Je n'ai rien à dire pour ma défense. Je crois même qu'on m'avait prévenu. Les copains, rigolards, pas bienveillants pour deux ronds :
« T'as rien à foutre dans ce milieu, mec. Si tu dragues une pétissière, tu vas te faire napalmer grave. Ta gueuse, c'est une princesse et toi, ben, tu m'excuses, mais t'es qu'une cloche. »
« T'as rien à foutre dans ce milieu, mec. Si tu dragues une pétissière, tu vas te faire napalmer grave. Ta gueuse, c'est une princesse et toi, ben, tu m'excuses, mais t'es qu'une cloche. »
Ma mère, toujours de bon conseil :
« Qu'est-ce que tu vas t'imaginer, petiot ? T'es pas bien avec nous autres ? Si t'avais envie de péter dans de la soie, fallait travailler à l'école. Si tu crois que tu vas te lever une héritière, crois-moi, tu te mets le doigt dans l'oeil jusque dans la région olécranienne. »
En bonne lectrice de Science et vie, ma mère aimait glisser des termes scientifiques de façon inopinée dans ses moindres interventions. Ca rendait ses propos à la fois absurdes et croquignols.
Je lui ai rétorqué que je n'avais aucunement envie de l'écouter, que ma douce et moi nous aimions plus que tout et que les barrières sociales ne signifiaient rien pour deux cœurs enchaînés.
En bon philosophe hautement inspiré, mon paternel, qui passait par là, y est allé de sa salve personnelle :
« Ecoute surtout pas la vieille, gamin. Vous êtes encore tout frais, ta môme et toi. On sait pas ce qui peut arriver à ce stade. La vie est un drôle de machin tout bizarre et personne peut prédire l'avenir. Fais juste un peu gaffe à ta belle-famille. M'est avis qu'ils vont pas te laisser engrosser la donzelle et encore moins y coller ton patronyme, à votre gniard hypothétique. »
Ma mère a haussé les épaules avant de se replonger sur son hautelisse, marmonnant je ne sais quoi. Je me suis retourné vers mon vieux et je l'ai serré dans mes bras.
« Merci, p'pa. »
Il a rien dit mais je voyais bien que ça lui faisait plaisir, tout ce cirque père-fils, puis j'ai pris la tangente, direction le microtoponyme où résidait ma belle, un lieu-dit nommé Saint-Juste situé dans la cambrousse à douze bornes de chez moi.
Un brin nerveux, je me fends d'une halte chez l'épicier, achète une bouteille d'alcool fort que je biberonne tranquillement au son de Steppenwolf pour me donner l'illusion de rouler vite. A une centaine de mètres du domaine, un truc mauve tacheté traverse la route :
« Ouaf-ouaf ! » dit le truc mauve.
Puis j'entends « PLONK » et je me retrouve avec un airbag sur la gueule, la voiture fracassée, le radiateur fumant. Je m'en fous, c'est une fiat et j'aime pas les fiat, j'en trouverai une autre. Sauf que quand je sors jeter un œil, je reconnais le chien de la maison.
« Merde. La boulette. Ca va être coton de la kidnapper, maintenant... »
J'envisage un instant très sérieusement de glisser le chien derrière le volant afin de me faire passer pour la victime mais je suis pas assez bourré pour valider l'idée.
« Bon, tant pis. Y a pas trente-six solutions. »
J'achève d'abord la bouteille à grandes goulées. Ensuite, je valide. Enfin, j'empoigne le foutu clébard, le soulève en respirant par la bouche, parce que même s'il est encore tout chaud, le corniaud,
(haha, il est chaud, c'est un hot dog, hahaha trop bon)
il pue quand même de son odeur de chien, quoi. Peux pas les blairer, moi les chiens, ah ça, je peux pas non, jamais pu.
J'ai du mal à le faire tenir droit et ses pattes se refusent à tenir le volant. Ca n'arriverait pas si j'avais fauché le petit frère, hein, bon, pas grave, j'ai mon couteau suisse, je crois bien qu'y a un tournevis dessus.
Je visse les pattes antérieures du chien-chien au volant. A dix heures dix, la position réglementaire, quoi. Non parce qu'on dirait pas mais je reste dans les clous, moi. Je ferme la portière sans douceur, ça claque dans la nuit noire et j'entends une voix qu'il me semble reconnaître surgir d'un trou de verdure. Je me tourne et c'est Solange, la belle Solange, la femme de ma vie, la plus canon des gonzesses que j'ai jamais vues, la plus hot des nanas du coin. Bref, la mère de ma copine s'avance vers moi, manifestement interloquée, des feuilles de salal encore accrochées à ses bottines de marche nocturne.
Parce qu'elle a aussi des bottines de marche diurne, tu le crois ça ?
« Mais qu'est-ce que vous foutez, Edmond ? »
Je me liquéfie. C'est le moment de vérité et je suis en train de perdre mes moyens. J'ai envie de hurler, de glapir, de barrir et de rebarrir, de m'enfuir en courant, de lui balancer la bouteille vide à la gueule, de l'achever à coups de tournevis...
Au lieu de ça, je dis :
« Ah, belle-maman, bonsoir. Vous allez bien ? Dites, vous ne me croirez jamais... »
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Haha un bon vieux texte old school zonard. Dommage que la fin soit pas plus trash.
En fait, je l'ai écrit un peu comme le Merlin de Kaamelott compose ses blagues.
"Hé, toi, Gaulois, avec ton casque à cornes..."
Bref, si je savais où je vais quand j'écris ce genre d'exercices de forme, je gérerais mieux, je pense. Satisfait en tout cas que l'histoire tienne la route.
Ca tient carrément la route, c'est cohérent du début à la fin. En fait, on ne se rend pas compte que ce sont les mots qui ont dicté le texte, et c'est carrément le must pour ce genre d'exercice.