LA ZONE -

Le Mal Aimé Charles Peigne-Cul

Le 23/05/2016
par HaiKulysse
[illustration] Cinquième chapitre.

Cette nuit-là, il avait neigé. Charles Peigne-Cul, nerveusement malade, se rendait bien compte qu’il avait commis dans l’indifférence la plus absolue une série de meurtres arriérés ; on ne le prenait toujours pas au sérieux : son tempérament sanguinaire, c’était un peu comme l’apparition d’un gris-gris africain trop amoché pour être terrifiant, ou l’idée d’un brouet de sorcellerie maléfique qui, par trop d’amalgames avec les autres rites vaudous, avait craqué comme une allumette : pschitt !
Comme un grand silence pesant et gênant, en ce matin de glace, il voulait décrire encore les vagabondages bucoliques des papillons… Et d’autres conneries dans le genre. Sa poésie était trop proche de l'abstraction pour être lapé par les écoliers des générations futures, trop précieuse et apolitique pour susciter la polémique… Il était ce poète trop vite oublié, même pas maudit, avant même qu’il puisse offrir aux contemporains ses vers libres ; en vérité, comme Tristan Corbière, il était l’affirmation et la négation mêlées de toutes choses : il ne lui restait plus qu’à écrire une épitaphe à la manière de Corbière - ainsi, de controverses enragées en controverses apaisées, il progressait en régressant, nostalgique mais toujours avec cette joie de vivre féroce.
Nostalgie édentée comme la mâchoire d'une vieille ou joie de vivre florissante du nourrisson ébahi, il réapprenait l’enfance en désapprenant la phase terminale. En affichant l'aplomb déséquilibré des humeurs noires, cette nuit-là, il rampa jusqu’à la bibliothèque, en se félicitant sombrement du choix de sa nouvelle cible : Corbière.
En adaptant à son usage l'étrange syndrome de ce Poète Maudit, Charles Peigne-Cul reprenait à son compte le sacro-saint concept de « l’Être en question » il savait que son épitaphe n’était qu’un leurre, alors rageusement en prenant le taureau par les cornes, il fit glisser la poignée de la porte secrète qui se trouvait derrière la bibliothèque et parcourut les entrailles souterraines pour chasser du poète.
Le souterrain finissant sous le cimetière d’un ancien vieux couvent, il remonta à la surface en descellant une stèle ; l’air frais du petit matin l’avait décoiffé et quand il invectiva un moine qui passait par là, il décida de jouer son va-tout, de vendre ce qu’il restait de son âme au diable, en s’accrochant à la perspective de ne jamais revenir ici-bas de toute façon. Il chargea dans son fusil de chasse des cartouches de calibre 12 ; après une nuit noire comme un bol de café, après un bol de café aussi noir que la nuit, il s’en allait user sa culotte courte sur les bancs des écoles occultes.

Il sentait toujours les tentacules de l’Alien se contracter autour de sa gorge et des muscles de son visage. Instinctivement, primitivement, en modifiant son ADN, les molécules de la créature arachnéenne étaient devenues les siennes et inversement, elle avait pondu ses oeufs ; il lui avais même extorqué la substance extrêmement acide de sa salive, ainsi que la férocité et le machiavélisme de sa réflexion… il ne perdait pas de temps à gaspiller son énergie, son projet macabre allait éclore, il en était convaincu à présent : il allait à l’essentiel en une seule fraction de seconde, en dépeçant ses victimes, en déclenchant l’apocalypse parmi le clan ennemi ; et comme l’ethnie Jivaro, il revenait toujours avec leurs têtes à réduire et à afficher en trophée.

Il le savait.
Le monde avait basculé dans la violence aussi bien virtuelle que réelle, le coup porté avait été si brusque qu’il ne restait que l’essence primale des mots. Accompagnés de leur tribu livresque, les mots, comme de la moisissure ou des odeurs toxiques, l’influençaient bien trop pour qu’il laisse tomber l’odieux projet. 
Projet qui était à présent sa seule chance de salut.

La Ville semblait morte à cette heure, elle tentait de se réveiller de son cauchemar… en vain ! Cheminant vers la réanimation, elle voyait le seul survivant se diriger vers les lourdes Portes de l’entrée principale ; comme une ombre fantastique qui agrandissait le ciel de longs figements violets, qui refroidissait au soleil, ou comme un vieille mémoire portant son fusil de chasse vers son occiput avant d’appuyer, froidement et sûrement, sur la gâchette.

= commentaires =

David

Pute : -1
taché d'horreurs mystiques    le 23/05/2016 à 17:13:10
"Il fait noir, enfant, voleur d'étincelles !
Il n'est plus de nuits, il n'est plus de jours ;
Dors... en attendant venir toutes celles
Qui disaient : Jamais ! Qui disaient : Toujours !

Entends-tu leurs pas ?... Ils ne sont pas lourds :
Oh ! les pieds légers ! - l'Amour a des ailes...
Il fait noir, enfant, voleur d'étincelles !
Entends-tu leurs voix ?... Les caveaux sont sourds.

Dors : il pèse peu, ton faix d'immortelles ;
Ils ne viendront pas, tes amis les ours,
Jeter leur pavé sur tes demoiselles...
Il fait noir, enfant, voleur d'étincelles !"

Rondel

Tristan CORBIERE (1845-1875)

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