Tout avait commencé par le cri sinistre de cette femme, déchirant les ténèbres. Assise à l'arrière d'un van aménagé, de la mouvance de Daesh, la jeune femme d'origine syrienne, qui s'était retranchée là après un attentat, venait de succomber à ses blessures, criblée de balles par les forces françaises.
Un poète de passage, Hugues Vian, avait qualifié tout ce sang qui coulait comme « de l'huile de carter rouge / S'écoulant entre deux battements de coeur / Comme le Temps / Ou comme un ruisseau limpide. »
Moi, comme par synesthésie magique, j'étais sur le trône lors des déflagrations en twittant le même genre de poème décrivant la scène qui s'était passée dans la rue, un dimanche matin, alors que les gens étaient à peine réveillés, enlaidis de sommeil à cause de la cuite du samedi soir. Tout comme moi, en fait.
L'ex milice de Pétain délimitait le périmètre de sécurité à présent, en surprenant les quelques joggeurs dans leur footing habituel, beaux comme des Bee Gees parodiant le Macho Man des Village People avec leurs chaussures et leurs survêtements fluo.
Tout s'était passé très vite : les coups de feux des deux côtés, les sirènes aussi tonitruantes que la moustache des policiers (la même moustache que ces clones de Doofy/Dewey dans le film Scary Movie/Scream) les hurlements paniqués pendant que les agents spéciaux Doofy tentaient de calmer le jeu en pétant avec sobriété pour redonner le sourire aux gosses, les vitres du lotissement où était garé le van cradingue, piqué à une pute d'autoroute, qui avaient volés en éclat...
Le Tweet avait été retweeté dans le monde entier, connaissant un véritable succès et même il avait été présenté comme un modèle indépassable lors du Printemps des Poètes : ainsi, dans ce contexte d'euphories délirantes et de désespoirs mêlés, en volant la vedette à Hugues Vian, je fus contacté par un numéro masqué, seulement une dizaine de jours après ces événements.
Confortablement installé dans mon fauteuil de velours, j'avais écouté pendant ces trois minutes et cinquante deux secondes cet étrange appel que je croyais d'abord d'un mauvais plaisantin ; la voix métallique et grave un peu comme Dark Vador, se présentait comme un haut responsable de Daesh, il me promettait beaucoup d'argent et des vierges soumises à mes désirs au Paradis si j'acceptais de coopérer pour la Propagande de l'Etat Islamique ; j'étais au début sceptique et méfiant, je pensais qu'il allait classiquement me demander quelle cassette de film d'horreur j'étais sur le point de visionner, mais à la fin de l'appel, alléché par une offre aussi généreuse et conséquente et rassuré par le sérieux de cet émetteur, je commençais à me poser des questions : et si c'était vrai ? Et si j'acceptais ? Ma retraite, que je voyais s'éloigner et s'annoncer sous un jour funeste, était quasi assurée si j'acceptais. D'autant plus que je n'avais jamais eu la moindre opinion sur les faits divers de mon époque, j'étais un opportuniste : un vrai poète dégueulasse et pas seulement à mes heures perdues !
Le lendemain, je me préparais pour le rendez-vous que l'homme singulier avait fixé, Rue des Innocents, à deux heures du matin alors que la ville était à nouveau plongée dans la torpeur malfamée. Ce fut ainsi que je reçus les « Nouvelles Instructions » portées par un homme en survêtement cagoulé, arrivant et repartant en mobylette pétaradante.
Il m'avait aussi donné des billets d'avion pour me rendre dans la cité d’Arkham, un lieu Lovecraftien que je croyais auparavant imaginaire, mais qui existait réellement puisque mon avion pris dès le petit matin venait bel et bien d'atterrir sur le tarmac de l'aéroport d'Arkham...
« Si les poètes étaient moins bêtes
Et s'ils étaient moins paresseux
Ils rendraient tout le monde heureux
Pour pouvoir s'occuper en paix
De leurs souffrances littéraires »
Boris Vian
Et s'ils étaient moins paresseux
Ils rendraient tout le monde heureux
Pour pouvoir s'occuper en paix
De leurs souffrances littéraires »
Boris Vian
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"Et si j'acceptais ? Ma retraite, que je voyais s'éloigner et s'annoncer sous un jour funeste, était quasi assurée si j'acceptais."
C'est bizarre de voir sa retraite s'éloigner, si on la comprend comme un âge ou si on la comprend comme une somme de trimestres à atteindre pour en profiter. Ça a du sens si on la comprend comme un espoir qui décline, une croyance qui décroit, c'est donc un texte gérontophobe et hérétique, comme d'hab.
je crois que c'est surtout de l'humour car je ne pense pas quelque soit la somme en jeu qu'il y ait de retraite pour les Daeshiens dont l'espérance de vie ne dépasse pas la trentaine.
Avant d'arriver à ce niveau :
http://atlasgeopoethique.blogspot.fr/
Allons tous cesser de brailler -