Ah fiente et sodomie, non seulement je vous entends arriver mais je vous devance parfois d'une moue compassée, coincée entre le sourire franc du cancérologue confronté à une phase terminale, et la grimace béate de celui qui ne sait pas mentir mais qui s'obstine pourtant, à la façon maladroite des pianistes manchots, afin de ne point heurter l'ami de toujours, la belle-maman formaliste ou le caissier gentillet, qui n'a rien demandé à personne et qui traîne sa condition d'esclave à l'heure où d'autres comme moi se contentent de vivre en cigales dans ce monde de fourmis. Je n'arrive pas à vous en vouloir, je n'y arrive tout simplement pas. Malgré la haine viscérale de l'espèce humaine qui caractérise le rédacteur-narrateur du Cri de la Chtouille - c'est moi ; je précise pour les imbéciles - je ne parviens à vous détester que pendant deux à trois minutes après cet échange de civilités somme toute inoffensives et néanmoins brise-bonbecs. Parfois, j'anticipe et je vous méprise avant même que vous ayez prononcé les mots fatidiques - c'est toujours du temps de gagné ! Et si d'aventure, vous omettez de me présenter vos vœux, bande de lombrics moutonniers que vous êtes, je vous les balance moi-même en pleine poire sur ce ton de reproche abject que l'on m'envie jusque dans les rangs de l'ENA : avec un sourire tout en dents jaunes d'ancien fumeur et des yeux chargés de TNT. Après tout, y a pas de raison, je ne vois pas pourquoi on me priverait de ma ration de haine gratuite. Enfin, quoi, donnez-moi un peu de grain à moudre, que je vous exècre en toute âme et conscience ! Parce que, voyez-vous, salauds que vous êtes, je vous hais quand vous me la souhaitez mais je vous hais encore plus quand vous ne me la souhaitez pas.
Pourquoi j'y aurais pas droit, moi, d'abord ? A cause de tout ce que je viens de déblatérer dans vos tympans délicats ? C'est un peu facile, vous ne trouvez pas ? Je vous savais petits, conventionnels et intellectuellement limités - ça va, ça ? Je peux le dire ? C'est pas trop méchant ? Bon, disons que je n'ai aucun doute quant à l'espace de mémoire disponible au sein de vos disques durs internes... Disons qu'on pourrait se lâcher sérieux dans le choix du mobilier...
Bref. Je vous savais minables et mous du cervelet mais je vous espérais moins mesquins. Ma paranoïa requiert un minimum de flatterie, voyez-vous. Mon animosité maladive à votre égard exige qu'on la stimule régulièrement, avec une véritable volonté de nuire, quoique sans vous départir toutefois de ce naturel terriblement admirable dont vous vous parez sereinement tout le reste de l'année. Pour que mon aversion s'excite, s'emballe et bout, j'ai besoin de connerie pure, de la brute et rugueuse, sans sophistication ni artifice. Et là, comment dire ? Entre les réveillons étouffants que vous vous imposez par amour pour vos enfants gâtés et les saint-sylvestre bues goulûment en plaisante compagnie, je vous devine stupidement sincères. Dépensiers, matérialistes, gourmands et ventrus, égoïstes et fainéants, repliés sur vous-mêmes, chiants comme des comédies gorgées de Franck Dubosc ou de Kad Mérad, mais sincères et cohérents dans l'application insipide de vos théories oiseuses sur le partage et la famille, et la joie dans les yeux des enfants, et la bûche glacée qu'on s'acharne à engloutir jusqu'à la dernière miette pour justifier un ultime rôt, un dernier verre avant le suivant, et les retrouvailles émues des parents qu'on essaie de croiser le moins souvent possible et blablabla, mais putain de vérole en strass, quelle période atroce !
Alors oui, c'est sûr, je pourrais y aller de ma diatribe anti-Noël, comme je le fais chaque année dans le privé, déclarer une guerre perdue d'avance au consumérisme qui nous bouffe les nerfs et le compte en banque à la même période de début décembre à mi-janvier - parce qu'il ne faut pas oublier les soldes hivernales et les sempiternelles galettes à la frangipane que d'autres parents et amis nous obligent à ingurgiter avec force tendresse - cracher un long jet de glaire à la gueule des commerçants, des chaînes de supermarchés, des producteurs de foie gras - le gavage des oies reste une pratique immonde dont la seule pensée suffit à m'arracher de bien inutiles hauts-le-coeur - vilipender ces parents irresponsables qui pensent rendre service à leur progéniture en la noyant sous les piles de cadeaux inutiles et onéreux, ou mieux encore m'offrir de pleines pages de pub dans les journaux pour rappeler que, petit un, le père noël n'existe pas, petit deux, Dieu non plus, petit trois, tous ceux qui prétendront le contraire ne sont pas vos amis. Eh oui, les enfants. Vos parents ne sont pas vos amis : ils vous mentent, ils vous manipulent, et vous savez pourquoi ? Pour que vous soyez sages. Pour que vous rentriez dans le rang. Vous, les enfants terre-à-terre, ceux dont l'imagination s'épanouit dans le concret, à l'aune de la science et des lois physiques, je vous l'annonce ici en catimini afin de passer entre les mailles du filet que tissent en permanence les diverses polices de la pensée : vous êtes fichés. Oui, vous m'avez bien compris : ceux qui ne croient pas au père Noël, ceux qui vomissent la nouvelle année parce qu'elle les rapproche de la mort, ceux qui assument sans honte leur allergie aux fèves et aux guirlandes, eh bien ceux-là, qu'ils tremblent, car leur nom est écrit en caractères gras dans les listes noires du pouvoir.
Vive la réalité, à bas l'illusion, car c'est au nom de l'illusion que l'on essaie, depuis toujours et à jamais, de nous faire bouffer de la bonne vieille couleuvre aux fruits confits. Ca glisse tout seul, ça n'a pas de goût, c'est froid comme un glaçon mais ça remplit l'estomac. On dirait du sperme.
Alors, non, je ne le dirai pas. Pour rien au monde je ne vous souhaiterai quoi que ce soit sur les ondes de cette radio vendue au grand capital estudiantin dans l'unique souci de satisfaire à l'étiquette d'une convention éculée, sacralisée par le calendrier que nous refourguent chaque année les sapeurs-pompiers, les éboueurs et les intérimaires de la Poste, dans une démarche mercantile qui semble clairement engager la survie de l'espèce puisque tout le monde y va de sa petite magouille. Je ne vous la souhaiterai ni bonne ni meilleure ni rien. Je ne vous connais pas, je ne vous aime pas et, a priori, je vous déteste jusqu'à ce que vous me donniez suffisamment de raisons de changer d'avis. Autant dire que ce n'est pas pour tout de suite.
De toute façon, l'année 2016 s'annonce horrible et pathétique. Vous avez écouté les vœux du Président Hollande ? Vous vous rendez compte que l'expression « Président Hollande » pourrait convenir à un nom de pâte à tartiner à base de crème de gruyère ? Vous croyez peut-être que « Présidente Le Pen » sonnerait mieux ? Vous tenez tant que ça à ce que je vous balance mon poing dans la gueule ?
L'année 2015 était l'année des cons qui défilaient en se disant « Charlie » sans savoir ce que ça signifiait, l'année où le PS a achevé sa mue en parti de centre-droit à tendance liberticide. 2016 sera l'année des entraves, des chaînes et des perquisitions. L'année des pavés qui reviendront recouvrir la plage, l'année où la France se préparera, en victime consentante, à subir le viol de ces plus belles valeurs. Une année de merde à senteur de rose fanée, voilà.
Alors non, non, mille fois non. Je ne vous souhaite rien.
Je vous sens venir. Ah, foutre de mogwai, comme je vous sens venir... Oui, bon, les esprits tordus auront beau jeu de chercher le calembour. Quand je dis que je vous sens venir - et je me permets d'ajouter que je vous sens de loin, ce qui, olfactivement parlant, pourrait poser problème - nul besoin d'évoquer la notion de jouissance, voire d'orgasme, je vous en prie, ne soyez pas cons. Je vous sens venir dans le sens où j'appréhende douloureusement ce mois de janvier depuis le 1er février 2015. En d'autres termes, je vous entends arriver, avec vos branches de gui et vos gros sabots de gentils optimistes résignés. Je n'irai pas jusqu'à prétendre vous connaître comme si je vous avais fait mais avouez tout de même que vous êtes un tout petit peu prévisibles : avec cette bonhomie festive qui ne survient qu'une fois l'an, cette affabilité de circonstance dopée au champagne, aux huîtres et au foie-gras, ce sourire fatigué de fin d'année légèrement « enrhubée » recyclé en sourire éreinté de lendemain de fêtes débiles et alcoolisées, auprès d'amis de trente ans, de six mois ou de quelques heures à peine, vous vous êtes tous donné le mot pour m'assaillir quotidiennement et plusieurs fois par jour à grands coups de « meilleurs vœux » soigneusement emmaillotés dans la saccharose, forcément sucrée, inéluctablement factice, et sobrement mais invariablement acidulée. Ah, ben oui, c'est cyclique et ça n'a rien à voir avec le vélo : une fois par an, vous devenez mielleux d'un miel de pacotille, un de ces ersatz fabriqués à la chaîne et vendus en tête de gondole dans ces grands supermarchés qui nous aiment tant, qui nous respectent, ça va de soi, comme autant de clients potentiels, autant de chalands à ferrer, à saigner, à recracher.
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Le résumé m'a découragé.
Faut dire que je me suis tapé le précédent dans son intégralité.
La sensibilité de gauche et, plus largement, le militantisme social revendicatif ont métastasé l'humour officiel depuis plus de trente ans.
Convenu et conformiste au possible, le narrateur prétend pourtant se défier des autres et pointe le consumérisme comme ennemi ultime, critiquant tout et rien pour le principe, en prototype fat d'une rébellion qui n'en a que le nom.
On retrouve ici, avec une grande lassitude, tous les poncifs des chroniqueurs qui veulent bâcler du rire, et les postures faciles qui ont érigé la paresse intellectuelle et humoristique en billets d'humeur France2.
Afin de me prémunir d'une riposte attendue selon laquelle je serais un péteux imbuvable qui se contente de vomir sa bile de petit bras sans participer ni prêter son flanc à la critique,
j'ouvre OpenOffice.
Muscadet me semble-t-il dit : " On retrouve ici, avec une grande lassitude, tous les poncifs des chroniqueurs qui veulent bâcler du rire, et les postures faciles qui ont érigé la paresse intellectuelle et humoristique en billets d'humeur France2. "
Je réponds :" Mais super ! On peut peut-être prétendre à une quote-part de la redevence audiovisuelle à présent ?"
Sinon j'imagine que radio campus à part les montpelliérains, personne ne le capte, Muscadet où qu'il soit ne semble rien vouloir capter aussi, mais quoi qu'il en soit si tu continues tes chroniques sur cette radio, ce serait intéressant d'y faire un peu de pub pour la Zone, histoire de faire entrer de nouveaux bestiaux dans le cheptel.
sinon le billet d'humeur ici à un coté éditorial qui me plait bien. Et c'est loin d'être un exercice facile.
"La sensibilité de gauche et, plus largement, le militantisme social revendicatif ont métastasé l'humour officiel depuis plus de trente ans." Faux. Ce texte s'inscrit dans une critique plus radicale, d'une part, et l'humour officiel, si tant que cette chose existe, a viré centre droit tendance libérale.
"Convenu et conformiste au possible, le narrateur prétend pourtant se défier des autres et pointe le consumérisme comme ennemi ultime, critiquant tout et rien pour le principe, en prototype fat d'une rébellion qui n'en a que le nom." Faux. Ce texte n'est ni "convenu ni conformiste" dans son vocabulaire ou dans le choix de certaines des images, plus zonardes, pour employer un adjectif un peu fourre-tout mais qui veut bien dire ce qu'il veut dire. Le consumérisme n'est ici qu'évoqué et ce qui trans^paraît réellement à la lecture du texte, c'est une espèce d'état désabusé. le narrateur n'en peut plus, visiblement.
"On retrouve ici, avec une grande lassitude, tous les poncifs des chroniqueurs qui veulent bâcler du rire, et les postures faciles qui ont érigé la paresse intellectuelle et humoristique en billets d'humeur France2." Faux. Archi-faux. je n'ai jamais entendu ça sur France 2. Manifestement, on ne vit pas sur la même planète.
En l'occurrence, ce texte ne veut pas faire rire mais plutôt grincer des dents.
Pour ce qui est du résumé, c'est moi qui l'ai écrit. je ne vais tout de même pas m'envoyer des fleurs quand je présente mon propre texte. On est quand même sur la Zone.
ouais non rien à voir, l'humour officiel en ce moment c'est Canteloup et Nikos Aliagas, puisque les Guignols, Groland et Taubira ont été foutus au placard.
Très récemment. C'est à dire avant-hier.