LA ZONE -

Larmes d'absinthe ou Pervers polymorphes

Le 24/11/2016
par Clacker
[illustration] Elle émerge à demi d'un mur de marbre blanc, comme scupltée à même ce mur, le teint cireux, les yeux luisants et les bras tendus vers un lustre écrasé au sol. Sur ses bras fins, parcourant ses veines violettes, on discerne une lente pulsation qui fait résonner tout le manoir d'un son de cloche régulier. La peau de son visage est tendue comme celle d'un tambour, ses paumettes tranchent l'aether comme des scies circulaires et de ses yeux gouttent des larmes d'absinthe. Un sycophante tout grand et tout courbé vient vérifier ses appels manqués dans la cheminée, il lit les parchemins avec un intérêt tout relatif tandis que la flaque d'absinthe infiltre le plancher et que Cassandre fait sonner douze fois son carillon sanguin. Le sycophante supprime ses messages en allumant une grosse flambée d'amanites, s'approche de la femme nue dans le mur et lui jette son pardessus sur les bras. Il en profite pour l'embrasser langoureusement, puis attrape une tasse à café et la lui colle sous un oeil. Il pince et tire et tourne les tétons de Cassandre et l'absinthe se met à couler à gros bouillons. Il goûte le résultat, émet un soupir d'aise, puis part s'installer dans sa cave tout en lançant :
"-Tu peux y aller, ton truc est sur la commode de l'entrée."
Toute serrée dans sa robe de cuir blanc, Cassandre parcourt les rues pavillonnaires à petits pas maladroits et tient de ses deux mains son sachet de séminal. Elle chantonne un requiem tandis que les multiples paires d'yeux alentours la couvent de regards effarouchés et malveillants. Un enfant vient d'ailleurs lui tâter les mollets, sans doute pour attester de sa présence. Il n'est pas rare que les habitants de la ville haute soient sujets à des hallucinations, et plus généralement à la schizophrénie. Mais dans ce cas précis c'est autre chose puisque le pervers polymorphe se met à prendre la forme d'un sanglier doté d'une monstrueuse érection, puis il change à nouveau de consistance et devient un orang-outan très pressé de se masturber le chibre. Cassandre continue son chemin sans y faire attention, elle a mieux à songer.
En effet, c'est un jour particulièrement heureux à Mandeville : le fameux jour de la Grande Pigmentation.
Ainsi le ciel prend des teintes allant du bleu outremer au bleu roi, en passant par le bleu azur et le bleu pastel, tandis que les bicoques et les masures de la ville basse restent noires et défraichies. Le constraste est saisissant.
Cassandre continue à marcher en cadence et à faire rouler ses formes bord sur bord en manquant de déchirer sa robe et se poste près d'une voie ferrée. A l'approche d'une locomotive en ivoire, elle ébourriffe sa longue chevelure noire aux reflets de jade et laisse échapper un sein de son corsage. L'engin d'émail pile sur plusieurs mètres dans un vacarme assourdissant et, enfin à l'arrêt, ouvre une machoire de mégalodon qui avale bien vite la jeune fille.

Dans une petite bicoque en décomposition où traînent et se vautrent d'innombrables chiens noirs, un jeune homme à tête de corbeau perd ses plumes en tentant de construire un coeur biomécanique avec des résidus de barbaque, des morceaux de tapis et des vis en plastique blanc. A l'aide d'un entonnoir, il fait couler dans un reste d'oesophage de singe soudé à un estomac de porc de grosses quantités d'alcool de prune, et s'en enfile dans le bec de temps en temps. Il jure et tape du pied, son coeur ne tient pas la route. A ses pieds, les chiens se réveillent doucement, les yeux gonflés et cernés, baîllent chacun à leur tour, et commencent à monter les uns sur les autres, se frottent, s'excitent, couinassent et se lancent dans une orgie déconcertante. L'homme à tête de corbeau se lève de son bureau en osier et parcourt la pièce unique en enjambant les bestiaux jusqu'à sa fenêtre, lève les stores d'un coup sec et ses pupilles ainsi que toutes celles des chiens en rut se contractent brusquement. Ces derniers se figent dans un tableau digne d'une petite fête du marquis de Sade, se mettent à couiner et enfouissent leur têtes entre leur pattes.
La vue de ce ciel bleu comme l'enfer donne des nausées à Carnaval - tel est le prénom de l'hybride à face d'oiseau -, la tête lui tourne méchamment et il vomit dans une corbeille en osier, puis s'allume une cigarette et continue à observer la ville basse, lui l'étrange et svelte silouhette égyptienne qui se découpe dans le contre-jour de la fenêtre.
Les festivités de la Grande Pigmentation passent, le ciel bleu roi laisse place à l'arche gris-verdâtre qui surplombe Mandeville comme à l'habitude. Des orages thermoacoustiques éclatent bien vite, et des pluies acides tombent en trombe sur le monde. Carnaval soupire et part feuilleter son carnet d'adresses pendant que les canidés ronflent et gonflent et se dégonflent sur le sol. En tournant une page, il laisse tomber un flyer où l'on peut voir imprimés une bouche charnue affublée de rouge à lèvres noir ainsi qu'un numéro de téléphone.

Le clitoris de Cassandre se met à vibrer. Elle émerge difficilement d'un sommeil séminal, se frotte longuement le visage et finit par se coller un doigt dans le sexe.
"-Mmmhmmh ?"
Une voix grave et comme voilée par un combo cigarette et alcool se fait entendre.
"-Bonsoir. Je suis tombé sur votre numéro, là. Je serais bien en peine de vous expliquer scénaristiquement pourquoi.
-Mmmmh...
-Alors voilà, j'aimerais vous inviter chez moi.
-Mmmh-mmh.
-Je veux dire... ce soir.
-Mouih.
-Vous voyez la Fontaine aux Hormones, centre-ville basse ? Vous sonnez au quatre rue Mazzarin.
-Mouih..."
La voix raccroche. Cassandre se lève et marche comme un pantin désarticulé vers un rétroviseur collé au mur et se maquille fébrilement. Elle attrape une jupe et un veston de cuir vert et se frotte aux murs noirs de suie, puis sort.

Carnaval ouvre la porte, un verre à la main. Cassandre lui adresse un petit sourire étiré et béat et un regard jaune fuyant, typique des séminaux. Elle entre et observe d'un oeil creux la meute de chiens ronflants, puis s'assied maladroitement sur un coin de table, sa jupe en cuir frottant et remontant le long de ses interminables jambes qu'elle croise, maculées de suie.
"-T'as du séminal ?
-Juste de l'alcool de prune."
Elle hausse les épaules tandis que Carnaval lui serre un verre. Plongeant son élégant bec dans son liquide, il ne la lache pas des yeux. Elle ne semble pouvoir poser son regard sur rien, les globes oculaires roulant dans des orbites noires de charbon.
Ils restent ainsi plusieurs minutes, sans rien faire d'autre que boire, tandis que les chiens couinent et gesticulent dans leur sommeil.
Finalement l'hybride s'approche d'une étagère, ouvre un tiroir et en ressort une grosse masse couleur chair qu'il pose sur la table. Il se met à malaxer, à pétrir cette boule de graisse et un petit filet de son se fait entendre, en crescendo. Bientôt on peut distinguer des percussions et des fréquences aigus s'en échapper, tandis que Carnaval se démène comme un beau diable. Se dessine peu à peu, puis franchement, un air :

..."Thrown like a star in my vast sleep
I open my eyes to take a peep
To find that I was by the sea
Gazing with tranquillity.
'Twas then when the Hurdy Gurdy Man
Came singing songs of love"...

Alors le jeune homme à tête de corbeau lâche le musicotronc, s'approche de Cassandre et commence à lui glisser le bec un peu partout, dans le cou, sous les aisselles, entre ses protubérances mammaires. Ils glissent lentement vers le sol, s'allongent sur les chiens noirs qui ne protestent pas, s'enlacent dans une étreinte douce, les jambes s'enjambent, les mains palpent, ils font la bête à deux dos et un bec.

..."Hurdy gurdy, hurdy gurdy, hurdy gurdy, gurdy he sang.
Hurdy gurdy, hurdy gurdy, hurdy gurdy, gurdy he sang."...


Carnaval, avec deux chiens en guise de couverture, observe la créature longue, nue et toute en courbes qui se lève dans la pénombre. D'un pas leste elle enjambe les obstacles, se meut comme une ombre vers le bureau en osier. Elle attrape quelque chose et l'observe un instant. Le coeur en construction. Elle le laisse tomber au sol et, du talon de son pied nu, l'écrase de tout son poids.

= commentaires =

Cuddle

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Pute : -3
    le 25/11/2016 à 18:25:35
Mais ce texte est vraiment pas mal du tout ! J'ai SURkiffé le passage avec le corbeau, je trouve que la description est juste magique et l'écriture vraiment agréable. L'univers est sombre, entre le polar et le mystique. Fin bref, bravo.
Maintenant que j'ai fait mon devoir, je sors.

Commentaire édité par Cuddle.
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 25/11/2016 à 19:46:12
ça me rappelle aussi les contes dans la première saison de true detective, probablement parce que ma culture est limitée. Sinon j'allais citer Jean de la Fontaine aussi.
Cuddle

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Pute : -3
    le 25/11/2016 à 23:24:59
true détective énorme cette série
Cuddle

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Pute : -3
    le 25/11/2016 à 23:30:38
mais lisez ce texte bordel !
    le 26/11/2016 à 11:44:07
Enfin de la belle ouvrage. Pas le Graal mais je te mets 10 quand même car tu relèves le niveau.
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 26/11/2016 à 11:52:44
Ce serait tellement bien si Dourak Smerdiakov pouvait réagir sur mon insistante lourdeur re-lou à vouloir réclamer sans cesse s'il est envisageable et pas trop compliqué d'autoriser tous les zonards identifiés à voter et pas seulement les admins. Je pense que ça pourrait contribuer à relancer l'émulation sur le site. En effet, depuis quelques temps on discute entre admins de notes dont personne n'était au courant et qui en réalité servent à constituer le Best et le Worst Of mais également à classer en 3 catégories les textes quand on fait une recherche en page d'accueil. #HastaSiempreRelou
Cuddle

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Pute : -3
    le 27/11/2016 à 00:32:19
C'est vrai que ça serait pas mal, je confirme
LePouiIleux
    le 27/11/2016 à 11:30:47
Je vois que les primaires de droite ont inspiré la zone.
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 27/11/2016 à 12:29:44
autant que 2 doigts au fond de la gorge à titre perso.
Lunatik

Pute : 2
    le 27/11/2016 à 13:39:55
Je dois être trop inculte pour apprécier la vraie bonne littérature parce que les ienchs en rut et le clito vibrant de Cassandre ne m'ont rien inspiré d'autre qu'un bâillement.

Et puis, pardon, mais le refrain "Hurdy gurdy, hurdy gurdy, hurdy gurdy, gurdy he sang." ne vaut pas un bon : "Cause I’m cryyyyying like a diplodoooooooocus, like a dancefloor, like an owl. POUMPAFF !"
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 27/11/2016 à 13:44:55
je constate que proclamer qu'on est inculte peut tout aussi bien être un argument pour dire qu'on apprécie ou qu'on déteste ce texte.
Lunatik

Pute : 2
    le 27/11/2016 à 13:59:31
Ni l'un ni l'autre, en fait. C'est écrit proprement, mais je me suis fais chier.
Clacker

Pute : 4
    le 07/12/2016 à 01:18:46
Y a un malentendu. Aucune culture n'est nécessaire pour lire ce bout de rien. Tout ce qui importe dans ce genre de texte c'est de vous faire ressentir quelque chose. Si vous ressentez rien c'est raté. Voilà tout.
Muscadet

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Pute : 0
    le 02/02/2017 à 11:53:54
Ça commence ici, j'imagine. J'arrive.
Muscadet

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Pute : 0
    le 02/02/2017 à 12:15:33
J'ai d'abord pensé à Planescape Torment, parce que je suis une sous-merde de gamer comme Pouilleux.
Je suis bien content d'avoir voté pour lui sur l'autre concours d'ailleurs, ça a bien fait chier.

Très bien, le mégalodon. Il y a un budget de production.

Maintenant je pense à Dishonored, toujours des références vidéoludiques.

Quelle pute. Pourquoi elle l'écrase.

C'est bien givré, je continue.

Commentaire édité par Muscadet le 2017-02-02 12:42:52.
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 02/02/2017 à 12:29:50
les textes dans l'ordre apparaissent dans la rubrique associée (toujours sous =CHEMIN= en dessus de page)

ce texte est le second de la série mais Clacker a émis le souhait de réécrire les 2 premiers chapitres.
Muscadet

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Pute : 0
    le 02/02/2017 à 12:41:31
On en apprend, des choses, au bout de dix ans.
Muscadet

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Pute : 0
    le 02/02/2017 à 12:43:21
Ah, parce qu'il émet, en plus.
Lapinchien

tw
Pute : 7
à mort
    le 02/02/2017 à 12:43:34
les changements hormonaux, tout ça... ce n'est pas sale.
Muscadet

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Pute : 0
    le 03/02/2017 à 00:44:35
Checkpoint.
Je comprends tout, maintenant.

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