Je suis remonté vers l'avant du cortège en doublant les vieilles et les vieux de la CGT qui s'agitaient avec leurs brassards rouges et leurs drapeaux du syndicat en guise de bannière de ralliement. Le bruit des tambours cubains résonnait contre les façades des grands immeubles bourgeois. Le tumulte était accru par les slogans crachés en borborygmes inquiétants dans les hauts-parleurs. Quelques SO aiguisaient leurs battes au fur et à mesure de l'avancée. Des silhouettes encagoulées et vêtues de noir se regroupaient un peu partout. Le cortège s'était transformé en une véritable petite armée, troquant ses banderoles contre des fumigènes et des barres métalliques. Les effluves de merguez menaçaient la capitale. C'était un grand foutoir de partout et j'avais déjà trente-mille connectés sur periscope. Ça likait en masse. C'était jour de kermesse ? Non ! C'était jour de Révolution ? Oui ! C'était Grand Soir camarade !
On a préparé la caillasse des pavés concassés la veille qu'on a mis dans une brouette qui traînait là. Une brouette de la DDE. Il fallait que je mette les lunettes de ski pour protéger mes yeux, l'écharpe palestinienne pour la respiration et l'anonymat, et le casque de moto contre les attaques venues du ciel. Moi et mes camarades on ressemblait à des bandits de grand chemin, des « west side boys ». Et puis les CRS en face faisaient pas rigoler non plus. Ils étaient habillés comme au Moyen-Âge. Les chevaliers noirs du Diable avec leur air de boite de conserve et leurs boucliers en plexiglass. On s'est arrêté à vingt mètres de leurs camions blindés. Ils voulaient pas nous laisser passer, ils voulaient pas reculer. C'est sûr que derrière il y avait l'Assemblée Nationale. C'était leur zad à eux, le gouvernement, la dernière encore debout. Le genre de truc qu'ils lâcheraient pas sans verser beaucoup de leur sang dans le caniveau.
« Soli-da-ri-té ! Soli-da-ri-té ! Soli-da-ri-té-hé ! »
Les vieilles et les vieux ont fuient vers l'arrière, les journalistes se sont foutus entre nous et les CRS, et avec les copains on a ramené les munitions. Il y avait trois-cent-mille connectés sur periscope. Le commissaire a crié dans son mégaphone un avertissement qui ressemblait plus à un aboiement. C'était la dernière manifestation de l'autorité entre maintenant et la Révolution sociale. Il s'est prit une averse de pierre en réponse. Il avait le sommet du crâne tout rouge, comme les brassards de la CGT. Il fallait mettre un casque monsieur le commissaire. On était si près qu'on voyait le visage des forces de l'ordre se draper de blanc. De savoir leur chef esquinté c'était déjà signe de défaite pour eux. On a jeté nos cocktails, on a défoncé leurs grilles avec des poteaux métalliques, on a envoyé des poubelle en flamme sur les policiers en civil qui étaient sur les côtés. Sept-millions de connectés sur periscope. Il y a eu des morts. Des deux côtés. Beaucoup de sang comme prévu. La fumée, les gaz, de partout. Les dents explosées, les yeux crevés, les oreilles arrachées. C'était la guerre. La vraie.
Je sais plus comment je me suis retrouvé dans l'Assemblée Nationale. C'était comme monter dans le palais des Dieux. Nous étions le glaive vengeur des Sans-Dents. Il fallait pas faillir à ce moment crucial. Il fallait aller jusqu'au bout. Le salariat allait sodomiser le cadavre du patronat. On a enjambé les dépouilles des CRS et des gardes nationaux qui jonchaient les escaliers monumentaux. Ils étaient morts en braves. En braves, mais en esclaves du Capital.
Les portes du pouvoir étaient inviolables malgré nos assauts. Impossible de rentrer dans le Palais pour le moment. Les camarades sont venus pour nous dire qu'on pouvait passer par derrière. Alors nous les avons suivis à travers les salons tapissés d'or et de lambris luxueux. On y a mit du sang partout par terre, mais c'était pas grave puisque les tapis y étaient rouges.
On a trouvé des députés bien grassouillets, tout apeurés, qui se cachaient derrières les rideaux ou sous les estrades. Ils étaient verts, ils étaient pâles, ils n'avaient plus leur air rougeaud de bourgeois.
« Ça va être ta fête, ai-je dit au plus gros. Tu vas voir ce qu'est la misère. C'était le bon temps pour toi et tes amis, toutes ces garces et ces combines. Tu n'as pas honte d'avoir abusé du peuple ? Goujat va ! »
Puis je lui ai mis une claque sur sa joue flasque. On a bien rigolé à les torturer nuit et jour. Nuit et jour le peuple s'est vengé des méchants qui l'avaient enchaîné. Il fallait pas nous chercher.
J'avais trente-millions de connectés sur periscope ce jour-là.
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Texte remanié du blédard-médiéval.
(1) Son syndicat avait été ajouté à la liste des organisations terroristes quelques mois plus tôt, provoquant une agitation politique sans précédent. La crise énergétique persistait, touchant en plein cœur l'économie. La France était fébrile, menacée de toute part. Elle écarterait les jambes pour toute personne capable de ramener l'ordre, c'est à dire de remplir le frigo et le réservoir d'essence des citoyens en colère. Elle cherchait un Messie. Serait-ce Nicolas Sarkozy, le Napoléon rapetissé avide d'un come-back en bateau à voile sur les côtes du Cap-Nègre ? Marion Maréchal-Lepen, la Jeanne D'Arc catho-compatible ? Emmanuel Macron, le golden-premier-de-la-classe boy ? Jean-Luc Mélenchon, le Gargamel au grand cœur ? Alain Juppé, qui avait la gueule de l'emploi : celui de croque-mort de la République ? Manuel Valls, l'automate républicain à veine saillante ? Non, à cette époque c'était le Temps des Cerises qui se faisait entendre dans nos rues. Et du désespoir était né l'espoir d'un monde meilleur. Personne n'aurait cru que cet homme serait Antéchrist et Sauveur à la fois. Personne n'aurait cru que cet homme serait : Philippe Martinez. Source : Edwy Plenel, Comment nous sommes devenus une démocratie sociale réelle, Paris : éditions OKLM, 2017.
LA ZONE -
« Soli-da-ri-té ! Soli-da-ri-té ! Soli-da-ri-té-hé ! »
Les bandeaux bleus et jaunes de BFM TV déroulaient la grande nouvelle : Philippe Martinez venait de se faire libérer par les copains à la prison de la Santé (1).
Les bandeaux bleus et jaunes de BFM TV déroulaient la grande nouvelle : Philippe Martinez venait de se faire libérer par les copains à la prison de la Santé (1).
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Je me suis bien bidonné tout en vomissant du slime par les oreilles
"C'était leur zad à eux, le gouvernement"
ça l'a fait marré, mais je me demande si la note en bas de page n'est pas encore mieux que le texte. C'est tout un art, les périphéries !
Emmanuel Todd pour Atlantico :
"[...] C'est à partir de ce cadre conceptuel qu'il faut comprendre l'attitude d'action anormale de la CGT. Je crois que François Hollande ou Manuel Valls ne sont pas conscients du fait qu'ils sont en train de détruire le droit constitutionnel français. Mais je ne crois pas non plus que la CGT soit consciente de ce qu'elle représente. Martinez était calme. Il a indiqué qu'il défendait les salariés et le code du travail. Mais la vérité profonde est que la CGT est en train de défendre la constitution. C'est ça qui est terrible. [!!!]
Vous indiquez que le dérèglement politique actuel vous conduit à soutenir les actions de la CGT ?
Les gens pensent que je suis super à gauche, ce qui est faux, parce que j'ai été membre du parti communiste pendant deux ans lorsque j'étais gamin. Mais j'ai eu, par la suite, une solide carrière anticommuniste, en prédisant l'effondrement de l'Union soviétique, en écrivant "La chute finale" ou en associant le communisme à une variante de la schizophrénie dans "le fou et le prolétaire". Mon travail sur les systèmes familiaux ramenait le communisme à la préexistence d'un système familial autoritaire et égalitaire.
Je suis un anti-communiste radical. Donc, si je dis du bien de la CGT, cela ne doit pas être mal compris. C'est la CGT dans sa fonction actuelle de force, nouvelle et inattendue, qui, par effet de vide et de positionnement aléatoire, se trouve défendre la démocratie libérale en France.
Nous devons deux choses à la CGT. D'une, plus personne ne nous parle de l'Islam. C'est le transfert du mot radical de l'islamisme vers le militantisme ouvrier. Tous ceux qui croyaient qu'on pouvait faire n'importe quoi en désignant un bouc émissaire sont tout d'un coup, par volatilité, passés au radicalisme de la lutte des classes. La CGT a fait sortir la France de ce tunnel ethnicisant dans lequel le drame des attentats l'avait mise."
ah mais ouais https://www.youtube.com/watch?v=vkkM9YAJ-Ts
https://www.youtube.com/watch?v=2-g6GVmJcLA&feature=youtu.be
la preuve ironique que la France bouge :
un interview du figaro littéraire ajouté le 23 oct. 2015 (il y a à peine quelques mois)
http://www.dailymotion.com/video/x4c5x7z
"Il ne paye vraiment pas de mine ! Au premier abord Raphaël Zacharie de IZARRA nous est apparu comme un oiseau assez commun, voire franchement décevant.
On s'attendait à voir briller une pierre d'exception en l'approchant. Il nous a reçu avec un pantalon trop large, un pull over noir aux manches étirées, mitées à leurs extrémités. Ajoutons que son crâne rasé le fait ressembler à un ascète qu'il n'est pas. Sans parler de ses tics hilarants ruinant le tableau flatteur qu'il aimerait donner de lui, ôtant toute apparence sérieuse à sa personne ! Cela dit il a le verbe facile, un vocabulaire riche et désuet qui ne trompe pas sur sa véritable nature. Ses mots choisis, délicieusement poussiéreux, sonnent comme des cloches d'un autre siècle. Personnage étonnant ce Raphaël Zacharie de IZARRA ! Interview pas comme les autres"
quelles plumes ces journalistes !