu'on se voit c'est généralement lui qui fixe le lieu, la date et l'heure. Mais des fois je suis trop en manque pour sortir de chez moi, alors c'est lui qui vient.
-Comment expliquez-vous qu'un homme de son importance entretienne une liaison qu'on pourrait qualifier de particulière avec une séminale prostituée telle que vous ?
-Qu'est-ce que j'en sais.
Cassandre commence à trembler. A cause du froid ambiant d'une part, mais aussi et surtout par effet de manque. Les bienfaits du surrénal sur son organisme se sont évanouis.
-Laissez-moi vous expliquer un peu la situation, dit le morse, qui s'empare d'un nouveau dossier et l'ouvre - il chausse ses lunettes de lecture en écailles attachées par un cordon autour de son cou épais.
-Je vais vous faire une proposition que vous êtes tout à fait en droit de refuser.
Cassandre penche la tête sur le côté et soupire, peu attentive.
-Vous vous trouvez dans ce qu'on pourrait appeler un Centre de Purification Sociétale. Les autres séminaux qui étaient avec vous dans la salle d'accueil sont en ce moment même en train d'être purifiés de leur addiction.
-Comment ça, purifiés ? demande Cassandre, en se redressant un peu sur sa chaise.
-Eh bien, nous les plaçons dans les bonnes conditions pour en terminer avec le Séminal.
-Une seconde... On ne surmonte pas le manque. On en meurt.
-C'est exact.
Un ange passe dans le bureau.
-Alors vous les laissez mourir ?
-Je vais vous dire quelque chose, Cassandre. Cette substance que vous vous injectez dans les veines, ce n'est pas une drogue comme les autres. Vous savez qu'il s'agit d'ocytocine de nécrovore ? Des créatures fascinantes. Savez-vous comment elles se reproduisent ?
La jeune fille secoue le visage avec appréhension.
-Elles ne s'accouplent pas comme nous. (Il s'autorise un regard véritablement lubrique qui caresse les seins exposés de Cassandre). Premièrement, elle n'ont pas de sexe, mais un membre long et rigide, surmonté d'un dard, qui peut mesurer entre trente et cinquante centimètres de long selon l'individu. Elles chassent un animal, généralement un mammifère de bonne taille. Elles ne se nourrissent que de charognes, par conséquent elles ne l'attaquent pas pour le manger, l'affaiblissent seulement, puis elles enfoncent leur dard directement dans l'estomac de la proie en passant par la bouche. Dans l'estomac, elles libèrent depuis le dard une quantité extrêmement concentrée d'ocytocine qui vient se mélanger aux bactéries intestinales. Ainsi fait, elles se retirent de la proie et repartent chasser. La victime de ce processus se voit rapidement tomber en catalepsie lorsque l'ocytocine fusionne avec ses cellules. D'une certaine manière, on peut dire qu'elle se fait transformer par la substance de ces insectes, et devient, en quelques jours, un jeune nécrovore en pleine santé.
Le sergent Poppers observe avec attention et plaisir manifeste l'effet que provoque son discours sur Cassandre. Son regard glisse sur les seins qui se dressent et retombent au rythme de la respiration de la séminale. Il dispose maintenant de son attention totale. Il poursuit :
-L'ocytocine que vous vous injectez est nettement moins concentrée. La plupart du temps, elle est coupée avec toutes sortes de saletés. Il n'empêche que la conséquence finale reste la même. Plus vous en prenez, plus elle circule dans votre organisme, et lorsque la dose est suffisante, elle finit par vous transformer. Seule la durée diffère. Cette substance étant la plus addictive jamais découverte, à priori nous ne voyions pas moyen d'inverser le processus de métamorphose, sinon en stoppant brutalement la consommation du sujet infecté. Ce qui jusqu'à présent provoquait un décès inévitable. Mais, observation capitale : nous avons remarqué que les femmes mettent en moyenne dix fois plus de temps à passer à la phase physique de la transformation que les hommes. Vos hormones sexuelles, comme vous le savez, fonctionnent par cycles de vingt-huit jours. Production d'oestrogènes dans la première moitié du cycle, puis de progestérone après l'ovulation. Puis chûte de cette dernière et destruction de la dentelle utérine en l'absence de fécondation. On ne sait pas encore bien comment, mais ce processus entre en conflit avec celui de la nécromorphose.
Cassandre, visage défait, observe l'homme-morse avec un regard profondément triste.
-Je ne voulais pas vraiment savoir tout ça... dit-elle plaintivement, les yeux brillants de larmes jaunes.
-Figurez-vous, reprend le sergent Poppers, que nous avons recemment mis au point un traitement qui permet de contrer le développement de l'ocytocine dans l'organisme. Une injection quotidienne d'un dérivé de surrénal couplée à une hormonothérapie réduisent considérablement l'agressivité de la nécromorphose. Suffisamment pour laisser au corps infecté la capacité de combattre et rejeter l'ocytocine. Ce traitement est extrêmement coûteux et très délicat à mettre au point, mais il donne de bons résultats.
L'hybride prend le temps de lire son dossier distraitement, tandis que la jeune fille tremble de tout son long, nue sur sa simple chaise en métal, les yeux jaune troubles fixés sur le vide, visiblement en plein conflit intérieur. Après trente secondes de silence, le morse dit :
-Nous arrivons à la proposition, Cassandre. Vous avez le choix. Vous pouvez rejoindre les autre séminaux et faire face au manque - nous savons tous deux ce que ça signifie -, ou vous pouvez effectuer un petit travail pour notre organisation. Si vous acceptez et si vous réussissez, vous serez admise dans notre unité de soin et nous utiliserons le traitement pour vous sauver. Notez cependant que l'issue positive du traitement n'est pas garantie.
Cassandre, qui se tortille comme un ver et se courbe sur sa chaise en croisant ses bras bien haut pour réduire l'amplitude des tremblements, s'empresse de répondre d'une voix chevrotante :
-D'accord, je ferai ce que vous voudrez.
Impossible, se dit-il.
Assis à sa table de travail, il rejette la tête en arrière et fixe le plafond. Des scolopandres de mauvaise augure s'échappent des larges fissures.
-C'est impossible ! croasse-t-il avec désespoir, et il attrape sa lampe de bureau en verre coloré et la lance de toutes ses forces contre l'armoire, à trois mètres de là. La lampe explose et les éclats multicolores volent dans le séjour, mais ne retombent pas au sol comme on pourrait s'y attendre. Ils flottent et ralentissent doucement dans la pièce, comme s'ils n'étaient plus soumis à la gravité. Carnaval observe le phénomène d'un oeil morne, puis se tourne vers la fenêtre. Au dehors, par-delà les courts immeubles de la ville basse, la nuit vert-absinthe laisse place à une luminosité naissante, teintée de jaune pisse et traversée de brefs et silencieux éclairs violets. Les premières foudres de l'aube provoquent toujours des anomalies gravitationnelles, mais uniquement sur des matériaux particuliers - comme le verre.
Carnaval se masse longuement la nuque, vaseux. Il a passé la nuit entière à repenser de fond en comble le projet de réparation de la passerelle. A remplacer mentalement tous les matériaux, passer en revue les techniques de construction les plus performantes, calculer l'effectif d'ouvriers nécessaires pour finaliser les travaux en deux mois... en vain.
Je dois trouver quelque chose. Si le problème n'a pas de solution, il faut changer le problème, pense-t-il.
Les brisures de verre retombent toutes ensemble à ce moment précis, un bon nombre venant se ficher dans les chairs des nombreux cadavres de chiens qui jonchent toujours le sol. Il se retourne sur sa chaise et regarde ses défunts animaux de compagnie.
Le corbeau se lève d'un bond, traverse le séjour au trot, enfile un imperméable trois-quart gris, prend soin de glisser une fiole d'alcool de prune dans une de ses poches intérieures, puis sort.
Assis à sa table de travail, il rejette la tête en arrière et fixe le plafond. Des scolopandres de mauvaise augure s'échappent des larges fissures.
-C'est impossible ! croasse-t-il avec désespoir, et il attrape sa lampe de bureau en verre coloré et la lance de toutes ses forces contre l'armoire, à trois mètres de là. La lampe explose et les éclats multicolores volent dans le séjour, mais ne retombent pas au sol comme on pourrait s'y attendre. Ils flottent et ralentissent doucement dans la pièce, comme s'ils n'étaient plus soumis à la gravité. Carnaval observe le phénomène d'un oeil morne, puis se tourne vers la fenêtre. Au dehors, par-delà les courts immeubles de la ville basse, la nuit vert-absinthe laisse place à une luminosité naissante, teintée de jaune pisse et traversée de brefs et silencieux éclairs violets. Les premières foudres de l'aube provoquent toujours des anomalies gravitationnelles, mais uniquement sur des matériaux particuliers - comme le verre.
Carnaval se masse longuement la nuque, vaseux. Il a passé la nuit entière à repenser de fond en comble le projet de réparation de la passerelle. A remplacer mentalement tous les matériaux, passer en revue les techniques de construction les plus performantes, calculer l'effectif d'ouvriers nécessaires pour finaliser les travaux en deux mois... en vain.
Je dois trouver quelque chose. Si le problème n'a pas de solution, il faut changer le problème, pense-t-il.
Les brisures de verre retombent toutes ensemble à ce moment précis, un bon nombre venant se ficher dans les chairs des nombreux cadavres de chiens qui jonchent toujours le sol. Il se retourne sur sa chaise et regarde ses défunts animaux de compagnie.
Le corbeau se lève d'un bond, traverse le séjour au trot, enfile un imperméable trois-quart gris, prend soin de glisser une fiole d'alcool de prune dans une de ses poches intérieures, puis sort.
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Le récit onirique s'encre de plus en plus dans la réalité et on apprend par petite touches comment le monde en est venu à se transformer aussi radicalement. c'est assez jouissif de reconstituer le puzzle mental petit à petit. Dommage que la trame glisse vers celle d'un thriller classique et vers l'investigation alors qu'il était si plaisant que cette intrigue soit en dehors des passages cloutés mainstream. Quoi qu'il en soit ça reste surpuissant et on attend la suite pris nous même dans l'addiction narrative qui quoi qu'en pense l'auteur est bien plus puissante que l'addiction de son ocytocine de nécrovore. Puisque le monde commence à s'éclaircir, au delà des différentes intrigues parallèles, celles de l'accident du pont reliant Mandeville à la Nouvelle Orléans, celle des relations entre Carnaval et Cassandre, celle de l'enquête du sergent Poppers, celle du circuit de récolte de la drogue des nécrovore par Van Dyck et des différentes investigations convergentes, il y a surtout de nombreuses questions en suspens sur le world building : d'où viennent les nécrovores ? Pourquoi ont-il une apparence aussi proche de bestioles designées par HG Giger ? Et surtout comment les hybrides sont ils apparus ? Pourquoi côtoient-ils marchandent et forniques avec les humains ? Pourquoi la rarification de la viande, des animaux même semble-t-il ? Pourquoi en est-on venu à devoir consommer du chien ? Pourquoi suis-je obligé de spoiler cet excellentissime texte pour que vous vous y intéressiez ?
Et j'espère aussi que le morse hybride n'a rien a voir avec le Seargent Peppers des Beatles
Clacker demandait s'il était possible de remanier son tout premier texte. C'est faisable ça ?
Clacker n'a qu'à poster sur le forum et on remplacera les originaux car ça contourne d'éventuels problèmes techniques que je ne cernerais pas
Je n'ai pas oublié, mais je me ferai la série d'un coup, comme pour Agarttha de Lourdes.
Dès que je me libérerai.
n'hésite pas à te ronger une patte comme les renards pour te dégager de l'entrave.
Je suis cerné par les allemands.
encore à poil à Lanzarote ?
Le diaporama de références visuelles continue : Kotor, Syberia, des mondes steam-punk, des tableaux de chiens jouant aux cartes, le Cinquième élément, Requiem for a dream.
Le corbeau est enragé maintenant, c'est Bruce Willis, il doit penser "après moi, le déluge". Putain, ça va chier, une vraie diarrhée.
Le morse, c'est Lino Ventura dans "Garde à vue", je pense qu'on sera tous d'accord là dessus.
Mais si.
On devrait avoir la suite la semaine prochaine d'après le rythme de l'auteur.
L'enjeu textuel va crescendo, remarquable performance créatrice.
Bon Clacker on attend la suite, allez au boulot.
Je récupère mes facultés après cette sale grippe éthylique et je vous sers ça sur un plateau d'ivoire.
Il faut que je me refasse ta série d'ailleurs, j'ai l'intime conviction de l'avoir lue mais ma RAM crânienne est endommagée