Un camion se gare en marche arrière et défonce trois rétroviseurs, comme ça, clac-clac-clac, dans le même somptueux élan.
Un mur de sable se dresse sans effort au milieu de la banquise. Des savants étudient le phénomène et disparaissent les uns après les autres, happés par cette étrange maladie qui semble venir du fond des âges.
Le bibliothécaire aux lorgnons ébréchés tombe de son escabeau et se brise la colonne parce qu'un réflexe inopportun a maintenu son bras protecteur autour d'une édition originale dont les enluminures rappellent les yeux des fées lorsque celles-ci les gardent ouverts - ce qui n'a rien de systématique.
La veuve noire détend ses pattes arrière avant de refermer ses crocs sur la tête du mâle, dont elle évide le cerveau en sifflotant le générique d'un film d'horreur pour adolescents.
L'enfant s'insurge, attristé, et défie le monde adulte. Il ne sait pas encore que ses traits vont grossir, que ses os le trahiront, que sa peau se transforme à l'heure où je te parle, que des inflexions profondes marqueront un jour sa voix. Il ignore qu'il va mourir et ça le rend idiot.
Le chat du Rajah fume de l'herbe à chat dans un shilom qu'un matou plus sage sculpta de ses propres griffes sur un morceau d'écorce ramené de Bangkok. Il crache de la fumée entre ses moustaches félines et confirme son extrême souplesse en se nettoyant le sexe de sa langue râpeuse. Le chat du Rajah est un fainéant doublé d'un pervers.
Le théorème se tait, l'axiome s'impose, la loi dérive, les règles meurent, les symboles filent droit parce que la plume qui les a tracés n'appartient à personne. Ulysse remonte sur son bateau et se fend d'un rire caduque.
Trois soldats démaquillés se tiennent au garde-à-vous devant la porte du four. Le premier fixe un horizon qu'il échoue à imaginer. Le deuxième imagine sans rien voir. Je suis le troisième soldat.
Un vieillard imbécile confond le feu et les flammes. Il croit voir le premier là où s'estompent les secondes, et espère toucher celles-ci quand il ne reste rien de celui-là. Il se brûle dans les deux cas, et le dragon des eaux se marre.
Le camion de tantôt a fait panne sèche sur un parking situé sur deux plans d'existence : ici et ailleurs. Le conducteur se fiche de ces précisions : rouler lui demeure interdit. Le camion, lui, sait que ce détail peut tout changer.
Un diplodocus cherche un abri dans une ville du tiers-monde que je ne citerai pas. Les enfants des rues décident de le tuer et le mangent. Sa dernière pensée ne nous est pas parvenue.
Mozart rencontre Zappa au carrefour des mondes. Les deux esprits ne s'entendent guère et si l'Autrichien jouit d'une certaine ancienneté, l'Américain, en revanche, profite sans scrupule de quatre cents ans de culture supplémentaire que l'autre ne parvient qu'à peine à concevoir. Mozart n'a pas inventé la guitare électrique et ça prouve bien qu'il n'a rien d'un génie.
Un peintre anecdotique entre en communication avec le monde des songes, des fantasmes et des esprits par le biais d'une drogue de synthèse, d'un amour frustré et d'un manuscrit antique, probablement rédigé par le démon Abrahel. Il meurt à la fin de l'histoire et son cadavre hérite d'une palette monochrome.
La souris blanche refuse catégoriquement d'avancer dans le petit couloir aseptisé. Une lumière clignotante, associée à la douleur et à la disparition de la douleur, l'amène finalement à emprunter le corridor. Un marteau lui écrase le crâne et des mains glacées applaudissent dans la salle.
Une main, une menotte, un bout de peau fraîchement tiré sur des doigts ridicules, quitte l'ombre pour s'insérer dans la lumière et ça me réchauffe la paume.
Une belle jeune fille arrache avec les dents les épines de la rose que lui amenait chaque matin son prince charmant.
La tête de l'alcoolique bascule contre le mur et un bruit sourd résonne soudain dans le labyrinthe froid de cette maison trop vaste.
Le cheval a rangé ses naseaux, attaché sa crinière, ciré ses beaux sabots. Il réclame sa selle, préfère les granules d'avoine à l'herbe arrachée, travaille en bête de somme sur des pistes non fréquentées. S'il avait des bras, il les croiserait et attendrait, paradoxalement fier de lui, et vérifierait trois fois par jour que sa longe n'est pas trop longue et que la boucle de son harnais est suffisamment serrée pour éviter la tentation de fuir.
Une femme à peau laiteuse rit sans humour, regarde sans voir, pense sans réfléchir et ressent sans rien sentir. Elle dit sans parler et parle pour ne rien dire. Les singes se tiennent les côtes.
Le pornographe emprunte à ses vieux parents catholiques de quoi tourner sa prochaine œuvre sulfureuse. Il croit défier le monde qu'il contribue à saillir puis à souiller.
Le chien de garde avale un digestif et regarde passer les brigands. Ceux-ci portent leur numéro de matricule sur des pyjamas rayés et des masques de cartoon à peu près aussi désuets. Le chien soupire et appelle le 911. Une voix métallique lui répond qu'il ferait mieux d'éteindre son télécran et de lire un bon vieux livre.
Le prêtre a trié ses soutanes, ses chasubles et ses chapelets. Il hurle de rage dans le silence glauque de la sacristie avant de s'enfiler trois xanax au Bailey's. La femme de ménage qui découvre son corps inanimé au petit matin prétendra, des années plus tard, le recevoir chaque nuit pour des coïts contre-nature et des avé Maria en html.
La larve attend et la chrysalide se pose.
Cortazar tourne le dos à Graham Greene et Beckett s'en tamponne.
Le long nez de la demoiselle rougit de honte ou de luxure, et ses arêtes longilignes bornent un pays où le vent siffle sans souffler, où la terre tourne sans bouger, où les arbres portent des fruits dont la chair ne pourrit pas.
Il n'y a pas de sot métier chez les anges, pas de chômage en enfer, pas de pointeuse sur le Styx. Le travail ne libère que les cons.
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Quel enculé.
C'est très bien. On dirait le script du prochain film de Terrence Malick et ça donnerait probablement un truc chouette en plus.
Ce qui est bien, c'est qu'on peut lire ça dans tous les sens. Ce qui l'est moins, c'est que ça reste long, peut-être trop pour un texte de ce genre.
Les deux dernières phrases sont dispensables, pour ce qu'elles arrivent comme ça, l'air de rien et donnent un but au texte. J'ai eu l'impression d'une morale, ce qui est sûrement le cas, et c'est plutôt malvenu dans le sens où l'ensemble n'est qu'un assemblage de scènes, et que celles-ci n'ont pas de rapports entre elles.
Sinon, moi aussi je préfère les granules d'avoine à l'herbe arrachée, et suis bien content de voir que je ne suis pas le seul.
Du reste, j'ai bien aimé lire tout ça, c'est un genre d'exercice qu'on trouve peu ici, ça ne démérite pas son clic.
Cela dit j'ai un peu peur que Pascal Dandois et HaiKulysse ne nous aient tous converti au cut up de William Burroughs d'ici la fin de l'année. Puis Curare- viendrait au flamethrower finir le sale boulot et tous nous embrigader dans un mouvement activiste de poésie émogothique.
T'inquiète pas, LC, c'est un vieux texte remanié il y a un an pour mon bon plaisir. Je me suis dit que ça changerait un peu et que, si ce n'est pas complètement zonard dans le propos (malgré quelques passages, je pense), ça l'est au moins dans la forme.
Et peut-être aussi dans la démarche.
Et peut-être que Télérama aurait adoré. On saura jamais.
Ah oui, heu, Koax. Le camion du début, c'est le scénario original de Mad Max Fury Road. Bon, Miller l'a un petit peu étoffé depuis hein.
J'ai adoré c'était juste une belle opportunité de placer une vanne.
Pas désagréable. J'ai surout trouvé que ça laissait de la place au style, sans prétention, et c'est intéressant.
Je sais pas si c'est très zonard, mais je me dis que si on a le droit d'aller jusque là dans le n'importe quoi, ça ouvre un large champ de possibilités débiles que j'avais oublié eepuis le temps que je n'écris plus sur La Zone.
Le Microfictions zonard.
Pas désagréable comme macro-poésie aléatoire recyclée, un peu comme les bonbons des resto jap.
Et des doigts sales dans le cut-up : Burroughs était une petite baltringue tout filou d'avoir trouvé de quoi enivré les proto-bobos. Mill fait mieux et nous bricole de tendres cadres entomologiques.
Sinon, tu t'es inspiré de ça ?
https://www.youtube.com/watch?v=nG8fWVdsBzs
Non, du tout. C'est pas inintéressant d'ailleurs. Non, s'il fallait parler d'inspirations, il y a celle de Julio Cortazar (avec une mention spéciale pour "Le tour du jour en quatre-vingt mondes" et les intitulés des chapitres à l'ancienne façon : "Où le héros apprend que sa voisine deale du hash au détour d'un malheureux concours de circonstances auquel il s'offre le luxe d'arriver second, suite à un accident de poêle à frire sur le trajet kitchenette-salon" ou quelque chose dans l'idée. Par ailleurs, il me semble, si je me souviens bien, que la "micro-nouvelle" ou nouvelle en une ou deux phrases est une forme de littérature déjà vieille. Il faudrait vérifier ça du côté d'un éditeur montpelliérain qui, si mes souvenirs sont bons - et ce n'est pas certain - en avait publié un recueil. Voilà, je crois que c'est lui : http://www.lechatrouge.net/homeChatRouge.htm
Faudrait fouiller un petit peu.
Hé, Narak ! Reviens !
Si je reviens je vous balance un truc bien nul qui imite Mallarmé mal.
Ou mal Mallarmé.
Quel gâchis, de tout fourrer dans le même texte, autant de micro-nouvelles qui auraient pu, être refourguées par-ci par-là, et auraient peut-être, qui sait (?) rapporter 5€65 chacune, ou un bon pour un jambon beurre gratuit à la boulangerie de la place de l'église ,si elles avaient été proposées dans divers concours, mais c'est plus facile de se la jouer poète undergroundmaudit dans son coin
Même dandois s'y met, c'est dire.
soupe horrifique
Pas sûr d'avoir saisi le fil conducteur, mais ça m'a plus intéressé qu'un énième "lieu commun". Ça m'a rappelé une chanson de Capdevielle (ceci n'est pas un reproche).
J'ai écrit cela le 09-03-16
et je lis à 22;00
la fin de phrase de Lapin :
'' Puis Curare- viendrait au flamethrower finir le sale boulot et tous nous embrigader dans un mouvement activiste de poésie émogothique.''
J'avoue pour en arriver là -
'Il n'y a pas de sot métier chez les anges, pas de chômage en enfer, pas de pointeuse sur le Styx. Le travail ne libère que les cons.'
Clic sur le papillon -
tout le monde suit ?
http://colloque-des-oisives.org/cgi-bin/kholwiki.pl?action=kholok&page=kab3&options=&etats=AA&lng=fr
ça marche à chaque fois lapin -
Merci d'exister Lapin- tu égayes ma soirée -