"Ah bigre de merdouille, ô mortelle condition humaine, ah fichtre de foutre de corne de licorne en chocolat liégeois, pourquoi faut-il qu'ils meurent donc tous, les grands, les blonds, les beaux, qui sentent si bon le sable chaud ?" Oui, et pourquoi la majorité des participants à la nuit debout étaient-ils en fait assis, pour ne pas dire avachis à même le sol, se croyaient-ils à la plage, espéraient-ils bronzer sous les lampadaires, et où étaient passés les maîtres-nageurs? "Debout, feignasses!" s'entendit-il crier, conscient toutefois que la peur panique les paralysait, lui et ses cordes vocales, "levez-vous, tenez-vous droit pour vos droits, ne lâchez pas le combat, fais tourner le oinj, et omni putas putatum eres et subséquemment !"
Une grosse dame du service d'ordre s'approcha du trouble fête.
- Hey ! T'es pas un casseur au moins, toi, le beuglard ?
- Quoi mais heu...
- Retourne tes poches et vide ton sac à dos. T'as des caillasses sur toi, des cocktails Molotov, une cagoule, une Kalash, un cran d'arrêt, une ceinture explosive, le dernier album de Booba ?
- Bah ?
- Avoue que c'est le MEDEF qui t'envoie pour foutre le boxon et nous décrédibiliser... Tu ressembles à Gattaz... T'es pas son neveu ?
- Ben peut-être j'en sais rien... j'ai pas fait de test génétique et...
- T'as vu le film "Merci, Patron" de François Ruffin ? Hey ! Mais tu serais pas le négociateur de Bernard Arnault ?
- Nar-Bé Arnault, mucho dinero. Yo te amo ! Wesh, grosse. Heu... Pas grosse, ronde, enrobée, koi...
- T'as l'air cool en fait, je te taquine. ça se sens que toi, t'es là pour t'exprimer. Parce que t'en as gros sur la patate...
- Il est vrai que je suis un taiseux. Un gars plutôt dans l'action.
- Faut que tu saches ici y a des codes à respecter. Tu peux pas te mettre à gueuler comme ça. Je comprends. T'as pas d'amis et t'as besoin d'évacuer tout le ras-le-bol au fond de toi. Lis bien cette petite brochure. Elle comporte des pictogrammes. Même les petits mammifères, genre les gerbilles, les mulots, les illettrés de la société Gad, Emmanuel Macron, entravent ce qu'y a d'écrit dessus. Voilà ce sont nos règles. Il faut les respecter.
Alors que la grosse dame s'en allait probablement vers de plus verdoyants pâturages, Jack se mit à étudier le prospectus qu'elle lui avait laissé. Quelle ne fut pas sa surprise : Il y avait tout un tas de mouvements décortiquant pas à pas une splendide chorégraphie quelque part entre Just Dance 4 sur PS4 et les derniers cours de Zumba qu'il se remémorait. La danse représentée ici ne lui était pas familière. Il en connaissait pourtant un rayon en façons de bouger son corps sur la piste depuis que les frères Gibb lui avaient mis la fièvre ce fameux samedi soir alors qu'il était littéralement ivre à la suite d'une hypersécrétion sauvage de sébum. Par la suite, il avait tout dansé, du kwasa kwasa au ver de terre, du pogo à la lambada sans oublier le cha-cha-cha, mais cette chorégraphie ne lui disait vraiment rien. Il essaya difficilement de reproduire ce que le prospectus tentait de lui enseigner lorsqu'une voix autoritaire retentit derrière lui :
- Toi qui aime danser, viens donc voir un peu par là!
Jack vira de bord en esquissant un demi-tour en deux temps, histoire de souffler un brin au niveau du degré 12, comprit aussitôt que la personne qui venait de s'adresser à lui jouissait d'une aura particulière en découvrant sa couronne en papier mâché et, haussant les épaules comme quelqu'un qui en a marre de peser le pour et le contre à chaque lancé de dés, il alla effectivement voir un peu par-là.
- Hey, mec, tu me reconnais pas ? C'est moi, bordel, Rémy Buisine !
- Ah ? Heu... Rémy Buisson, genre, le gorge profonde de Sarkozy, toussa. Bonjour, c'est un honneur et...
- Non mais ta gueule, mec. Pas Patrick Buisson Ardent mais Rémy Buisine, putain ! Tu regardes pas le Grand Journal sur Canal+ ?
- Aaah ! non, je m'en fous complètement pourquoi ?
- Putain, t'es un putain d’ermite ou quoi ? C'est quoi ton monastère ? Hey ! LA GUERRE FROIDE EST FINIE § Sors de ton bunker, l'ami...
- Non, mais tout Rémy Buisine que tu puisses être, surement de bonne famille, de noble condition et stricte éducation catholique, je ne vous permet pas et...
- Dis coucou à mon iPhone, mec !
- Non mais espèce d'animiste c'est quoi ce bad trip ?
- Non, mais ducon, je suis Rémy Buisine, j'te dis, on est en direct sur Périscope. J'ai 50.000 viewers en simultanée là.
- Périscope ? Mais d'où que t'as vu que j'avais un scaphandre, capt'n Némo ? Hey, t'es Jean-Yves Le Drian en vrai sous ta couronne en papier mâché ? Tu veux me vendre des sous-marins sous le manteau comme ça ? Tu m'as pris pour un australien, baltringue ?
- Mais non, sombre crétin, Périscope, c'est une application qui permet de couvrir des événements en STREAMING LIVE sur internet et là, bordel, t'es en train de faire grimper le compteur du nombre de viewers en temps réel. Ils sont déjà plus 60.000 en simultanée. On va encore faire tomber le serveur comme le 34 mars dernier et...
- Espèce de taré, 34 mars ? Mais tu viens de quelle planète de narvalos ? Dans ton espace-temps, comme ça, vous lynchez des garçons de café à 50.000 contre un ? Vous seriez pas un peu une bande de lâches genre des happy slappers ?
- Hey, cool, mec ! On a agressé personne. Avec Périscope, on a fait tomber un serveur internet tellement on était nombreux l'autre soir.
- Mais que ce soit un garçon de cybercafé ne change rien à l'affaire et tel les 300 spartiates je me dresserai fièrement contre vos cohortes de perses surnuméraires, mon cher Xerxes sur Seine. Je vais vous prendre tous un par un dans les Thermopyles de ton cul !
Jack joignit le geste à la parole et fit voler la couronne en papier mâché de Rémy Buisine.
Le roi du périscope n'eut pas le temps de réagir. Coi et sans coiffe, il était redevenu un être humain comme les autres, tous les autres, qui s'agglutinaient maintenant autour de Jack, la couronne brandit aux cieux. Il gueulait, la bave aux lèvres comme un épileptique en pleine crise qui aurait oublié, une fois de plus, que les cachets effervescent s'ingèrent avec de l'eau, sinon ça mousse.
Il criait : "ça a commencé comme ça 89! ça a commencé comme ça la révolution FRAN9AISE!"
Et il brandissait de plus belle sa couronne, et il se mit à danser, la couronne toujours en main, essayant de se remémorer les pas de danses du prospectus. Il était en transe ; il se mit à réinventer le Krump, modestement, sur la place de la République.
La grosse dame du service d'ordre qui lui avait filé le prospectus lui tapa soudain sur l'épaule. Elle tenait à rappeler à Jack, qu'il n'y avait pas cinq minutes de cela qu'elle l'avait déjà rappelée à l'ordre. Elle fut stupéfaite de constater que Jack n'avait rien entravé au fascicule qu'elle lui avait distribué tantôt :
"Bon sang, Monsieur ( mais dois-je vous appeler Monsieur ? Ma chère gerbille ? Tendre paramécie ? ), vous êtes le premier à ne rien biter aux règles gestuelles de communication explicitées par des pictogrammes sur le papier que je vous ai filé. Toi comprendo mongoliano ? ça pas être gestuelle de danse de la pluie. ALORS D2J0 IL FAUT ARRËTER DE GUEULER? CAPICHE § Toi regarde dessin. Bonhomme assis en indien... heu... jambes croisées. Toi voir ? Toi faire pareil que bonhomme. Toi être le bonhomme sur le dessin. Je sais c'est conceptuel mais je suis sûr que tu peux comprendre ce qu'est l'identification à un symbole. Je suis certaine que tu es un être doué d'empathie même si elle sommeille très profondément dans ton inconscient, en hibernation depuis ta naissance, cryogénisée... Si tu es d'accord avec ce qui est dit, tu lèves les deux mains et tu les secoues comme Chantal Goya. Fais moi signe si tu as compris... Voilà c'est bien, comme dans la chanson Pandi Panda, toutafé. Si t'es pas d'accord avec ce qui est dit, tu lèves les deux mains et tu croises les poings. Non, ne t'inquiète pas, on ne va pas te confondre avec un fan d'Indochine. Si tu trouves que le discours traîne en longueur alors tu lèves les deux mains toujours et tu fais des petits moulinets en boucle avec tes mains. OUI TOUT 0 FAIT CHAMPION § C4EST COMME QUAND ON FAIT DE LA PLONG2E SOUS MARINE POUR INDIQUER QU4ON SE NOIE? BRAVO§ 9A COMMENCE 0 S4IMPR2GNER EN TOI § Pour demander à ce qu'on parle plus fort, tu imagines que tu soulèves une charge invisible comme un gros piano par exemple, tu plies les bras en Z et tu les secoues de bas en haut. Exactement, moi aussi, j'ai vu ça lors reportage sur un sauvetage de naufragés près des cotes de Lampedusa. Faut le faire pareil. Avec la même conviction. Le même instinct de survie. Si tu veux que les gens se calment, qu'ils se détendent alors tu serres les mains et tu lèves les bras au ciel, tout en restant assis en indien. Non, ce n'est pas une invocation de Cthulhu. Rassure-toi. Si tu ne comprends pas mais que tu t'en bats les couilles, avec la main droite, tu te fais des tapes sur le dos. Exact. Comme dans un rassemblement de Chiites à Kaboul sauf que t'es pas obligé de te flageller au sang avec des chaînes de vélo rouillé, mon ami. Ce picto qui montre un bonhomme qui demande un temps-mort au volley, ben oublie le volley, c'est pour demander un point technique. Si tu veux prendre la parole, il te suffit de lever assez haut la main droite. évite cependant le salut nazi, ça fait mauvais genre dans le coin. Certains se sont fait lyncher sur un quiproquo." A ces mots, la madame arracha le prospectus des mains de Jack, en fit une boule avant de le lui enficher au fond de la glotte et de partir brouter plus loin vers de plus vertes prairies.
Autour de lui, bien sûr, ça s'agglutinait de plus en plus, les gens scandaient, grondaient, riaient, la petite foule le portait… c'est à cet instant que le serveur du périscope rendit l'âme.
"Le pauvre", pensa Jack, qui n'en avait strictement rien à foutre. Il répondit alors à son téléphone Nokia première génération qui vibrait dans la poche de son jean depuis le début du chapitre mais qu'il ne souhaitait pas foncièrement interrompre afin de profiter un maximum de temps de l'effet massage testiculaire collatéral inhérent à la localisation du dit téléphone.
"Allô ?
- Oui, Jack, c'est toi, Jack .
- Oui, oui, je vous entends mal, vous êtes ?
- Ici le lieutenant Ripley, à bord du Nostromo. May day may day, je répète, may day, may day...
- Oui, d'accord, c'est très bien mais ça manque de mélodie. N'hésitez pas à me rappeler à un autre moment merci !"
Et il raccrocha aussitôt parce que diantre.
Jack finit tout de même par s'approcher de l'estrade.
Le cordon de sécurité était tout de même bien imposant. Ce n'était pas du tout la flamboyante manifestation exhibitionniste que Jack avait tant espéré ou peut-être un truc de super pervers car il y avait des punks à chien à dreadlocks, des agriculteurs, des syndicalistes et tout un groupe de l'association Droit Au Logement, et d'ailleurs Jack crut reconnaître Albert Jacquard ce scientifique au physique intriguant, ambigu, super coquin en définitive, qu'il retrouvait souvent dans les backrooms et les saunas oniriques de ses nuits humides hantées de songes et fantasmes inavouables, mais Jack se souvint alors qu'Albert Jacquard était mort en septembre 2013, ce qui l'emplit soudain d'un spleen tétanisant.
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on peut se focaliser sur le 3eme chapitre si ça vous tente de jouer en insérant de nouveaux paragraphes http://forum.lazone.org/index.php?topic=3564.0