Ces mêmes ordures qui m’enjamberaient en râlant si j’expérimentais un AVC ici-même/immédiatement/sur leur trottoir/ face contre terre/Mais enfin, il fallait commander régulièrement des paniers de légumes, Monsieur…
Ces mêmes dégénérés puant le charlisme regardent mon môme se lamenter ; et moi qui le traine comme je traine ma culpabilité/ma peur de la solitude/ mon dégout sincère pour le concept de famille (par amour du parad…
Ces braves gens s’imaginent que je ne suis peut-être pas le père de la petite fiotte, après tout, qu’on se ressemble pas tant que ça (en fait), et mes concitoyens de conclure, très habilement, que je m’apprête à enfermer l’enfant du soleil dans un cagibi, pour le nourrir ensuite exclusivement de croutons à l’ail ECO + et lui faire subir tout un tas de procédures habituellement réservées aux malades de la prostate (jusqu’à sa majorité légale/en mode nu sur les galets).
Ces enfoirés la reniflent déjà…
Cette Une du prochain numéro de « Détective » :
« IGNOBLE !
Il kidnappe un enfant roux dépressif et le viole en réunion lors de chaque changement d’heure pendant seize ans ».
« Ah ça, on aurait jamais pu deviner ! » répondront-ils aux journalistes. Scandalisés mais dignes.
« C’était quelqu’un de poli, vous comprenez. Jamais un mot plus haut que l’autre. Comment pourrait-on imaginer ce genre de chose ? »
Les voisins débitent immanquablement ce genre de platitudes répugnantes quand on les interroge à propos du type du bout de la rue, après qu’une douzaine de cadavres de nourrissons mutilés soit remontée à la surface d’un jardin de banlieue, suite à un glissement de terrain. Vous n’entendrez jamais témoigner :
« Eh bien, oui, maintenant que j’y pense, ça ne m’étonne pas tant que ça. Ce Monsieur tentait systématiquement de sucer la bite des chiens en pleine rue, avec un scalp grossier posé sur la tête et un collier de petits organes génitaux pendouillant autour du cou »
« Oui, nous aurions dû nous méfier… Car ce Monsieur déféquait parfois dans sa main et lançait son caca à l’aveuglette sur les gens, lors des kermesses de l’école »
La vérité, c’est que tout le monde se bat vigoureusement les couilles de ce que vous pouvez bien faire de vos journées. Mais ils vous jugent, bien entendu. Promenez-vous avec une sordide gueule de bois et un gamin bipolaire en pleine rue. Vous comprendrez enfin de quoi je parle.
S’il chiale tout ce qu’il sait, ce môme, c’est que je l’emmène à l’école et qu’il déteste ça. Deuxième jour. Il déteste déjà. Hier, c’était la rentrée en maternelle et mon enfoiré de gosse, la chair de ma putain de chair, ne savait pas à quoi s’attendre. Je l’ai déposé, je me suis enfui comme un lâche et suis rentré chez moi, dilapider mes indemnités journalières. Aujourd’hui, ça y est, le gamin a percuté. Moi aussi, d’ailleurs.Dès que j’ai vu sa maitresse, habillée en Desigual de la tête au pied, à un an de la retraite, avec sa gueule de connasse à n’avoir jamais ouvert un livre ou quitté le département, je ne me suis plus fait aucune illusion sur l’avenir de ce pays. J’espérais, comme tout parent, qu’on tombe sur une institutrice fraichement diplômée d’Harvard avec des yeux de biche implorant le foutre, trois comptes Tinder, un corps souple et des articulations fluides. J’aurais pu, alors, m’inscrire à l’élection des parents d’élèves. Je me serais peut-être mis à la pâtisserie mais non ! O tragique quenelle du destin ! Une vieille femme à moitié démente qui , le jour de la rentrée, voyant les parents faire la queue devant sa classe dans l’espoir de présenter leurs mômes dument torché et portant leurs plus belles défroques estampillées Bob l’Eponge ou La Reine des Salopes des Neiges, a cru bon de plaisanter : « Mon Dieu, il faudra bientôt prendre un ticket, comme chez le boucher. Ahah. »
Sale garce obsolète conspiratrice sans aucun doute favorable au mariage gay ! Puisses-tu développer une forme précoce d’Alzheimer et passer ta retraite à attendre un bus pour Cuba au milieu de ta cuisine plongée dans l’obscurité.
Donc, deuxième jour, on entre dans la classe, Masturbin et moi, et c’est le bordel intégral !
(Masturbin, oui. Et alors, tu vas faire quoi ? Sa mère voulait l’appeler Jean ou Kévin, peut-être même les deux. Mais c’est moi qui suis allé déclarer le gosse aux autorités municipales pendant qu’elle se faisait tranquillement recoudre la chatte. J’ai annoncé la couleur au type de l’hôtel de ville : Masturbin, je vous prie. Quand j’ai vu la tête du fonctionnaire, son expression qui oscillait entre le doute, la peur et l’amusement sincère, j’ai su que j’avais fait le bon choix pour mon fils. Personne n’oublierait jamais mon Masturbin. Avec un seul « t » ma gueule, j’ai précisé au larbin municipal, tandis qu’il imprimait l’acte de naissance. J’imaginais feu Jacques Martin se penchant tout sourire sur mon enfant : Qu’est-ce que tu vas nous chanter, Masturbin ? Place des grands hommes ? Eh bien, d’accord, nous t’écoutons…)
Bref, dans la classe, tous les gamins sont en train de péter un câble au milieu des ardoises et des jouets Emmaüs, sur un morceau de flute de pan diffusé par une chaine Hifi à cassettes, censé apaiser l’ambiance. Les lardons viennent de se rendre compte qu’on envisage de leur niquer scrupuleusement le cervelet, l’hypothalamus et même le bulbe rachidien jusqu’à ce qu’ils soient assez ravagés pour remplir une grille de Loto Foot ou voter Marion Maréchal Le Pen en se trouvant spirituels. Alors ils se roulent tous par terre, certains tentent de se défenestrer. Ils veulent tout bruler et c’est normal dit la maitresse, c’est comme ça à chaque rentrée, ne vous inquiétez pas, laissez-nous leur faire caca dans l’oreille sur une base quotidienne, nous sommes des professionnels, je vous garantis que ces canailles imploreront bientôt pour qu’on les inscrive en BTS force de vente. Masturbin agrippe mon col. Ses petites mains transmettent une force à peine croyable. Dans ses yeux, je devine un ultimatum. Alors je fais ce qu’il faut. Je le prends sous le bras et nous foutons le camp. Sur le seuil de la classe, et même si personne n’y prête attention, je déclame : Masturbin et moi, on vous pisse à la raie : on aime guère la flute de pan !
Bim. Je me retrouve dehors, il est plus de 9 heures, et j’ai un gamin dans les pattes qui se sent plus pisser. Pour lui, on est des pratiquement des Hells Angels. Je réalise que je viens peut-être de propulser Masturbin bien malgré moi vers une sinistre carrière de punk à chien, voire de député parlementaire. Moral dans les chaussettes.
Je vais rendre visite aux putes, étant donné que cette rentrée scolaire foireuse m’a donné envie de mourir et que j’ai subitement besoin d’une dose d’espoir. Les putes sont une source d’espoir considérable. Si vous ne savez pas ça, allez tous vous faire enculer et continuez à gratter des Astro.
« Papa, j’ai pas envie de marcher » scande Masturbin, tandis qu’on se dirige vers un square classé monument historique du quartier gare. « Marche ou crève, j’en ai rien à secouer », je lui réponds. « Papa doit se vider les couilles sans plus attendre ».
Et je presse le pas.
On s’arrête pour tirer un peu d’argent, en prévision des évènements qui se trouvent dans la ligne directe du scénario vaguement pornographique/sordide/compensatoire que je suis en train d’élaborer ; et le temps que je trouve ma CB, que je tape mon code et que je me gratte le cul si tu préfères, je confie ma clope à Masturbin. « Te grille pas les sourcils comme la dernière fois » je lui fais, tandis qu’il tient la cigarette comme une bougie d’anniversaire. Mon autorisation de retrait met une plombe à arriver, comme toujours. J’imagine que ma demande transite par La Défense, Israël, Washington, Tokio et Damas, avant que la machine daigne cracher les 200 balles que je lui réclame.
— Votre fils essaie de fumer, Monsieur. Au cas où ça vous préoccuperait…
Derrière-nous, une femme au physique désespérément inénarrable et son gosse en fauteuil roulant attendent leur tour. Le môme a l’air fracassé, ambiance maladie officielle du Téléthon ; fini à la pisse mais l’air sympa quand même. Masturbin, de son côté, essaie effectivement de téter le filtre de ma Camel. C’est toujours marrant de voir les gosses fumer, je trouve. C’est con. Comme les ours qui font du vélo. Bref.
— Monsieur, il va avaler la fumer. Ou se bruler. Mais enfin !
— Et alors ? je réponds. Le vôtre est pas franchement mieux parti pour passer la trentaine.
Bim ! Punchline. Qu’est-ce que tu vas faire ?
Rien ne surpasse l’arrogance d’un parent de trisomique. Ils sont quasi-intouchables. Ils se feront jamais contrôler par les flics, ni couper l’électricité. Tout ça parce qu’ils ont eu le mérite de mettre au monde un organisme monocellulaire. Mais pas de ça avec moi. « La prochaine fois, essayez de trouver un cendrier » elle me fait, soucieuse d’avoir le dernier mot. « La prochaine fois, avortez » je lui réponds (uniquement pour la rendre dingue d’ailleurs, parce que je trouve son gamin plutôt bon esprit, pour tout vous dire). En partant, j’essaie de checker le gosse mais on a des problèmes de synchronisation tous les deux et je lui donne une sorte de petit coup de poing sur le front, sans faire exprès. La mère hurle au scandale, comme si quelqu’un en avait quelque chose à foutre dans le quartier, comme si Gérard Motherfucking Holtz allait faire une descente.
A présent solvables, nous faisons un détour par le Liddl pour acheter une flasque de rhum Charrette. Masturbin, de son côté, tombe amoureux d’un fusil d’assaut de type M16 en plastoc de merde qui coute moins de deux euros. Comment et pourquoi lui refuser ? Dans une quinzaine d’années, au train où vont les choses, le gosse devra probablement tenir un check point à Roubaix ou mener une guérilla urbaine à travers les maisons écroulées de Forbach. Dans ces conditions, il serait parfaitement irresponsable de ne lui offrir que des Pokemons ou du Kinder Bueno.
On passe par les quais et Masturbin attrape ma manche : « Papa, c’est quoi, ça ? ». Il montre l’eau et un truc blanc qui flotte. Je n’arrive pas à distinguer tout de suite de quoi il s’agit. Et puis je comprends. C’est la première fois que je tombe sur un truc pareil. Envie de vomir. On ne voit ça que dans les cauchemars. Qui ramasse les cygnes morts, d’habitude ? Qu’est-ce qu’ils foutent, aux services municipaux de cette putain de ville ? « Papa ! C’est quoi, le truc ? »
Je dis, sobrement : « C’est un cygne. Un cygne mort qui flotte ». « Ah, oui » répond Masturbin, pas du tout impressionné. Le cou de l’animal traine sous l’eau, derrière lui.
On croise ensuite trois miliaires en patrouille. Masturbin les prend en joue et fait mine de les dégommer. Beaux joueurs, les soldats lèvent les bras et l’un d’entre eux se tient la poitrine en grimaçant. Moi, je me mets au garde à vous pour ces types à peine majeurs qui se pèlent les couilles toute la journée sans se faire aucune illusion sur l’aspect comique de leur présence dans nos rues. J’ai envie de les embrasser sur la bouche, ces connards. Je sais pas très bien pourquoi. Ils sont beaux comme des œuvres d’art, une installation surréaliste ambulante qui ne trompe personne. Et costauds avec ça ! La plupart seraient capables de me dévisser la tête à mains nues. « On se rend chez les putains avec mon fils, vous nous accompagnez ? » je leur lance. Ils se marrent et continuent à marcher lentement, vers nulle part, sans savoir pourquoi, en formation de combat. Ma parole, je les aime ces mecs…
En face du square abritant les catins, il y a une médiathèque municipale que je connais parfaitement. A une époque de ma vie, je ressentais un tel dégout de moi-même que j’ai envisagé une carrière d’écrivain. Je ne sais pas ce qui m’est passé par la tête. J’ai lu un ou deux bouquins de Michel Putain de Houellebecq et je me suis dit que c’était vraiment à la portée du premier aliéné venu, finalement, l’art du roman. Je me suis donc farci dans cette même médiathèque municipale les plus éminents escrocs littéraires, de Fante à Boulgakov, en passant par Céline, David Foster Wallace, Salinger et autres Cioran, bref, toute la panoplie des mange-merde soit disant alternatifs. Palahniuk, sans déconner… Même lui. Je me trouvais vachement malin, sur le coup. J’étais l’élu, ni plus ni moins. Je reniflais mes pets et chacun d’entre eux sentait l’intrigue bien ficelée/ l’élargissement du champ de la pensée/le drame sous-jacent/le cliffhanger qui vise direct tes couilles. Eh ouais. Beckett, Asimov, Huxley, Ellis, Ford, Dijan. Ils me sont tous passés dessus. Je suis tombé tellement bas dans la névrose littéraire que j’ai participé à des concours d’écriture. Je ne suis pas fier, ça non. J’en étais arrivé à plancher sur des appels à textes aux thématiques navrantes organisés par des revues numériques que personne ne lit, même pas leurs contributeurs, tout ça dans l’espoir de connaitre mon heure de gloire littéraire (c’est-à-dire quelques minutes sous les projecteurs d’O.N.P.C, à me faire descendre par un maigrelet méphistophélique et une gourde intolérable, puisque c’est bien de ça dont on parle, en 2015, quand on évoque la reconnaissance d’un auteur. Enfin bref, j’ai fini par me dire que je valais mieux que tout ça et je me suis remis au badminton).
Donc, la médiathèque municipale (bim). On entre là-dedans et je me rue vers la petite salle de lecture du fond et ça rate pas : un clodo est en train de pioncer sur une table, la tête posée sur « Par-delà le bien et le mal » de ce bon vieux Friedrich. Je lui balance un solide atémi en travers la gueule (au vagabond céleste, pas à Nietzche (même si c’est pas l’envie qui…)), j’assois Masturbin sur la chaise à côté et je dis au clodo : Mec, voilà 10 euros. C’est de l’argent. Tu peux t’acheter des choses avec. Toi, comprendre ? Parler français ? Bon. 10 euros, pour toi. Tu vois ce gosse ? C’est mon gosse. Tu le quittes pas des yeux, ok ? Chouf, chouf. Y’aura 20 euros de plus si le môme est encore vivant quand je reviens. Dans une heure. Pizzicato ?
Il regarde Masturbin, qui le pointe avec son M16. Il sourit. Un bon clodo, ça. De mon côté, j’attrape quelques ouvrages vaguement illustrés que je dépose juste devant mon fils. Le gosse tire la tronche. Je lui dis : Ecoute, tu vas peut-être pas aller beaucoup à l’école dans les semaines qui viennent, mais ne vas pas croire que tu vas te toucher la bite jusqu’à Noel, Masturbin ! Instruis-toi.
Et je me casse sur Mars.
***
C’est le genre de square dans lequel aucun mineur n’a mis les pieds depuis longtemps. Les putes sont disséminées sur les modules de jeux, sur les bancs, au milieu des seringues, des mégots et des emballages de chips virevoltant au grès du vent. Des africaines pour la plupart. Mais en fait, il y a un peu de tout. Le type assis sur son tabouret de pécheur se fait appeler « Glucose ». Il prétend être le seul albinos Mauricien vivant et je ne demande qu’à le croire, vu sa gueule. C’est aussi le dernier homme à porter un sac banane. On échange les conneries d’usage et je lui demande :
— Celle-là, sur la balançoire ?
— Ça pourrait être ta mère.
— Ne manque pas de respect à cette putain, s’il te plait. Elle me semble très bien, à moi.
— Comme tu voudras. J’espère que t’es vacciné contre le tétanos. Ahah.
La fille s’accroche désespérément aux cordes de la balançoire. Elle porte des bottes de pluie rouges et jaunes, des bas-résille Marque Repère et un sweat-shirt à capuche « Bon Jovi World Tour 1997 ». Effectivement, elle devait déjà tapiner sous Giscard. Je viens de me choisir la pire pute de toute la ville. Je pourrais élaborer tout un tas de théories à ce propos, plus ou moins en rapport avec mon enfance sans problèmes mais je vous demanderais simplement de me suivre ou d’aller bien vous faire enculer.
« Agnes ! » gueule Glucose en direction de la balançoire : « Tu peux encore marcher, ma belle ? ».
D’abord il ne se passe rien, et puis on entend la fille marmonner quelque chose. Elle se ramène. Démarche très post-apocalypse. « Agnès », ça lui va pas terrible, je trouve. On aurait quand même pu lui trouver un nom de scène plus approprié. Elle est pas jolie. Elle est pas moche non-plus. Vous connaissez la chanson. Disons qu’elle est imperméable aux canons de beauté classiques. C’est difficile à juger. De la même manière qu’il serait complétement idiot de critiquer le design d’une bagnole impliquée dans un choc frontal à trois heures du mat, sur une départementale bretonne. Cette pute est une épave multi-accidentée, sans aucune assurance. Moi, ça m’est égal. Je suis client. J’ai jamais boudé une femme abîmée et j’utilise encore mon vieux Nokia 3310, par exemple.
Agnès m’agrippe le bras et se met à cracher quelque chose de vert, pour une raison qui la regarde. Glucose me rédige un devis et je lui fais :
— T’aurais pas un peu de coke, tant qu’on y est ?
— J’ai juste mon gramme, il répond. Mais tiens, mange. Je peux même pas le renifler, de toute façon. Rhume des foins, ou un truc dans le genre… Y’a rien qui passe alors je l’ajoute sur ta note.
— Faut dire que ça c’est drôlement réchauffé.
— Les albinos sont plus sensibles aux variations de températures, tu le savais ?
— Le truc, c’est de toujours porter un tricot de peau.
— Ouais, mais ces saloperies me grattent.
— Je sais, putain. Je le sais bien…
Bim, donc. Agnès et moi, on se tire. Je suis obligé de lui tenir le bras jusqu’à sa piaule. D’abord, je suis un authentique gentleman mais surtout la pauvre fille est en pleine montée d’acide depuis environ quinze ans. On a le sentiment de marcher sur de la glace. On cause un peu. Agnès me raconte la fois où un soldat en permission, sous-officier des transmissions, est tombé raide mort pendant qu’elle lui administrait une pipe. Le soir du nouvel an, elle dit, à minuit pile. Ca me met tout de suite en confiance. Elle précise qu’il bandait encore quand les pompiers sont venus le chercher. Elle dit : ben ouais, t’inquiète pas, je sais y faire et je suis allé à Chambéry, une autre fois, et on m’a reçu comme une reine, là-bas, en Savoie. Tout cela n’a aucun sens mais qu’est-ce que vous voulez ? Quelques glissades plus tard, on finit par arriver chez elle.
J’ai vu des tas de piaules sinistres, depuis le temps, et j’ai même habité la plupart d’entre-elles. Je sais donc reconnaître un scandale sanitaire quand j’en vois un. En l’occurrence, la décoration intérieure de la chambre d’Agnès est d’inspiration camp de réfugié/cellule d’asile psychiatrique. Si vous êtes abonnés à Maison Créative, fermez les yeux un instant. Déjà l’odeur… Ça pue le tabac froid et la mort lente. Caractéristique. Agnès suit visiblement une sorte de régime Dukan alternatif à base de raviolis en boite, bière de clochard et tablettes de décontractant musculaire. Tant qu’à essayer de se tuer, je me demande toujours pourquoi les gens ne se couchent pas directement sous un train de banlieue. Ils cultivent leur agonie comme on prend soin d’un jardinet de banlieue, une parcelle de mauvaise terre, au bord de l’autoroute. Sinon, nous avons un matelas crasseux posé à même le sol, un bidet bouché au milieu duquel flotte un téléphone portable dans une eau croupie, un lavabo, de la nourriture solidifiée, accrochée à un tapis. Un vieux gode ensanglanté qui traine, des bouteilles vides. Des capotes collées sur les murs, comme autant d’interrupteurs futuristes. Et aussi des centaines de recettes de crêpes et de lasagnes découpées dans des journaux. Démence/fracture sociale/gastronomie/taches de sperme. S’il existe un Enfer après cette chambre, je mange des fruits et légumes quand vous voulez. On ne sait même pas où étaler sa coke dans ce merdier.
On pourrait croire que rebuté par tant d’immondice, par le taudis et sa locataire plus morte que vivante, je vais juste m’assoir sur le matelas pour évoquer la Savoie avec une condescendance parfaitement dégueulasse et qu’après ça, je foutrai le camp aussi vite que possible. Si c’est ce que vous pensez, je vous conseille de vous poser les bonnes questions sur vous-même. Et vite. Je n’ai rien à voir avec un Holden Caulfield. Non, Monsieur. Je plaque Agnès contre un mur, je remonte sa jupe, je me lèche la paume de la main, j’humidifie son con d’un autre âge et y enfourne sans plus tarder ma petite queue nécessiteuse, dans l’espoir de reprendre gout à l’existence. Et j’aime autant vous dire que c’est pas un mauvais cheval, cette Agnès. Je l’encule et j’ai l’impression de jouer au flipper clandestin dans un bar de motard. Avec le côté roulette russe, aussi. Je pensais avoir des capotes sur moi mais je suis obligé de baiser en mode années 80, comme si demain n’existait pas.
Je ne bande pas aussi fort que je devrais. Je veux bien l’avouer. J’essaie de penser à une lycéenne en plein oral de français, dissertant maladroitement sur un texte de Montesquieu. De l’esprit des lois, peut-être. Je pense à cette femme que j’avais suivie pendant des heures dans la rue, le jour de la fête de la musique. Elle portait une robe d’été transparente et on pouvait voir sa raie, sans problème. Je m’étais lancé dans une filature impeccable. Je la frôlais. J’ai bien cru que j’allais la violer et je suis à peu près certain qu’elle aurait adoré ça, que je la coince entre deux bagnoles et que je la prenne sans rien demander, comme on s’arrête brusquement pour refaire ses lacets. Je pense à Vitaly Scherbo, le gymnaste biélorusse, et ses six médailles d’or aux jeux olympiques de Barcelone. Je pense à deux inconnues qui se roulent une pelle et se doigtent en classe affaire, juste avant un crash aérien, alors que les masques à oxygène dégringolent du plafond. Je bande pas aussi fort que je devrais. Je pense à cette Femen plaquée au sol par un vigile, à Bruxelles.
Bon. J’ignore comment vous baisez vos putains mais en ce qui me concerne, je veille toujours à échanger quelques mots avec les petits commerçants. Sans doute une manière de rendre nos rapports moins inhumains. Autant la levrette est propre à l’introspection, autant la position du missionnaire favorise la discussion courtoise :
— T’as des gamins ?
— Oui. Oui. Mais le problème, c’est celui du milieu. Je me rappelle plus comment il s’appelle, tu comprends ?
— Voilà ce qui arrive quand on choisit un prénom à la con. Le mien s’appelle Masturbin et personne ne l’oubliera jamais.
— Jean-Kevin, je l’appelle, moi, en attendant.
— Ça s’est bien passé, la rentrée, de votre côté ?
— Une fois, à Chambéry…
— Bon, ok. Ferme là.
— Tu peux me pisser dessus, plus tard, si tu veux.
— J’en ai encore pour deux minutes...
Bim. Retour à la rue. Je ne déborde pas franchement d’espoir mais j’ai quand même moins envie de mourir à peu près jeune. A la médiathèque, je retrouve Masturbin et son précepteur de fortune. Ils se sont dégotés un Puissance 4, je sais pas comment. « Qui gagne ? » je leur fais. Masturbin me saute au cou et me raconte en détail tout ce qui s’est passé de son côté pendant mon absence. Je n’y comprends rien, ou presque. A cet âge-là, c’est encore foutraque. Ça n’a aucune structure. Le clodo me fait son rapport lui aussi (auquel je ne capte rien non plus) et je lâche les 20 sacs promis.
C’est à peu près comme ça que se termine cette histoire et si vous aimez les récits à chute, si vous êtes un putain de puriste et que vous considérez que chaque pièce de littérature devrait être une tentative d’élévation morale, je suis obligé de vous orienter vers la chatte de votre mère, cette pauvre connasse qui attendait un peu mieux de vous et de votre…
Le jour suivant, chialeries ou non, Masturbin est allé à l’école.
Une semaine plus tard, il appréciait déjà la flute de pan.
Son BTS force de vente en poche, il est aujourd’hui agent commercial sédentaire pour SFR.
Il vous pisserait au cul.
LA ZONE -
Donc, je tiens mon gosse par la main et ce merdeux braille publiquement, comme un gros pédé mélancolique, tandis que mes frères piétons, échantillons d’Humanisme synthétisés par l’esprit des Lumières/ la propagande américano-sioniste/les jurys d’émissions culin…
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Il faudrait enseigner ce texte dans les écoles puis les brûler.
"Pour lui, on est des pratiquement des Hells Angels."
Faut trouver le mot qui manque ? Ou bien c'est une tache de foutre sur le copier-coller au moment de l'envoi ?
Le récit tient bien sa longueur, c'est vif et déjanté, ma lecture se sent comme Anièce, bravo, crève !
CMB
DTC
J'ai bien rigolé, merci.
https://youtu.be/pey29CLID3I
De beaux moments de bravoure dans cette quête épique.
Rien que pour ça, je me réjouis d'avoir retrouvé le chemin de la Zone.
Je vois que la Française des Jeux est à l'honneur, c'est très bien.
Oui, c'est un bon texte.
Sauf la fin, tout le passage avec la pute.
Les fins sont jamais bonnes, presque jamais. NON AUX FINS.
ça c'est la 'French Touch', et ça vaut dans tous les domaines : une petite touche de caca
Bordel j'en ai chialé du sang.