Une pure fiction qui se fabrique, à force de labeur, par associations d’idées jusqu’à ce que la conscience me ronge : cette volonté de tout détruire, d’aller au fond de l’impasse ; mais j’ai continué de le suivre, Marmeladov ou plutôt ce qu’il représente, en rageant contre moi-même.
As-tu deviné lecteur où je voulais en venir ? Cette folie ultime d’aller jusqu’au non-sens.
Je vois tout cet argent que j’ai détourné pour mon projet, cet argent que j’ai volé même à ceux qui m’étaient chers jadis, je vois aussi ses innombrables lieux où l’argent, en passant de mains en mains, a disparu ; toutes ces nuits blanches à trimer, à chercher comment mettre mon plan à exécution, à le faire perdurer sans que personne ne remarque mes agissements ; je me souviens enfin de Katia, la pauvresse qui s'agitait dans la pénombre de la chambre d'Angela, effarée, elle-aussi perdue dans une impasse ; tout, à présent, me revient…
A un point donné, le monde que je connaissais avait disparu, ou bien s'était retiré, remplacé par un autre ; la dépression qui me menaçait m'avait déjà évincé avant même de passer à l'assaut.
La liberté ne signifiait rien pour moi, ce n'était qu'un violent tremblement de coeur.
J’avais peur. J’avais peur qu’on exhume mon Secret -le secret qui nous liait tous mais aussi qui me couvrait de honte et d’opprobres ; le monde d’avant s'était effondré comme des morceaux de banquise. La dépression, aux tentures noires, s'abattait elle-aussi... La fusée de Jumbo avait décollé, me laissant seul dans la chambre d'Angela avec Katia sur une planète presque entièrement dévastée par ma faute : et si cette mauvaise fortune parvenait finalement à me rendre insensible, une vraie brute en puissance qui un jour funeste d’ivrognerie avait roué de coups son flanc gonflé où vivait déjà un embryon d’hommes ?
Des nuages noirs avaient exaucé mes désirs les plus morbides : la pluie tombait à présent sans cesse sur la planète OS X.
Nos voix étaient lasses dans la nuit. Quelques secondes d'intervalles suffisaient à les effacer ; Et le silence régnait alors en emportant notre conversation, archivée malgré tout par notre cyborgs-serviteur.
Elle avait eu son diplôme de psychiatre à l'occasion de ses vingt-deux ans : faute d'être sur le terrain, elle avait délaissé l'archéologie, ses premières études qu'elles portait avec un intérêt certain, pour la psychanalyse : mais cette science ne sert pas à grand chose quand la désolation vous entoure, tant d'énergie gaspillée en vain ! Cependant le programme que je suivais et qu'elle enseignait tentait de me réconcilier avec la vie. C'était une méthode de libre association.
Et comme chaque soir, j'associais les mots qui me venaient à l'esprit, avant de fumer au balcon d'Angela : je préférais largement ces moments silencieux, j'inspirais longuement la fumée en observant les voies lactées, toutes enchevêtrées entre elles, jusqu’à ce qu’elles se vident de leur utilité.
Initié par leur force cauchemardesque je désespérais : trop d'espace, et bien trop isolé parmi ces ténèbres, je ne voyais toujours pas d’issue ; et le moment où il faudrait révéler le secret, je pouvais toujours le reporter : il s’approchait… comment allais-je survivre à un tel déshonneur ? »
Peut-être parce que j’étais déjà voué au culte du démon, comme en réponse à toutes les questions.
Il ne restait maintenant qu'à analyser le traumatisme qui était à l'origine de toute cette histoire : puis soudain il y aurait le noir absolu, alors on aurait tiré le rideau et les acteurs seraient repartis dans les coulisses.
Deuxième partie.
D'abord, il me semblait, qu'à la Naissance du Grand Tout, une lumière spectrale avait percé dans tous les azimuts. J'étais ce savant fou au fond du souterrain, caressant le poil sauvage de ma créature. Pour l'instant, sa seule représentation, même mentale, aurait suffi à le faire disparaître instantanément. Je projetais de les détruire tous, de les emporter avec moi vers le gouffre, je haïssais les humains. Même les plus braves.
Leur monde avait un défaut majeur, leur monde était un écoulement nasal. Leur simple crachat quotidien m'était un écueil à éviter. La viande, leur viande était pour les Alligators, mes alligators.
Ce bestiaire féroce au fond des égouts.
Mais j'en restais convaincu, tout était organisé autour de ce récit : le complot descendait directement de l'autorité de Kaphrium !
La première nuit des abominations, j’avais regagné l'appartement d’Angela : une jeune femme vêtue d'un chandail en laine naturelle, d'une jupe en tweed boutonnée de haut en bas et d'un gilet en daim beige, un téléphone portable et un bloc notes toujours à la main.
A cette époque, je travaillais déjà la genèse d'un texte dont le personnage était Razko Kaphrium : un savant au look destroy, et je passais souvent des nuits blanches à raturer d'annotations son manuscrit pour en comprendre le sens !
Mais aujourd'hui, il semble que le projet Kaphrium peut enfin voir le jour.
Dans l'obscurité doucement, la sacro-sainte Raison des Humains se perdait, allant jusqu'au non-sens qu'ils redoutaient pourtant, et de folies ordinaires en chaos effroyables, le fameux Non-Sens progressait en sapant davantage les fondements de sa rivale... j'avais cherché d'abord un moyen de les plonger dans le noir le plus incompréhensible... ahuri, j'avais passé des dizaines d'années en usant et en abusant de mes connaissances dans cette quête inutile ; et sans jamais obtenir un seul résultat, encore moins l'once d'une reconnaissance.
Au contraire, on me blâmait : je n’avais toujours pas de travail, ma seule occupation officielle (écrire) ne nourrissait pas son homme, c’était bien connu. J’étais un parasite à leur charge, pour les Autres.
Cependant, alors par le plus grand des hasards, je fis cette stupéfiante découverte qui changea le cours de mon existence : simplement pour me distraire entre-temps, j'avais inventé un curieux système à l'intérieur de mon ordinateur : basé sur l'organisation masquée, sur la logique souterraine, et même sur les fantasmes et les interprétations les plus douteux, je m'étais rendu compte que ce système avait déjà fait de nombreux et exhaustifs tours du monde, et bien davantage, aussi incroyable que ça puisse paraître, avait traversé aussi les déserts intergalactiques... Ce système travaillait à rendre le monde complètement nihiliste : Nietzsche était le sommet de l’iceberg mais il y en avait bien d’autres ; déjà tout môme, je voulais refaire le monde, ce monde qui ne me convenait pas, que les autres avaient créé en vue de m’écraser et de me faire fermer ma gueule. J’avais ressortis du tiroir des idées concrètes : comment saboter le Monde, l’Humanité ? Voilà la grande question qui me taraudait… mais il me fallait un financement conséquent pour mener à bien mon projet.
En effet, je m’étais aperçu que -ô combien hélas- sans argent, on n’avançait pas, on patinait dans la semoule : sans argent aucune vie n’était possible… Alors j’ai commencé à m’attaquer à ce qui était le moteur et le carburant de toutes bonnes histoires…
Eperdument, afin de lui soulever gravement mon chapeau, j’ai suivi dans ce tunnel obscur Marmeladov (le fonctionnaire ivre qui interpelle Raskolnikov, le personnage central dans le roman de Dostoïevski : Crime et Châtiment) ; la déchéance de ce personnage, en vérité, n’est qu’apparente : une pure fiction émotionnelle.
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Nietzsche et Châtiment ! mais surtout châtiment quand même.